• 03-C - Le 5 juin 1940

     

    03-C - Le 5 juin

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    03-C - Le 5 juin

    03-C - Le 5 juin

     

  • Chaulnes

    Dans la petite ville de Chaulnes, en grande partie reconstruite après la guerre 1914 - 1918, étaient installés :
    l'Etat-Major du colonel Paillas, commandant l'Infanterie Divisionnaire;
    le P. C. du 10° R. A. D.;
    le P. C. du 210° R. A. L. D.
    Des éléments peu nombreux et peu armés en constituaient la garnison :
    - 200 hommes du Centre d'Instruction divisionnaire;
    quelques uns n'avaient pas de fusil; lès armes automatiques se composaient de 3 F. M. et 2 mitrailleuses;
    - 1 Compagnie de pionniers arrivée dans la nuit, démunie d'armes automatiques;
    - un groupe d'hommes du 6° et du 8° Génie;
    - un faible détachement du Train;
    - quelques hommes du 22° Étranger, pour les services.
    II n'y avait ni 75, ni 155; il existait seulement 2 canons de 47 de la B. D. A. C. (capitaine Constant) et la 4° Section de C. D. A. C. (canons de 2.5) avec le capitaine Buant.

    Seule était occupée et défendue la partie sud-ouest de Chaulnes, en raison du petit nombre des hommes.
    Dans la journée du 5 juin, des artilleurs qui avaient perdu leurs pièces, dans l'attaque, viendront se réfugier à Chaulnes.

    L'abbé Yves Legrand, sapeur radio, du service des transmissions de Chaulnes, mentionne quelques faits pour les jours qui précèdent l'attaque sur Chaulnes.
    Depuis quelques jours les avions de reconnaissance ennemis viennent prendre des photographies: Aucun avion ne les chasse. Toutes les deux heures, les appareils allemands passent au-dessus de nous pour aller bombarder nos arrières, mitrailler les routes, et les trains de ravitaillement; mais ils ne lancent rien sur nous.

    Toutes les nuits, un certain nombre de circuits téléphoniques sont coupés, probablement par des animaux errants.

    Le 3 juin et le 4 juin, on semble s'attendre à une attaque; on nous fait quitter les maisons et nous rassembler tous dans la grande rue de Chaulnes, qui aboutit à la gare.
    Nous fabriquons des murailles de fortune que nous appelons « barrages antichars », Le 6° Génie pose quelques mines.

    Le soir du 4 juin, à 22 heures, Legrand note un gros bombardement, auquel ripostent vigoureusement nos batteries de 75 et de 155.

    Pendant la nuit du 4 juin au 5 juin, me dit le lieutenant Carmichaël (du 41° R. I officier de liaison à l'I. D.), on perçoit le bruit de chars en marche. Avant même le déclenchement de l'attaque, ils seraient donc venus entre les points d'appui, et auraient gagné déjà les arrières de la D. I. Il n'y a donc pas lieu de supposer que des engins blindés seraient passés par Ham et Nesles.

    Citons maintenant le compte rendu du colonel Paillas:
    « A 0 h 30, la D. I. fait connaître l'imminence de l'attaque.
    Peu après, quelques tirs d'arrêt sont déclenchés par les fusées qui sont ultérieurement identifiées comme lancées par l'ennemi.
    A 3 h 45, l'ennemi déclenche un très violent tir d'artillerie sur tout le front, et procède au bombardement aérien des points d'appui, dont celui de Chaulnes.
    Vers 4 heures, les P. C. des Régiments signalent une attaque plus particulièrement violente dans le sous-secteur du 117° R. I, où le terrain est plus perméable aux chars.
    Dès 4 h 15, plusieurs Compagnies de chars débordent Belloy et Estrées-Deniécourt. 140 chars environ pour la colonne Ouest d'Estrées, 200 pour la colonne Est. Vers 4 h 30, elles sont aux environs de Pressoir. A 5 heures, elles débordent Chaulnes à l'Est et à l'Ouest.

    Certains éléments encerclent nos points d'appui, d'autres continuent à progresser en direction du sud.

    Vers 5 heures, les communications téléphoniques de Chaulnes sont coupées avec l'extérieur. Auparavant, le Commandant de l'I.D a pu téléphoner avec l'E. M. de la 19°, et également avec le Général commandant la 29°, pour les mettre au courant de la situation. Quelques essais de chars ennemis d'aborder les lisières de Chaulnes en particulier au sud, sont repoussés par les canons de la B. D. A. C., et les chars vont s'embosser dans des zones défilées, à proximité.

    Vers 6 heures, le Commandant de l'I. D. profitant d'une accalmie, prescrit aux officiers de liaison avec les
    régiments, de se rendre au P. C. de ceux-ci pour rapporter des renseignements précis sur la situation.
    La liaison avec le 22° R. M. V. E. est réalisée, malgré les difficultés rencontrées, par le lieutenant Guichemer. Au retour de Marchelepot, le chemin d'aller est coupé par une formation de chars. Guichemer rejoint le P. C. de l'I. D. par un itinéraire détourné. A sa rentrée à Chaulnes il participe au sauvetage de soldats blessés, dans une camionnette en feu, bien que la rue fût prise d'enfilade par un char ennemi.

    La liaison avec le 117° R. I. ne peut être effectuée.
    L'officier (lieutenant Nail) est blessé mortellement à la sortie nord de Chaulnes, alors qu'il cherchait à se rendre en side à Pressoir, P.C. de son régiment.

    De même pour le 41° R. I, Carmichaël est arrêté à 1 kilomètre au nord de Chaulnes par 3 chars. Il doit rentrer sans pouvoir aller plus loin.

    Le capitaine Buant de la C. D. A. C. va inspecter sa section de Hyencourt-le-Grand, et pousse jusqu'à Pertain pour établir la liaison avec le Colonel commandant le 112° R. I. de la 29° D. I. Il exécute sa mission, mais au retour son motocycliste est tué aux lisières de Chaulnes par une mitrailleuse de chars.

    Vers 9 heures, les blindés allemands viennent se poster au carrefour des routes de Lihons et Vermandovillers à l'entrée Ouest de Chaulnes.

    Vers 9 heures encore, des chars venant du sud, prirent position du côté de la gare; d'autres vinrent de l'est. Ainsi l'ennemi, par des mouvements d'infiltration, se rabattait sur nos arrières.

    Il n'y eut pas attaque proprement dite par les chars, mais encerclement.

    Des chars allemands se trouvaient également dans le bois, entre Chaulnes et Lihons; ce qui confirme les notes que l'on vient de lire sur Lihons.

    Quelques chars furent démolis, dont 2 dans Chaulnes, par un canon de 47; mais ce canon fut, à son tour, détruit.

    Les Allemands, au dire de Carmichaël, n'avaient pas attaché de prisonniers à la tourelle de leurs engins, mais sûrement, ils faisaient marcher des prisonniers devant leurs chars, pour protéger leur avance; à l'arrêt, toujours pour se mettre à l'abri de nos coups, ils plaçaient autour d'eux un cordon de prisonniers, qu'ils étaient censés garder!

    C'est dans ces circonstances que fut tué le capitaine Albrech, de la 19/1 du 6° Génie. Il avait aperçu à peu
    de distance un char allemand endommagé, dont l'équipage était descendu. Héroïquement il se dirigea vers lui, armé d'un mousqueton, et muni d'un pétard, avec l'intention de prendre l'équipage et de faire sauter le char. Il fut malheureusement tué.

    Tous les renseignements reçus indiquent que les points d'appui tiennent; qu'il y a deux courants principaux d'infiltration des chars à l'Est et à l'Ouest de Ablaincourt-Pressoir et de Chaulnes, et que l'artillerie et la défense contre les blindés leur ont infligé des pertes sévères.

    Le résumé, que l'on trouvera à la fin de mon récit, du livre du capitaine allemand Freiherr Von Jungenfeld,
    démontre l'exactitude du rapport de l'I. D. que je citerai;
    Par contre, quelques batteries d'artillerie d'appui direct dans les sous-secteurs du 22° Étranger et du 117° R. 1. ont subi des pertes et ont laissé des prisonniers entre les mains de l'ennemi.
    Le personnel des 34° et 36° batteries du 187° R. A.
    Lourde Tractée, en position à l'Ouest de Chaulnes, se replie sur cette localité.

    Les renseignements reçus sont transmis par radio à la D.I. Un essai de liaison par officier avec la D.I. ne
    peut réussir, les issues étant barrées par des chars.

    Pour effectuer un ravitaillement en munitions, l'officier de liaison du 41° (lieutenant Carmichaël) essaie une deuxième fois d'atteindre Lihons, où se trouvent les services du 41°; mais il échoue dans sa tentative et doit rebrousser chemin devant les chars. L'encerclement est complet.

    Un détail est à ajouter ici, il m'est donné par L'abbé Yves Legrand:
    De 10 heures à 12 heures, les chars allemands tirent sur les maisons. Nous sommes obligés de descendre dans les caves, et de nous y installer avec nos appareils de T. S. F.
    Dehors c'est intenable. La mitraille tombe de partout ( avions, artillerie,chars )
    Le compte rendu du colonel Paillas continue:
    Vers 13 heures, une modification paraît survenir dans la situation générale. Les observateurs de l'I. D. signalent du clocher de Chaulnes, un mouvement de repli des chars venant du sud. Ces chars, au nombre d'une vingtaine remontent vers le nord, en direction de Chaulnes, puis se divisent en deux groupes, dont l'un, obliquant vers l'Est, échappe aux vues, et l'autre qui se dirige vers l'Ouest, est pris à partie
    par le canons de 47 de Chaulnes et des batteries d'artillerie situées dans la zone de la 19° D.I.
    5 chars prennent feu, les autres se dirigent vers Pertain.

    Le capitaine Freiherr Von Jungenfeld confirme ce renseignement; il dit en effet :
    Avant midi, un certain nombre de ses chars sont en feu ou détruits. Les Français dirigent sur les blindés allemands un tir très précis et très efficace. Les munitions des chars se font rares; les morts et les blessés sont nombreux. II redoute une contre-attaque des chars français, car l'infanterie allemande n'a pas pu avancer. Elle est bloquée par l'infanterie française.

    L'artillerie française, dit-il, tire sur eux de plein fouet et de tous les côtés, spécialement de Ablaincourt et de Chaulnes.

    A midi, « nous décidons d'attaquer derrière nous pour détruire des éléments antichars ».
    Deux nouveaux chars prennent feu. La lutte est serrée; les divisions blindées ont peu avancé. Nous avons de grosses pertes.

    Arrêt du combat de notre côté. On trouvera plus loin tout le chapitre du Freiherr Von Jungenfeld.
    Vers 14 heures, le Commandant de l'I. D. adresse un message à la. D. I. pour lui signaler que les points d'appui bien qu'encerclés tiennent, et que de lourdes pertes sont infligées aux chars ennemis, et qu'il y aurait intérêt à déclencher une contre-attaque avec nos chars. Il convient de noter que cette éventualité était redoutée à la même heure par le capitaine Freiherr Von Jungenfeld.

    Elle ne se produisit malheureusement pas.

    Les messages des Régiments ne signalent pas de modifications dans la situation, et se bornent a des demandes de ravitaillement en munitions. Toutefois, vers 15 heures, un message du 117° R. I. signale la mise en batterie d artillerie ennemie vers la butte Est d'Ablaincourt. Une demande de tir est adressée par l'I. D. au Commandant du 210° R. A. L. D. qui fait exécuter un tir par son 5° Groupe.
    A partir de ce moment, Chaulnes est soumis à des tirs intermittents d'artillerie.

    Vers 16 heures l'I. D. reçoit de la D. I. le message suivant; « Vous félicite, suis de coeur avec vous » et à 19 h 15 l'ordre suivant; « Tenir coûte que coûte sur place ». Les messages sont transmis aux régiments ainsi que le message lesté jeté par un avion vers 19 h 30 et ainsi conçu; « Tenez bon, nous arrivons ».
    Mais entre temps, l'ennemi a lancé de nouvelles vagues de chars et a entrepris la réduction des P. A. encercles. »
    Notons que la capitaine Freiherr Von Jungenfeld dont les chars étaient vers 16 h 30 dans la région de Chaulnes-Omiécourt, dit avoir essuyé un tir épouvantable de 75, et subi de grosses pertes. Sa situation était très critique.
    Arrivée des avions français. Grâce à la maladresse des bombardiers, nous n'avons guère de pertes. Une pluie de grenades s'abat sur nous. 

    Le compte rendu du colonel Paillas continue:
    A la tombée de la nuit, la situation est la suivante: A droite au 22° R. V. E. perte des boqueteaux de la
    première ligne; mais les localités de Fresnes-Mazancourt, Misery, et plus en arrière Marchelepot tiennent toujours.
    Au centre Sous-secteur du 117° R. I. par des attaques d'infanterie et de chars, l'ennemi a enlevé successivement Belloy vers 14 heures; Estrées 16 h 30; Berny 17h 00; Ablaincourt 19 heures; Deniécourt 21 h 30. Le P. A. de Pressoir avec le P. C. du Régiment continue seul à tenir.
    A gauche Sous-secteur du 41° attaques d'infanterie non appuyées par chars. Positions maintenues intégralement.

    Pour cette journée du 5 juin à Chaulnes, je rapporte quelques remarques de l'abbé Legrand :
    Vers 7 heures, on était venu nous dire que les Allemands étaient déjà à 20 kilomètres au sud et qu'il fallait se rendre.
    Mais les soldats du 22° Etranger nous disent: l'infanterie
    française tient et il ne faut pas se dégonfler. Il ne faut pas se rendre.

    Vers 2 heures de l'après-midi, le lieutenant Percerou (du 2I0° R. A. D. qui fut tué le lendemain matin) arrive et déclare: « L'infanterie allemande est en vue. Il faut rassembler vos, munitions et venir vous défendre aux barrages antichars. .

    La nuit du 5 juin au 6 juin le pilonnage d'aviation est terrible. . .


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  • Fouquescourt est à l'est de Rouvroy, à 2 ou 3 kilomètres en direction de Nesles.

    Depuis le 29 mai, la Compagnie télégraphique, la Compagnie hippomobile, la Compagnie Radio de la Division y sont installées. Le 1° juin, on y a construit des barrages; on a percé des meurtrières dans les murs ,du village pour s'y défendre. Le 2 juin, on a confectionné et essayé des bouteilles d'essence antichars.

    Le 5 juin, à 0 h 15, la Compagnie Radio est avisée que l'attaque allemande prévue est imminente. Elle prend les dispositions de combat.

    A 3 h 30, les localités environnantes Chilly, Hallu, Maucourt, Chaulnes sont bombardées.

    L'aviation ennemie survole continuellement Fouquescourt.

    Par radio, on apprend qu'une importante colonne blindée se dirige sur Fransart, au sud de Fouquescourt, sur la grande route de Roye. On passe maintenant les télégrammes en clair pour aller plus Vite.

    Un poste de guet est installé dans le clocher; on le relie par une ligne téléphonique avec le P. C. du capitaine Levy.

    Plusieurs chars sont signalés en route pour Fouquescourt.

    Un sergent a une idée ingénieuse: il relie quelques bidons vides d'essence avec du fil téléphonique de campagne; il les installe devant la barricade, et avec ces engins barre les rues.

