• 03-G - du 20 juin à juillet 1940

    Les lignes attristées qui terminent l'ouvrage qu'on vient de lire , sont du début de l'année 1942, Elles exigent un court complément.

     Nous avons depuis vécu des années angoissantes et humiliées, portant au coeur. Une blessure profonde, encore, acrue par l'apathie d'un trop grand nombres durant ces années, plusieurs au moins ,ont continué de servir par la parole et par l'action. Par la parole, en s'efforçant de faire vivre dans les âmes la foi en la France et l'espérance que des jours meilleurs viendraient, Ce n'était pas sans risque. Car , on pouvait s'attendre à voir paraître la police allemande ; mon confrère, le Père Le Maux, l'a éprouvé. Par l'action en Allemagne, le colonel de Lorme (promu Général) vivait dans un camp de représaille; il en est mort à son
    retour. A Besançon, le vaillant colonel Loichot a été arrêté par L'ennemi pour son activité résistante; le conduit au camp de la mort, à Dachau, il n'en est : pas revenu. A Brest, Fauchon a été l'animateur de la lutte clandestine, jusqu'au moment ,où les armes à la main .il a contribué à anéantir l'allemand dans sa ville. A Paris, un brave garçon nommé Poirier travaillait assidûment et avec péril au service de
    renseignement; pourchassé par la Gestapo, il partit rejoindre, les forces du Général de Gaulle et fit une courageuse campagne en Afrique du Nord, en Italie, puis en Alsace, pour être finalement blessé au combat. Macé, de la C. H. R. du 41e devenu officier à la 1° armée a été tué dans la bataille victorieuse d'Allemagne. Sans doute faudrait-il citer d'autres noms, par exemple celui du capitaine Gazeau, avoué à
    Saumur (de l'Etat-Major de la D.I) arrêté et tué par les Allemands.

    La Libération enfin est venue, suscitée par un chef d 'une valeur morale et intellectuelle extraordinaire, le Général de Gaulle, mainteneur de l'âme française. Avec lui, la 19° D.I. ressuscitée a pris sa part glorieuse des luttes libératrices en Bretagne.

    En mettant la dernière main à ce travail, il est juste de rendre hommage à tous ces soldats, connus ou inconnus, grâce auxquels le sentiment de la grandeur française et de l'honneur national pourra retrouver sa place dans la conscience de notre peuple.

    Puissent tous les jeunes, appelés à servir autour des drapeaux de nos vieux régiments, s'inspirer des exemples de leurs anciens, de (nos morts, et faire leur la fière devise du 41°, la devise d'Anne de Bretagne: « Potius mori quam foedari » mieux vaut mourir que forfaire à l'honneur.

     

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    La fin de la 19° D.I

    De Menetou-sur-Nahon, nous allâmes à l'Egalier en passant par Buzançais encombré de réfugiés civils ou militaires. Une vraie débâcle.Une foule, qui rend difficile le passage dans la ville, qui par surcroît est saisie de panique parce que des avions allemands nous survolent.

    C'est une tristesse inouïe !

    Je suis avec le Capitaine Soula et le Lt De Wailly. En arrivant dans ce minuscule village de l'Egalier, à l'écart de la route, nous pouvons nous restaurer un peu. Un hangar sert de PC  avec Soulas, le Général passe la nuit sur le foin dans un grenier, auquel on accède par une échelle extérieure.

    Pour moi, je dors dans l'auto, au milieu des autres voitures, garées dans un petit chemin. Tout ce qui subsiste de la Division tient facilement dans cet étroit espace.

    Déjà les Allemands sont à notre gauche, du coté de Valançais; à notre droite, ils avancent vers Châteauroux.

    Il faut encore partir. Aussi dès l'aube le matin du 20 juin 1940, allons-nous de l'Egalier à Ruffec, en passant par Pellevoisin, Vandoeuvres et saint-gaultier. Nous sommes dans la grande plaine, presque déserte, au étangs innombrables. A partir de Saint-Gaultier, au contraire, nous traversons une contrée parsemée de jolies petites villes, ou les châteaux sont nombreux. On croirait traverser un beau parc, immense.

