• 03-E - Le 7 juin 1940

    03-E - Le 7 juin 1940

     

    Cet épisode dramatique de cette journée sera consacré au replis et à la retraite des bataillons du 41° RI sans oublier la tragédie de Beaufort en Santerre . . .

  • Des renseignements fort précis fournis par le capitaine de Nantois (9° batterie du 10° R. A. D.) me permettent d'ajouter une note sur le repli du seul groupe d'artillerie de campagne qui restât à la 19° D.l.

    De la 8° batterie, dispersée en antichars à Soyécourt et Herleville, 3 pièces revinrent se joindre aux 7° et 9° batteries, qui avaient si bien, défendu le Bois Etoilé.

    Les 7° et 9° ,batteries étaient en position à la côte 109; la nuit s'était passée sans incident.

    Le 7 juin, vers 5h 30, alors que j'essayais en vain d'établir une liaison par T. S. F. avec le 41° RI, j'ai aperçu
    à quelques centaines de mètres sur ma gauche une longue colonne d'infanterie marchant vers le sud-ouest par le chemin reliant Herleville à Rosières-en-Santerre: c'était le 41° qui se repliait; un officier était porteur de l'ordre général de repli, daté de 2 h 30, signé Loichot; j'étais mentionné parmi les destinataires. J'ai su plus tard que 3 estafettes m'avaient été envoyées au cours de la nuit : un sous-officier et un officier par l'A. D. 19, un sous-officier par le Colonel d'Infanterie; tous trois ont disparu en cours de route.

    (Rapport Schérer au général Doumenc)

    Le commandant Schérer apporta lui-même à ses batteries l'ordre de se replier sur Montdidier.

    Le capitaine de Nantois, qui a écrit sous la dictée du lieutenant de Courson, décrit la retraite en ces termes :

    L'infanterie s'est déjà repliée; le temps presse; il n'arrive qu'une partie des avant-trains. Les premiers chars ennemis paraissent. Le lieutenant de Courson donne toutes les voitures attelées à l'aspirant Muzard et le fait retraiter sur Vrély. L'Aspirant et toute sa colonne seront pris dans ce village: entourés de motocyclistes et d'auto-mitrailleuses, ils ne peuvent que se rendre. Le lieutenant de Courson fait partir à pied quelques hommes; puis il retrouve des avant-trains, attelle de nouvelles voitures et part avec elles. Un
    caisson est atteint par un obus tiré par les chars ennemis et saute. C'est au cours de cette sortie de position que sont tués : le maréchal des logis chef Guénégo, le trompette Le Collen, l'ouvrier en bois Lefeuvre, les conducteurs Josse et Boscher, tous de la 9° batterie, et aussi le maréchal des logis Le Floch, de L'État-Major du Groupe, qui, à ses moments de liberté, était notre très dévoué aumônier. L'adjudant-
    chef Bibaud devait périr à Beaufort, queIques kilomètres plus loin. Guénégo était le meilleur de mes sous-officiers; Le Collen était un soldat parfait.

    Ce qui reste de la 9° Batterie manoeuvre alors sous les ordres du lieutenant de Courson. Le Groupe est en effet séparé en trois. L'État-Major et la 7° Batterie participeront à l'affaire de Saint-Just-en-Chaussée au cours de laquelle tombera en héros le lieutenant Marseille; la  8° retraitera dans l'axe de la Division; la 9° enfin sera constamment batterie d'arrière-garde et combattra à hauteur du G.R.D.

    Les sous-officiers et les hommes s'accordent à proclamer que le lieutenant de Courson a commandé avec courage et bonheur.

    Après avoir cantonné à Broyes le 9, à Saint-Martin le 10, passé l'Oise à Saint-Leu, retrouvé le 3° groupe, mis en batterie à Baillon le 12 (la batterie tire beaucoup sur cette position), la 9° Batterie, réduite de moitié, est renforcée d'une section du 61° R. A. rencontrée par hasard en chemin et dernier reste d'une batterie qui retraite sous le commandement de son Capitaine, le capitaine de Toulouse-Lautrec;
    celui-ci prend naturellement le commandement de la nouvelle formation.

    Dans ce repli du 3° Groupe du 10° R. A: D., la 8° Batterie a son histoire à part. On sait en effet que 2 pièces étaient en antichars à Herleville, et les 2 autres à Soyécourt sous les ordres du lieutenant Le Cler de la Herverie.

    Les 2 pièces d'Herleville se retirèrent sans difficultés spéciales avec le 2° Bataillon du 41°.

    Des 2 pièces de Soyécourt, l'une fut perdue, L'autre sauvée. Une pièce était en position à l'est du point d'appui, l'autre à l'ouest, dans le secteur de la 11° Compagnie, sous la direction immédiate de La Herverie. L'ordre de se retirer lui ayant été donné, celui-ci courut à la pièce de l'est. Artilleurs et attelages étaient partis déjà avec le commandant Jan et l'infanterie. Le Lieutenant ne pouvait malheureusement
    emmener son canon.

    Restait la pièce de l'ouest, Sur l'ordre du capitaine Fauchon (11° du 41°), La Herverie s'en alla le premier avec mission d'appuyer, s'il y avait lieu, la 11° Compagnie.

    La pièce passa derrière le Bois Étoilé, et rejoignit la 1° Compagnie (lieutenant de Saint-Sever) du 41°. Avec les fantassins elle entra dans Rosières. La 1° Compagnie accrochée par l'ennemi se disloqua. La Herverie mit en batterie; les fantassins s'éloignèrent. A ce moment, 3 side cars armés de mitrailleuses s'avancèrent contre les artilleurs. Notre 75 n'avait plus d'utilité en ce lieu, il allait être pris; La Herverie en hâte le fit partir au galop. Mais le Lieutenant était à pied. Tandis que la pièce retrouvait plus loin le 41°,
    l'officier se joignit au petit groupe de fantassins de l'adjudant-chef Rochard et du sergent Morazin; après une retraite difficile, que j'ai racontée plus haut, il échappa à l'ennemi.

    Nous laissons derrière nous bien des camarades tués; il y en a partout dans la boucle de Ia Somme; les blessés sont au nombre de plusieurs milliers; et il reste les prisonniers.

    De la 19° Division, il ne subsiste plus qu'un groupe de 155, sous les ordres du commandant Nicole; Un groupe de 75, celui du commandant Schérer ; une partie du Génie; une moitié du G. R. D. 21, un millier de fantassins du 41°, auquel se joint la C. H. R. du 117° R. I.; L'État Major de la Division et les services.

    Nous étions arrivés 16000 !!! 3000 hommes, tout au plus descendaient.

    La 7° Division Nord-Africaine, notre voisine de gauche, s'en allait également, et par la même route.

    La 29° D . I. (général Gérodias) notre voisine de droite, avait perdu en deux jours: le 112° R.I, sa demi-brigade de chasseurs, (moins 2 petites compagnies); les États-Major de la demi-brigade de chasseurs du 94° d'Artillerie de montagne; l'État-Major de l'Infanterie Divisionnaire, et plusieurs batteries.

    Nos morts restèrent sans sépulture jusqu'au 21 juin. A partir de ce jour-là, M. l'abbé Pierre Turcry, curé d'Estrées et son frère, l'abbé Jean Turcry, curé de Belloy, et de 9 villages avoisinants, aidés d'une partie de la population, maintenant revenue, les ensevelirent avec un zèle pieux.

    C'était un spectacle effrayant, m'a dit 'l'abbé Turcry, que celui de ces nombreux morts.

    Sur le monument que peut-être un jour on élèvera là, à leur mémoire,on pourra, ce me semble, graver la fière devise de la Bretagne : « Potius mori quam foedari »  - « Plutôt mourir que manquer à l'honneur ».

    Dans les villages que nous abandonnions, beaucoup de maisons étaient en ruines; et pas une des charmantes églises, toutes neuves; n'est en bon état ; plusieurs ne sont que des amas de pierres et de briques.

    La 19° Division a succombé avec honneur dans une lutte terriblement inégale. Les citations à l'ordre de l'Armée accordées à la 19° D.I, collectivement, et à quelques unités survivantes: 41° R. I.,:22° Étranger, 10° R. A. D., G. R. D. 21; 3° groupe du 10° R., A. D en témoignent. Toutes les autres eussent mérité le même honneur.

    Je transcris seulement les citations de la 19° D. I, du 41° RI et du G. R. D. 21, n'ayant pas les textes des autres.

    19° Division d'infanterie: Au cours des combats des 5 et 6 juin 1940; s'est montrée digne de son magnifique passé de gloire militaire. Attaquée par un ennemi disposant d'une aviation de bombardement
    puissante et d'innombrables engins blindés, a tenu sur place sans aucune défaillance, encerclée dans ses points d'appui. Ne s'est repliée que sur l'ordre du Commandement, sans que l'ennemi ait réussi à la rompre, ni à la bousculer.
     

    41° Régiment d'infanterie: Superbe régiment dont la fermeté et l'abnégation peuvent être citées en exemple. Les 5 et 6 juin 1940, submergé dans ses points d'appui par des éléments blindés, soumis à
    des bombardements d'aviation et d'artillerie d'extrême violence, le 41° Régiment d'Infanterie, sous les ordres du lieutenant-colonel Loichot a tenu magnifiquement, fait de nombreux prisonniers, et ne s'est replié en combattant que sur l'ordre du Commandement, accomplissant avec succès un mouvement de repli particulièrement difficile.

    21° groupe de reconnaissance: Au cours des 5 et 6 juin 1940, occupant un point d'appui constamment pris à partie par l'aviation, l'artillerie et les blindés ennemis, a tenu d'une façon splendide, presque sans
    pertes, grâce à une organisation défensive, remarquable. A constamment fourni au Commandement les renseignements les plus précieux malgré l'ennemi qui l'encercle.

    Mieux encore que ces citations, un chapitre du livre écrit par le capitaine Ernst Freiherr von Jungenfeld,
    commandant un groupement de chars, pour raconter l'attaque de sa Division panzer sur le Santerre, montrera que la résistance de la 19° Division, celle du 117° en particulier, fut valeureuse, et que si nous eussions eu des chars pour contre-attaquer, la bataille de la Somme eût été un dur échec pour l'ennemi. . .


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  • Dans la nuit du 6 au 7, à 2 heures du matin, l'ordre fut remis aux Bataillons du 41° de se replier derrière l'Avre; il arrivait bien tard pour être facile à exécuter; le 1° Bataillon, et, au 3° Bataillon, la 11° Compagnie, touchés par l'ordre ne purent se dégager de l'étreinte; seules passèrent les Compagnies du 2° Bataillon, et la 9° Compagnie du 3° Bataillon avec une partie de la C. A. S, et les Compagnies régimentaires.

    Quant à la 10° Compagnie, complètement encerclée depuis 3 jours, elle ne peut être avertie par des coureurs qui ne sauraient passer, et l'ordre de rejoindre le commandant Jan, transmis par la radio du P. C. R. I. ne fut pas entendu par le poste de la 10°. L'eût-il été, que l'exécution eût été impossible; Le Moal et ses hommes n'eussent pu sortir de Fay.

    Le matin du 7, il n'y a plus de munitions pour les armes d'infanterie, ni pour les mortiers et le canon de 25. Les mitrailleuses sont encore abondamment pourvues. Il n'y a plus ni vivres, ni eau, depuis le 4 juin.

    Au petit jour, le bombardement recommence. Comme la veille, l'ennemi tire dans les maisons avec des obus de 25 antichars, car les balles de mitrailleuses sont sans efficacité.

    Un obus de 105 traverse les murs de la maison où la pièce du caporal Chareaudeau est en position. Heureusement, il n'éclate pas, et tombe juste au dessous du canon de la mitrailleuse. Un mitrailleur va l'enterrer dans le jardin.

    La fin de la résistance approchait.

    Voici comment se fit la reddition de la petite garnison : une centaine d'hommes valides.

    Vers 8 heures, les Allemands agitent un drapeau blanc, au barrage de la route d'Estrées; les hommes de la section Dugast, retranchés dans le cimetière, tirent sur cet objectif. Dugast arrête ce tir inutile.

    A 10 h 45, un officier allemand se présenta porteur d'un drapeau blanc. Il demande qu'on cesse de résister. les troupes allemandes, dit-il, se rapprochent de Paris; vous êtes encerclés par deux bataillons de mitrailleurs et l'artillerie, vous ne pouvez pas reculer; si vous ne vous êtes pas rendus ce soir, l'artillerie de gros calibre bombardera le village.

    A ce moment précis, le brave Chareaudeau vient au P. C. pour se rendre compte de ce qui se passe. Il trouve le lieutenant Le Moal bien triste. On discutait alors les propositions de l'ennemi. Le docteur Renaud, qui assistait à la délibération, rend à Le Moal le témoignage qu'il ne voulait pas se rendre et qu'il désirait essayer une sortie pour échapper a l'encerclement. Cette sortie, hélas n'était pas possible.