    A 8 h 20 des autos blindées précédant les chars, se présentent, mais s'arrêtent, inquiètes devant ces mines d'un genre nouveau. Elles n'osent passer ce barrage, et se contentent de tirer sur tout ce qu'elles voient, soldats ou voitures.

    Elles entrent dans quelques cours de fermes, mitraillent et rendent inutilisables les voitures. Leur tir prend les rues d'enfilade; l'adjudant de la Compagnie Radio s'en va faire une reconnaissance, mais il n'a
    vu un char, ou une auto blindée derrière lui qui envoie plusieures rafales, et lui brise la cuisse droite.

    Un char ennemi, en panne au bout du village, est tenu en respect par une vieille mitrailleuse (qui s'enraye souvent), si bien que le conducteur du char ne pouvait descendre pour le réparer.

    A 19 heures arrive un télégramme qui prescrit de tenir coûte que coûte, dans Fouquescourt.
    Mais à 20 heures, le capitaine Lévy revient de la Compagnie télégraphie, en apportant un ordre de repli sur Guerbigny.

    Parmi les soldats les uns se réjouissent; mais les autres voient et font remarquer « que l'on recule ».
    Comment expliquer ce changement subit d'ordre! Le sergent Collin, qui était au bureau de la Compagnie
    Radio, l'expliquerait ainsi: Après le télégramme de 19 heures, les 3 Capitaines (de la 204 R, 204 T, et Compagnie hippomobile) se seraient réunis, auraient délibéré sur la situation difficile. Car, dit
    un autre témoin, une estafette de la Compagnie Radio aurait averti, dans la soirée, du retour des chars ennemis qui, dans la journée, s'étaient approchés de Fouquescourt et l'avaient attaqué.
    Les Commandants de Compagnies se seraient jugés menacés d'encerclement, repérés par l'avion d'observation allemand (qui, de fait, était descendu très bas sur le village) et sur le point d'être attaqués sans pouvoir se défendre efficacement.

    Ils auraient donc exposé, par téléphone, la situation à la Division. D'où ce télégramme de 20 heures qui modifiait l'ordre antérieur et assignait un autre lieu de cantonnement.

    Un départ, sans ordre de la Division, aurait, dit toujours Collin, rompu la liaison avec celle-ci, et jamais le capitaine Lévy ne s'y serait résolu.

    Les 3 Capitaines firent donc partir leurs Compagnies. Les voitures quittèrent Fouquescourt, une par une, pour se former en convoi à 3 kilomètres au Sud, et de là filer sur Guerbigny.

    L'E. R. 26 ter, qui se trouvait avec le G. R. D. 21 marcha très bien, et se replia toujours avec cette unité.

    Les postes détachés dans les divers P. C. de la 19° D. I. s'éteignirent l'un après l'autre dans les journées du 5 juin et du 6 juin.

    Le sergent Collin note : « C'était triste d'appeler ainsi un poste qui ne répondait plus. Anxieusement on s'interrogeait: Un tel répond-il encore! »

    Le 6 juin, la Compagnie Radio demeura à Guerbigny . . . 


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  • Méharicourt est situé entre Lihons et Rouvroy, à 3 kilomètres au sud de Lihons, sur la route qui va de Ham à Rosières, en passant par Nesles, Puzeaux, Hallu.

    On n'y avait pas installé de point d'appui. Seuls l'occupaient la C. H. R. du 117° , les services du 210° R. A. L. D. (de la 19 D. I) et peut-être ceux du 304° Régiment d'artillerie portée venu en renfort de notre Division.

    Dès le matin du 5 juin, le lieutenant Menigoz, qui commandait une centaine d'hommes de la C. H.R. du 117° (le reste avait été réparti dans les bataillons comme spécialistes, brancardiers, etc ... ) cesse d'être en liaison avec le P. C. R. I, déjà encerclé.

    Vers 6 heures et 9 heures, les avions allemands bombardent Méharicourt.

    Vers 10 heures, on voit des chars ennemis évoluer sur le terrain d'aviation laissé par les Anglais, entre Lihons et Méharicourt; deux de ces chars se présentent à 200 mètres, sans entrer. AuI dire de Guilloineau (sergent de la C. H R. du 117° ) , des artilleurs faits prisonniers furent embarqués dans les chars.

    Dans la matinée encore, les engins blindés arrêtent et capturent un détachement de permissionnaires de notre G. R. D. 21, qui rejoignaient leur unité, à moins d'un kilomètre de Méharicourt.

    Vers 17 heures, les champs autour du village se remplissent de fuyards de l'artillerie; ils s'en vont vers l'arrière disant qu'ils n'ont plus de pièces et que les chars les ont écrasées, en passant, littéralement par-dessus.

    Le lieutenant Menigoz s'inquiétait de la situation; d'accord avec le lieutenant Bécan, du 210° R. A. L. D. qui commandait le G. R. (convoi de Ravitaillement) d'un groupe de ce Régiment, il envoie dans l'après-midi un officier du 210° R. A. L. D. à la D. I pour rendre compte et provoquer des ordres. Il lui est prescrit de résister sur place. On achève donc de préparer la défense du village, et quelques mines dont on disposait sont mises en place.

    De temps en temps, les occupants de Méharicourt sont bombardés et mitraillés. La riposte n'était possible qu'avec de faibles moyens; les fusils, 2 F. M. qui se trouvaient à la C. H. R, par mégarde; les F. M. 15 des artilleurs et 1 mitrailleuse Saint-Étienne.

    Un avion, après avoir survolé Méharicourt, prend feu et s'abat du côté de Vrély.

    Vers 21 heures, le Lieutenant du 210° reçoit un ordre de repli et évacue le village.

    La Division, informée, prescrit aux fantassins de suivre les artilleurs, et après une courte halte à Rouvroy, tous arrivent à Guerbigny; leur nombre s'était accru dans là soirée du 5 juin, et au cours de la nuit, des rescapés du 117° R. I ; cuisiniers, employés divers.

    Des artilleurs affirment avoir vu le matin du 6 juin, quatre chars allemands sauter sur les mines de Méharicourt.

    On voit par ces faits que les engins blindés étaient maîtres de la région autour de Méharicourt. Déjà, en effet, dans la soirée du 5 juin, ils avaient occupé Hallu et Chilly, au sud de Chaulnes, et dès le matin menacé Fouquescourt plus bas encore; ces engins étaient passés, très tôt, entre les points
    d'appui, de telle sorte que les arrières de la division furent envahis de fort bonne heure . . .


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  • Les Compagnies du 3° Bataillon (capitaine de Franclieu) étaient dans les bois, autour de Misery; le P. C. occupait le village.

    Pendant cette journée du 5 juin, les Compagnies doivent quitter le bois pour se concentrer dans le village et le défendre, maison par maison.

    Quand s'achève la journée du 5 juin , le 22° Étranger conserve presque toutes ses positions, hormis la première ligne des boqueteaux au nord de Fresnes et Misery. Il continue de couvrir à I'ouest la 29° Division. Mais il est pratiquement encerclé, car les engins blindés ennemis ont submergé le 117° presque tout entier, envahi les arrières de la 19° Division, qui tiennent cependant, pénétré dans le secteur de
    la 29° Division au sud, puisque dès le matin du 5 le P. C. du 112° R.I., à Pertain, est déjà investi. Les 2 Panzerdivisions sont descendues jusqu'à Chaulnes et Méharicourt, dont elles ne peuvent s'emparer; mais qu'elles débordent, Chilly et Hallu, et plus loin Fouquescourt.

    On voit donc que M. Henry Bidou a écrit trop tôt, et sur des documents incomplets, son livre : « La Bataille de France, (Genève, éd. du Monde, 1941.) Il est souhaitable que dans une réédition ou des travaux postérieurs, il indique plus exactement les positions respectives des 19° et 29° Divisions.

    Car il ne paraît pas vrai que « le gros de l'attaque avec chars, aviation, infanterie portée, artillerie, était devant la gauche française sur le front du 112°, (Henry Bidou, page 166) Mon récit très précis le démontre suffisamment.

    D'ailleurs la gauche française, dans la bataille du 5 juin, était à proximité d'Amiens, et la zone occupée par la 29° Division était moins favorable à l'évolution des chars, sur le front Nord; le front Est était couvert par la Somme et le canal latéral (1). Presque tout l'effort des divisions cuirassées ennemies a porté sur le 117° d'Infanterie.

    Il reste que, le soir du 5 juin, la situation est très grave; il n'y a pas de secours à attendre, parce qu'il n'y a pas de réserves derrière nous, et que la 29° Division est déjà tournée dans son secteur d'Omiécourt, Pertain - Licourt, où elle tiendra encore pendant une quinzaine d'heures.

    Nous achèverons de nous rendre compte de l'ampleur de la force, de la violence de I'attaque allemande, en notant les événements qui remplissent la journée du 5 juin pour les éléments cantonnés à Méharicourt et Fouquescourt.


    (1) Il importe de faire remarquer que la limite entre la 19° D. I. et la 29° D.I.
    (général Cérodtas) était constituée par la voie ferrée de Chaulnes à Péronne qui coupe obliquement la plaine du Santerre. Toutefois, pour des raisons de communication avec l'avant, la 19° avait conservé Marchelepot (P. C. du 22° R. V. E.) et la partie ouest de Misery (P. C. du III/22°). Il en résulte que vers le nord la 29° D.I tenait un front étroit, et qu'avant de l'atteindre, les divisions allemandes à l'ouest,
    et particulièrement au nord, devaient se heurter à la 19° Division.


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    La Défense de fresnes - Mézancourt

    Fresnes est sans doute le plus pittoresque des villages où nous avons livré bataille, et l'un des plus charmants de cette zone. L'église domine, à l'ouest, la dépression profonde de 10 mètres, formée par les carrières. Elle était la plus jolie de toutes celles qui, dans les années d'après-guerre, ont été construites dans la Somme. Faite de belle pierre (ce qui est exceptionnel dans la région), elle comportait une seule
    nef, de style roman, terminée par un beau sanctuaire en cul-de-four. La flèche s'élevait à gauche de la façade; à droite, séparée du porche, on remarque une élégante lanterne des morts. Cette église est presque entièrement détruite; le mur du côté nord est écroulé; la voûte est tombée. La flèche, percée par les obus; monte encore, comme une pointe de dentelle, au-dessus de la vaIlée. Les oiseaux, les
    pigeons, comme dans toutes les églises de notre secteur, ont pris possession des ruines. Quand on y pénètre, on entend un bruissement d'ailes qui fuient.

    A droite,en direction de Villers-Carbonnel, et au sud en direction de Marchelepot, c'est la plaine.
    A gauche, vers l'ouest, le terrain monte en pente douce vers Berny. Deux chemins, bien encaissés, par endroits bordés d'arbres et de buissons, descendent de ce village et fournissent un cheminement qui permet une approche dissimulée et facile.

    Des boqueteaux parsèment la plaine, autour de Fresnes. Il faut citer notamment, au nord et à l'est du cimetière, à 400 mètres des dernières demeures, le bois du Crapaud et le bois des Cliquets.

    En direction de la route d'Amiens, distante d'un kilomètre, la batterie du lieutenant Durosoy, du 10° R. A. D.
    avait un bon champ de tir. Quand je visitai Fresnes, au début de juillet 41, il y avait relativement peu de destructions, en dehors de l'église et de la ferme du château. Les maisons alentour portaient surtout
    la marque des balles et des obus.

    Tel est le cadre dans lequel se déroule l'action des 1° et 2° Bataillons du 22° Étranger.

    A 4 heures du matin, un tir violent de l'artillerie allemande pilonne toutes ses positions, particulièrement les
    boqueteaux et les maisons. Le poste de secours est bombardé sans arrêt; c'était aussi le P. C. du Bataillon; sur la maison où se tient le P. Le Pape et ses alentours tombe une vingtaine d'obus. Ce tir intense dure jusqu'à 11 heures; il continue ensuite, mais avec des pauses, jusqu'à 17 heures, pour reprendre avec plus d'intensité jusqu'à 19 heures.

    Notre artillerie réagit pendant quelque temps sur les pièces allemandes; mais plusieurs batteries sont réduites au silence, peu d'heures après, par les chars.

    A 5 heures, il y a deux blessés graves à la 2° section de la batterie Durosoy; le lieutenant Artigaux et le servant Bedfert. Cette section était en position dans une ferme, au nord-est à la lisière de Fresnes. Déjà une vingtaine de chevaux étaient tués ou blessés. Le soir, il n'en restera plus.

    Dans le bas-fond de Berny, la section de la C. A. 1 voit ses 4 mitrailleuses démolies; néanmoins, le lieutenant Janel, avec sa première Compagnie, y tiendra toute la journée et ne se repliera que le soir, à 22 heures, ramenant 20 hommes.

    Un peu au nord de Fresnes, à 400 ou 500 mètres, dans le bois du Crapaud, Un groupe demeure ferme; il est composé d'une petite section de fantassins et d'une section de mitrailleuses.

    Sur tout le front du 22°, l'infanterie ennemie se porte à l'attaque. Par Berny, elle s'infiltre sur les arrières de la 1° Compagnie, qui résiste, mais perd beaucoup de monde.

    Les Allemands font malheureusement des prisonniers, puisque dans l'après-midi, à 16 h 30, le médecin lieutenant Villey en verra passer une colonne, avec deux officiers, dans Berny. Ceux-là peut-être auxquels fait allusion le capitaine de chars Freiherr Von Jungenfeld, quand il note dans son livre: « Ainsi combattaient les chars » qu'entre 12 heures et 16 h 30 sa Compagnie capture 120 prisonniers
    d'un Régiment Etranger.

    Vers 7 heures, la fusillade est vive à Fresnes; nos F. M. et nos mitrailleuses répondent aux armes automatiques de l'ennemi.

    Vers 8 heures, le capitaine Lenhard, blessé, est apporté au poste de secours. Les brancardiers partis pour ramener le lieutenant Jacquet du bois du Crapaud reviennent et annoncent qu'il est mort.
    Un obus tombe sur l'église, dont le clocher est déjà criblé par les projectiles. Le lieutenant Parent, du 10° R. A. D., observateur du 1er groupe, y est très grièvement blessé. Les hommes qui le conduisent au poste de secours essuient les coups de feu d'un char allemand caché derrière un buisson; l'artilleur Hervé est blessé au bras.

    Vers 9 heures, les secrétaires et agents de transmission sont armés et envoyés sur une position, en avant du point d'appui. Les lignes téléphoniques ont été coupées dès le début de l'action; on ne peut les remettre en état.
    Le commandant Volhokoff et son adjoint, le capitaine Guey, sortis pour aller encourager les combattants,
    doivent revenir, car à tout instant les agents de liaison viennent demander des ordres pour les chefs de section.

    Dans le village même de Fresnes, le 1° Bataillon n'a plus qu'une mitrailleuse; une bombe d'avion l'écrase. Un char d'assaut arrive jusqu'au P. C. du Bataillon; il s'éloigne d'ailleurs tout de suite.