    Nous allons d'abord dans un petit château, au Sud de Ruffec; seuls les services vont rester là. Avec le Général, nous remontons un peu au Nord, dans le château du maire de Ruffec, M. d'Ovion. Une famille excellente. Nous passerons la nuit chez lui. mais dans quelle situation précaire !

    Vers 4h00 du matin, le 21, nous quittons notre joli château et cette aimable famille, pour gagner Mazerolles, dans la Vienne, en passant par Belâbre dans l'Indre, La Trémouille, Montmorillon, Lussac-les-Châteaux. Nous ne resterons que jusqu'au soir à Mazerolles. Il y a là une curieuse église du XIème siècle, avec un campanile et des cloches extérieures.

    Dans la journée, je vais dans les villages voisins visiter les services; je suis heureux de revoir le colonel Membrey et le Commandant de Kérautem. Nous repartons à la tombée de la nuit. Les Allemands viennent d'entrée à Poitier, dont nous ne sommes guère éloignés que de 25 km.

    A 21h00, nous abandonnons Mazerolles, sans regret, car je ne sais ou l'on nous eût logés. Le colonel Huguet commandant l'A.D. (Artillerie Divisionnaire) est en tête de notre convoi. Au lieu de laisser à gauche la Vienne, il nous la fait traverser à l'Isle-Jourdain, ville fort jolie.

    Sur la crête, de l'autre côté de la ville, nous nous arrêtons. Le Colonel nous a égarés ! Il sort de son auto, tirant sur son éternelle pipi qui émerge à peine de ses grosses moustaches à la gauloise. le cabot sur l'oreille droite, les cheveux en brousaille; il inspecte le ciel, comme pour y découvrir sa route.

    Pendant que Soula cherche la bonne direction, je regarde dans la nuit claire le magnifique spectacle; à nos pieds coule la rivière que franchit le long du pittoresque pont du moyen âge; l'immense plan d'eau constitué par le barrage brille sous la merveilleuse clarté lunaire comme un miroir d'argent; la ville est engourdie dans un sommeil tranquille, et l'ennemi en est tout près.

    Nous revenons en arrière, et traversons de nouveau la ville. Un boulanger travaille, car une délicieuse odeur de pain chaud vient à nos narines; cet homme accomplit tranquillement les gestes de tous les jours. Volontiers nous mangerions un peu de ce pain parfumé.

    Mais il faut aller, pour retrouver la route de Confolens, par Usson-du-Poitou.

    Cette fois Blancher conduit; il n'a pas de boussole, ni d'autre carte que celle d'un calendrier! Il se fie pour trouver son chemin sur l'étoile polaire. Puisqu'elle est dernière nous, nous devons arriver à Usson, et là nous tournerons par la route de gauche.

    Nous quittons la délicieuse vallée de la Vienne, et nous filons maintenant sur Grand-Madieu dans les Charentes au sud de Confolens.

    Vers 4h00 du matin le 22 juin, nous y arrivons. Nous nous hissons, Soula et moi, dans un grenier et dormons quelques heures sur le foin. Nous sommes auprès d'une petite et vieille église romane, d'origine monastique, bien entendu; elle est du XIe; on voit encore quelques ruines des bâtiments conventuels.

    Nous avons la joie d'assister au passage en camion du commandant Jan et des restes de notre infanterie, qui peuvent enfin nous rejoindre.

    Mais la progression des troupes allemandes en direction de Bordeaux et de Libourne rend nécessaires, d'une part, un infléchissement vers le sud-est de l'axe de retraite de l'armée, et, d'autre part, un repli profond en direction de la Dordogne.

    Nous allons donc repartir.