    Renaud me dit encore que Chareaudeau ne voulait pas non plus entendre parler de reddition, il invoquait à l'appui de son refus tous les cadavres allemands alignés devant sa mitrailleuse, et ceux qui s'y ajouteraient encore, car il avait beaucoup de munitions pour ses pièces. Il fallut 20 minutes pour convaincre ce courageux garçon que la reddition s'imposait, car on ne pouvait plus tenir, et il fallait penser aux blessés, dont quelques uns déjà étaient morts.

    La reddition inévitable fut décidée. Le Moal, rapporte le sergent Bernard (de la 10°), envoya d'abord sa réponse aux propositions allemandes par le soldat Scoonen, qui s'était fait remarquer par son courage (Bernard dit même: sa témérité). Conduit les yeux bandés au Commandant ennemi installé dans le bois, il ne fut pas agréé. On voulait un gradé. C'est alors que le sergent Forlani, sous-officier de renseignements du 3° Bataillon et adjoint à la 10° Compagnie (et qui parlait bien l'Allemand), fut envoyé par le lieutenant
    Le Moal pour annoncer que la garnison cesserait le combat.

    L'officier allemand demande à Forlani combien il y a d'hommes: une petite compagnie, et sur le nombre 48 blessés. Étonnés de la résistance rencontrée, les officiers allemands déclarèrent par la suite en présence de Hiegentlich qui comprenait leur langue: Nous, croyions que vous étiez beaucoup plus nombreux, et que vous aviez 5 canons de 25.

    Je l'ai dit, il n'y en avait qu'un seul.

    Un peu plus tard, l'ordre est donné aux hommes de se rassembler; ils ont une demi-heure pour se préparer, et faire leur sac; ils doivent se rendre avec leurs armes individuelles. Les mitrailleuses sont démontées et rendues inutilisables, ainsi que le canon de 25.

    Chareaudeau écrit dans ses notes: Nous autres, à la mitraille, nous avions encore beaucoup de cartouches, et cela nous faisait un peu mal au coeur de nous rendre.

    Les hommes valides se réunissent devant le poste de secours. On se mit en colonne par 4, sac au dos, l'arme à la bretelle. Nous avions brûlé nos lettres. Les blessés restèrent à l'infirmerie. Nous marchions sur la route au devant d'eux (les Allemands). En sortant du village nous continuions d'avancer en tenant nos fusils au dessus de nos têtes, bien en ordre, et marchant bien au pas. A 300 mètres du village,
    les officiers allemands nous attendaient. Ils nous dirent : Vous vous êtes très bien défendus, et vous nous avez infligé de lourdes pertes. Ils croyaient que nous étions un Bataillon.

    Ils demandèrent que leur fût présentée la 2° section, de Dugast, qui avait défendu le cimetière, et manifestèrent leur étonnement devant un si petit nombre d'hommes.

    D'après Chareaudeau, que je viens de citer, les officiers auraient été autorisés à garder leur révolver. Je n'ai pu vérifier ce détail.

    Le docteur Renaud, qui a vécu toutes ces heures tragiques, m'a raconté la discussion qu'il eut avec l'officier allemand. Celui-ci déclara qu'on allait fusiller un certain nombre de nos hommes, car ils avaient tiré sur un side-car de la Croix Rouge, venant de Dompierre.

    Renaud lui répliqua: « à la nuit tombante, on n'avait pas pu voir la Croix Rouge; si les hommes l'eussent vue; ils n'eussent pas tiré, d'autant plus que la section était commandée par un adjudant prêtre, le Père Dugast ». Il eût pu répondre encore que les Allemands depuis trois jours tiraient constamment par obus et par balles sur le poste de secours, et que souvent ils avaient mitraillé nos brancardiers.

    Il ajouta: « Vous pouvez évidemment faire ce que vous voulez, puisque nous sommes entre vos mains, mais ce ne serait pas agir en soldat. »

    L'officier s'éloigna en grommelant, et il ne fut plus question de ces cruelles représailles.

    A la sortie de Fay, nos hommes passèrent à côté de deux camions qui venaient de sauter sur nos mines. Le drapeau à croix gammée flottait sur la grande ferme belge.

    A 19 heures, des ambulances emmenèrent les blessés les plus gravement atteints, et parmi eux le lieutenant Bernard.

    La 10° Compagnie du 41° a écrit une magnifique page d'histoire.

    Le Capitaine, abbé Dorange, et ceux qui sont morts avec lui en seront, pour les pèlerins du souvenir, d'admirables témoins, rangés autour de l'église en ruines de Fay.

    On comprendra quel héroïsme s'est dépensé là, quand on verra que les morts allemands appartiennent à 11 unités différentes.

    On songe à un rocher de la côte bretonne, sur lequel viennent buter et mourir les vagues, à l'heure de la marée, jusqu'à 'ce qu'enfin il soit submergé.

    Dans une note qu'il m'a remise, le docteur Renaud écrit: Ces soldats et leurs chefs s'étaient battus comme des hommes et même, je puis le dire, pour beaucoup d'entre eux, comme des héros. Les Allemands eux-mêmes le reconnurent . . . Pour mon compte, je puis insister sur le dévouement et le courage sans limites dépensés par mes brancardiers de bataillon, et particulièrement par mon caporal-chef Lécrivain,
    prêtre et infirmier, et par Duval, toujours volontaires pour toutes les missions dangereuses. Et Dieu sait si c'en était une d'aller chercher les blessés dans ces conditions! Pour avoir soigné des blessés allemands, je pus obtenir de leurs médecins deux autos sanitaires, qui, dès le soir du 7 juin emmenèrent mes 8 blessés les plus graves. Je restai seul avec les autres; car les Bataillons allemands avaient repris leur marche sans s'inquiéter de nous. Le village dévasté n'était gardé que par cette petite bande
    de blessés (une quarantaine). Deux fois, pendant cette soirée, passèrent des détachements allemands; deux fois, ils se précipitèrent sur nous, l'arme au poing, nous obligeant à lever les bras, et croyant faire des prisonniers. Puis la nuit (du 7) tomba. Les camions qui devaient venir nous chercher n'arrivaient pas. Dans la crainte d'une nouvelle méprise allemande qui, cette fois, aurait pu être fatale, je fis rentrer tout mon monde dans la cave. La nuit fut longue ainsi pour moi. Le lendemain: (8 juin) vers midi seulement, j'aperçus de nouveau des Allemands et pus obtenir qu'on m'envoyât des camions. Le Soir, enfin, nous étions à Saint-Quentin, installés dans un hôpital français. Notre vie de prisonniers commençait.

    Ainsi s'achève le récit du docteur Renaud.

    J'ajoute qu'au témoignage de tous, sa conduite fut très exemplaire.

    Avant de quitter Fay, Renaud put obtenir à: grand peine de l'ennemi qu'on ensevelît Dorange, dont j'ai raconté la mort courageuse. L'abbé Lécrivain n'eut pas la permission de rendre à son confrère de Rennes ce dernier service, Un brancardier allemand promît de faire le nécessaire.

    Le corps de Dorange fut déposé dans une petite tranchée qu'avaient défendue ses hommes, à la lisière du cimetière, à quelques mètres du calvaire. Ainsi Derange, au point le plus avancé de la bataille, reposait près de la Croix de son Maître! « Vous verrez, m'avait-il dit, je n'en reviendrai pas; mais ça ne fait rien. Je n'ai qu'un désir: être auprès du bon Dieu; on y sera beaucoup mieux » . . . 

     

     


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  • Il sera désormais impossible à la 11° Compagnie de nous rejoindre. Elle n'a pu quitté Soyécourt assez tôt. En effet, elle ne s'est mise en route qu'à 4 h 30, alors que le jour avait déjà paru, et que le reste du 3° bataillon s'était mis en marche à 3 h 20 ou 3 h 30 au plus tard.

    Nous allons expliquer ce retard et raconter comment finit cette courageuse Compagnie. Ce nous sera une
    occasion de constater le magnifique caractère de Fauchon qui voulait combattre sur place, dans son point d'appui organisé solidement, car il se doutait bien qu'une rencontre sur la plaine avec les blindés allemands le ferait tomber, sans qu'il pût se défendre efficacement, entre les mains de l'ennemi.

    Sur cette épisode, j'ai pour me renseigner le journal de marche du 3° Bataillon, le rapport de Fauchon, les témoignages d'officiers ou d'hommes dont l'admiration pour leur Capitaine est avec raison très grande.

    Le journal de marche s'exprime ainsi :

    A 2 h 10 (le 7 juin) un motocycliste du P. C. R. I. apporte au commandant Jan l'ordre écrit de se replier
    immédiatement au sud-est de Montdidier. Nous n'avons plus qu'une heure et demie de nuit; l'opération est très hasardeuse . . . Le commandant transmet immédiatement par écrit l'ordre de repli... au capitaine Fauchon. Ce dernier vient de rendre compte que sa Compagnie serait engagée au nord de son point d'appui et qu'il refuse de se replier. En moins d'une heure, le Bataillon, 9° Compagnie en tête, convoi hippo fermant la marche, toutes les munitions et le matériel embarqués, se met en route. Seul le 75 du P. A. Fauchon est là ... A Vermandovillers, le commandant Jan... attend la 11° Compagnie à qui il vient de renouveler-l'ordre de repli.

    En des circonstances aussi dramatiques, où tout l'effort de l'attention est tourné vers l'action, il n'est pas facile de noter avec une grande précision les heures. Je m'en tiendrai à celles qui me sont données par les témoignages et les documents.

    Vers 2 h 30, des éclaireurs allemands incendient un bâtiment à 50 mètres du point d'appui de Fauchon.

    A 2 h 45, le commandant Jan communique par écrit au Capitaine de la 11°, l'ordre de repli du lieutenant-colonel Loichot; par écrit aussi, Fauchon répond négativement. Convoqué par le Commandant, il confirme sa volonté de ne pas s'en aller, alléguant que sa Compagnie, au nord, est engagée avec l'ennemi et que le décrochage n'est pas possible.

    On avait entendu, en effet, à un certain moment, dans la nuit, des tirs du côté de la 11°, déclare Morini, secrétaire du commandant Jan, et le sergent Rondel, de la 11°, assure que l'ennemi, très visible, n'était qu'à 200 mètres.

    La véritable raison du refus de Fauchon est à chercher, selon un autre témoignage, dans le sentiment profond qu'il avait de son devoir: « l'idée de se replier lui mettait la rage au coeur ».

    Il fait sans doute allusion à cette conversation avec son chef quand il écrit dans son rapport : « A 3 h 30, comme nous Iancions des V. B. au jugé, je suis appelé au P. C. de Bataillon. C'est l'ordre de retraite; la 11° Compagnie est d'arrière-garde. Je demande un ordre écrit ».

    Avant de partir, le commandant Jan lui envoie un nouvel ordre; mais la 11° ne vient pas encore; elle suivra; trop tard.

    Il résulte du rapport de Fauchon qu'après sa visite au commandant Jan, il se décide à mettre à exécution l'ordre reçu, et prend les mesures nécessaires :

    Je passe mes ordres pour un décrochage méthodique, l'itinéraire et la formation de retraite, en bluffant l'ennemi par des tirs de mortiers et de mitrailleuses. Le départ se fait sans pertes, sans rien abandonner, et en faisant, en cours de route, les destructions nécessaires.

    A 4 h 30, seulement, la 11° Compagnie, la section de mitrailleuses du sous-lieutenant Catherine-Duchemin, la section de mortiers de 81 avec leur armement et leurs munitions, évacuent Soyecourt, dans un ordre parfait, « comme au retour d'une manoeuvre », disent les hommes de Fauchon. La colonne n'avait pas de canon de 25. Un peu auparavant, le lieutenant Le Cler de la Herverie était parti,
    sur l'ordre de Fauchon, avec un canon de 75 en position dans le secteur de la 11°. L'autre pièce, installée dans le secteur de la 9° Compagnie, à l'est, dut être abandonnée, la section qui la servait étant partie avec les attelages précipitamment pour suivre le gros du 3° Bataillon du 41°.

    Avant de quitter le point d'appui, le Capitaine fait mettre le feu au matériel et aux munitions qu'on n'avait pu
    emporter.

    Après la traversée de Vauvillers (à l'ouest d'Herleville) un avion allemand repère la colonne. Du côté de Rosières en Santerre, vers lequel s'étaient dirigés des éléments du 1° Bataillon, on entendait des mitrailleuses. Harbonnières était bombardé.

    La 11° évita plusieurs villages; vers 7 heures, elle passa dans une localité où elle trouva plusieurs caisses de pain de guerre que les hommes affamés se partagèrent.