    Autour du bois du Crapaud, après un pilonnage par l'artillerie, l'ennemi avance, gagne un peu de terrain. La section de mitrailleuses est anéantie; sur les 4 pièces, il n'en subsiste plus qu'une seule. On l'installe dans un solide abri allemand de l'autre guerre, qu'un séminariste-soldat prévoyant avait renforcé de rondins. Vers 10 heures, il n'y a plus dans le bois que 10 ou 12 hommes avec les lieutenants Cléry et AndraI. Ceux-ci mettent en place les hommes munis de grenades, en leur donnant l'ordre formel de ne
    les lancer qu'au moment où l'ennemi sera à une quinzaine de mètres, car il ne faut user qu'avec grande parcimonie des munitions. Les officiers utilisent la mitrailleuse, l'un comme tireur, l'autre comme servant.

    Les Allemands progressent, et, croyant toute résistance annihilée, s'approchent en riant. Mais ils sont accueillis par les grenades des voltigeurs, et les balles de la mitrailleuse. Ils se retirent, laissant
    de nombreux morts sur le terrain. Pour réduire le petit groupe du 22°, les 105 arrosent le bois. Le lieutenant Cléry est tué; des soldats sont blessés; la mitrailleuse est détruite. Le lieutenant Andral, avec 2 ou 3 survivants, revient dans le village, pour coopérer à la défense et empêcher l'ennemi de pousser sur le 2° Bataillon, dans Mazancourt, en arrière du 1°.

    Les blessés affluent au poste de secours du 1° Bataillon, et les brancardiers, malgré la violence du bombardement, accomplissent sans se lasser leur mission. Deux lieutenants blessés arrivent.

    Le premier étage de la maison, dans les caves de laquelle est établi le poste de secours, est atteint par un obus incendiaire.

    Un commencement d'incendie se déclare; lés brancardiers parviennent à le maîtriser.
    Un second poste de secours avait été installé dans les caves de l'école, à 300 mètres environ sur la gauche du point d'appui. Le médecin-auxiliaire Blanc, qui en a la charge, signale la situation critique. de son poste. Le tir de l'artillerie, concentré à ce moment sur l'église toute proche, avait démoli une partie de l'école. Le médecin-lieutenant Ameur donne l'ordre à Blanc d'évacuer les blessés sur le poste principal,
    et de se joindre à lui, après avoir averti les sections du changement.

    Les agents de liaison ne font que courir du P. C. vers l'avant. Des chenillettes transportent des munitions aux carrières, en dépit des fréquents bombardements par avions. L'un des conducteurs est blessé.

    Vers 12 heures, toutes les munitions en réserve dans les camions sont distribuées; la fusillade diminue d'intensité; mais il y a toujours de violents tirs d'artillerie et de minenwerfer.

    L'ennemi se sert surtout de fusants, plus que de percutants. Les arbres des boqueteaux sont criblés de leurs éclats. Presque tous les chevaux sont maintenant tués. Vers 14 heures, de nouveau l'infanterie allemande avance dans les blés et la luzerne haute, de sorte qu'il n'est pas facile de suivre sa progression.

    A 15 heures, la 1° section de 75 du lieutenant Durosoy entre en scène avec efficacité. Placé à Fresnes avec une mission antichars, cet officier va faire pendant deux jours un magnifique travail. Il a si bien disposé les deux pièces de la 1° section derrière le mur du verger, au nord-est du château, face à la plaine et aux boqueteaux, que les Allemands ne purent les repérer qu'à la fin pour les bombarder
    avec un minenwerfer.

    Durosoy a noté les faits d'une manière très précise.
    Du haut du mur où il se tient en observation, il voit à 15 heures l'ennemi s'infiltrer dans le bois du Crapaud.
    C'est le moment où, le lieutenant Cléry ayant été tué et la dernière mitrailleuse ayant été écrasée, le lieutenant Andral ramène les survivants. Les nôtres n'étant plus dans Je bois, les canons de 75 peuvent le prendre comme objectif, d'un tir de plein fouet. Durosoy fait demander au chef de bataillon Volhokoff s'il doit agir. On lui donne toute liberté. Il charge ses pièces d'obus à balles; une dizaine d'Allemands
    se lèvent et se replient sur le chemin creux qui conduit à Horgny. Jusqu'alors l'ennemi ne s'était guère montré.

    J'ai dit. Pourquoi. Durosoy avec ses obus poursuit les Allemands jusqu'à la ferme d'Horgny (2000 mètres) et balaie tout le ravin qui servait de cheminement.

    Entre temps, l'ennemi essaie de pousser en avant un petit engin blindé, et une pièce de 105 hippomobile, par le chemin de terre qui relie Fresnes à la route d'Amiens.

    Durosoy ne tire qu'un seul obus; l'attelage s'effondre; les chevaux sont décapités; le canon est renversé, une roue brisée; 4 morts sont étendus à côté de la pièce. En passant le lendemain avec le P. Le Pape, Durosoy peut voir les résultats de son tir. Si le 105 avait pu se mettre en position, c'en eût été fait de toute résistance. Fresnes eût été intenable.

    Vers 16 heures, Durosoy signale une progression de l'ennemi. Un fort groupe, se dissimulant dans les luzernes, avance à 1500 mètres. Les canons ouvrent le feu; les mitrailleuses entrent en action; les Allemands refluent vers la grande route.

    Dès qu'il aperçoit un groupe, Durosoy tire; mais toujours un seul obus, car malheureusement les munitions sont comptées. Ses hommes sont admirables et pleins d'ardeur.

    A ce moment à la 2° section (qui ne dispose plus que d'une pièce), deux artilleurs sont tués: le maréchal des logis Ogier et le canonnier Fontenand. Plusieurs autres sont blessés.

    Des brancardiers du groupe de Santé divisionnaire sont grièvement atteints, en allant relever des camarades.

    Les mitrailleuses en position devant le point d'appui continuent d'envoyer leurs rafales.

    Maintenant l'ennemi n'insiste plus.

    Le lieutenant Durosoy va prendre liaison avec le commandant Volhokoff (1° Bataillon) et le commandant Carré (2°). Ils n'ont plus de communication avec personne; on manque de munitions, de vivres et d'eau.

    Durosoy envoie le cycliste Leroux à Marchelepot pour essayer de rétablir une liaison. Celui-ci poursuivi par un sidecar allemand doit revenir sans avoir pu remplir sa mission.

    Vers 18 heures, on ramasse les munitions des morts et des blessés; on garnit des bandes de mitrailleuses; mais on manque de chargeurs pour les F. M. et de cartouches pour les fusils.

    A la tombée de la nuit, un avion français survole le terrain au sud-ouest de Fresnes; il est accueilli par des balles traceuses d'une cinquantaine de chars répartis sur 3 ou 4 kilomètres. Tout le monde peut comprendre que le 22° est encerclé.

    A 22 heures, le lieutenant Janel, qui a tenu pendant toute la journée sur la hauteur, en avant des carrières, se replie avec ses 20 hommes de la 1° Compagnie, et 1 F. M.; 4 fantassins sont tués au bas de Fresnes, et 4 autres blessés.

    Avant la tombée de la nuit, le P. Le Pape avait vu passer, au sud de Marchelepot, le long de la voie ferrée (entre ce village et Chaulnes) une colonne de prisonniers. Ce renseignement est confirmé par le capitaine Freiherr Von Jugenfeld (So Kampften Panzer!)
    (19 heures... Aux environs d'Omiécourt, 1000 hommes se sont rendus sans opposer grande résistance; aux environs d'Ablaincourt 1200 en ont fait autant.)


    Les prisonniers d'Omiécourt appartenaient évidemment à la 29° Division; les fantassins d'Ablaincourt à la 19°. . .

     


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  • Le 22° Régiment de Volontaires étrangers était passé, le 2 juin, sous le commandement du chef de bataillon Hermann, venu du 41° R.I.

    Assumer cette fonction en pleine bataille n'était pas une tâche facile. Hermann la remplit à merveille.

    Le 22 ème Etranger

    Le 22° R. V. E. était installé défensivement au sud de la route d'Amiens à Saint-Quentin.
    Le 1° Bataillon (commandant Volhokoff) occupait le bas-fond, à droite de Berny; sa ligne se prolongeait au sud des fermes d'Horgny et dans les boqueteaux au sud de Villers-Carbonnel. Le Chef de Bataillon, avec sa seetion de Commandement, et une partie de la Compagnie de mitrailleuses défendait la partie nord de Fresnes, autour du château.

    Nous savons que, malheureusement, Villers-Carbonnel, pris le 24 mai par le 41° RI, n'avait pas été conservé, et que la tentative du 26 mai pour s'emparer de ce village et des fermes d'Horgny, avait été infructueuse.

    Le 2° Bataillon (commandant Carré) était dans la partie sud de Fresnes-Mazancourt.
    Le 3° Bataillon (capitaine de FrancIieu), dans Misery et autour de cette localité.
    Le P. C. du Chef de Corps et les Compagnies régimentaires, à Marchelepot.

    Dans le point d'appui de Marchelepot se trouvait également la Compagnie de Pontonniers 312/2, commandée par le capitaine Penot. Unité de Réserves générales du Génie, cette Compagnie avait été mise à la disposition du 22° R. V. E. le 31 mai 1940 pour organiser la défense antichars.

    Après avoir mis en place 1100 mines environ devant la ligne de surveillance de l'infanterie, elle concourut avec des moyens réduits (1 F. M., 2 mitrailleuses Saint-Étienne, et ses mousquetons) à la défense du village; elle aura 3 tués et 6 ou 7 blessés.

    Par sa gauche, le 22° Étranger était en liaison avec le 117° de.Berny; par sa droite, avec le 112° R. I. de la 29° Division.

    Un bataillon du 112° était à Misery, avec le bataillon du Régiment Étranger.

    Le matin du 5 juin, de très bonne-heure, le 22° est violemment bombardé sur toutes ses positions. Comme le 41°, il a surtout à compter, en cette première journée, avec l'infanterie ennemie.

    Quelques chars cependant se présenteront à l'ouest; un grand nombre par le sud, pour attaquer spécialement Chaulnes, Pertain et Omiécourt; ils tourneront le 22° Etranger, et couperont ainsi toutes ses communications avec l'arrière, celles des bataillons avec le P. C. R. I . . . 


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  • Pressoir et Ablaincourt sont deux petits villages très proches l'un de l'autre, à mi-chemin entre Chaulnes et
    Berny (ou Vermandovillers).

    Toute la défense était, en ce qui concerne l'infanterie; concentrée dans Pressoir, et constituée par le P. C. du lieutenant-colonel Cordonnier, commandant le 117° R. I, les services et la G. D. T. (Compagnie de Commandement) de ce Régiment. II n'y avait dans Ablaincourt que les cuisines roulantes du 3° Bataillon et de la C. D. T., 27 hommes de la 6° Compagnie, 1 section de 25 de la C. D. A. C., 2 canons de 47 antichars, sous les ordres du lieutenant Lebrun de la C. R. E. Autour d'Ablaincourt, étaient en position
    deux batteries du 26 Groupe du 10° R. A. D. (48 et 58 Batteries).

    De bonne heure, les batteries voient arriver les chars ennemis. De Vermandovillers, nous assistons au bombardement par l'artillerie allemande, et nous voyons des incendies dans ces deux villages.

    A la fin de juin 1940, on voyait encore 3 chars hors d'usage. Nos camarades se défendent par conséquent. Peut-être y eût-il encore d'autres chars détruits.

    De Vermandovillers, toujours, nos observateurs comptent, dans l'après-midi, 250 véhicules automobiles allant en direction du sud et passant près d'Ablaincourt. II est évident que déjà Pressoir-Ablaincourt sont enveloppés par les engins blindés et l'infanterie de l'ennemi.

    Dans la matinée, les batteries au nord et autour de Pressoir sont annihilées par les chars.

    Les notes du P. Le Maux, qui était à Pressoir, nous permettent de suivre le déroulement des événements :

    Dans l'après-midi du 5 juin, vers 16 heures, les engins blindés font leur apparition dans les champs, au nord-est et au sud-est de Pressoir. Sur la crête, entre Chaulnes et le point d'appui, des obus français éclatent près des chars, paraissant venir d'au delà de Chaulnes.

    Les batteries françaises, autour-de Pressoir, sont muettes; elles ont été mises hors d'usage par les obus et par les bombes des avions. La plupart des chevaux sont blessés.

    Il ne reste qu'un canon de 75, appartenant à une batterie, en position près du cimetière; mais elle n'a plus de munitions.

    Ses servants, harassés, se sont repliés sur le P. C. du Colonel. Le lieutenant Vallée, du 10° R. A. D., montre un magnifique courage. Il est épuisé, comme tout le monde, par suite des nuits sans sommeil et d'un ravitaillement fort irrégulier.

    A l'annonce que les chars se déplacent au nord-est vers le village, il rassemble quelques servants et, par un petit chemin exposé au feu des mitrailleuses ennemies, retourne chercher l'unique canon qui subsiste. Les hommes remplacent les chevaux qui font défaut, tirent et poussent leur pièce, tandis que d'autres ramènent un caisson d'une autre batterie, encore rempli d'obus. Vallée met son canon en position près de la barricade.

    Debout; pendant que ses hommes sont tapis derrière le blindage ou la barricade, il examine à la jumelle les chars d'assaut, donne la distance. Un obus part; il est trop court, Vallée rectifie son tir; un char est atteint et flambe. D'autres tirent à la mitrailleuse. Les mitraillettes font rage, sans qu'on puisse en déceler
    les tireurs. Les balles claquent contre les murs, les ferrailles de la barricade, ou le blindage du 75. En rampant, les servants viennent s'abriter dans la cour de la ferme. Le lieutenant Vallée, toujours près de sa pièce, est frappé au côté par une balle, heureusement détournée par la musette.

    Bientôt le tir allemand cesse; le calme dure quelques minutes. Vallée les met à profit pour se porter, avec son canon et ses servants, de l'autre côté de Pressoir, d'où l'on aperçoit une colonne de chars se dirigeant de Chaulnes sur Pressoir. Un char paraît avoir été touché; la colonne s'est immobilisée.

    Vallée revient, installe sa pièce sur sa première position, et prend à partie les premiers chars demeurés près de celui qui avait été démoli, et dont on voyait les équipages s'affairer près de leurs camarades. Mais à peine le canon a t-il tiré que la position, non protégée, devient intenable sous le feu incessant de l'ennemi. Les artilleurs doivent alors abandonner la place, et chercher un refuge dans la cour, avec leur Lieutenant; qui consent alors à prendre un peu de nourriture et de repos.

    Dans l'après-midi, on essaie d'envoyer des munitions au 2° Bataillon du 117°, à Berny, qui en a réclamé par radio. Deux chenillettes sont chargées; mais elles tentent en vain à plusieurs reprises de passer à travers les chars.

    Le commandant Brébant demande qu'au moins on essaie de le ravitailler en munitions par avion. Son message est transmis à la Division. Quelques heures après un avion français se montre au-dessus de Pressoir; peut-être était-ce l'avion désiré!

    Il fut pourtant l'objet d'un tir général, aussi bien français qu'allemand; parce que l'on n'apercevait jamais que des appareils ennemis, nos hommes avaient pris l'habitude de tirer sur tout avion qui se présentait. Celui-ci, devant l'accueil, dut faire demi-tour et être abattu, car on ne le revit plus.

    Le P. Le Maux dit que la veille (4 juin) une escadrille française ou anglaise était passée au-dessus de Pressoir, volant en direction du Nord. Le fait est si rare qu'il vaut la peine d'être noté.
    La nuit vient; un calme profond règne maintenant, tout chargé d'angoisse; quelques rares coups de feu se font seulement entendre. A ce moment on apprend qu'un homme vient d'être mortellement frappé à son créneau; un autre est blessé au ventre; d'autres blessés attendent au poste de secours. Le médecin-commandant Feldmann, les infirmiers, l'abbé Martin et le séminariste Hernandez se prodiguent.