    La nuit tombe, et nous voici en route pour saint-Pardoux-la rivière dans la Dordogne. Par Nantron, nous arrivons vers 10h30 le dimanche 23 juin.

    Dans la petite ville, on est content de nous voir, car des  soldats du Génie, indisciplinés, et qui n'ont pas combattu, se comportent assez mal, à l'égard de la population terrorisée. le Général immédiatement y met bon ordre, et fait rétablir la discipline.

    Nous n'allons pas rester, demain nous partons.

    En effet, le matin du 24 juin, la 11° D.I nous remplace à Saint-Pardoux. Avec Soula et Wailly, par Thiviers, Hautefort, la Villedieu, Brive, Souillac et Cahors, nous arrivons à Saint-Géry en suivant le cours pittoresque, si beau du Lot. La rivière roule ses eaux rapides entre les rochers abrupts et tourmentés, qui lui font un lit étroit et sinueux. Une route suit le lot, qu'il a fallu conquérir sur le rocher, sous lequel souvent elle passe, comme sous autant de tunnels au fond desquels apparaît la lumière de la vallée.

    Avant d'arriver à Cahors, nous avions durant plusieurs heures parcouru la route qui traverse le plateau assez aride, ce semble, au pied duquel la Dordogne décrit ses méandres. Malgré notre tristesse, nous pûmes rester insensibles à la majesté du décor; et au point culminant, nous nous arrêtâmes pour admirer le paysage grandiose et désolé, la rivière qui coule dans une vallée largement évasée et profonde.

    Saint-Géry est encombré, le mot est désobligeant, mais il est juste, par une cinquantaine d'officiers, de fonctionnaires de l'Armement, accompagnés de dactylos, et même de deux danseuses d'opéra. Un contrôleur, à rang de général de brigade, préside à la vie de tout ce beau monde que nous méprisons. Notre Général leur donne l'ordre de partir, et d'abord d'évacuer les chambres ou ils se trouvent bien, dans ce site charmant. S'il reste de la place quand la Division sera installée, on verra pour ceux et pour elles! Nous ne pouvons voir avec sympathie des personnages qui, par leur impéritie, ont été cause, partiellement au moins, de nos malheurs.

    Le 24 juin, nous apprenons que le douloureux armistice est signé, et qu'il sera exécutoire dès demain.

    Chaque jour, nous célébrons un service pour nos morts dans l'une ou l'autre des unités de la division, cantonnées dans les villages, tout le long du Lot, et j'ai chaque fois le plaisir de pouvoir admirer l'étonnante vallée ou serpente la rivière, avec ses méandres, ses rochers en surplomb sur la route, ses bourgs, quelques fois fortifiés, accrochés en nids d'aigle au-dessus du courant. Le site de Saint-Cirq et celui de Cabrerets, sont très pittoresques et d'une grande beauté.

    A Larroque-les Arcs, le 26 juin, eut une prise d'armes, les pauvres restes du 41° R.I, présentés par le commandant Jan, furent passés en revue par le Général. On était frappé de l'air résolu de nos hommes, leur visage exprimait la dureté; mais aussi quelle loyauté brillait dans leur regard quand, en passant devant leur chef, ils tournaient les yeux vers lui, au commandement ! on se rend compte qu'un régiment a une âme ! Combien de fois n'avais-je pas prêché cela à nos braves garçons.

    Le G.R.D.21 eut aussi sa prise d'arme, réduite sans doute. Nos cavaliers gardaient leur fière allure.

    En voyant de tels hommes, on avait bien le sentiment qu'eux n'avaient pas été vaincus, et qu'ils ne méritaient pas un tel destin. L'arrière les avait abandonnés et trahis.

    Dans les premiers jours de juillet, nous quittâmes Saint-Géry pour remonter vers le nord, à Pompadour. Nous fîmes la route par Cabrerets, La Bastide-Murat, Carlucet, Rocamadour. Nous nous arrêtâmes un instant pour admirer la gorge profonde, le village qui s'étage sur les pentes, et l'église célèbre qui les domine.