    L'itinéraire conduisit nos hommes à Caix.

    A quelques 500 ou 600 mètres, des voitures grises circulaient sur une route; déjà entre Rosières et Caix, la 11° recevait des balles dans le dos; il y avait des blessés; un certain flottement se manifestait chez les hommes.

    Cependant nos fantassins, suivis de leurs voiturettes, arrivaient à la voie ferrée qui relie Chaulnes à Amiens, à proximité d'un pont, à 2 kilomètres environ de Caix.

    A 200 mètres de ce pont, la Compagnie en colonne double reçoit un tir de mitrailleuses de flanc à gauche, et dans le dos. Plusieurs hommes tombent.

    Par bonds successifs, Fauchon entraîne la section de tête, à gauche; les mortiers de 81 suivent, jusqu'au pont. On essuie des rafales ajustées de mitrailleuses.

    Comme la 11° était en train d'exécuter l'ordre de passer à l'abri de la route en remblai du pont, une attaque de char et engins motorisés allemands débouche dans ce compartiment du terrain. Le caporal-chef Ben Khouty, le soldat Lainé, d'autres encore, sont tués par ce tir; une quinzaine d'hommes sont blessés. La Compagnie se trouvait sur deux billards balayés par les mitrailleuses allemandes.

    Elle allait tomber aux mains de l'ennemi.

    Le rapport du capitaine Fauchon va nous décrire ces derniers instants :

    L'unité motorisée fonce en tirant, s'arrête en continuant de tirer, puis subitement interrompt son tir. Je vois avec stupéfaction surgir d'une tourelle de char un homme dont je ne saurais dire qu'il a un casque allemand. Il lève les deux bras et reste ainsi comme s'il faisait « camarade! » Alors, pensant à la soirée stupide du 29 mai, à Fay, où la 11° avait subi par erreur le feu de chars français, dont les mitrailleuses
    faisaient en tirant le même bruit que les mitrailleuses allemandes, j'en viens à me demander : « Est-ce encore une méprise? » serait-ce un début d'entrée en scène d'un de ces chars français dont on nous a annoncé qu'ils viendraient à la rescousse? Et sans doute ne suis-je pas le seul à avoir ce réflexe, car mes voltigeurs ne tirent plus. L'on n'entend plus que les rafales de mitrailleuses de l'autre côté du remblai. Je brandis alors le fanion de la Compagnie au canon d'un mauser, et bondis vers le char immobile toujours
    surmonté du buste du type faisant camarade, qui se trouve être l'élément du dispositif motorisé le plus rapproché de la tranchée de la voie ferrée. En partant, je dis à mes voisins, des hommes et gradés de la section Véron et des mortiers de 81 : « Si ce ne sont pas des Français, ils me tireront dessus
    » ou voudront me prendre; alors, ne vous occupez pas de » moi; tirez ». J'avais, en effet, pleine confiance en Holtz, que chacun à la 11°, savait nommérnent désigné par moi, pour prendre le commandement de la Compagnie, si je venais à être descendu. En avançant, je m'aperçois qu'il s'agit d'Allemands. Je me retourne en criant: «Ce sont les Boches! Feu l » et j'oblique vers la gauche. A ce moment, quelqu'un
    arrivait derrière moi. C'est Holtz qui me dit: Mon Capitaine; regardez votre Compagnie, comme ils se sont
    tassés!» Les Allemands se sont remis à tirer et manoeuvrer; le char portant leur chef tire à droite, où je suis. Mais tirez! » Feu! Mon Capitaine, vous allez faire massacrer votre Compagnie. S'il y en a qui veulent se rendre, je ne me rends pas. » Et je m'écarte vers le ravin de la voie ferrée,en roulant le fanion. Je me laisse tomber dans le ravin, au fond duquel une équipe de F. M. commence à me suivre de loin, puis renonce. Là-haut, aux cris en allemand, puis à la cessation du tir, je comprends que les survivants sont cernés et prisonniers. Je cache le fanion et fais le mort pendant un temps que le bris de ma montre m'empêche d'apprécier. Puis je rampe jusqu'à une cabane de la maison du garde barrière où j'étudie la carte et observe. Des side-cars et camions ennemis traversent le passage à niveau. Les survivants
    de la 11° ont disparu, emmenés en captivité. A un moment favorable, je gagne le ravin qui contourne Caix,
    pour tenter de rejoindre la 9° Compagnie et le Chef de Bataillon. Je retrouve et suis des foulées de colonne par un, que des musettes jetées par des hommes du 41° m'incitent à croire la bonne voie. A hauteur de Caix, je tombe dans une embuscade allemande, braquant sur moi une mitraillette
    et des mauser. Décidé à m'évader à la première occasion (comme je l'avais fait de Saint-Quentin le 7 avril 1918, en uniforme allemand), je dis en allemand: Je viens; je suis seul! et parle de ma compagnie. Le sous-officier qui commandait le groupe me déclare: Je sais. On nous a parlé de la Compagnie cernée. Les survivants sont prisonniers, et il se mit au garde-à-vous devant moi. J'étais prisonnier.
    L'officier commandant la compagnie allemande me dit : Schiksal  (C'est la destinée.) et me salua quand je le quittai; il me laissait mon étui à pistolet. J'avais deux grenades F. 1 dans les poches de ma capote. 

    Le 10 juin, je réussis à quitter la colonne de prisonniers avant Péronne, et me camouflai, pour attendre la nuit, dans un buisson d'orties; mais à Péronne, sous la menace de fusiller 5 officiers et 5 soldats si je n'étais pas ramené, les Allemands réussirent à trouver deux lâches (dont aucun n'était de mon unité, et dont l'un était étranger) qui guidèrent une camionnette boche jusqu'à ma cachette.

    A ce récit de Fauchon, je puis ajouter quelques détails qui m'ont été rapportés par le sergent Clément Angibault :

    Les hommes de la 11° connaissaient le lieu où se terrait leur Capitaine, mais ne le révélèrent pas.

    Fauchon éclata en fureur contre l'officier qui l'avait trahi et lui reprocha avec raison d'avoir manqué à son devoir. Quant aux Allemands, ils tournèrent en dérision la lâcheté des deux individus qui avaient aidé à reprendre le Capitaine de la 11°, car évidemment ils n'auraient pas fusillé des officiers.

    Une remarque pour terminer ce chapitre:

    Peut-on supposer que le retard de la 11° Compagnie obligea les colonnes ennemies lancées à la poursuite du 41° à attendre? et qu'ainsi un réel service fut rendu au 2° Bataillon et aux restes du 3°? C'est admissible.

    On doit, en tout cas, admirer le courage et l'ardeur du vaillant soldat qu'est le capitaine Fauchon . . .


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  • Très vite les préparatifs s'achevèrent pour la 9° Compagnie du capitaine Dunand, et 2 sections

    de la C.A.3.

    La 9° se mit en marche vers l'ouest. Elle rencontra, à Herleville le 2° Bataillon qui se mit à sa suite; puis venait la section de Commandement du 3° Bataillon, avec le commandant Jan et sa liaison.

    La 11° Compagnie, capitaine Fauchon, ne suivit pas tout de suite, bien que le commandant Jan eût renouvelé l'ordre de départ. On dira tout à l'heure le motif de ce retard.

    En cheminant vers Herleville, les hommes passèrent à côté de nombreux cadavres allemands et d'un nombreux matériel abandonné le 5 juin par nos assaillants. Ils apercevaient, au loin, au carrefour de la route de Chaulnes, deux automitrailleuses ennemies et des colonnes d'artillerie filant au trot en divers sens.

    La 9° Compagnie après Herleville, emprunta la route de Rosières. En arrivant dans ce grand village, chacun put contempler dans sa rudesse le spectacle des ruines produites par la guerre: des incendies, des maisons écroulées sous les bombes des avions, des entonnoirs; auprès de la barricade, à
    l'entrée, les carcasses de deux auto-mitrailleuses allemandes.

    Le commandant Jan laissa passer la colonne, et, deux fois, s'arrêta pour attendre la 11° Compagnie, une première fois à Vermandovillers, une seconde fois à Rosières, n'ayant gardé avec lui que son adjoint, le lieutenant Hervé, l'adjudant-chef Roger et sa liaison.

    Fauchon ne venait toujours pas; à Rosières, l'ennemi se réveillait. Le commandant Jan et sa petite troupe y sont mitraillés; un coup de mortier leur est envoyé. Déjà la colonne du 41° R.I. était à 2 kilomètres. Il fallait partir!

    Quand, un peu plus loin, Jan se retourna une dernière fois, ce fut pour constater que la 1° Compagnie essayait d'entrer dans Rosières, et était aux prises avec l'ennemi.

    C'est fini. Personne ne passera plus.

    Au Quesnel, tout à l'heure, les malheureux restes de la 1° Compagnie, après leur rude contact de Rosières, seront capturés.

    Tandis que s'éloigne la 9° Compagnie, la 11° Compagnie aborde trop tard Rosières. Le tir de l'artillerie allemande l'annonce de loin.

     A Hangest-en-Santerre, les hommes du 3° Bataillon se ravitaillent un peu; des escadrilles allemandes les survolent, sans les mitrailler. Enfin, vers 10 h 30, l'Avre est franchie à Davenescourt. Tout ce qui subsiste du 41° se rassemble dans le bois de Becquigny, avant de continuer sa route sur Montdidier . . .


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  • Le repli du 2° Bataillon

    Le deuxième Bataillon put quitter Herleville sans aucune difficulté. La nuit avait été fort calme, et l'on se souvient que les environs du point d'appui avaient été sérieusement nettoyés dans la journée du 5 juin.

    L'ordre de repli, apporté à 2 h 15, fut immédiatement communiqué aux Compagnies (5°, 6° et C. A. 2).

    Vers 3 h 15, on se mit en route dans l'ordre suivant : section de pionniers, section de Commandement du Bataillon, 6° Compagnie, 5° les sections de la C. A. 2 étaient réparties dans le Bataillon.

    Je dois tous ces détails précis au sous-lieutenant Geffray, de la 6°, et Cocault, de la C. A. 2, qui ont noté heure par heure les événements.

    La 5° fermait la marche pour faire, éventuellement, la liaison, avec le 1° Bataillon qui devait suivre. On vient d'en lire la douloureuse histoire.

    La 9° Compagnie (3° Bataillon) précédait, sur la route d'Herleville à Rosières, le 2° Bataillon.

    Entre 4 h 30 et 5 heures, se suivant à de longs intervalles, les sections traversèrent Rosières, sans rencontrer d'opposition, bien que de tout petits groupes déjà auparavant eussent été attaqués par l'ennemi installé dans le village. Peut-être un quart d'heure après eût-il été trop tard! Car un kilomètre à l'ouest de Rosières, le 2° Bataillon put entendre le combat de la 1° Compagnie, aux prises avec l'ennemi.

    Au delà de Rosières, le Bataillon passa par Caix, Le Quesnel, Hangest-en-Santerre, et il atteignit Davenescourt, où il retrouva le lieutenant-colonel Loichot, les Compagnies régimentaires et les restes du 3° Bataillon . . . 

    Le repli du 3° Bataillon

    L'histoire, du repli du 3° Bataillon est glorieuse à bien des égards, mais elle est aussi douloureuse.

    Là encore, il faudra un récit différent pour chacune des 3 Compagnies, car leur destin ne fut pas identique.

    A 2 h 15, l'adjudant Koupferschmitt apporta l'ordre de quitter Soyécourt au commandant Jan, et de se replier au sud-est de Montdidier. Il fallait se hâter, car il n'y avait plus qu'une heure et demie avant le lever du jour.

    La 10° Compagnie, encerclée dans Fay, ne put être avertie, mais la 9° et la 11° le furent immédiatement par écrit.

    L'itinéraire assigné, le plus direct, le seul aussi par où l'on eût quelque chance d'échapper à l'ennemi passait par Herleville, Vauvillers, Rosières, Caix, Le Quesnel, Hangest, Davenescourt, où le 3° Bataillon franchira l'Avre pour se regrouper dans le bois de Becquigny, autour du lieutenant colonel Loichot . . . 

     


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  • Ici, mieux vaut laisser la parole à Goësbriant, dont j'ai l'émouvant récit :

    Je demande à Morin ce qu'il fait : Je ne veux pas être prisonnier! On fout le camp ! Tout de suite nous partons. Nous filons le long d'une haie; par bonheur, il y en avait. Un troisième se joint à nous. Après une cinquantaine de mètres, nous nous camouflons dans une haie, au bord d'une route secondaire.