    Le P. Le Maux assiste les agonisants. On doit signaler le dévouement courageux du corps médical et des brancardiers.

    L'officier de renseignements, le lieutenant Augereau, fait preuve d'une grande activité; on le voit partout, insouciant du danger, Son moral très élevé agit fortement sur les hommes.

    Le lieutenant-colonel Cordonnier donne également, en ces jours difficiles, la mesure de son courage, de sa valeur militaire, de sa bonté et de sa fermeté. Il avait fait creuser des tranchées, établir des abris, mais
    il était le dernier à s'y retirer. 

    Le soir du 5 juin, tous les hommes, même les secrétaires, occupaient un poste de combat. Le lieutenant-colonel, d'une manière ferme et précise, indiquait l'endroit à défendre, sans laisser paraître aucun trouble.

    En cette nuit du 5 juin au 6 juin , le P. C. du 117° n'a plus aucune communication, ni par fil, ni par radio; rien ne fonctionnait plus.

    En prévision des graves événements qui s'annoncent, on brûle tout ce qui ne doit pas tomber entre les mains de l'ennemi; le journal de marche du Régiment n'est pas épargné.

    Les heures de la nuit s'écoulent, tranquilles, pleines de menace pourtant, car les chars d'assaut sont embossés . . . 


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  • Le commandant Brébant ne se tenait pas pour définitivement battu. Accompagné de son État-Major et de sa section de commandement, il cherche une ligne de retraite avec l'espoir de se rattacher à un point d'appui solidement organisé. Poursuivi par les Allemands, Brébant s'oriente vers le sud-est.

    A 400 mètres à gauche sur la route d'Ablaincourt-Chaulnes, on remarque un chemin de terre; il s'encaisse
    rapidement à mesure qu'on avance, et conduit à un bois, petit mais épais, situé au sud de Fresnes, en face de la route qui conduit à Marchelepot. A cet endroit, le chemin forme une tranchée naturelle de 3 mètres de profondeur, et pourtant le bois domine encore le carrefour. Quand je le visitai en juin 1941, il y avait encore quelques équipements militaires.

    Quittant la ferme Namont, la petite troupe du commandant Brébant traversa la route d'Ablaincourt et s'arrêta d'abord dans le boqueteau, au sud-est de Berny, à gauche de cette route sur laquelle circulaient des motocyclistes allemands. Les hommes du 117° tirèrent sur eux.

    Le groupe traversa ensuite obliquement la plaine pour s'engager dans le chemin de terre dont j'ai parlé, et qui conduit à Marchelepot, par le sud de Fresnes. A ce moment l'équipe du lieutenant Bernardin se trouva séparée du Chef de Bataillon.

    Le sergent Chartrain, partit en éclaireur, le rejoignit près d'un tout petit bois, à proximité du chemin encaissé. Tandis que le lieutenant Bernardin continuait d'avancer, le commandant Brébant s'arrêta un instant et établit un plan de feu. L'ennemi le harcelait et l'arrosait d'obus de mortier.

    Le tir de nos hommes faisait des pertes chez l'ennemi, mais ils en subissaient aussi. C'est alors que fut blessé le sergent-chef Lamotte qui eut le pied traversé par un éclat; néanmoins il ne laissa pas d'aller jusqu'au bout avec son Chef de bataillon. Le capitaine de Nadaillac, atteint grièvement, dut être transporté sur un brancard improvisé de branchage. Un soldat, dont le nom m'est inconnu, eut le bras arraché, et marcha seul jusqu'au moment où, ses forces le trahissant, il dut accepter le soutien d'un camarade.

    Bientôt, le groupe Brébant abandonna ce boqueteau. Avec le plus grand calme, et faisant preuve du courage magnifique que tous lui connaissait, le Chef de Bataillon entraînait ses hommes. Vers 18 heures, en suivant le chemin creux, et après avoir en cours de route, repoussé les attaques de petits groupes allemands constitués sans doute par les équipages des chars répandus sur la plaine, il arriva dans le
    bois, au sud de Fresnes, qui surplombe la route. La fusillade crépitait de tous les côtés. On ne savait d'où elle venait.

    Les Allemands qui attaquaient Fresnes-Mazancourt, distant seulement de 400 mètres, étaient par là. Les obus de l'artillerie allemande tombaient sur la gauche de la colonne. Des hommes du 117°, blessés pendant ce repli, ne se relevèrent pas.

    Le Chef de Bataillon arrêta là son monde, l'installa dans le bois, envoya en reconnaissance un officier et un sous-officier. Des chars ennemis circulaient aux alentours. Brébant s'orientait, cherchant de quel côté repartir. Le feu de l'ennemi n'avait pas cessé tout à fait; on entendait encore le sifflement des balles.

    Une heure après, vers 19 heures, le groupe se remit en marche, pour gagner ensuite un autre bois, au nord -de Marchélepot, où il retrouva une section de canons de 47 du 94° R. A., et des éléments du 22° Étranger, qu'avaient rejoints le lieutenant Bernardin et son équipe. Il avait fallu encore essuyer quelques balles. Nos hommes, qui n'avaient rien mangé ni bu depuis longtemps, reçurent de leurs camarades
    du Régiment Étranger, ce dont ils avaient un besoin urgent.

    A la nuit tombante les blessés furent évacués, parmi eux le sergent Chartrain, atteint plusieurs heures avant dans le chemin creux; ils furent dirigés sur Senlis.

    Le commandant Brébant, et son groupe, résistèrent encore pendant toute la nuit du 5 juin, et la journée du 6 juin, jusqu'à 18 h 30. Bréhant fut capturé le dernier, après une lutte désespérée. Le P. Le Pape, qui vécut en captivité avec lui, l'a entendu raconter le fait suivant: les Allemands auraient contraint un officier russe du 22° Étranger, prisonnier, à lui porter des offres de reddition :  On m'oblige, lui cria-t-il, à vous demander de vous rendre; mais vous pouvez résister; Ils ont dit que je serai tué; cela ne fait rien . . .


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  • De minuit à 2 heures du matin, le 5 juin, l'aviation ennemie montre déjà une grande activité.

    Vers 3 h 30, un bombardement violent et lointain se fait entendre; il tombe sur Belloy. Déjà quelques obus
    arrivent sur Berny.

    Les fusées vertes montent sur toute la ligne, à l'horizon; elles paraissent venir des lignes allemandes. Nos artilleurs hésitent à répondre; avec raison, car, si chez nous elles appellent le tir d'arrêt, chez l'ennemi elles sont un signal de rassemblement pour les chars.

    La fusillade crépite du côté de Belloy; bientôt de nouvelles fusées sont lancées; cette fois, ce sont les nôtres. Notre artillerie entre en action et tire tant qu'elle peut.

    Le barrage roulant se rapproche de Berny. La poussière est aveuglante; les obus tombent de tous les côtés; les projectiles de gros calibre sont nombreux. Le sol tremble sous les coups; les carreaux se brisent sous la violence des vibrations; des maisons encore intactes sont détruites.

    Jusqu'à 8 heures, le bombardement dure avec la même violence. Un déluge de fer s'abat sur Berny. Pour se défendre contre les éclats, on entasse devant les ouvertures, des lits, des matelas, des tables.

    Les hommes sont aux créneaux, dans les maisons, ou sur leurs emplacements.

    Le jour se lève bientôt. Sur tout le front, les armes automatiques font entendre leur crépitement ininterrompu.

    L'ennemi ne bombarde pas seulement par son artillerie, mais aussi avec son aviation. Un vieux biplan d'observation, qui semble invulnérable aux balles de nos mitrailleuses, ne cesse d'évoluer au-dessus de Berny pour diriger le tir des artilleurs allemands.

    A partir de 6 heures, les canons des chars interviennent, car il y en a partout. Berny est entouré. Dès le petit jour, tous les chemins, qu'ils aillent vers l'avant ou vers l'arrière, sont occupés par les auto-mitrailleuses allemandes; auss les deux chenillettes de ravitaillement, envoyées de Pressoir,
    essaieront-elles par deux fois, mais en vain, d'atteindre Berny, pour y apporter les munitions demandées par le commandant Brébant, au moyen de la radio. Bientôt, il n'y aura plus de transmission avec personne, et les communications avec Belloy sont impossibles.

    Vers 8 h 00 ou 9 h 00, le motocycliste du bataillon envoyé au P. C. du Colonel, se heurte sur la route d'Ablaincourt aux automitrailleuses ennemies. Par chance, il peut revenir.

    Vers 8 heures, des hommes arrivent de Belloy; ils annoncent que des engins blindés attaquent le point d'appui.

    A 8 h 30, le tir des deux artilleries, française et allemande, ralentit. De l'emplacement de ses mitrailleuses, le lieutenant Bodin voit à la jumelle, des éléments du 3° Bataillon rassemblés sur la route d'Amiens. Ils sont prisonniers.

    A 9 heures, on voit défiler à grande allure dans les couloirs d'infiltration Assevillers-Berny, Barleux-Belloy, et sur la route nationale entre Belloy et Berny, des colonnes blindées. Une partie de la colonne, dit le caporal Lermier, se dirige sur Estrées; une autre partie revient avec des prisonniers.

    Un canon de 25 essaie vainement d'atteindre ces chars; ils sont trop loin pour lui: mais plusieurs blindés sont détruits par le 75 antichars, en position à l'ouest du village.

    Des mitrailleurs ennemis descendent des chars, et s'infiltrent dans lés champs de blé; quelques fantassins apparaissent de l'autre côté du petit chemin qui relie Belloy à Berny; le groupe Lermier tire dessus au F. M. et au fusil; ces fantassins disparaissent,· mais les mitrailleurs allemands, qui ont repéré le groupe, le prennent pour cible.

    A la droite de Berny, nos mitrailleuses et nos F. M. donnent à plein débit et sans interruption. 

    Un grand nombre d'avions allemands survolent Berny, mitraillant, bombardant tout à leur aise.

    Le commandant Brébant est installé dans une tranchée avec son adjoint, le capitaine de Nadaillac qui sera blessé en fin de journée, Bernardin et quelques hommes; tous sont armés de fusils. La cour du P. C. n'est plus que trous d'obus.

    II n'y a plus de communication ni avec la Division ni non-plus avec le P. C. du Régiment. On ne saurait, du
    reste, obtenir un tir du groupe d'artillerie, puisque les batteries ont été réduites par les chars entre 9 et 10 heures.

    A 9 h 30, plusieurs blessés de Belloy, soutenus par des camarades, peuvent échapper à l'étreinte allemande. On soigne les blessés, on réarme les autres qui se joignent aux groupes de combat de la 5° et de la 7° Compagnies.

    Jusqu'à 9 heures, il n'y avait à Berny à déplorer qu'un mort et deux blessés. Maintenant ils vont se multiplier.

    La ferme Namont, P. C. du Bataillon, recevait des obus de tout calibre; plusieurs tombèrent sur une aile de la maison; le sergent Pierre, le caporal Bereschet, le soldat Chevrier, sont tués et d'autres encore.

    Le Iieutenant Bodin est projeté au fond d'une cave par un obus qui éclatera côté de lui, au moment où avec un fusil il tirait sur l'avion d'observation allemand, descendu très bas.

    Aucune blessure apparente; son porte-cartes est couvert d'éclats; la commotion l'a rendu sourd et il souffre violemment de la tête. Il reprend néanmoins son commandement et va réorganiser le secteur de sa Compagnie devenu trop vaste pour le petit nombre d'hommes dont il dispose; une seconde blessure vers 2 heures de l'après-midi, un éclat d'obus dans la poitrine, le met définitivement hors de combat.

    Sur le front de la 7° Compagnie, les combattants diminuaient.

    Sur le front de la 5°, il y avait sous le bombardement persistant des situations dramatiques, La maison occupée par le groupe de combat Cocadan s'écroule sous les obus. Le caporal Gautreau, les soldats Douveneau et Journet sont ensevelis sous les décombres avec leur fusil mitrailleur:

    Les deux soldats furent vite dégagés, mais Gautrau était à ce point couvert de pierres et de poutres qu'on pouvait désespérer de l'en sortir; sous les obus, au prix d'un travail acharné, ses camarades Touffiet et Le Coëdic finirent par le tirer de cette tombe. Il était temps, car il allait, faute d'air, étouffer. Immédiatement Gautreau retourne au créneau.

    Des chars apparaissent devant la 5°, se déplaçant autour du petit bois, sur la route d'Amiens. L'un d'eux s'arrête. Le renseignement est transmis au canon de 75, dans le jardin près de la ferme. Le Lieutenant du 10°.R. A. D. tire 3 obus; au premier obus, une gerbe de flammes s'élève du char. A la grande joie de nos hommes, mais le 75 est repéré, et maintenant les obus s'abattent plus drus autour de la pièce et du groupe Cocadan.

    On voit maintenant les chars avancer en colonne dense, entre Berny et Estrées.

    La 6° Compagnie est prise à partie. Cette Compagnie a une section isolée loin dans la plaine, et le reste est un peu trop dans la nature. Les mitrailleuses ,allemandes tirent à bout portant sur les fantassins mal défendus par un armement inférieur en puissance. Le sergent chef Juhen, le soldat Joseph Gautreau (frère du caporal dont je viens de parler) sont tués par une même rafale. Beaucoup d'autres sont tués ou blessés. Le reste est fait prisonnier.

    Par la gauche de Berny, les chars avancent et dépassent le point d'appui. Tout à l'heure, ils vont ,se présenter au contact de la 7°, au nord-est. Nos 75 font tout ce qu'ils peuvent. Ils semblent avoir endommagé plusieurs autres chars mais faute de plates-formes pour le tir antichars, Ils pivotent trop lentement pour que leur tir soit vraiment efficace sur des engins qui se déplacent rapidement. Toujours
    le manque de matériel adéquat se fait sentir. Les obus perforants font bientôt défaut.

    Le capitaine Ortolo, commandant la 6° Batterie du 10° R. A. D. est tué. Les canonniers Joseph Le Corre et
    Marcel Marchand sont frappés mortellement à leur pièce.

    Vers midi de la fumée monte de Belloy.

    Nos camarades du P. C. du 3° Bataillon semblent être prisonniers, écrit le caporal Gautreau.

    A travers champs, par bonds, un soldat. accourt vers Berny. A la jumelle, on reconnaît un Français. Il porte a la main un F. M. ou un fusil. Enfin, malgré les Allemands qui tirent dessus, il réussit à atteindre le village et rend compte, parait-il, que Belloy tient toujours.

    Dans ces conjonctures, il était inévitable que se sachant enveloppés, ne voyant venir à leur aide aucun char, aucun avion français, quelques hommes ne sentissent se développer en eux de l'inquiétude ou du découragement.