    Enfin, par Cressensac, Brive et juillac, nous arrivâmes à Arnac-Pompadour.

    A Pompadour, nous célébrons un grand service pour les morts de la Division; dans la grande église d'Arnac. Trois Généraux de Corps d'Armée entouraient notre Général.

    Il y a dans l'auditoire militaire beaucoup d'officiers supérieurs, et des délégations du 41° R.I, du G.R.D, du 10° R.A.D, etc . . . la moitié de l'église leur est réservée; l'autre moitié est occupée par la population.

    L'aumônier fit le panégyrique de nos morts, et rappela queles leçons il fallait tirer de notre désastre; discours ardent, véhément:

    - 1 ère partie: Ce qu'a fait la division; évocation de la bataille.

    - 2 ème partie, très rude, surtout pour les anciens combattants du lieu ( certains estimaient que nous n'avions pas fait notre devoir ).

    Notre désastre, les tombes si nombreuses de nos morts, sont le fruit de leurs fautes à eux.

    1°: Ils n'ont pas d'enfants (500.000 avortements par an, et 500.000 autres enfants qui, par fraude chaque année, ne venaient pas à la vie). S'il n'y avait pas eu depuis 20 ans, et plus, ce crime inexplicable, nous eussions eu 50 divisions de plus, composées de jeunes soldats, et nos camarades de fay n'eussent pas en vain appelé des renforts qui ne pouvaient venir, parce que les Français ne les avaient donnés.

    2°: pas de travail, avant la guerre, pendant la guerre. Voilà pourquoi les munitions, les chars, les avions, nous ont manqué.

    3°: Une dégradation constante de l'idéal, auquel on a substitué le plaisir, la vie facile; les français ont élévé leurs trop rares enfants selon ces principes faux et destructeurs.

    Que les jeunes gens et les jeunes filles qui m'écoutent, et qui représentent l'avenir de la France, rejettent ces fausses idées, et ne s'engagent pas dans la voie suivie par leurs parents, mais qu'ils veuillent une vie féconde, par les nombreux enfants qui apporteront leur sourire dans les foyers, par le goût de devoir accompli, par l'ardeur au travail. A ce prix, la France se relèvera.

    3°: Adieu à la 19° D.I que tous mes jeunes camarades restent ce qu'ils ont été: des hommes de devoir! qu'ils fondent des foyers féconds! l'aumônier évoque Strasbourg, les clochers d'Alsace. Il espère qu'un jour nous verrons de nouveau nos couleurs à la pointe de la haute flèche de la cathédrale et que nous entendrons les clochers d'Alsace chanter encore à l'aube de Pâques la résurrection du Christ, et la résurrection de la France. Il terminait ainsi: Nous en faisant le serment, sur les tombes de nos morts, et sur nos drapeaux, aussi longtemps qu'un morceau de notre terre sera en possession de l'ennemi, nous ne saurions mettre notre main dans celle d'un Italien ou d'un Allemand.

    Vers le 12 juillet, nous abandonnons Pompadour, pour aller plus au nord. La Division va être dissoute à Pierre-Buffière en Haute-Vienne à 20 km au sud de Limoges.

    Quand je le pus, j'allai dans les lointains cantonnements visiter les restes de la D.I, le 41° R.I était à Saint-Priest-Ligoure . . .

    On démobilise les officiers et les hommes, pour obéir le plus vite qu'on peut à l'ennemi. L'un après l'autre s'éloignent les officiers de l'Etat-Major qui étaient pour moi, presque tous, des amis.

    Le 11 août, je quittait Pierre-Buffière, ou était morte la 19° D.I . . .

    Il fallu attendre longtemps dans la gare de Limoges la formation du convoi. Il y avait là, une foule considérable de soldats, de réfugiés sur le point de partir enfin . . .

     

     

     

     


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