    Il était temps. Sans nul doute, le Bataillon était déjà prisonnier en entier. Cinq minutes ne s'étaient pas écoulées que des Allemands battaient les environs pour recueillir les derniers réfractaires. L'homme qui s'était joint à nous n'avait pas eu la précaution de se mettre comme nous deux dans la haie. Il s'était placé à 7 ou 8 mètres de nous, au bord de la haie, du côté de la route. Il fut ramassé. Nous ne fûmes pas
    vus. Nous ne respirions plus. Ils partent, mais c'est un défilé toute la soirée sur la route, d'autos, motos, soldats. Nous décidons à voix basse de demeurer jusqu'à la nuit. Nous partageons quelques biscuits et le chocolat restés dans nos musettes. Nous dînons d'un pot de confitures que par bonheur nous avions avec nous. Nous récitons notre chapelet, et nous nous confions ardemment au Bon Dieu et à la Sainte Vierge.

    A 11 heures du soir environ, le calme s'est fait; mais un poste est certainement tout près, car les autos font halte à quelque 30 mètres de nous, et nous entendons parler. Des hommes travaillent sur la route; nous entendons frapper. Enfin, nous sortons de notre haie, rampons pendant environ 3/4 d'heure à travers champs. Enfin, nous pouvons nous relever et marcher. Nous avions décidé de marcher en direction du
    sud-ouest, vers Montdidier. Nous nous appuyons l'un I'autre, car le chef Morin boîte un peu, et moi j'ai l'oreille dure. Il nous fut d'abord impossible de suivre la direction projetée. Des lumières, et toujours des coups que l'on aurait crus frappés sur des piquets nous mettaient en garde. Nous marchons donc vers le sud d'abord, et finalement traversons la route pour aller alors franchement au sud-ouest. Nous avions
    une boussole et la nuit était assez claire pour nous permettre de nous diriger à peu près.

    Vers 3 h 30 ou 4 heures du matin, le 8, la brume se lève légèrement et nous empêche de voir comme nous voudrions. Nous décidons d'arrêter d'ici peu. D'ailleurs, le jour ne va pas tarder. Mais pas un abri, la plaine partout. Pourtant nous sommes presque heureux. Crac! 4 ombres. Nous nous planquons et attendons en nous consultant quelques instants. Rien ne bouge. Est-ce des Français, qui tentent de rejoindre comme 
    nous? Est-ce des Allemands? Impossible de savoir. Pas un bruit. Nous nous relevons. C'étaient des Allemands. Ils nous font une sommation. Nous décampons comme des lapins. On nous tire dessus. Je suis blessé d'une balle dans la cuisse. Nous nous rendons.

    C'était le 8, au matin, à Maucourt.

    J'ai trouvé d'un bout à l'autre la conduite du chef Morin très digne, audacieuse et courageuse. J'étais heureux de le suivre.

    A l'hôpital, à Saint-Quentin (Hôpital Henri-Martin), où je fus envoyé, je trouvai les médecins lieutenant Dupuis, et sous-lieutenant Viaud, du 1er Bataillon. Je fus, en qualité de soldat du 41° confié aux soins du docteur Dupuis.

    Le docteur Dupuis a vu plusieurs blessés à Lihons. Il organisa le transport de ceux-ci, à défaut d'autres moyens, dans une charrette, qui dut être tirée, si je me souviens bien, par des camarades, sous la direction des Allemands.

    Je crois pouvoir affirmer que, c'est grâce à lui que le soldat Bertrand, de la 2° Compagnie, a été sauvé (il avait été blessé au genou).

    Du 41°, j'ai retrouvé à Saint-Quentin, le lieutenant Agnès de la 3° Cie, blessé au pied; Texier, de l'État-Major du 1° Bataillon, cycliste du Commandant; Quiviger et Le Bihan de la 10° Compagnie. D'autres encore se trouvaient là du 3° Bataillon. Le Bihan est amputé. Il a souffert énormément à l'hôpital et a été bien près de la mort à plusieurs reprises. Quiviger a été envers lui d'un très grand dévouement . . . 

     


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  • Le groupe de chef du Bataillon

    Avec 80 hommes environ, parmi lesquels Roger Cotto, qui fut toujours dans l'entourage du capitaine Giovanini, le Commandant du Bataillon passa au sud de l'église de Lihons s'engagea dans un chemin qui, à travers champs aboutissait à un bois situé sur la route de Chaulnes: un canon de 155 abandonné s'y trouvait encore. C'est là que, vers 15 heures, Ils furent capturés et conduits à Chaulnes où ils rencontrèrent
    les médecins et les gradés du Bataillon. Quand il fut en présence de ses officiers, le capitaine Giovanini écrit Roger Cotto, les embrassa en pleurant.

    Groupe du Sergent-chef Olivier

    Le soldat Pierre Texier, de la C. A.1  note que, vers 16 heures, I' ennemi entra dans Lihons, une mitrailleuse tira une dernière bande, et ce fut la fin de la résistance. Le sergent -chef Olivier avec une cinquantaine d'homme et le médecin-lieutenant Dupuis furent pris.

    Après sa capture, Pierre Texier fut grièvement blessé par une balle, qui à l'extraction, se révéla être française. Avec lui, furent également blessés un autre soldat, et Albert Bertrand, celui-ci très gravement.

    3° Compagnie

    Les restes de la 3° Compagnie se partagèrent en deux groupes:

    Le premier, sous les ordres du sous-lieutenant Coudineau

    Le second, sous le commandement du sergent-chef Morin. A lui se joignit l'équipe du canon de 25 de Goësbriant.

    Morin partit dans une direction opposée à l'église de Lihons, vers le sud, traversa une grande route, des maisons, des jardins, et arriva devant une mare, sur le bord d'une autre route goudronnée celle-là. Entre Rosières et Lihons, on entendait encore le bombardement; mais Hubert de Goësbriant ne peut dire qui en était l'objet.

    En face de cette mare, le groupe Morin s'arrêta. Les hommes de tête affirmèrent qu'il était impossible de franchir l'obstacle. On demeura là pendant 10 minutes environ. Plusieurs parlaient de se rendre. Effectivement, quelques minutes après, malgré les efforts du chef Morin, plusieurs commencèrent à s'en aller vers la captivité. Debout, à quelques mètres, Morin assistait, impuissant, à ce défilé, auquel s'ajoutaient à tour de rôle de nouveaux découragés. Ils étaient rompus de fatigue, d'énervement et ne réagissaient plus.

    C'est alors que Morin, Hubert de Goësbriant, et un troisième, dont je n'ai pas le nom, partirent, résolus à franchir le cercle des ennemis . . . 


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  • La 1° Compagnie s'était éloignée; les autres partirent à leur tour, dès qu'elles furent rassemblées, vers 4 heures.

    Déjà il faisait jour. Il m'a été impossible de savoir dans quel ordre les 2°, 3° Compagnies et la C. A. l s'acheminaient. Le capitaine Giovanini, commandant le 1° Bataillon, avec son État-Major, marchait devant la C. A. 1.

    Les deux canons de 25 de la C. A. étaient tractés par une chenillette, chargée de toutes les munitions; les deux canons de la C. R. E. par l'une des chenillettes venues en renfort.

    Tout de suite, la colonne quitta la grande route et s'engagea en direction du sud par un chemin de terre; elle passa à droite du Bois Étoilé; il y avait là des tas de douilles d'obus, et des obus prêts pour le tir.

    Après le Bois Étoilé, la colonne continua sa route, dans la plaine. Des avions ennemis la survolaient à basse altitude, sans la bombarder.

    Avant d'atteindre Lihons, les compagnies s'arrêtèrent dans la ferme isolée de Lihu, sans doute pour reconnaître l'itinéraire.

    Durant 10 minutes les hommes se mirent à l'abri pour échapper aux vues d'un avion de reconnaissance.

    Dans cette ferme située près de la route Vermandovillers - Lihons, le soldat Rouault découvrit un soldat allemand qui fut fait prisonnier. C'était, m'a dit le sergent Bitaud, chef de section à la 3° Compagnie, un jeune soldat; il parlait fort bien le français et semblait plutôt avoir été laissé là pour inciter nos hommes à ne pas poursuivre la lutte, car il leur déclara: Il est inutile de continuer; vous ne pourrez pas
    vous retirer; nous sommes à Rosières.

    La colonne, emmenant son prisonnier, entra dans Lihons, qu'elle traversa sans aucune difficulté, et, à la sortie de ce village, fit une pause de 5 minutes. Elle bifurqua vers l'ouest, vers Rosières. On aperçut alors, à gauche, des autos, des camions, des canons, des chevaux, roulant ou courant à toute vitesse sur la grande route; ils paraissaient venir de Chaulnes. Nos hommes pensaient que ce pouvait être des
    Français, qui, comme eux, se repliaient.

    Les Compagnies s'arrêtèrent, un Lieutenant fut envoyé en reconnaissance.
    Il ne revint pas; vraisemblablement, il avait été fait prisonnier.

    Tout ce qui venait était allemand.

    Presque au même moment, de Rosières on tira sur la colonne avec des mortiers probablement, peut-être avec des canons, Un obus fit chez les nôtres 8 tués et blessés.

    Parmi ces derniers, le sous-lieutenant Agnès et le sergent Armand Bitaud, de la 3° Compagnie.
    Jusqu'alors on avait marché en  ordre ,sur les deux cotés d'un chemin étroit, et l'on était arrivé a 1 endroit d'ou partait un autre petit chemin, dans la direction d'une usine à droite.

    Ce fut un affolement général; en un clin d'oeil, les hommes se dispersèrent sur le terrain, les uns vers la droite, les autres vers la gauche. La 3° Compagnie était alors toute proche de Rosières, sur le point d'y pénétrer. Le plus grand nombre essaya, par un mouvement instinctif, de se, mettre à l'abri derrière les murs de l'usine. Mais le lieu n'était pas sur, et sous le couvert d'un bois, on retourna à Lihons.

    Arrivé là, le capitaine Giovanini remit immédiatement tout son monde en ordre, autant qu'il était possible, et, fit prendre des dispositions de combat. Le sous-lieutenant Pean qui commandait la C. A. 1 le secondait. Ce détail semble indiquer que le Lieutenant fait prisonnier dans la reconnaissance
    dont j'ai parlé, était Bellanger, adjoint au Chef du Bataillon.

    Il était environ 9 heures du matin, quand ces dispositions furent prises. Les mitrailleuses se mirent en batterie autour de LIhons, 3 canons de 25 prirent position. l'un face à Rosières, servi par Hubert de Goesbriant, un autre, avec une mitrailleuse, prenait d'enfilade la route d'Amiens, un troisième battait le carrefour Vermandovillers - Chaulnes. Le canon de Goësbriant n'eut pas à intervenir.

    Le sous-lieutenant Goudineau, dont j'ai dit la brillante conduite à la tête de la sa compagnie, tardant à arriver, le sergent-chef Morin prit immédiatement le commandement de cette Compagnie; le sergent-chef Rio l'aida dans sa tâche d'organisation. Morin avait d'autant plus de mérite que, bousculé la veille par la déflagration d'un obus, il s'était fait une foulure dont il souffrait beaucoup. Mais Morin avait
    de l'énergie; il s'était fait remarquer au corps franc devant Sarrebrück.

    Vers midi, Goudineau à bout de forces rejoignit sa Compagnie, au moment où le 1° Bataillon dut repousser des troupes ennemies venant à l'attaque.

    Deux auto-mitrailleuses, d'abord, se présentèrent par la route d'Amiens, défendue par la 2° Compagnie; l'une de ces auto-mitrailleuses arborait un drapeau blanc, et transportait un Lieutenant français que les Allemands voulaient envoyer en parlementaire. Il s'y refusa énergiquement. Un de 25 et des mitrailleuses avec des balles perforantes ouvrirent le feu sur la voiture blindée qui n'avait que des ennemis à son bord; elle fut projetée dans le fossé, et, semble-t-il, détruite. Roger Cotto et le soldat Albert Bertrand l'ont vue à une très courte distance : 200 mètres environ, peut-être moins. Quant à l'autre, elle s'en alla.

    Il n'était pas encore question de se rendre. Le capitaine Giovanini ne le voulait à aucun prix.

    Mais l'infanterie allemande ne tarda pas à paraître; les ennemis avançaient (en criant comme des sauvages), dit Bertrand (2° Compagnie). Ils furent reçus de la même manière que les auto-mitrailleuses. Dans ce combat, qui se poursuivit jusqu'à 13 heures, nos mortiers envoyèrent leurs derniers obus.

    Il y eut alors un répit d'une demi-heure; puis de nouveau le canon de Rosières se fit entendre; les obus tombèrent sur Lihon. Des chars se dirigèrent vers le village, mais ils furent vus à une assez grande distance.