    Vers midi, le lieutenant Bodin, de la 7° , pour une défense facile de son secteur nord, modifie les emplacements de combat de ses hommes. Pour exécuter ce mouvement, il fallait traverser la rue battue par le feu d'une mitrailleuse ennemie; personne ne fut touché par elle. Mais un char s'approche du village et ouvre le feu. Deux soldats d'une section voisine, qui s'étaient joints au groupe du caporal Lermier,
    sont grièvement blessés; un troisième est bien touché; le caporal Lermier est lui aussi gravement atteint; le reste de son groupe est capturé. L'équipage du char allemand prend les 4 blessés, les place sur l'engin, et les transporte ainsi 500 mètres plus loin, et les abandonne dans un champ de blé, au sud de Berny. L'un des blessés meurt bientôt; dans la nuit, un deuxième expire pareillement. C'est seulement le 6 juin, vers 7 heures, que Lermier et l'autre survivant furent relevés par les Allemands. On ne saurait expliquer
    le procédé de l'équipage ennemi autrement que par le désir de se protéger contre le tir de nos canons antichars, puisque nos camarades furent abandonnés sans aucun soin sur la plaine. A Berny, on les eût soignés tout de suite.

    Jusqu'à midi, les engins blindés avaient seuls attaqué Berny. A partir de cette heure, l'infanterie entre en scène. Le docteur Villey, qui a vécu dans le point d'appui tous ces tragiques moments, déclare qu'avant midi les fantassins allemands n'étaient pas arrivés en contact. Cette indication est confirmée par le récit, que je rapporterai, à la fin de cette troisième partie, d'un officier d'une Panzerdivision.

    Le caporal Gautreau dit également : A la même heure il semble que l'infanterie allemande monte maintenant à l'attaque. Nous ne voyons pas beaucoup d'ennemis devant nous. Ils doivent profiter des replis de terrain et des champs de luzerne pour s'infiltrer.

    Le Lieutenant du 10° R. A. D. prend son revolver. Il donne l'ordre à ses hommes de retourner à la pièce. Il part le premier; tous le suivent. Le 75 recommence à cracher, mais cette fois des explosifs. Il tire à vue sur l'infanterie allemande qui grouille dans le lointain, du côté de Belloy.

    Pendant ce temps, le sergent-chef Cocadan, monté à son observatoire, fait du tir au lapin sur quelques motocyclistes allemands qui passent sur la route d'Amiens à Saint-Quentin.

    Au F. M. défense de tirer, si ce n'est sur un objectif assez important, pour ne pas dévoiler inutilement l'arme automatique. D'ailleurs, nous ne voyons rien, et nous encaissons tout. Rien de plus démoralisant pour un soldat que de passer une journée entière à « recevoir », sur la défensive, sans pouvoir faire un seul geste de défense.

    Le lieutenant Guillotin envoie au P. C. de la 5° Compagnie le jeune Pierson chercher des ordres. Malgré les obus qui pleuvent presque constamment, il accomplit très bien sa mission: il y a toujours ordre de tenir; des renforts de chars et d'avions doivent arriver et nous dégager !

    On remarquera l'attente générale chez les hommes de la 19° Division d'une contre-attaque. Si elle eût pu se produire, c'eût été probablement, devant Péronne, un grave et sanglant échec pour les Allemands. Le chapitre que je citerai d'un ouvrage allemand permet de le penser.

    Gautreau continue :
    Le Commandant du 2° Bataillon du 117° fait aussi savoir que 40 chars ennemis, environ, ont été détruits.
    Cela nous rend un peu de confiance et de courage.
    Cependant notre 75 nous attire toujours des orages; de gros obus éclatent à proximité. Nous attendons de
    seconde en seconde l'engin qui nous ensevelira.
    Puis l'accalmie se fait. Le Lieutenant du 10° R. A. D. laisse ses hommes à l'abri; il repart seul, continuant à
    liquider ses munitions, jusqu'au dernier obus.

    Telle est la situation, vue de la 5° Compagnie.

    Le docteur Villey note qu'à son poste de secours, dans une ferme, à la sortie sud de Berny, depuis le matin les blessés affluent en très grand nombre; quelques-uns sont venus de Belloy.

    A partir de midi, l'infanterie allemande est autour de Berny; devant, derrière, partout. Les fermes sont la proie des flammes; l'église est dans le plus triste état; il faut combattre dans les incendies.

    Les blessés ne peuvent être évacués, car rien n'arrive ni ne peut partir.

    De midi à 15 heures, on se bat dans le village; mitraillettes et fusils mitrailleurs échangent leurs rafales. Deux fois les hommes du 117° repoussent les fantassins ennemis qui les ont tournés, protégés par les chars. Officiers et soldats refusent de se rendre. Le lieutenant Eynaud, de la C. A. 2, recevra des compliments des officiers allemands pour sa défense opiniâtre.

    Avec ses canons de 25, le lieutenant Cormier ne cesse de tirer sur les chars, jusqu'au dernier obus.
    A 15 h 15, le docteur Villey éprouve des craintes pour ses blessés, car son poste de secours est établi dans la cave d'une grande ferme, et celle-ci est en feu.

    Une fois de plus, il sort, pour se rendre compte; il n'entend plus d'obus français, plus rien.

    Maintenant tout Berny est en flammes; la fumée est si épaisse, si dense, que la visibilité est très mauvaise; on ne voit même plus le clocher.

    La 5° Compagnie se bat encore, dit le docteur; mais il y a déjà de nombreux prisonniers au 2° Bataillon.

    A 15 h 45, le docteur Villey aperçoit, dans la cour de la ferme, une dizaine de soldats allemands; ils sont entrés par le sud de Berny, et ils fouillent le village. Ils se saisissent du médecin. Celui-ci, qui parle allemand, obtient l'évacuation des blessés qui sont encore dans le poste de secours (une trentaine) et pour lesquels il redoute l'incendie.

    Un soldat ennemi lui demande s'il y a encore des combattants dans Berny. Villey refuse de répondre. Cet incident incite à penser qu'il n'y avait plus guère, à ce moment, de résistance dans le point d'appui.

    Avec ses infirmiers et brancardiers, Villey sort ses blessés de la cave, et les conduit dans un chemin creux, vers Belloy, où se tiennent des voitures sanitaires allemandes.

    Revenons à la 5° Compagnie, à la section du lieutenant Guillotin, au nord-ouest de l'église; il suffit de transcrire les notes de l'abbé Gautreau.
    Un peu après midi, je suis au F. M. J'aperçois devant moi sur la route, et venant de la direction de Villers-Carbonnel, une longue colonne de chars; ce sont des renforts allemands.
    Ces chars eux-mêmes nous prennent à partie.
    Je ne sais s'ils ont repéré notre créneau; toujours est-il qu'ils tirent avec de petits canons antichars; les obus font de légers trous et des lézardes dans les murs de notre maison.
    Un de ces projectiles vient frapper juste au-dessus de notre tête. Mon camarade et moi sommes tous couverts d'une fine poussière.
    Le lieutenant Guillotin, à proximité, juge qu'il est inutile de nous exposer plus longtemps, et nous donne
    l'ordre de retourner à la cave.
    Bientôt le calme se rétablit, les tirs ont cessé.
    Le lieutenant Eynaud, qui s'est établi dans un petit bois avec ses mitrailleurs, est finalement obligé de se rendre.

    Le sergent Cocadan part seul aux nouvelles au P. C. de la Compagnie. Une heure passe sans qu'il revienne. On le croit mort.
    Enfin, quelqu'un l'aperçoit dans la rue, sans armes. Sans tourner la tête de notre côté, il nous crie : Cachez vous !!! les Allemands sont là ! Il est prisonnier.
    Bientôt, à travers les carreaux brisés, nous voyons quelques motocyclistes ennemis sillonnant les rues.
    Que va-t-on faire?
    Le lieutenant d'artillerie est décidé à se défendre jusqu'au bout : Allez les gars! chacun à sa fenêtre! Il tire
    son revolver et nous le suivons. Je cherche un emplacement de tir, ainsi que plusieurs camarades.

    Une heure s'écoule; les Allemands passent, mais n'entrent pas.
    Puis une heure encore... Nous imaginons d'attendre la nuit, pour essayer ensuite de nous esquiver.
    Mais voici qu'au travers des fissures du plafond, nous apercevons des lueurs d'incendie. Nous ne pouvons nous résigner à brûler vivants. Il faut sortir.

    Auparavant, nous entassons dans la cave tout ce que nous avons d'armes et de munitions. Des motocyclistes en sidecars sont là, tout interloqués de trouver encore des Français dans le village.

    Partout, nous voyons, à travers champs, les motorisés et. l'infanterie allemande, qui descendent en masse.

    Nous sommes prisonniers. Pour certains camarades, c'est la fin d'un cauchemar.

    Pour moi, je n'ai jamais imaginé pouvoir être prisonnier, les larmes me montent aux yeux. Plusieurs également se cachent des Allemands pour s'essuyer les yeux.

    Sans le savoir, je passe à quelques mètres du cadavre de mon frère.

    Dans Berny en feu, la lutte a pris fin. Les Compagnies ont succombé l'une après l'autre. La grande ferme, en face de l'église, au sud, beaucoup d'autres maisons ont été la proie des flammes ou se sont écroulées; l'église est détruite. On entend s'élever le chant des soldats allemands.

    Dans se cadre dévasté, vers 16 h 30, défilent, devant le docteur Villey, des prisonniers du 22° Étranger.

    Jusqu'à 19 heures environ, dans le chemin qui va de Berny à Belloy, Villey continua de donner ses soins aux blessés français et allemands. L'ennemi lui apporte les combattants frappés dans le combat que le commandant Brébant, entouré de sa section de Commandement, soutient encore. Car la permission ne fut pas accordée au docteur d'aller lui-même les chercher.

    A 19 heures, l'ennemi lui déclara qu'ils avançaient, et le fit conduire en auto à Albert, où il arriva à 19 h 30. Il Y avait là déjà un rassemblement important de prisonniers de la 19° D. I.; déjà les hommes de Belloy étaient parmi eux . . .


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  • La Défense de Berny

    Vers minuit, dans la nuit du 3 au 4 juin, l'arrivée de la 7° Compagnie du 117° acheva le groupement du 3° Bataillon de ce Régiment dans le point d'appui de Berny.

    La journée du 4 juin s'y passa assez tranquillement. Quelques obus vers 9 heures, un court bombardement vers 18 heures.

    Les Compagnies furent ainsi réparties :
    La 6° sensiblement à l'ouest, un peu dans la nature, du côté du cimetière. Une section très isolée occupait le point d'appui de liaison, au croisement des routes Belloy - Deniécourt, Estrées-Berny.
    La 5° sur le front nord de Berny, au-dessus et à gauche de l'église.
    La 7° Compagnie au nord-est et à l'est à la sortie nord, la section Laroche; au nord-ouest, Rouméas avec un groupe de mitrailleuses; la section de commandement et la section Vrignaud avec un autre groupe de mitrailleuses au nord et au nord-est; la section Frèrebeau au sud-est, devant la grande ferme. L'adjudant-chef mitrailleur Deletang était adjoint à la 7°.
    Le P. C. du chef de bataillon Brébant était dans la ferme Namont, à l'angle gauche (nord) du carrefour constitué par la rue transversale de Berny et la grande route de Chaulnes à Péronne.

    Berny, nous l'avons dit, est dans une immense plaine; aucun obstacle au nord, à l'ouest, au sud; à l'est, la région est un peu plus accidentée; par suite, elle était moins favorable aux mouvements des chars.
    Le 3° Bataillon avait beaucoup travaillé; les hommes, avec simplement leurs outils portatifs et quelques pioches trouvées dans le village, avaient creusé des tranchées et des boyaux; la défense avait été spécialement organisée dans les maisons; le 2° Bataillon accepte ce dispositif.

    Le 4 juin, à 16 heures, le Chef de Bataillon réunit les Commandants de Compagnies, et leur communique un compte-rendu d'observation émanant de la Division, qui précise une activité sensiblement accrue de l'aviation ennemie, et une note prescrivant l'emploi de bouteilles d'essence, comme armes antichars.

    Mode d'emploi : entourer le goulot de la bouteille avec de l'ouate, imbiber celle-ci avant usage avec
    l'essence, mettre le feu et projeter le tout sur l'avant du char. . .

     


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  • En arrière d'Estrées, à 1 km, le tout petit village de Deniécourt aligne ses maisons le long de la route de Chaulnes à Dompierre. A certains endroits mal nivelés, autour de l'église neuve, et sur l'emplacement du château détruit pendant la grande guerre, on devine encore le tracé des tranchées ou des positions de batteries allemandes.

    Le P.C. du commandant Pierret, chef du 1° Bataillon du 117°, y est établi; il n'a autour de lui que sa section de Commandement, sa 2° Compagnie, 3 mitrailleuses de la C.A.1, 1 canon de 25, une section de 4 mitrailleuses de 20 mm, 1 canon de 75 et son équipe de la 6° batterie, commandée par l'aspirant de la Motte-Rouge. Le règlement prescrivait que les mitrailleuses de 20 mm étaient mises à la disposition du 1° Bataillon de chaque régiment; en la circonstance, c'était un inconvénient, car la section de mitrailleuses de 20 mm supprimait une section de mitrailleuses ordinaires.

    Deniécourt était également l'observatoire avancé du 3° groupe du 10° R.A.D, appui du 41° RI.

    Le capitaine de Nantois, de la 9° Batterie, s'y était installé le soir du 4 juin.

    Pendant la journée du 5 juin, le rôle du capitaine de Nantois fut important. On l'a vu par le récit que j'ai fait du combat autour du Bois Etoilé. Par des renseignements précis, cet officier dirigea efficacement les tirs du groupe. Son nom reviendra plusieurs fois dans ce paragraphe.

    L'artillerie et l'aviation ennemies s'étaient montrées fort actives les 3 et 4 juin. Le début de la nuit du 4 juin ne fut marqué que par les tirs de harcèlement du 3° groupe du 10° R.A.D et par ceux d'un groupe de 155 du 210° sur Assevillers et les pentes entre Becquencourt et Assevillers. Il n'y eut pas de réaction du côté allemand.

    La défense de Deniécourt

    Le 5 juin, à 2 h. 30, des fusées verdâtres déclenchent les tirs d'arrêt du 3° groupe. Le capitaine de Nantois demande par téléphone de ne pas continuer ces tirs, car les fusées étaient allemandes et partaient des lignes ennemies. Les tirs d'arrêt furent néanmoins achevés et même répétés. L'artillerie agit ensuite par concentration sur certains points fixés par le commandement.

    Je dois tous mes renseignements sur Deniécourt au commandant Pierret et au capitaine de Nantois.

    L'attaque allemande débute par un bombardement très violent d'artillerie, vers 3 heures du matin. La rue était remplie de fumée; les tuiles des toits volaient en éclats; des pierres étaient projetées dans toutes les directions.

    Le capitaine François, commandant de la C. A. 1, et le lieutenant Hélion, officier adjoint, rejoignent le Chef de Bataillon. La mesure fâcheuse qui avait fait renvoyer à l'arrière, malgré leur protestation, avant le 15 mai, les capitaines de réserve âgés de plus de 40 ans, avait malheureusement privé le commandant Pierret de son adjudant major et des capitaines des 2° et 3° Compagnies.

    Vers 3 h 30, les chars ennemis apparaissent, en nombre considérable, de chaque côté de Deniécourt, une centaine environ à l'est et 80 à l'ouest.

    La défense avait été bien organisée: emplacements de tir, observatoires, solides barricades, etc... Mais en raison des instructions reçues, rien n'avait été préparé entre les points d'appui. C'eût été un travail inutile, puisqu'on n'avait personne à y mettre.