    Vers 14 heures, le sous-Iieutenant Goudineau et le sergent Morin cherchèrent à se mettre en liaison avec le Commandant du Bataillon. Après une assez longue absence, ils revinrent, disant avoir reçu l'ordre de s'échapper par sections, par petits groupes, s'il était possible. On voyait, en effet, déjà sur les routes des mitrailleurs allemands en marche. On abandonnerait les sacs, le matériel, les canons, pour n'emporter
    que les armes individuelles.

    On démonta la culasse des canons de 25 pour les rendre inutilisables; les 3 chenillettes ne furent pas incendiées, sans doute parce qu'elles contenaient encore quelques grenades F.1 qui eussent pu blesser nos hommes; mais les conducteurs Herpès et Martin, de la C. R. E., Roger Cotto, de la section
    de Commandement du Bataillon, les mirent hors de service.

    Choisir une direction était difficile, car les coups de feu venaient de tous les côtés.

    Pour essayer de mettre un peu d'ordre dans le récit de ces dernières heures du 1° Bataillon, il convient de distinguer différents groupes.

     


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  • Le sous-lieutenant Primel avait pu sortir de Rosières, en rassemblant une quarantaine d'hommes autour de lui; le plus grand nombre appartenait à sa section : la 4°. Deux kilo­mètres de marche les conduisirent auprès de Caix; à une centaine de mètres, au carrefour de plusieurs routes, des auto-mitrailleuses ennemies apparurent; elles se dirigeaient vers le groupe. Tous s'affolèrent et coururent à travers champs, à droite ou à gauche. L'ennemi tirait sans cesse, et il fallut progresser par bonds. A 700 ou 800 mètres au sud on apercevait un petit bois. Primel et ses hommes s'y réfugièrent et purent se croire sauvés. Ils ne s'y arrêtèrent qu'un instant, car il fallait enfin sortir de cette zone battue par les Allemands. Il était environ 8 heures du matin.

    Le sous-lieutenant Primel et le sergent-chef Tardif consultèrent leur carte, avant de quitter le bois. Puis le groupe, s'orientant toujours vers le sud, se dirigea vers Beaufort, en traversant la plaine. Le calme régnait.

    Nos hommes avaient leurs armes individuelles et un fusil-mitrailleur porté par le soldat Pelé. Pour soulager la fatigue de son camarade, le caporal Delatouche s'en chargea. On marche encore, en formation de groupes de combat, jusqu'aux abords de Warvillers. Par prudence, on évita ce village, en obliquant à droite, à travers les blés. Mais voici que, de nouveau, une mitrailleuse se présente; il fallut essuyer son tir; les hommes se couchèrent, et croyant avoir affaire à des Français, ils crièrent qu'ils l'étaient eux aussi. Le tir se fit plus violent; c'était donc l'ennemi. Nos hommes ne se rendirent pas encore; ils essayèrent de repérer l'arme, sans succès.

    Le sous-lieutenant Primel estima qu'il n'y avait plus qu'à se rendre. Ce n'était pas facile, car se montrer exposait à se faire tuer. Un mou­choir attaché à un fusil servit de signal. Ce geste de reddition était à peine exécuté que deux auto-mitrailleuses et quelques side-cars arrivèrent et foncèrent droit sur le groupe Primel. Il n'y avait plus qu'à abandonner les armes, se lever et se rendre. Ce mouvement coûta la vie au soldat Armand Levêque, qui fut grièvement blessé et mourut sur place, ainsi qu'à Ange Coquelin, blessé mortellement, et dont on a enseveli le corps au Quesnel.

    Les hommes étaient prisonniers; l'ennemi les rassembla assez durement, et les conduisit à 700 ou 800 mètres plus loin, dans un petit chemin de terre, à 500 mètres environ de Beaufort. Leur escorte les y fit arrêter; très inquiets, se demandant de quelle manière tout cela allait finir, les nôtres se mirent à fumer « une vieille cigarette », note Delatouche. Ce devait être la dernière.

    Le sous-lieutenant Primel, qui connaissait bien l'allemand, eut une longue conversation avec l'officier ennemi, conver­sation qui parut favorable.

    Une demi-heure se passa; un side-car arriva. L'ordre fut donné au sous-lieutenant Primel d'y prendre place. Ses hommes le virent s'éloigner, et ils restaient seuls, s'inter­rogeant sur ce qui allait suivre, mais ne se doutant pas encore du terrible sort qui leur était réservé. Quelques minutes après, les troupes S. S. de la Wermacht, les « che­mises noires », comme dit Delatouche, furent là. Le groupe était entre leurs mains, et les regardait mettre en position 2 mitrailleuses, sans se rendre compte encore qu'elles étaient pour lui.

    Quelques secondes, et voici la minute décisive. Ici, je ne puis mieux faire que de copier la terrible page du survivant :

    On nous fait avancer sur du terrain labouré, entre du trèfle et du blé, environ 50 mètres devant ces mitrailleuses; mais là je vous dirai qu'on a compris. On voyait que l'on allait mourir. Notre cœur ne fait plus qu'un tic-tac. On nous tasse dans un rond, debout, serrés les uns contre les autres.

    On nous frappe. Dernier cri pour tâcher d'avoir grâce. Mais non; c'est fini; voilà les deux armes en action. C'est un vrai massacre. Cloteaux veut se sauver, on l'abat à coups de crosse; c'est des cris de : Holà! de plus en plus violents, et beaucoup d'appels au bon Dieu. Bref, le tir est fini, et mira­culeusement je me tire avec aucune blessure. Seulement, je ne bouge pas, je fais le mort. Maintenant, sans pitié pour nous, c'est au revolver que l'on nous domine. C'est fini; je désespère; j'attends une balle. Deuxième chance, la balle me passe entre les oreilles. Je m'en tire encore. On n'entend plus rien; je crois qu'ils sont déjà tous morts. Pichouron expire couché sur moi.

    Maintenant que va-t-il se passer? J'attends de nouveau. Voilà encore les deux mitrailleuses en action. De ce coup, je me dis : c'est fini. Non ! tir terminé. J'ai une toute petite égratignure à la cuisse ; un rien. Bon ! Je continue toujours de faire le mort; je suis couvert du sang de mes camarades. Bref, quelques minutes se passent. J'entends les side-cars qui démarrent. Je pense beaucoup de choses; je réfléchis; quelques heures se passent. Je suis toujours immobile. Tout à coup une voix se fait entendre : « II y en a-t-il qu'ont rien? » Moi, je réponds : « On se barre ! » et bref le voilà parti dans le trèfle. Alors, j'essaie d'en faire autant. Mais les cadavres qui étaient sur moi me suivaient. J'ai coupé mon ceinturon et me suis dépouillé en chemise pour aller rejoindre mon camarade. Quand j'ai parti, Richomme vivait encore, mais trop blessé; je n'ai pu lui porter secours. Tous les deux nous avons fait deux kilomètres au moins de rampé. Nous voilà arrivés à Beaufort, dans un jardin; la nuit commence à tomber; tout à coup, nous apercevons deux ennemis venant dans notre direction; moi, je me planque dans des ronces; mon copain un peu plus loin; pas de chance, mon copain est ramassé; il est prisonnier depuis ce temps; il a été emmené à Cambrai, maintenant en Allemagne; c'est Vallet, de la C. A. 1. Moi, je passe la nuit dans ces ronces. Le lendemain, samedi 8 juin, quand je ne voyais rien, j'allais manger des fraises. Pendant 9 jours, j'ai mené cette vie, quand j'ai vu des premiers réfugiés rentrer. Veine, ils étaient de Rosières. J'ai été avec eux, pendant un mois, j'ai vécu avec ces braves gens, avant de prendre le chemin du retour. 

    A ce récit pathétique, j'ajoute ce détail puisé dans une autre note du même survivant :  « Quand j'ai parti, j'ai vu que tous ces braves copains dormaient en paix, à part un autre comme moi, et un blessé qui essayait de se traîner. Qu'est-il devenu? » Mes renseignements me permettent de dire qu'il est mort à Beaufort. Ce malheureux parvint à gagner une grange, dans ce village où il mourut. Les cadavres de nos camarades restèrent sans sépulture pendant six semaines. Le hasard les fit découvrir. Des habitants de Beaufort, en allant chercher leurs vaches dans les champs, constatèrent qu'elles refusaient absolument de passer par cet endroit, écartées par une affreuse odeur. Ils cherchèrent à se rendre compte, et trouvèrent le monceau de cadavres.

    Voici dans quelles conditions j'ai pu avoir toute la vérité sur cet affligeant massacre. Notons d'abord qu'il y eut 4 survivants : l'un, blessé, mourut à Beaufort. Un second, blessé très grièvement, succomba le 9 ou 10 juin, à l'hôpital de Marcoing, près de Cambrai : le caporal Picou, de la 2° Compagnie. Le troisième est Vallet, de la C. A. 1. Le quatrième, le caporal Delatouche, de la 4° section de la l° Compagnie. J'ai reproduit son récit. ( En fait il y eu un cinquième survivant : LEFEVRE de la C.A.1. Gravement blessé, il se cacha dans une dépendance du château puis fut capturé. Son témoignage parut dans un numéro de janvier 1946 des « Nouvelles du 41°)

    Mais tous les témoignages se recoupent; on va le voir. Il était seulement possible de recueillir trois témoignages, puisqu'il faut exclure celui du blessé mort à Beaufort. Dès le mois d'octobre 1940, j'eus celui du blessé, mort à Marcoing. Voici comment : j'eus à ce moment l'occasion de rencontrer le médecin-colonel Membrey, de notre 19° Division. Il avait vu à Marcoing, peu auparavant, le docteur Villey, médecin du 117° R. I. Celui-ci, après sa capture à Berny, avait été envoyé à l'hôpital de Marcoing, où il soigna de nombreux blessés de la 19° D. I. Un soldat du 41°, dont il ne se rappelait pas le nom, était mort entre ses main; le 9 ou 10 juin. Dans son agonie, celui-ci racontait qu'après la prise de sa section, les Allemands avaient fait ranger les hommes contre un talus, leur avaient ordonné de lever les bras, en criant : « Vive Hitler »; à ce moment, ils avaient tiré sur eux avec des mitrailleuses et les avaient tous tués, sauf deux; le mourant disait être l'un des deux. Villey étant venu me voir le 15 mars 1941, interrogé par moi, me confirma ce récit, en ajoutant qu'il était peu porté à le croire, à cause de l'excitation de ce soldat agonisant. Cependant, on l'a vu, le fait, pour invraisemblable qu'il parût, était exact.

    Deux jours après, j'eus le témoignage d'un autre survivant, celui-là en bonne santé. En effet, le 17 ou 18 mars, j'eus une conversation avec le sergent Clément Angibault (un sémi­nariste) de la 11° Compagnie du 41°; fait prisonnier, il était demeuré en captivité pendant quelque temps à Cambrai. Là, il rencontra un camarade du 41° qui lui rapporta le même fait, à peu près dans les mêmes termes. Ce ne pouvait être que Vallet, de la C. A. 1. Or, à ce double témoignage s'ajouta bientôt celui du 4° en réalité troisième survivant. Le 19 mars 1941, je reçus la visite du P. Le Pape, aumônier de la 19° Division. Au cours du voyage qu'il venait d'accomplir sur les lieux de notre combat, il avait vu, entre les mains du secrétaire de la mairie de Caix, une lettre du caporal Delatouche, rescapé du massacre, dans laquelle étaient exposées les circonstances de ce drame, il situait la tuerie à Beaufort, à quelques kilomètres entre Le Quesnel et Warvillers, au sud de Hallu. Le P. Le Pape avait vu les tombes de nos morts; pour le plus grand nombre, ils étaient alors inconnus. J'eus bientôt connaissance de l'adresse du caporal Delatouche, et par lui tous les détails me furent donnés; mon enquête était achevée.

    Voici la liste de nos camarades de Beaufort :

    - sergent-chef Robert Honoré, 1ère Compagnie, sous-officier adjoint de la 3e section ;
    - soldat Elard, 1ère Compagnie, 3e section;
    - soldat Richomme, 1ère Compagnie, 3e section;
    - soldat Jean Beaudu, 1ère Compagnie, 4e section;
    - soldat Jean Lefilleul, 1ère Compagnie, 4e section;
    - soldat Alfred Pelé,1ère Compagnie, 4e section;
    - soldat Barbé, 1ère Compagnie, 4e section;
    - soldat Prosper Rouault,1ère Compagnie, 4e section;
    - soldat Victor Hamel, 1ère Compagnie, 4e section;
    - soldat Etienne Gérard, 1ère Compagnie, 4e section;
    - soldat Steichen, 1ère Compagnie, 4e section;
    - soldat Francis Buchard,1ère Compagnie, 4e section;
    - soldat Jean-Louis Cloteaux, 1ère Compagnie, 4e sec­tion ;
    - sergent-chef Paul Tardif, 1ère Compagnie, sous-officier adjoint de la 4e section;
    - soldat Pierre Simon, 1ère Compagnie, 4e section;
    - soldat Veillard,1ère Compagnie, 4e section;
    - soldat Joseph Philippe, 1ère Compagnie, 4e section;
    - soldat Armand Levêque,1ère Compagnie, 4e section;
    - soldat Darcel, 1ère Compagnie, 4e section;
    - soldat Joseph Legentil, 1ère Compagnie, 1ère section;
    - soldat Levrel, 1ère Compagnie,1ère section;
    - soldat Guéno, 1ère Compagnie,1ère section;
    - soldat Deniau,1ère Compagnie; .
    - soldat Moreau, 1ère Compagnie, section de Comman­dement ;
    - soldat Jean Mat, 1ère Compagnie, section de Comman­dement ;
    - caporal Pierre Pichouron, 1ère Compagnie, section de Commandement ;
    - soldat Auguste Saudrais, 3e Compagnie, agent de liaison au Bataillon;
    - soldat Le Texier;
    - adjudant-chef BIBAUD, 10e R.A.D., 3e groupe ;
    - 1 inconnu

     Le Courrier Picard du 7 juin 1977 publia le témoignage d'un des survivants. Il reprend le récit ci-dessus mais l'article apporte quelques précisions sur ce qui s'est passé après.

    Nous étions à Foucaucourt où nous avons résisté jusqu'au 7 juin sous une bataille épouvan­table. Ce matin-là, ne pouvant plus tenir, on se replie vers Ro­sières. Là, l'ennemi nous barre la route avec le feu d'une mitrail­leuse.

    Une grande partie du bataillon est faite prisonnière. Etant com­pagnie de tête, nous réussissons à passer et continuons notre route en direction de Caix. Avant d'entrer dans ce pays, à une croisée de routes, l'enne­mi nous surprend. Ne voulant pas nous rendre, on se sauve, les uns à gauche, les autres à droite, fuyant à travers champs.

    Les balles nous sifflent au derrière mais ne nous at­teignent pas. Toute la section com­mandée par le lieutenant Primel est là et nous nous reposons quelques instants. Mais nous ne pouvons pas rester là. Le lieutenant étudie la carte afin de s'en aller dans une bonne direction.

    Nous repartons avec nos ar­mes en formation de combat. Tout va bien. Nous marchons toujours à travers champs. Arrivés à quelques centaines de mètres de Beaufort, le lieutenant nous dit qu'il serait plus prudent de ne pas passer au pays…

    En effet, à peine avons-nous fait quelques mètres qu'une mi­trailleuse tire sur nous. Etant dans du blé, on réussit à se planquer assez bien. On croit tout d'abord que ce sont des Français qui nous tirent dessus Alors nous crions : « Français ! Français ! ». Plus on crie, plus ils tirent. On réalise que c'est l'ennemi. Nous sommes mal pris. On ne peut plus se sauver et se rendre n'est pas facile. Se lever, c'est se faire tuer.

    Le lieutenant nous invite à mettre notre mouchoir au bout du fusil et à le lever. Nous avons à peine exécuté cet ordre que deux auto-mitrailleuses, suivies de plusieurs side-cars apparaissent et foncent sur nous. Cette fois, nous n'hésitons plus. Nous lâ­chons les armes et levons les bras, sans quoi nous étions tous écrasés. Levêque et Coquelin n'ayant pas eu le temps de se redresser, subissent ce sort. Nous voilà cette fois prisonniers. On nous fouille et on nous en­lève nos balles. Puis on nous rassemble pour nous conduire à environ huit cent mètres de Beaufort, dans un petit chemin de terre. Là, nous faisons la pose. Le lieutenant, qui parlait allemand, s'entretient une demi-heure avec l'officier ennemi.

    Que se dirent-ils ? Nous ne le sûmes jamais. Toujours est-il qu'on le fit monter dans un side-car, puis on l'emmena. Sa der­nière parole fut « Les gars vous allez pouvoir écrire ces jours. On ne se doutait de rien et la minute tragique approchait. Voilà que nous changeons de gardiens. Les premiers s'en vont et nous sommes entre les mains de quatre chemises noires. Que va-t-il se passer ? On ne se doute toujours de rien.

    Il est environ midi. On nous dit « En route ». On pense par­tir. Deux auto-mitrailleuses étaient braquées dans ce petit chemin de terre. Alors on nous fait avancer dans un champ de blé à 30-40 mètres de ces armes, le dos tourné. On nous place mécham­ment dans un rond, serrés les uns contre les autres et là, nous attendons le coup de grâce.

    On se voit mourir. C'est horri­ble, affreux d'entendre les cris. Nous avons du courage et nous ne bougeons pas. Nous crions même jusqu'à « Vive Hitler ! ». Deux ou trois minutes se passent et les deux armes entrent en action. Nous voilà tous affaissés les uns sur les autres. Sous les cris et le sang qui coule, le feu cesse. Moi, je suis sous le tas, couvert de sang, mais sans au­cune blessure. Je fais le mort, car maintenant, c'est le coup de grâce : une balle de revolver derrière la tête de chacun.

    J'y échappe encore. Je me de­mande comment. Les armes en­trent encore en action. Cette fois, c'est fini, on n'entend plus aucun soupir. Ils nous croient tous morts. J'entends les deux auto-mitrail­leuses partir. Par chance, je n'ai qu'une petite égratignure à la cuisse. J'ai passé toute la soirée sous les cadavres. Ce n'est que te soir, lorsqu'un autre camarade qui a eu la même chance que moi, a parlé, que nous sommes partis.

    Cela fut dur de quitter mes ca­marades. J'ai constaté qu'ils avaient tous cessé de vivre, ces braves, à part Richomme qui était trop gravement blessé et à qui nous n'avons pas pu porter se­cours. Il a survécu, parait-il pen­dant trois jours.

    Je suis rentré chez moi, le 13 juillet Mon camarade n'a pas eu cette chance. Il se fit reprendre le soir-même à Beaufort et fut fait prisonnier en Allemagne ». L'histoire de ces soldats ne s'arrête pas là. Outre les deux rescapés dont l'auteur de la lettre, il y eut un troisième survivant. Ce dernier, blessé au pied, alla se réfugier dans une ferme, à l'entrée du village. De retour chez lui, l'agriculteur trouve l'homme dans son lit. Par crainte de se compromettre au re­gard des Allemands, il refuse de lui porter secours. Le soldat, gagné par la gangraine décédera quelques jours plus tard. Selon plusieurs témoignages, pour l'enterrer, le paysan lui aurait lié les pieds avec du fil de fer à ballot et l'aurait trainé jusqu'à un trou creusé par lui, à une centaine de mètres de la ferme. Quant aux corps restés dans le champ de blé, ils furent victimes des pilleurs. L'argent et les objets de valeur que portaient les soldats disparurent. Leurs plaques d’identité leur furent même retirées. Quand les familles vinrent chercher leurs morts quelques années après, elles eurent des difficultés à reconnaître les corps. Le (ou l'un des) pilleur(s) fut iden­tifié. Intrigué par le train de vie que menait cet homme, l'épicier du vil­lage remarqua des tâches de sang sur certains billets. Il en alerta la gendarmerie et le voleur fut condamné à trois mois d'e prison qu'il purgea à Doullens. Voilà retracée à travers divers témoi­gnages, l'histoire de ces soldats français que l'ennemi massacra à Beaufort parce qu'il avait reçu l'ordre « de ne pas s'embarrasser des petits groupes de prisonniers ».

    Qui est responsable ?

    Comme bien souvent la réponse est simple : les SS ... Les témoins ne parlent-ils pas de "chemises noires" ? Aucune véritable enquête n'a jamais eut lieu semble-t-il, l'étude de quelques documents permet cependant d'aboutir à une hypothèse bien différente. Une carte des positions des unités apporte un premier élément.

    Le Massacre de Beaufort en Santerre ( le groupe Primel )

    Aucune unité SS ne faisait face à la 19° D.I à laquelle appartenait le 41° R.I, à la place on trouvait la 4° Panzer. Les tenues noires trouvent là une explications : seules les troupes des unités blindées portaient de telles tenues. Leurs coiffures et pattes de col étaient de plus ornées de têtes de mort.
    Les criminels étaient équipés d'automitrailleuses et de side-cars ce qui une fois de plus confirme l'hypothèse d'une division blindée. Au sein de la 4° Panzer, la seule unité qui possédait de tels engins était le groupe de reconnaissance : Aufklärungs Abteilung 7.

    Aufklärungs Abteilung 7

    Stab Aufkl. Abt. 7
    Kommandeur : Major MARZHAN
    Abt. Stab : Hauptmann GERNET
    Adjudant : Leutnant HOLZEIT
    Ordonnanzoffizier : Leutnant Albrecht

    1. Schwadron (Panzerspäh = Automitrailleuses)
    Chef : Rittermeister Von ROM
    Zugführer : Leutnant STAUNTER
    Zugführer : Leutnant SEIBOLD

    2. Schwadron (Panzerspäh = Automitrailleuses)
    Chef : Rittermeister SEITZ
    Zugführer : Leutnant GLATZEL
    Zugführer : Leutnant KAHLE

    3. Schwadron (Kradschützen = motos)
    Chef : Rittermeister Freiherr Von PAAR
    Zugführer : Leutnant EISELT
    Zugführer : Leutnant RENZ

    4. Schwadron (Schwere)
    Chef : Oberleutnant GRAMS
    Zugführer : Leutnant Freiherr Von FIRCKS
    Zugführer : Leutnant HAINDL

     

    Le Massacre de Beaufort en Santerre ( le groupe Primel )

    Gefreiter du Aufklärungs Abteilung 7

    photographié peu après la campagne
    de France.

    Le comportement de la 4° Panzer lors des combats précédents renforce l'accusation. Son itinéraire fut jalonné de crimes de guerre connus . . .

     

     

     

     

     

     


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  • Le sergent Morazin obliqua vers la gauche, c'est-à-dire vers le sud-ouest. Rejoint par son caporal-chef, son chargeur, et une vingtaine d'hommes, il prit la bonne direction. Mêlés à des artilleurs, ils arrivèrent à l'Avre; la rivière large de 3 mètres et profonde de 1m 50 environ ne pouvait être franchie qu'en se lançant dans I'eau ; un certain nombre la traversa (Morazin le fit 3 fois, sans doute pour rendre service
    à des camarades}. Ceux qui hésitèrent furent saisis par l'ennemi.

    Toujours suivi de son chargeur et d'une douzaine d'hommes, Morazin entreprit alors de rejoindre la Division. Après une dizaine de jours de marche, ayant gardé leurs armes, ils nous retrouvèrent. Ils étaient passés au milieu des troupes allemandes, par Moreuil, Coullemelle (dans la Somme),
    Breteuil, Crèvecoeur-le-Grand, Rotangy et Beauvais, Pontoise et Versailles.

    Un tout petit groupe, dont faisait partie Joseph Pirotais, suivit à peu près la même route. Pirotais qui se tenait aux côtés de Morazin, à Rosières, avait été blessé d'une balle dans le côté. Néanmoins, avec 5 camarades, à travers les champs et les bois, tombant d'embuscade en embuscade, et les évitant heureusement chaque fois, ils atteignirent Moreuil et Coullemelle, et furent sauvés. A cet endroit, Pirotais fut conduit à l'hôpital de Beauvais, puis à Paris.

    (Au groupe Morazin, se joignirent l'adjudant-chef Bochard, également de la 1° Compagnie, et le lieutenant Le Clerc de la Herverie du 10° R. A. D.)

    Le Groupe Levitre

    Le sergent-chef Levitre, on s'en souvient, avait essayé, avec un tout petit nombre d'hommes de contrebattre le feu de l'ennemi, à Rosières, au moyen du F. M. de Morazin. Mais ce fut en vain; le groupe se divisa pour aller en des directions différentes.

    Sous les coups d'un ennemi invisible, qui semblait être dans l'usine, ou des maisons, Levitre se décrocha par bonds. Sous sa direction, les hommes marchèrent vers le sud-ouest, croyaient-ils; car Levitre pensait que les Allemands avaient franchi la Somme de Ham, et qu'ils se dirigeaient vers l'ouest.