    Bien renseignés et guidés par leur aviation, les chars passent donc dans les intervalles, à 1.500 ou 2.000 mètres, hors de portée de nos canons de 25 et même de 47.

    Cependant un certain nombre de gros chars se présentent à la lisière nord de Deniécourt, pour détruire les armes antichars. C'est ainsi que le canon de 75 placé en D. C. B., à environ 30 mètres à l'est de la route de la Bascule à Ablaincourt, ne peut tirer qu'un seul obus, car le canon de 88 d'un gros char de 60 tonnes le coupe en deux de son premier coup, blessant mortellement l'aspirant de la Motte-Rouge (il avait
    la tête ouverte) et tuant plusieurs sous-officiers ou soldats.

    La défense de Deniécourt

    Le canon de 25 est aussi mis hors d'usage. Il n'y avait donc plus à Deniécourt d'armes antichars.

    Le capitaine de Nantois expose ainsi les faits qui marquent le début de l'attaque:

    Tout le monde est mis en alerte, aussi bien aux batteries qu'à l'observatoire par une préparation d'artillerie en 105 et quelques 150, exécutée par l'ennemi sur le village d'Estrées avec une précision remarquable et une rare intensité. Quelques tirs allemands balaient également la région comprise entre Estrées, Deniécourt et Soyécourt. Au petit jour, les fusées verdâtres de la nuit se répètent; elles jalonnent un
    front du carrefour de Bussus au carrefour ouest d'Assevillers. Elles sont donc bien émises par l'ennemi.

    Des engins automobiles, puis des chars, sortent d'Herbécourt et se dirigent vers le Bois Noir.
    A tout hasard, je donne à ma batterie (la 9° au Bois Étoilé) les éléments d'un tir destiné à battre une partie du front jalonné par les fusées verdâtres.
    Les chars s'y rassemblent en effet.
    Bien que soumise à un intense bombardement par avions (12 appareils survolent, par groupe de trois, le Bois Étoilé, 2 de chaque groupe mitraillant, et le troisième lançant des bombes incendiaires, et cela à 3 reprises), la batterie tire à mon commandement. Les nuages d'éclatement couvrent une dizaine de chars. Lorsqu'ils se dissipent, deux chars sont immobilisés, un troisième brûle. J'ignore ce que sont devenus
    les autres, mais ils ne débouchent pas.
    Les tirs ennemis, à l'ouest d'Estrées et de Deniécourt se multiplient. Une ligne téléphonique est détruite. II ne sera plus possible de la réparer. Je n'ai plus d'autre liaison qu'un E. R. 22 qui me met en communication avec le 3° groupe.

    A 5 h 15, les chars franchissent la route nationale Foucaucourt-Estrées. La droite des chars passe, pour
    l'observatoire, 300 mètres à gauche du carrefour des routes de Deniécourt et de Soyécourt à Estrées. La gauche de l'attaque ennemie est à l'est d'Estrées; elle n'est pas visible de l'observatoire.
    Les chars se sont d'abord placés en bataille sur la ligne jalonnée par les fusées verdâtres, fusées qui devaient être répétées en cours d'action, et chaque fois annoncer le rassemblement d'une nouvelle vague d'engins blindés. Ils ont ensuite avancé à toute vitesse nord-nord-ouest, sud-sud-est, jusqu'à dépasser la zone de nos tirs d'arrêt (le déclenchement de ces tirs au petit matin avait été sans doute pour eux un
    précieux renseignement).

    La défense de Deniécourt

    Après avoir passé la route nationale en évitant le village d'Estrées, ils ont marqué le pas pour s'aligner; puis, un char sur trois en avant, ils ont progressé lentement à travers champs dans l'intervalle des villages, c'est-à-dire des points d'appui et s'ils suivaient la route un instant, la quittant toujours avant chaque carrefour. Dès qu'une arme antichars se révélait, presque toujours en attaquant le char avancé, les deux autres chars du même groupe venaient à son secours. Il m'a été dit qu'en certains points un char,
    deux chars, avaient été touchés, mais qu'il est arrivé bien rarement que le troisième fut démoli avant d'avoir réduit au silence la pièce antichars.

    La pièce de la 6° batterie fut détruite avant d'avoir pu toucher les chars. Un peu avant 5 heures, j'avais prévenu l'aspirant de la Motte-Rouge du déploiement des chars. Il était déjà à son poste avec ses hommes. Je remonte ensuite à mon créneau d'observation.

    Vers 5 h 15, alors que les chars s'apprêtaient à longer par l'ouest le village de Deniécourt pour attaquer plus à l'arrière, l'un d'eux est vu par la Motte-Rouge au sommet d'une petite crête à gauche de la route Deniécourt-Estrées. Il tire; un premier obus manque le char; une seconde cartouche était déjà chargée, lorsque deux chars qui étaient au nord-est de la ferme Dollé, venant au secours de leur char de pointe, tirent: un de leurs obus éclate sans faire aucun mal, à l'entrée d'une cave; un autre, hélas! percute sur la
    volée même de la pièce; la coupant et volatilisant en même temps une fragile clôture de ciment, à travers laquelle tirait le canon pour en faire autant de projectiles supplémentaires. L'aspirant et ses hommes sont tous tués ou blessés.
    Vers 5 h 30, la première vague de chars, après avoir longé le mur de la ferme de l'observatoire (ferme Dollé) et quitté la route et tourné le village par l'ouest, disparaît vers le sud. Aux alentours immédiats de l'observatoire, un calme relatif est revenu. Estrées brûle et est attaqué par l'infanterie allemande.

    Le 117° R.I y résiste opiniâtrement.
    Estrées ne tombera que vers 15 heures, et des éléments isolés y résisteront jusqu'à 17 heures. Le bombardement s'allonge par moment et menace la ferme de l'observatoire.

    Un peu avant 6 heures, tombent dans la cour quelques chapelets de petites bombes lancées par des avions qui la survolent et la mitraillent. Mon grenier est traverse par les balles. La pièce du rez-de-chaussée où est installé le poste radio reçoit balles et éclats, mais les deux radios, le brigadier
    Charles Coïc et le canonnier Morice, continuent sans se troubler l'écoute permanente.

    A 6 h 15, pour la première fois, des balles de mitrailleuses terrestres viennent frapper le créneau d'observation. Je fais abriter mon personnel d'observation dans une cave et reste seul dans le grenier. De nouveaux chars isolés passent par intervalle. Mais la fumée des incendies couvre une grande partie du paysage. Je descends afin de resserrer ma liaison avec l'infanterie, et, faute de vues, de profiter des
    renseignements qui lui parviendraient.

    Il est 7 heures. Je vois d'abord l'aspirant de la Motte-Rouge, à demi-couché sur l'épaulement de la pièce, appuyé sur le coude droit la jambe gauche en l'air, sans connaissance, mais respirant fortement; en pendant: de l'autre côté de la pièce, étendu sur le dos, mi-soulève, son pointeur Proult, tué sur le coup; tous les deux face à l'ennemi. D'un trou voisin sortent les autres servants, tous plus ou moins touchés. Personne n'était venu encore à leur secours, parce qu'ils étaient en vue de deux chars arrêtés sur la crête d'Estrées Avec l'aide d'un fantassin du 117°, nommé Le Yaouane, qui s'est mis spontanément à ma disposition,
    j'ai pu ramasser tous les blessés et les mettre a l'abri, soit dans une grange, soit dans une cave. Les chars arrêtés semblent n'avoir rien vu; mais le bombardement reprend, intense, atteignant pour la première fois la ferme. Ce n'est qu'une demi-heure après que j'ai pu faire relever le mort, et que je l'ai enseveli décemment dans une pièce de la maison.

    Les infirmiers et les brancardiers du Bataillon ont pu nous rejoindre vers les 9 heures et donner aux blessés des soins un peu moins sommaires que ceux qu'ils avaient reçus de moi et de mes hommes. Mais ce n'est qu'à 12 heures que profitant d'un arrêt dans le combat dont je parlerai plus
    loin, je pus donner l'ordre de les transporter au poste de secours du Bataillon.

    De 7 heures à 12 heures, j'occupai mon grenier seul, car il était parfaitement inutile de risquer plusieurs dans un lieu traversé de balles et d'éclats. C'est ainsi que je vis. trois chars allemands qui revenaient de la direction de Soyécourt, passaient à 500 mètres de l'observatoire, puis regagnaient leur ligne de départ. Blessé à l'oeil gauche vers 10 heures, mon oeil droit me suffit jusqu'au soir.

    Je descendais aussi par moment pour prendre liaison avec l'infanterie, surveiller mon poste radio, etc... Je trouve que mes radios sont trop exposés; je leur donne l'ordre formel de descendre dans la cave avec leur appareil, puis je remonte observer; quelque trois quarts d'heure après je redescends, et je trouve mes radios à leur ancienne place; je m'en étonne, et le brigadier de me répondre: (( Nous vous avons obéi, nous sommes descendus et avons installé l'appareil; mais on entendait mal; alors nous sommes"
    remontés ici, puisque l'écoute y était meilleure ))

    La ferme de l'observatoire est à nouveau bombardée par avions en fin de matinée.

    Estrées est débordé par l'est; les premiers fantassins ennemis parviennent jusqu'à un petit bois à notre droite et à mi-chemin d'Estrées.

    Depuis 11 heures, je préparais le déménagement de l'observatoire: il était devenu impossible de travailler dans un endroit où téléphone et plan directeur étaient criblés de balles, où la fumée de l'incendie d'Estrées empêchait toute observation sérieuse.

    Un peu avant midi, je vois l'infanterie allemande déborder le village.

    A midi, une accalmie se produit dans tout le secteur: l'ennemi ramasse ses morts. Il devait en remplir 12 camions et 12 remorques, et les charger au point que les roues des camions enfonçaient là où les chenilles des chars avaient à peine marqué.

    Ma décision est prise: je donne l'ordre d'évacuer les blessés de la 6° batterie jusqu'au P. C. de Bataillon.

    A 12 h. 15, je quitte la ferme avec mon détachement et mon matériel. Je gagne Deniécourt. Je me présente au chef de bataillon Pierret. Il devait dans la journée me faire profiter de tous les renseignements qui lui parvenaient; et à mesure que l'action avançait, que les incendies se multipliaient enlevant toute vue, le renseignement d'infanterie devenait la principale source d'information.

    Il fut également convenu qu'en cas d'assaut, les artilleurs prendraient leur place dans les groupes de combat d'infanterie, s'armant, puisqu'ils n'avaient pas d'armes individuelles, des fusils des premiers tués. 

    La ferme Dollé, qu'abandonnaient par nécessité le capitaine de Nantois et ses artilleurs, est située à une courte distance de Deniécourt, mais elle forme un groupe important de bâtiments isolés dans lesquels les artilleurs eussent pu facilement être enveloppés. Il fallait donc qu'ils rejoignissent le gros du Bataillon.

    Le capitaine de Nantois installa son observatoire dans la maison où se trouvait déjà celui du Bataillon, légèrement au nord, vers le centre du point d'appui. Le poste de radio fut rapidement monté dans le P. C. de la 2° Compagnie. Le capitaine de Nantois circula tout l'après-midi entre son observatoire, le P. C. de Bataillon et son poste de radio.

    Le commandant Pierret signale qu'après la destruction de ses armes antichars, les chars ennemis s'approchèrent du point d'appui et ouvrirent le feu. Il était difficile de circuler, car les obus pleuvaient, les balles traceuses des mitrailleuses se multipliaient. Deux chars touchés par nos projectiles et
    immobilisés à 500 mètres, au sud de Deniécourt, furent remorqués, en plein combat, par des chars de dépannage.

    Cette première vague de 180 chars était accompagnée d'autos blindées transportant de l'infanterie. Celle-ci, débarquée ,derrière les pentes, s'installa sur les crêtes dans des tranchées qu'elle creusa immédiatement. Les chars continuèrent leur marche vers le sud et attaquèrent notre artillerie (canons de 75) établie notamment dans un boqueteau et dans le chemin au nord et autour d'Ablaincourt. Nos batteries furent rapidement réduites au silence. Le commandant Pierret apprit le lendemain, par des officiers du 10° R. A. D. prisonniers, qu'après une héroïque défense beaucoup de nos artilleurs furent tués sur leurs canons; les officiers survivants furent hissés sur les chars ennemis. D'autres faits du même genre m'ont été signalés.

    De Deniécourt, On put constater pendant toute la matinée et une partie de l'après-midi, que les villages voisins étaient également bombardés et attaqués.

    Aidés par les notes du commandant Pierrot et du capitaine, de Nantois, nous pouvons suivre les péripéties de la bataille.

    A 14 heures, le bombardement recommence intense sur Estrées, et à Deniécourt, sur la ferme de l'observatoire. Quelques obus tombent au centre de Deniecourt.
    A 15 heures, l'infanterie ennemie dont nous avions déjà aperçu vers 11 heures quelques éléments débordant Estrées par l'est et prenant pied dans un petit bois entre Estrées et Deniécourt, achève cette manoeuvre en nombre et occupe définitivement le petit bois.

    A 15 heures également, la ferme où est l'observatoire commence à brûler. La section Chasseray s'y maintiendra jusqu'au soir dans une atmosphère irrespirable, sans pour cela demeurer inactive. Elle ira chercher en avant, à 15 h 30 deux artilleurs blessés (maréchal des logis chef des Ormeaux et canonnier Schirlin). Elle harcèlera par ses tirs tous les mouvements de l'ennemi qu'elle peut apercevoir. Elle ne se
    rendra que sur l'ordre du Chef de Bataillon et la dernière du point d'appui.

    A partir de 15 h 30, on signale des infiltrations d'infanterie ennemie à l'ouest d'Estrées et de Deniécourt. Je fais tirer mon groupe:

    Le bombardement de Deniécourt s'intensifie.

    A 16 h 30, les premières colonnes de prisonniers français ramenés des arrières français dans les lignes allemandes, sont vues marchant sur la route de Fresnes-Mazancourt. Elles sont importantes; l'une d'elles comprend un grand nombre d'officiers, dont plusieurs en pantalons, un État-Major sans doute. Et cela, en montrant la profondeur de la pénétration ennemie, jette une certaine inquiétude dans les esprits. Elle est augmentée par des messages du P. C. du 117°, enlevant tout espoir de secours.

    Je donne alors une partie de mon détachement, à l'infanterie, ne gardant que les radios et deux observateurs.

    Le commandant Pierret, n'ayant plus de ligne téléphonique, rendit compte pendant toute la journée au P. C. R. I. des événements et demanda des munitions. On ne pouvait, lui fut-il répondu, envoyer de chenillettes; elles ne sauraient passer à travers les chars; mais on priait le 41°, à gauche, de ravitailler Deniécourt. Ce n'était pas davantage possible, pour la même raison: le point d'appui était encerclé.

    Au cours de l'après-midi, cependant, on vit arriver assez bas, un gros avion français. Parfaitement encadré par la D. C. A. allemande, il fit demi-tour à 500 mètres du village. Cet avion, envoyé sur la demande du lieutenant-colonel Cordonnier apportait des munitions qu'il devait lâcher en parachutes. Atteint par l'artillerie ennemie, il alla tomber un peu plus loin.

    Sans cesse le commandant Pierret avait espéré voir apparaître des avions et des chars français qui le dégageraient. Vain espoir!

    Après la chute d'Estrées, vers 17 h 30, une colonne de chars et de voitures blindées descendit de ce village vers Deniécourt et prit position autour du point d'appui, qui est bientôt encerclé. Les chars tirent sur le village leurs petits obus et de nombreuses rafales de balles traçantes. « Les fantassins du 117° cherchent à atteindre tout ce qu'ils voient. Mais les canons de 25 et les mitrailleuses lourdes sont démolis.
    Il leur reste quelques fusils-mitrailleurs et des mortiers. »

    Des incendies se déclarent dans les parties qui n'avaient pas encore été détruites, allumés par les obus incendiaires et les balles traceuses. Par ce bombardement, le groupe de mitrailleuses de la section Desert, et plusieurs fusils-mitrailleurs sont mis hors d'usage.

    Derrière les chars, des autos blindées amènent des renforts d'infanterie, qui essaient de s'approcher du village et de s'y infiltrer.

    Du P. C. du Bataillon, l'adjudant-chef Bourigan fait ouvrir le feu sur cette infanterie.

    Le caporal Peccate, secrétaire du Commandant, va sous les balles chercher dans une grange un F. M. resté dans un side-car. Du premier étage du P. C., il tire jusqu'à épuisement de ses munitions. 

    Tous les hommes, dans ces circonstances difficiles, font preuve d'un grand courage, sans perdre leur calme. Citons ici ce fait que rapporte le commandant Pierret, L'adjudant chef du Génie qui avait, avec sa section de sapeurs, posé des mines toute la nuit, vint le trouver le matin pour lui proposer d'aller chercher ses, hommes et de renforcer avec eux la ligne de défense de Deniécourt. Rampant entre les chars ennemis, il parcourut ainsi les 500 mètres qui séparaient la ferme où ils se tenaient du point d'appui, et de la même manière, avec beaucoup de courage et d'audace, il ramène ses 40 hommes.

    A 19 heures, Deniécourt est en flammes. Les balles traçantes ont mis le feu aux fourrages entreposés dans les granges. La chaleur et les suies des incendies rendent pénible le séjour dans le village. Nous attendons l'assaut. Les artilleurs doublent les guetteurs d'infanterie. Les grenades sont distribuées. De rares bouteilles d'essence peuvent être équipées dans le cas où les chars pénétreraient dans le
    village.

    Le capitaine de Nantois, dont je cite les notes, rend ce témoignage: « La tenue de tous est sans faiblesse. Fantassins et artilleurs (et sapeurs) sont prêts à résister. J'ai été particulièrement heureux de vivre ces moments aux côtés du lieutenant Tartonne, commandant la 2° Compagnie. Ce très jeune officier, animé avant tout de l'esprit de devoir, donnait des ordres avec un grand calme et une parfaite connaissance de son métier. J'ai vu à quel point ses hommes avaient; confiance en lui, combien aussi son autorité était
    grande dans l'ensemble du Bataillon.

    Le village brûle; le bombardement continue; il n'y a plus de liaison possible avec la section Chasseray qui résiste toujours dans la ferme de l'observatoire. La circulation devient très difficile à l'intérieur de Deniecourt, dont les rues sont battues constamment par le feu des armes automatiques ennemies.

    Vers 20 heures, ajoute le commandant Pierret, le nombre des chars allemands déjà bien grand est encore augmenté. Son Bataillon est à bout de munitions.

    Devant lui Estrées et Belloy, à sa droite Berny, ont succombé. Il ne sait pas que tout le reste du dispositif de la Division tient encore, que le sous-secteur ouest en particulier tiendra jusqu'au 7juin, de Fay à Lihons.

    A plusieurs reprises, le Commandant a reçu du P. C. R. I. des messages lui confirmant avec de plus en plus de netteté, qu'il n'avait à attendre aucun secours, aucun ravitaillement en munitions.

    Il fallait envisager la fin de la résistance.

    Pour parler des derniers instants de combat, je cite encore le capitaine de Nantois.

    Le commandant Pierret convoque « à 21 heures, à son P. C. tous les officiers présents dans le point d'appui. En m'y rendant, je vois s'élever les fusées de rassemblement des chars.

    Le Chef de Bataillon déclare qu'i! n'a plus de munitions et va se rendre. Ainsi est-il fait.

    En rejoignant mes hommes en compagnie du lieutenant Tartonne, je vois des fantassins qui déjà abandonnent leurs armes. Je rassemble les artilleurs, et, avec eux, je détruis tout mon matériel optique et transmissions. Tous les documents sont brûlés. Après avoir jeté mon pistolet dans un brasier, je n'avance à leur tête dans la rue principale où nous rencontrons les premiers soldats allemands. Il est 21 h 30.

    Nous sommes conduits à l'ouest du village. Le commandant Pierret et son adjudant-major, le capitaine François, sont emmenés à part.

    Avec le lieutenant Tartonne et les autres officiers d'infanterie, je traverse trois rangées: de véhicules, l'une de chars, l'autre de voitures légères blindées, la troisième de motocyclettes; tout cela presque jointif, constituait l' encerclement du point d'appui. Nous sommes conduits à la côte 88; là, on nous fait asseoir sur le sol, et des hommes nous gardent la mitraillette braquée.

    Seules de toute l'artillerie du secteur, les batteries du Bois Étoilé tirent encore. Je les entends et reconnais nettement ma batterie.

    Un officier supérieur s'approche de moi. Il veut savoir comment, artilleur, je suis au milieu de l'infanterie. Je lui réponds que je suis l'observateur du groupement. Alors il me dit en français: « Je vous dois mes beaux compliments pour le mal que vous nous avez fait ». Il me parle des pertes subies par eux, m'offre de garder mes armes, si je les ai encore. »

    Je termine par cette remarque du commandant Pierret; quand les derniers groupes furent capturés, et tous les hommes rassemblés à la lisière ouest de Deniécourt, les officiers allemands qui avaient conduit l'attaque firent appeler le Commandant, le saluèrent, et l'un d'eux lui dit:(Vous vous êtes bien battus; mais, malheureusement pour vous; vous n'aviez pas d'avions, pas de chars, et plus d'artillerie. )

    Des ambulances automobiles vinrent prendre les blessés, artilleurs et fantassins, parmi eux les lieutenants Mallet et Janffret, du 117°, et l'aspirant de la Motte-Rouge, du 10° R. A. D. Il était agonisant et mourut à son arrivée à Albert . . . 

     


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  • Estrées est un village de 200 habitants environ; tout en longueur, il aligne sur un vaste espace ses maisons au nord et au sud de la route d'Amiens, qui le traverse.

    Au moment où se déclenche l'attaque allemande, la garnison comprend: dans la partie nord, la 1° Compagnie, dans la partie sud, la 3°. Il y a, en outre, à l'extrémité est, dans une grange, à l'intersection de la route nationale et du chemin de grande communication d'Assevillers, un canon de 75. Le point d'appui dispose également de 4 canons de 25, de 5 groupes de mitrailleuses, d'un groupe de mortiers de la C. A. 1, et d'un groupe de mortiers de la C. R. .E.

    A 3 h. 10, Estrées est bombardé par l'artillerie avec une violence inusitée. Immédiatement des incendies s'allument.

    A 4 heures, les observateurs de la section Suzarelli viennent avertir leur Lieutenant de l'approche des chars. On les voit s'avancer en longue ligne horizontale et serrée, entre Fay et la route d'Assevillers.

    A Fay, les incendies se multiplient, allumés par les obus allemands.

    Suzarelli va se rendre compte. Une demi-heure après on le rapporte blessé d'un éclat d'obus à la tête. Car les chars arrosent Estrées d'un tir précis. Le canon de 75 antichars, pourtant bien camouflé dans son hangar, envoie un projectile; immédiatement repéré, il est détruit par un obus qui tombe en plein dessus. le sous-lieutenant Suberville, du 10° R.A. D., qui commande ce canon, est très gravement blessé; transporté dans une grange, près du poste de secours, dans la partie ouest dEstrées, il meurt dans la journée d'une
    mort affreuse. Le local où il a été mis est situé à proximité d'un dépôt de munitions. Ce dépôt est incendié par un obus; le feu gagne la grange, et Suberville est enveloppé par les flammes.

    La défense d'Estrées


    Les engins blindés arrivent à 600 mètres d'Estrées; l'infanterie ennemie progresse derrière eux.

    Notre artillerie, nos mitrailleuses, un fusil-mitrailleur, répondent tant qu'ils peuvent. Jusqu'à 8 heures, le vacarme est infernal.

    Les chars s'arrêtent, alignés, à 600 mètres; ceux de droite et ceux de gauche continuent d'avancer, pour contourner et entourer Estrées.

    7 chars sont détruits par nos canons de 25, mais à leur tour ceux-ci sont mis hors d'usage. En outre, 3 ou 4 chars sautent sur les mines posées les jours précédents par le Génie.

    Vers midi, les blindés allemands stoppent; les fantassins se retirent dans les boqueteaux au nord d'Estrées. Bien à tort les hommes du 117° s'imaginent que l'ennemi recule. Il s'arrête tout simplement pendant une heure, pour ramasser ses morts. Le capitaine de Nantois regardait ce travail s'opérer de son observatoire de Deniécourt.

    Chez nous, les blessés affluent au poste de secours, du côté de la route de Fay, pour y recevoir les soins du docteur Tarot.

    Les chars allemands sont autour d'Estrées, et embossés aux deux extrémités de la route d'Amiens, qu'avec leurs mitrailleuses ils peuvent prendre d'enfilade. Ainsi balaieront-ils tout le village.

    Vers 13 heures, le bombardement recommence, très violent et encore plus précis. Il dure un quart d'heure pour permettre la reprise de l'attaque par l'infanterie.

    A ce moment s'écroule, sous les coups des obus, le clocher de l'église d'Estrées. Il y avait un canon de 25 à l'abri du mur nord; il n'aura guère servi.

    Vers 13 h 30, l'infanterie ennemie ayant rejoint ses engins, tout le dispositif se remet en mouvement.

    A 14 heures, l'adjudant-chef Poirier (2° section de la 2° Compagnie) a un bras arraché par un éclat d'obus ou de bombe; chose étonnante, il n'y a pas d'hémorragie. Poirier, de l'autre main, continue de tirer, jusqu'à ce que d'autres blessures sur tout le corps le mettent définitivement hors de combat. D'après le médecin-lieutenant Villey (du 117°) qui le soigna à Marcoing (Nord), l'adjudant aurait été atteint par 3 obus de char. Villey dut l'amputer d'une jambe. Mais Poirier qui était resté 4 jours sur le terrain fut pris de gangrène
    gazeuse. La transfusion du sang ne servit de rien. Ce valeureux soldat eut une terrible fin. Ancien adjudant
    infirmier du 117°, il avait demandé à retourner dans une Compagnie de voltige.

    La résistance continue, énergique. Mais les tués sont nombreux, et les blessés beaucoup plus encore. Le caporal Calmettes (de la section Poirier, en avant du village) est blessé à 15 heures; son caporal-adjoint Achille Guichaoua est tué; 6 de ses hommes sont blessés, presque tout le groupe, en un mot.

    On est dans l'impossibilité absolue d'évacuer ces blessés; il faut les garder à Estrées. Aucun ravitaillement ne parvient.

    Des incendies s'allument. Il n'y a plus de liaison avec le Bataillon à Deniécourt.

    Vers 17 h. 30, le feu gagne la cave où est installé le poste de secours. On est dans l'obligation d'en sortir. Mais les Allemands sont là. Toute résistance est devenue impossible. Les Compagnies sont prises. Les unes après les autres, les sections bien diminuées, se rendent. Quelques-unes déjà avaient succombé vers 15 heures. Une douzaine d'hommes, conduits par un sergent, réussit à rejoindre le 41° à Vermandovillers dans la soirée. Il leur avait fallu se glisser entre les blindés et les groupes allemands.

    Les sergents Pringault et Moins sont tués par I'ennemi, au moment où, les bras levés, ils sortaient de leur tranchée.

    A la fin de cette journée, un camion allemand sauta sur une mine; cet accident faillit coûter la vie au lieutenant Geoffroy, de la 4° section de la 1° Compagnie. Celui-ci s'était vu intimer par les Allemands l'ordre d'enlever les mines; il y en avait beaucoup; il en oublia 3 ou 4, sur l'une desquelles sauta le camion. Un sous-officier ennemi voulait absolument fusiller Geoffroy, qui ne fut sauvé que par l'intervention d'un officier.

    Vers 20 h 00, à la tombée de la nuit, les prisonniers furent conduits à Péronne, ou le lendemain devaient les rejoindre le Père Le Maux, aumônier du Régiment, et le médecin commandant Feldmann.

    Tandis que s'écoulait le triste cortège des captifs, Fay brûlait de partout, et les hommes du 41° s'y battaient toujours. Leur résistance durera jusqu'au 7 juin à midi.

    En arrière, à Dieniécourt, les éléments groupés autour du Commandant Pierret ne tomberont qu'à 21h 30. 


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  • Le G.R.D.21

    Lihons est un gros village du Santerre; détruit pendant l'autre guerre, il a été reconstruit; son église, fort jolie, était neuve. Deux kilomètres séparent Lihons de Vermandovillers, au nord; de Chaulnes, à l'est, de Rosières, à l'ouest.

    Sa garnison était constituée par le G. R. D. 21, la C. H. R. du 41° R. I. et son train de combat, le P. C. du 304° Régiment d'Artillerie portée, venu en soutien de la Division. Des 75 et des 155 sont en batterie à Lihons.

    L'escadron motocycliste du G: R. occupe la lisière ouest, l'escadron à cheval, la lisière nord, l'escadron de mitrailleuses, la lisière sud. Les hommes du 41° coopèrent à la défense et ont creusé des tranchées.

    Vers minuit, le 5 juin, un violent tir d'obus fusants s'abat sur Lihons pendant une demi-heure environ. Les dégâts sont peu importants, et la garnison ne souffre pas de ce tir.

    A 4 heures du matin, le bombardement recommence par fusants et percutants. De nombreux obus tombent sur le village; plusieurs maisons sont détériorées. La lisière nord-nord-ouest est spécialement atteinte; néanmoins, il n'y a pas de victimes.

    Vers 4 h 30, dans le jour naissant, on entend un sourd vrombissement. Une dizaine d'avions allemands, en ligne de file apparaissent ; ils se préparent à piquer et, par trois fois, descendent, lançant de petites bombes qui font à peu près les mêmes trous que les obus de 77. Elles glissent vers leur but, en s'accompagnant d'un sifflement strident, comme celui d'une sirène. Quelques maisons sont touchées; il y avait aussi quelques blessés.

    Vers 5 heures, accalmie. Les téléphonistes du G. R. en profitent pour réparer leurs lignes coupées. Peine inutile, car le bombardement reprend bientôt. Les chars allemands, qui ont rapidement progressé, arrivent sur le village et le débordent, sans essayer d'y pénétrer, ou sans le pouvoir.

    Car ils sont accueillis par nos canons de 25, et les pièces du 30° R. A. P. tirent à bout portant. Il semble que plusieurs chars soient mis hors de combat; les autres s'en vont.

    Un témoin, le sergent Gandon, de la C. H. R. note que si Lihons put être défendu avec succès jusqu'au bout, on le doit aux pièces lourdes de nos camarades artilleurs. Présence opportune, car le G. R. D. 21 n'a que 4 canons de 25 antichars à opposer aux engins blindés qui eussent pu entrer dans Lihons par 7 ou 8 routes.