    Le groupe Levitre avançait aussi vite qu'il pouvait. Sur son chemin se trouvèrent quelques isolés qui se joignirent à lui. Bientôt ils furent une douzaine; la confiance chez eux renaissait; ils continuèrent à marcher, en évitant les routes et les crêtes. Pour mieux se dissimuler, ils descendirent dans un ravineau, près de Caix. Tout paraissait calme, en cet endroit. Mais voici que, soudain, d'un champ de blé, à 50 mètres, surgit toute une compagnie de fantassins allemands. La fuite était impossible. Cependant Bougeard, le tireur du F.M, se mit en batterie; il reçut immédiatement une rafale, et fut blessé au bras gauche. Tous étaient pris.
    En un instant, ils furent désarmés et conduits à Caix où fonctionnait déjà un P. C. Bougeard fut soigné par un médecin allemand. Les prisonniers affluaient de tous les côtés : artilleurs, tirailleurs, chasseurs, fantassins. Le spectacle, écrit Levitre, était affreux; ses hommes et lui étaient atterrés.

    Malgré la défaite, écrit-il, nos braves poilus conservent leur dignité et leur fierté. Quelques instants après; je m'en aperçois par le magnifique pas cadencé et l'impeccable ( tête gauche ) qu'ils exécutent à mon commandement, devant les cadavres de deux des nôtres couchés au bord de la route. Le sous officier allemand est lui-même impressionné par ce geste et nous permet d'enterrer nos deux camarades;
    l'un d'eux est le caporal-chef Le Jolivel, de la C. A. 1 du 41°, recrutement de Saint-Brieuc.

    Ensuite, on nous embarqua dans des camions et, quelques kilomètres plus loin, nous retrouvions les restes de la Compagnie (une cinquantaine en tout) avec les lieutenants de Saint-Sever et Primel parqués dans un champ.

    Le Groupe Saint-Sever

    Tandis que les sections Levitre et Rochard obliquaient vers le sud, devant la barricade de Rosières, Saint-Sever, Primel et sa 4° section avaient pu franchir cet obstacle, et se mettre en direction de Caix. Le sergent-chef Rougé, avec quelques hommes, avait rejoint le commandant de la 1° Compagnie. Ensemble ils arrivèrent près de Caix. Des auto-mitrailleuses allemandes les y attendaient; elles coupèrent
    en deux la petite troupe. Alors que le sous-lieutenant Primel et une quarantaine d'hommes reussisaient à passer une fois de plus, Saint-Sever, Rougé et une dizaine de soldats se virent refouler dans Caix. Ils se cachèrent dans une maison, puis au bout d'un moment, le lieutenant de Saint-Sever demande quels étaient les volontaires pour essayer de forcer les lignes ennemies et se sauver. Le sergent-chef Rougé,
    le caporal-chef Orrières, le soldat Roussel se proposèrent; les autres étaient trop épuisés. Ayant brûlé leurs papiers, nos 4 volontaires, revolver au poing traversèrent le village et s'engagèrent ainsi sur la plaine. Ils parcoururent ainsi plusieurs kilomètres; mais ils furent cernés par 18 Allemands, en liaison avec une dizaine d'autres qu'on apercevait à 300 mètres. Toute fuite était impossible. Cependant, Saint-Sever
    ne voulait pas se rendre; il fallut se donner beaucoup de peine pour le persuader qu'il n'y avait plus rien d'autre à faire. Il accepta enfin. Le petit groupe était prisonnier.

    Les Allemands le conduisirent à quelque distance en arrière. Nous campons dans une prairie, écrit Rougé, et je vois arriver le sous-lieutenant Primel qui me dit que sa section a été faite prisonnière, et que lui seul est emmené avec nous. Or, ce qui est drôle: aucun homme de cette section n'a jusqu'ici donné de ses nouvelles.

    L'explication est fort simple: tous les soldats qui accompagnaient Primel ont été fusillés par l'ennemi; trois seulement ont échappé au massacre. Je raconterait dans un autre récit cette affreuse tuerie.

    Il faut cependant ajouter ici un renseignement qui m'est fourni par l'adjudant-chef Rochard, de la 3° section: plusieurs de ceux qui, d'abord, étaient avec-lui furent pris du côté de Caix, et d'autres dans la plaine avoisinante; l'adjudant Héry (2° section), le sergent Drouiou, le caporal-chef Bodin sont de ce nombre, ainsi que le soldat Joubert, de la 3° section . . .

    Le brave lieutenant de Saint-Sever est mort en captivité, dans un camp en Allemagne, le 30 janvier 1941. C'était un excellent officier, d'une rare valeur morale. Resté très affaibli à la suite d'un accident grave, qui l'avait tenu éloigné du Régiment, il n'avait eu de cesse d'y revenir; après de multiples instances, son désir avait été exaucé. Il était de ceux qui font honneur à l'armée.


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  • La 1° Compagnie, aux ordres du lieutenant de Saint-Sever est en pointe; la 4° section avec le sous-lieutenant Primel; ouvre la marche; puis viennent la section de Commandement avec le sergent-chef Rougé, adjoint de Saint-Sever, la.2° section, adjudant Héry; la 3° section, adjudant-chef Rochard, et enfin la 1° section, sergent-chef Levitre; cette dernière a mission, s'il y a lieu, de protéger le repli. Quelques éléments de la C. A. 1 et du Génie suivaient la 1° Section.

    La Compagnie descendit tout droit sur Rosières. Nos hommes voyaient sur la plaine les cadavres et les équipements de nombreux Allemands, résultat superbe de la belle défense du 41° R.I. et du 10° R. A. D. Devant Herleville, une tête se leva en dessus de la luzerne. Celle d'un soldat ennemi, blessé à la jambe, qui déclare: s'exprimant en français: «Je suis un pauvre soldat comme vous » Il était là depuis 2 jours, et avait soif. Tous les bidons étaient vides. Dans l'impossibilité où il était de le transporter, la 1° Compagnie
    le déposa sur le bord du chemin, pour qu'il pût, plus facilement, être remarqué par les sanitaires allemands.

    A quelques kilomètres, au sud de Foucaucourt, la 1° Compagnie fit halte pour attendre le gros du Bataillon. Il ne vint pas, parce que, comme on le verra, il avait pris d'abord la route de Lihons, allongeant ainsi son parcours.

    Tout alla bien, jusqu'à 1 kilomètre environ avant Rosières.

    Les hommes, en ordre parfait, avançaient en colonne sur chaque côté de la route. Un petit avion, que l'on crut être, singulière erreur, un avion de la 19 D.I (qui n'en eût jamais) survolait la Compagnie, comme il fit du reste pour toutes les autres formations de la Division; C'était, on s'en doute, un appareil allemand de reconnaissance.

    Un peu avant Rosières, 1 kilomètre disent les uns, 500 mètres selon d'autres, le bombardement ennemi s'abattit à gauche de notre colonne, à 250 mètres environ. Le tir venait du sud.

    La surprise provoqua un léger flottement dans la marche; la Compagnie quitta un instant la route, pour avancer à travers les champs, puis la reprit. On accéléra l'allure pour franchir ce mauvais endroit; bientôt la marche normale recommença.

    Les 2 sections de tête s'engagèrent dans Rosières, là où la rue principale se dirigeant vers le sud était coupée par une barricade. L'ennemi était, nous l'avons dit, dans le village depuis la veille. Une fusillade intense accueillit les sections.

    Primel avec sa 4° section, passa sans difficulté la barricade. Mais à peine Rougé et la section de commandement I'atteignirent-ils, qu'un tir violent de mitrailleuses et de canons antichars les arrêta;.Rougé, suivi de quelques hommes, passa cependant. Le reste de la Compagnie prit une autre direction;
    tandis que Rougé rejoignait le lieutenant de Saint-Sever pour prendre avec lui la direction de Caix.

    La dispersion commençait.

    Les deux sections de queue : la 3° et la 1°, guidées par Rochard et Levitre (une cinquantaine d'hommes), au lieu de traverser le village, s'orientèrent vers la ligne de chemin de fer et le passage à niveau. Une colonne du 10° R. A. D., avec quelques officiers les suivait. La fusillade avait presque cessé dans le village; mais, au passage à niveau, les mitrailleuses allemandes prirent tout le groupe sous leur feu
    intense; des minen tombaient aussi, sans doute parce que les chevaux et les fourgons des artilleurs attiraient les coups des mortiers. Poursuivis par les minen, les artilleurs s'éloignèrent. Les fantassins se mirent à l'abri, un instant, dans les maisons à gauche de la route, et en bordure du passage à niveau.

    Déjà on ne voyait plus Saint-Sever, ni Primel, partis dans une autre direction.

    Pèle-mêle, le gros de la 1° Compagnie s'engagea entre les wagons et une usine proche; le reste, un très petit nombre, emprunta la route de droite.

    Par bonds, les voltigeurs essayèrent de progresser dans la plaine, où les balles sifflaient de toutes parts. Ils s'y dispersèrent.

    Le sergent-chef Levitre (1° section) rassembla quelques hommes, et prescrivit au sergent Morazin de mettre son F. M. en position, face à Rosières, à 200 mètres du village, sur un chemin de terre, bordé d'arbres. Les coups de l'adversaire paraissaient venir d'une usine. Mais on avait beau observer, on ne voyait rien; on lâcha quelques rafales, au jugé. Des mitrailleurs aussi s'étaient mis en batterie à l'entrée même du village, et tiraient. Levitre, avec quelques hommes qui l'entouraient, le soldat Bougeard, tireur, le caporal Piratais, le sergent Calvez, et quelques autres, essaya une dernière résistance. Le lieutenant Leclerc de la Herverie, qui venait de Soyécourt et était arrivé avec un canon de 75 en même
    temps que la 1° Compagnie, mit en batterie sa pièce, mais inutilement. Le sergent Morazin s'était installé
    avec son F. M.; mais il lui fut impossible de tirer, car l'herbe trop haute limitait son champ de tir à quelques mètres, et il risquait de frapper les nôtres, éparpillés de tous côtés pour éviter les balles allemandes.

    Dès lors, chacun se tira d'affaire comme il put.

    Les uns partirent vers la droite (c'est-à-dire vers l'ouest) vers Caix et Cayeux, où étaient les Allemands; quelques autres avec Marazin, obliquèrent vers la gauche; c'était la bonne direction, et ils échappèrent à l'étreinte allemande, après bien des dangers. La pièce de 75 elle-même restée la dernière fut cependant sauvée, par la résolution du lieutenant de la Herverie (1).

    Pour mettre de la clarté dans mon récit, je dois maintenant distinguer, dans la 1° Compagnie, un certain nombre de groupes:


    - Groupe Morazin;
    - Groupe Levitre;
    - Groupe Saint-Sever;
    - Groupe Primel.


    On va voir combien leur histoire est dramatique.

    (1) On trouvera les renseignements sur ce point au chapitre: Retraite du 10° R. A. D.

     

     


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  • A 2 h 15, le matin du 7, le lieutenant Lucas, adjoint au lIeutenant-colonel Loichot, vient en side-car apporter l'ordre de se replier en direction de Montdidier au capitaine Giovanini.

    Celui-ci fait observer qu'il sera très difficile de se décrocher de Foucaucourt, en raison de la proximité de
    l'ennemi ; à l'est, les adversaires se mêlent en quelque sorte à l'ouest, nos hommes entendent les cris des Allemands.

    Immédiatement l'ordre est communiqué aux Compagnies.

    Contrairement à son attente, le capitaine Giovanini put, sans difficulté sérieuse, rassembler tout son monde et tout son matériel, en une heure, devant le P. C. du 1° Bataillon.
    A l'est, cependant, le petit groupe de Béthuel ne fut pas atteint par l'ordre, car il était entouré par l'ennemi. Essayer de le porter, était s'exposer à une mort ou à une capture certaine. Bethuel et ses 4 hommes restèrent donc sur leur emplacement. La privation totale de munitions les avait contraints à se réfugier dans la cave de la maison. Béthuel ignorant le départ du Bataillon essaiera, de bonne heure de sortir.

    Mais les Allemands étaient derrière lui, près du canon de 25, inutilement braqué désormais vers la route. A plusieurs reprises dans la journée, il renouvellera sa tentative et chaque fois des mouvements de troupes ennemies la rendront vaine. Dans l'après-midi du 7, vers 13 heures, Béthuel devra
    se rendre aux Allemands; deux de ses hommes, on l'a vu, étaient blessés. Le petit groupe fut accueilli par des menaces: les Français tuaient les brancardiers, se servaient de balles explosives; ils méritaient d'être fusillés !, L'officier ennemi déclara à Béthuel qu'il devrait les mettre à mort pour venger les 400 Allemands tombés dans l'attaque du village. Béthuel protesta que lui et ses hommes n'avaient fait que leur devoir.

    Après en avoir délibéré avec ses lieutenants, l'officier accorda enfin la vie sauve à Béthuel et à ses hommes.

    Dirigés sur Fay, ils y retrouveront leurs camarades, blessés également, de la 10° Compagnie, qui n'étaient pas encore évacués.

    Au poste de secours furent laissés 7 ou 8 blessés graves qu'on n'avait pu transporter; l'abbé Le Teuff, l'infirmier très dévoué du 1° Bataillon, demeura avec eux pour les remettre aux médecins allemands; plusieurs, de ces blessés, sinon tous, moururent sur place de leurs blessures; ainsi périrent
    Le Luduec et Traon, deux braves soldats de la 5° Compagnie.

    Le rassemblement s'effectue tranquillement pour les autres.

    L'unique chenillette, mise quelques jours avant par le Colonel à la disposition du Bataillon eût été insuffisante pour tracter les canons de 25 et emporter le matériel de combat. Deux chenillettes de la C. R. E. arrivèrent opportunément à 3 heures, sur l'initiative du lieutenant Lucas (Lucas m'a dit en avoir envoyé 5).

    A 4 heures, le 1° Bataillon se mit en marche dans l'ordre suivant, avec une grande discipline :
    La 1° Compagnie en tête, puis la 3° Compagnie, et enfin la 2°. Le Chef de Bataillon partit le dernier.

    Le moral des hommes était excellent. Ils se considéraient comme vainqueurs dans cette bataille de deux jours contre des forces bien supérieures; ils pensaient que d'autres, plus heureux, allaient les relever, avec l'appui de chars, et Ils ne parlaient que de contre-attaque. Le sergent-chef Levitre (1° Compagnie) écrit dans ses notes qu'à l'annonce faite à ses hommes de l'ordre de repli, ils ne furent pas très contents;
    ils étaient plutôt surpris que l'on partît sans attendre la relève. Pour un peu, Ils eussent refusé de quitter leurs Positions. Ils étaient très fiers, et avec raison, d'avoir tenu en échec des forces ennemies plus nombreuses et mieux armées qu'ils ne l'étaient eux-mêmes. De son côté, le sergent Bitaud
    (3° Compagnie) exprime le sentiment d'un grand nombre en ces termes: «L'ordre, tel qu'il nous fut présenté, ne pouvait être que bien accueilli; une division de chars montait nous relever; elle était même arrivée à proximité du village; nous n'avions qu'à lui céder la place! Et de fait, dans ce moment
    même, on entendait; assez lointain, mais très net, semblant venir de l'est, un grand bruit de moteurs et de
    ferraille grinçante : des chars sans aucun doute ».

    Sans aucun doute, ils étaient allemands.

    Le drame du 1° Bataillon va bientôt commencer.

    Il faut d'abord étudier la tragique retraite de la 1° Compagnie . . .

     


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  • La journée du 7 juin . . .

    Le bruit s'était répandu, parmi les hommes du 41°, qu'une contre-attaque puissante viendrait les dégager; même ceux de la 10° Compagnie, enveloppée dans Fay, conservaient cet espoir. Maurice Chareaudeau, ce témoin si précis du combat de Fay, écrit dans ses notes que ses camarades ne pouvaient se résoudre à penser qu'ils seraient abandonnés, et qu'à plusieurs reprises ils crurent entendre derrière eux le tir de
    colonnes françaises progressant vers le nord. Au 1° Bataillon de Foucaucourt, la persuasion était absolue, et nos hommes s'en iront avec regret ; ils voudraient au moins que la relève fût là.

    Cette illusion avait un fondement. Un message de la 19° D.I, transmis par radio dans la soirée du 5 juin ou les premières heures du 6 juin, au 41°, l'avait prévenu qu'il devait s'attendre à une prochaine contre-attaque opérée en vue de le dégager. La nouvelle avait été communiquée aux bataillons.

    Le compte rendu du 1° C.A. s'explique ainsi sur ce point : Le 6 juin , une attaque de chars (général
    Velvert) doit être entreprise à partir de 4 heures; elle a pour axe Champien-Roye, puis Roye-Chaulnes, et ne doit pas dépasser, jusqu'à nouvel ordre, la voie ferrée Chaulnes-Guillencourt.

    Partie seulement à 8 heures, par suite de retards divers, cette attaque tourne court, avant d'atteindre la
    route Roye-Liancourt. Les chars sont dispersés par un violent bombardement d'aviation. La moitié environ pourra être regroupée, mais le lendemain seulement.

    L'échec de cette contre-attaque de chars faisait disparaître tout espoir d'une résistance victorieuse dans le
    Santerre. 

    Les engins blindés ennemis allaient pouvoir aborder la 2° position tenue en partie par la 47° D. I. (qui avait d'ailleurs passé le 5 juin au soir, aux ordres du 1° C. A.): Dès lors, le Commandement se préoccupe de sauver les unités qui tenaient toujours, mais que l'ennemi commençait de tourner par le sud.

    Le décrochage des éléments de la 1° position deviendrait impossible, s'il n'était effectué dans la nuit du 6 au 7. Cette situation était exposée, dès 14 heures, par le Général Commandant le 1° Corps au Général Commandant la VII° Armée.

    L'ordre de décrochage parvient au 1° Corps (Q. G. au Château de la Morlière,à Sains-Morainvilliers) à 19 heures.

    Certains éléments en ligne ne pourront être prévenus avant 24 heures. Et le jour commence à 4 heures.
    Combien il eût été souhaitable, puisque nous devions partir, que les Bataillons du 41° eussent pu être; avertis 2 heures plus tôt ! Le régiment tout entier, sauf la 10° Compagnie encerclée eût été sauvé!

    Malheureusement ils le furent seulement à 2 h 15.

    A 2 h 30 du matin, le 7 juin j'entends du bruit, des chevaux qu'on attelle! Qu'est-ce que cela veut dire? On devait tenir; aucun ordre de repli ne serait donné.

    Pourtant l'ordre vient d'arriver, apporté un quart d'heure auparavant par le lieutenant de Wailly, de l'E. M. de la 19° D.I. accompagné du sergent Fontaine, agent de liaison du 41° à la D. I, non sans risques, car le parcours était long et dangereux. Ils avaient pris, en passant par Lihons, seule route possible, le sergent-chef Seour. Ensemble, s'infiltrant à travers les groupes ennemis déjà installés derrière nous, ils
    avaient atteint Vermandovillers.

    On n'eut pas tenu compte d'un ordre transmis par radio, car il avait été prescrit formellement de ne pas se replier et de n'accepter qu'un ordre écrit apporté par un officier.

    Le lieutenant-colonel Loichot refusa d'abord d'accepter l'ordre. Il ne s'y résigna qu'après avoir entendu les remarques pressantes du lieutenant de Nailly. La 7° D. I. N. A. était déjà en route, et l'on avait besoin de nous ailleurs.

    Les munitions nous manquaient; l'on ne pouvait nous en envoyer; nous resterions isolés et sans appui.

    Le Commandement comptait sur nous pour continuer en arrière le combat.

    La journée du 7 juin . . .

    Il faut faire vite, avant le jour, et dans le plus grand silence. En hâte, de Vermandovillers, l'ordre de repli est
    porté à Soyécourt, Foucaucourt, Herleville. Il prescrit d'appuyer vers l'ouest, de se retirer en passant par le secteur de la 7° D. 1. N. A.

    Le chemin de repli, le seul qui reste, passe par Vauvillers et Caix, puis s'infléchit vers Davenescourt, en direction du sud-ouest; nous sommes coupés par le sud. Déjà les chars allemands sont derrière nous.

    La 10° Compagnie est cernée depuis 3 jours. Un coureur ne peut l'atteindre; à plusieurs reprises, notre radio lui lance en clair cet ordre : « Rejoignez Jan immédiatement ». Mais la 10° ne répondit pas aux appels.

    Dans le plus grand silence, en une demi-heure, à Vermandovillers, on est prêt pour le départ. On emporte tout le matériel.

    Nous passons par Lihons, au petit jour, Il est temps. Déjà ce village est évacué par le G. R. D. 21, et la C. H. R. du 41°, avertis à minuit. Quelques cavaliers seulement sont là, comme des ombres. Dans Rosières-en-Santerre, une maison brûle; la route est coupée par un éboulement, et une excavation, travail des bombes allemandes tombées en cet endroit. Il faut faire un détour pour trouver une voie libre. Toute la
    rue principale est détruite. A l'entrée de la petite ville, près de la barricade, on voit des auto-mitrailleuses ennemies incendiées.

    En apparence, tout est calme. Pourtant les Allemands sont ici depuis hier, installés dans les caves, ou même se reposant sur des lits dans les chambres, comme on peut en passant les voir. Quelques petits postes veillent, dissimulés.

    Le lieutenant Austruy, averti à temps de cette disposition, peut faire passer les voitures de la C. H. R., en faisant un détour par la gauche, avant l'excavation.

    Après lui, un camion chargé d'une cinquantaine d'hommes (fantassins, artilleurs) s'est arrêté devant l'entonnoir, et des motocyclistes allemands l'ont mitraillé. Les hommes, sautant du camion, se dispersent. Mais un sergent du 41°, sans perdre son sang-froid, réussit à faire reculer son véhicule, et à le
    mettre sur le bon chemin, Il le sauve.

    Il n'en est pas de même, malheureusement, des deux camionnettes de la Compagnie de Commandement, restées à Lihons avec la C. H. R. Elles aussi se trouvent en face de l'entonnoir. D'abord le petit poste ennemi s'enfuit. Mais en constatant le manque de résolution des conducteurs, il revient, attaque à la mitraillette, crève les pneus. Les deux véhicules sont abandonnés, avec les bagages des officiers.

    Le sergent-chef Perriot, de la 11°, quitte Lihons à 1 h 30 avec les 3 hommes de son train de combat. Il est attaqué par les mitraillettes des chars, à la sortie de Lihons. Poussant résolument,il passe et sauve son matériel et ses hommes.

    Avant nous encore un petit groupe de la C. H. R. traverse enfin Rosières; une douzaine de soldats conduits par le sergent Gandon; au début de la nuit, celui-ci avait vu qu'un trou dans la ligne de défense rendrait la liaison difficile au cours du combat ; on n'y attacha pas d'Importance. Cette négligence à tenir compte de l'observation de Gaudon fut cause qu'on ne I'avertit pas du repli. Heureusement, vers 3h 30, pour lutter contre, le sommeil et avoir des renseignements, le sergent alla faire un tour d'inspection sur sa
    droite. Il n'y avait plus rien. Les emplacements des voltigeurs étaient inoccupés. Gandon rassemble ses hommes, et un peu avant 1 heures; s'engage sur la route de Rosières. Il avait sauvé ce petit groupe de .la captivité.

    Le G. R. D. 21, bien avant nous, était passé sans encombre, emportant la totalité de son matériel ; car il avait connu vers minuit l'ordre de départ et s'était mis en route à 1 heure du matin, pour pouvoir se regrouper à Etelfay, à l'est de Montdidier, dans les premières heures de la matinée.

    Le G. R. D. eut cependant à déplorer la capture du groupe de l'escadron Hors Rang, conduit par le lieutenant Berger et l'adjudant-chef de Magondeau. Le maréchal des logis Tardivel était avec eux. Une trentaine d'hommes, par lesquels une vingtaine de blessés, les accompagnaient. Ils n'avaient qu'un fusil mitrailleur sans cartouches. Le groupe s'en allait à pied, rencontra I'ennemi et ne put se défendre. Il fut prisionnier.

    Le 41° R. I. lui aussi devait passer par Rosières, puisqu'il n'y avait plus d'autre route.

    Vers 4 heures du matin, les voitures de I'Etat-Major entrent dans le village, font demi-tour devant l'excavation, reviennent en arrière, et par un détour sortent de Rosières.

    C'est peut-être ce qui nous sauva. Vers 4 h 30, la Compagnie de Commandement, les éléments de la C. R. E., la 7° Compagnie, et la section du Génie, parties de Vermandovillers vers 3 heures, y arrivent également. Évitant Lihons, elles avaient pris la petite route d'Herleville, et de là étaient descendues sur Rosières; elles purent voir à Herleville les champs jonchés de cadavres allemands, et le nombreux
    matériel abandonné l'avant-veille par les prisonniers.

    La petite colonne, à laquelle se joignirent des éléments du 10° R. A. D. arriva 5 ou 6 heures plus tard à Becquigny, en passant par Le Quesnel, Hangest-en-Santerre, Davenescourt, où elle franchit l'Avre.
    Il était temps qu'elle traversât Rosières, car, un peu plus tard, le 1° Bataillon qui avait pu se décrocher de Foucaucourt, s'y heurta à des forces allemandes bien supérieures.

    Nous arrivons au chapitre le plus dramatique de l'histoire du 1° Bataillon, histoire un peu compliquée, mais qui s'éclaircit quand on entre dans le détail des faits. Il faut, étudier à part le repli de la 1° Compagnie, puis celui des 2° et 3° Compagnies, et de la C. A. 1. Et encore, pour la 1° Compagnie, sera-t-il nécessaire de distinguer, à partir de Rosières, 4 groupes dont le sort fut très différent . . .

     

     

     


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