    Les avions allemands continuent de survoler le point d'appui,mais à ce moment ils ne bombardent plus.
    Le calme se rétablit peu à peu. Les premiers blessés arrivent au poste de secours.

    Vers 9 heures, le G. R. D. a son premier mort de la journée. Les blessés sont maintenant nombreux, surtout au groupe du canon de 25 de l'escadron hippomobile, déjà si éprouvé le 19 mai.

    Deux obus, lancés par un char, atteignent la coupole et la sacristie de l'église.

    Pendant l'après-midi, les hommes de la C. H. R. du 41° s'organisent, selon la mission qui leur est indiquée. Par une chaleur accablante, ils creusent des trous individuels, surveillés par les appareils ennemis de reconnaissance, qui continuent de tourner au-dessus de Lihons.

    Les prisonniers faits par le 10° R. A. D. au Bois Étoilé, et par le 41° à Herleville, arrivent; leur vue donne un
    courage nouveau à nos hommes.

    Vers 19 heures, les avions allemands laissent tomber quelques bombes; l'alerte n'est pas sérieuse.

    A 21 heures, l'abbé Sérouet, qui sert d'aumônier au G. R., conduit au cimetière le corps du cavalier Paul Robert, tué le matin; l'escadron motorisé rend les honneurs. Ce 5 juin, le G. R. D. n'a que 2 tués, mais les blessés sont nombreux, et plusieurs sont gravement atteints.

    La nuit est venue. Plusieurs engins blindés sont tapis dans un petit bois, à 700 ou 800 mètres à l'est, dans la direction de Chaulnes.

    Les heures s'écoulent dans le calme; vers minuit, des avions ennemis lancent des fusées et jettent des bombes sur le village.

    Le 117° RI dans l'attaque

    L'histoire du 117° RI, le 5 juin, et le matin du 6 pourrait se résumer en quelques mots: il a été emporté par la vague des 1000 chars allemands qui a déferlé sur lui d'abord.

    Mais ce ne fut pas sans avoir, opposé une farouche résistance, comme on va le voir par les détails qui suivent, précieux à enregistrer.

    le 1° Bataillon

    Le 1° Bataillon occupe deux points d'appui :
    Estrées, sur la route d'Amiens à Saint-Quentin, avec les 1° et 3° Compagnies.
    Deniécourt; à 1 kilomètre au sud d'Estrées. Autour du P. C. du chef de bataillon Pierret sont groupées la 2° Compagnie et une partie de la C.A.1


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  • Le combat du Bois Etoilé.

    Depuis plusieurs heures, les artilleurs du Bois Étoilé et du chemin d'Herleville résistent avec acharnement, livrés à eux-mêmes, car les 9 ou 10 hommes du 41° (Ce qui restait d'une section de la 7° Compagnie très éprouvée le 27 mai à Saint-Christ. ) fournissaient un appoint insuffisant.

    On a vu que dans le bois se trouvaient la 7° batterie du 10° R. A. D. (capitaine Magne) et la 9° (capitaine de Nantois). Les batteries de soutien du 304° étaient dans le chemin, à l'ouest. La veille, 4 juin, le capitaine de Nantois avait été envoyé, comme observateur du groupe, à Deniécourt. Son rôle fut important pour tout le secteur, puisque de son observatoire avancé, il dirigea le tir des batteries.

    Celles-ci avaient beaucoup travaillé depuis le 24 mai; outre les tirs d'accompagnement dans les attaques locales, les tirs de harcèlement et d'interdiction, les tirs à vue sur des travailleurs, véhicules et objectifs de toutes sortes, elles avaient organisé la position. Emplacement de pièces enterrées, abris à personnel et à munitions furent construits, sans que les batteries (installées dans le bois) fussent jamais repérées, grâce à la discipline du personnel, tant pour le camouflage que pour la circulation aux abords de la position.
    Les avant-trains occupaient le sud du bois, les chevaux étaient installés dans des trous d'obus datant de 1916; Leur présence à proximité de la position à laquelle le capitaine de Nantois avait particulièrement tenu, devait ultérieurement assurer le salut des batteries.

    En partant pour Deniécourt, le capitaine de Nantois laissait sur la position deux hommes en qui il avait une entière confiance, le sous-lieutenant Eloy et l'aspirant Muzard. Avec une ligne téléphonique, d'abord, puis après la destruction de cette ligne, avec un E. R. 22, le capitaine de Nantois commandait le tir du 3° Groupe et du 304° R. A.

    Ceci se passait à 4 h 30.

    Dans les heures qui suivirent les batteries du Bois Étoilé tirèrent sans relâche.

    Mais, en même temps, elles devaient repousser une attaque rapprochée d'infanterie.

    A la corne nord-ouest du Bois Étoilé, j'avais installé (écrit le capitaine de Nantois) un poste de guet, dans le but d'observer les fusées, mais aussi d'assurer la sécurité immédiate de la batterie. Ce 5 juin, les pièces ne cessaient de tirer depuis le petit jour. Après le tir sur chars que j'avais commandé, elles avaient participé à nombre de concentrations ordonnées par le groupe, et aussi exécuté des tirs d'arrêt demandés par l'infanterie (41° R. I.), lorsque, à 6 heures, le poste de guet signale un mouvement d'infanterie à droite
    de Foucaucourt. Un peu avant 8 heures, cette infanterie s'est rapprochée, et le maréchal des logis chef Guénégo vient du poste de guet avertir le sous-lieutenant Eloy qu'il s'agit d'infanterie ennemie. Elle a profité du large intervalle existant entre les points d'appui face au Bois Étoilé et a progressé en partie à pied, en partie en engins motorisés. Le lieutenant Eloy fait immédiatement venir un avant-train attelé, et prenant une pièce sur la position (chef de pièce: maréchal des logis Heuzé), il la fait conduire et mettre
    en batterie à la corne nord-ouest du bois. II ouvre tout de suite le feu sur l'infanterie allemande; il démolit ainsi 4 chenillettes et écarte les fantassins ennemis qui glissent à l'ouest du bois, s'emparant des deux pièces de 47 appartenant à la 610° batterie anti-chars d'armée, et également de deux batteries du 304°.R A. (en position entre le bois et Herleville).

    Mais notre pièce avancée est prise à son tour à partie par des armes automatiques : il devient impossible de la servir. Le sous-lieutenant Eloy prend sur la position une deuxième pièce (chef de pièce: maréchal des logis Decanlers) et la porte à 100 ou 150 mètres de la première à la lisière ouest du bois.

    Jouant avec le feu de ces deux pièces, il les dégage alternativement l'une par l'autre.

    Le bois est pratiquement entouré sur un demi-cercle, à l'intérieur duquel se trouvent et ma position et ses avant-trains. Ces avant-trains n'étaient restés en ce lieu que sur ma demande, et grâce à mon chef d'escadron. Je m'en réjouis aujourd'hui; sans eux le déplacement des pièces, et aussi sans doute leur repli deux jours plus tard eussent été impossibles, et la présence des conducteurs sur la position a permis
    d'assurer le ravitaillement en munitions et le service des armes automatiques sans diminuer celui des pièces, c'est-à-dire sans cesser d'appuyer l'infanterie au maximum des possibilités.

    La situation n'en demeure pas moins critique. Aussi le sous-lieutenant Eloy, laissant à l'aspirant Muzard le soin d'assurer avec la première section les tirs demandés par le groupe et par l'infanterie, se consacre entièrement à la défense rapprochée.

    Conducteurs et servants, et parmi eux les conducteurs Maugis et Riouall, le servant Jean, rivalisent d'entrain et de courage. Les canons amenés en lisière, les fusils automatiques et les mitrailleuses de la batterie sont activement approvisionnés et servis; un peu plus tard, la défense sera renforcée de onze armes automatiques prises aux Allemands.

    Vers 10 heures. les premiers fantassins allemands lèvent les bras en l'air, demandant à se rendre. Le sous-lieutenant Eloy, accompagné du maréchal des logis chef Guénégo, s'avancé pour recevoir leur reddition. Mais une balle tirée par de proches camarades des candidats prisonniers, le frappe au cou, mettant à nu la carotide. Il est évacué tout de suite, non sans avoir eu le bonheur de voir capturés les
    prisonniers.

    A Deniécourt, le capitaine de Nantois connaissait la position critique de sa batterie; il demande par radio à revenir en prendre le commandement. Le chef du se groupe (commandant Schérer) le maintient à Deniécourt, où sa présence est si utile à tout le secteur, comme un officier supérieur ennemi le reconnaîtra.

    Mais le commandant Schérer s'était rendu compte que l'évacuation du sous-lieutenant Eloy ne laissait pas un encadrement suffisant à la 9° batterie. Il enlève donc à la 7°, également en position dans le Bois Étoilé, mais à la droite du bois (est) et par suite en dehors de l'attaque rapprochée d'infanterie, le lieutenant de Courson. Celui-ci arrive à la 9° vers 10 h 15.

    Alors se produit une nouvelle attaque de l'infanterie allemande; on se bat à 30 ou 40 mètres des canons, au fusil, à la mitrailleuse. Mais tous ceux qui ont pénétré dans le bois sont abattus avec les armes individuelles tandis qu'un tir à obus à balles empêche les renforts d'arriver.

    A Deniécourt, le capitaine de Nantois est blessé, à la même heure, à l'œil gauche. Jusqu'au soir, avec le seul œil droit, il continue d'observer, pour renseigner le groupe et diriger le tir. Il doit suivre, lui télégraphie le commandant Schérer le sort de l'infanterie, quel qu'il soit.

    La situation est toujours grave au Bois Étoilé; les mitrailleuses allemandes prennent les canons de la 8° batterie du 304° R. A. d'enfilade, et les artilleurs ne peuvent plus servir leurs pièces. Momentanément, une douzaine de servants sont capturés avec leurs pièces; les autres se sont retirés. Les canons et les hommes seront repris, quand les Allemands à leur tour se rendront. La situation risque de devenir irrémédiable, si les batteries tombent aux mains de l'ennemi; alors le 41° serait enveloppé, puisque déjà à notre droite (est-sud-est) les chars tournent autour d'Ablaincourt, et, de très bonne heure, ce matin se sont dirigés sur Chaulnes, P. C. de l'Infanterie Divisionnaire, où ils ont attaqué sans succès la garnison du point d'appui; de là, ils se sont portés sur Lihons, au sud de Vermandovillers, où ils se sont heurtés à une
    énergique résistance de nos pièces de tout calibre: 25, 75, 155 même, débouchant à zéro.

    Dans une conjoncture si critique, un Lieutenant du 304° accourt au P. C. du 41°, et vient demander que des renforts dégagent les batteries de son unité .(Ce Lieutenant officier de liaison du 304° auprès du 41° vint à plusieurs reprises signaler la position critique des batteries de son Régiment et du 10° R. A. D. au
    Bois Etoilé. La dernière fois, un sous-officier l'accompagnait; les pièces du 304° avaient dû, disait-il, être abandonnées par leurs servants. )

    Le lieutenant-colonel Loichot ne peut envoyer personne; il n'a plus que 3 petites sections de la 7° Compagnie, fort réduite par les pertes subies à Saint-Christ; il est impossible de dégarnir les points d'appui, tous attaqués. Ayant eu connaissance de cette difficulté, l'adjudant Tardiveau, qui commande la section de chenillettes, s'offre volontairement à en armer deux de fusils mitrailleurs, et à aller avec ces
    faibles moyens aider les artilleurs. Le lieutenant-colonel Loichot approuve cette idée excellente et cette initiative courageuse. Tardiveau, Thébault, Katchoudourian, Ruel et Lainé vont faire un bon travail.

    Voici comment s'exprime le rapport sur cette affaire:
    A 9 h 30, les deux chenillettes se mettent en route pour Herleville, Tardiveau arrive au milieu des batteries et, sans hésiter, agissant avec ses chenillettes comme avec des chars, il parcourt le terrain, les calottes des chenillettes à moitié levées pour laisser passer les fusils-mitrailleurs qui tirent par rafales sur tous les groupes d'Allemands rencontrés. Affolés, les ennemis fuient de tous les côtés, mitraillés par les artilleurs.
    Quelques groupes qui tentaient de résister sont réduits à l'impuissance, et tous ceux qui ne sont pas tués ou blessés jettent leurs armes et se rendent. A 11 h 30, les batteries du 304° sont dégagées.

    Mais l'affaire continuait sur le 10° R. A. D. Écoutons le capitaine de Nantois: « A 12 h 30, pour la troisième fois, l'infanterie ennemie attaque ma position, du Bois Étoilé; et pour la troisième fois, elle est repoussée. Les pièces avancées (de la 9° batterie) tirent à balles et à explosifs; elles démolissent un canon du 304° pris par les Allemands, et que ceux-ci tournaient contre le bois. Les fantassins allemands lèvent les bras en l'air. Un nouveau tir accélère leur reddition. Les prisonniers sont faits par le lieutenant de Courson, le
    maréchal des logis Heuzé, et le canonnier Maugis. »

    A ce moment, interviennent les deux chenillettes du 41°, qui, après avoir aidé les artilleurs du 304°, s'étaient dirigées vers le Bois Étoilé, où se défendaient magnifiquement les hommes de la 9° batterie. Le rapport du 41° note que les Allemands sont démoralisés, parce qu ils croyaient avoir affaire à des chars; ils sont décimés par les artilleurs et « abrutis par plusieurs heures d'une lutte farouche, ils abandonnent leurs armes et se rendent peu à peu »

    Après 3 heures d'efforts, le Bois Étoilé et le chemin d'Herleville sont dégagés; si bien qu'à 15 h 15 la 9° batterie peut prendre part à la concentration de groupe demandée de Deniécourt par le capitaine de Nantois sur une batterie de 105 motorisée qui progressait à hauteur d'Assevillers et se mettait en position dans un creux. Un quart d'heure après, on vit s'en aller précipitamment deux tracteurs et un caisson; la batterie entière était détruite.

    A 15 h 30, 216 prisonniers, dont 5 officiers, sont confiés à l'aspirant du Réau, de la 7° batterie, et emmenés par lui au P. C. du Groupe à Vermandovillers, et ensuite au P. C. du 41°. Tandis que Muzard assure les tirs d'arrêt et aussi ceux demandés de l'observatoire de Deniécourt par le capitaine de Nantois, le lieutenant de Courson veille aux lisières du Bois Étoilé.

    La mission de Tardiveau n'est pas achevée. Avec ses chenillettes, il fait un tour rapide dans le champ de blé, à l'ouest du bois, et en avant du poste de guet, aux deux points où s'est produite l'attaque d'infanterie; il balaie de quelques rafales le terrain où se tiennent encore quelques Allemands cachés dans les blés, et qui après son passage recommenceront à tirer. « La nuit seule ramènera le calme sur la position. Cette nuit du 5 au 6 juin sera d'une tranquillité absolue, occupée seulement par les tirs d'arrêt et de concentration demandés par le groupe, tandis que veillent les postes de garde placés autour du bois. »

    Avant de suivre l'adjudant Tardiveau du côté d'Herleville, ajoutons encore cette remarque du capitaine de Nantois, à la louange d'hommes trop souvent oubliés dans leur tâche héroïque et obscure:

    « Pendant toute cette journée du 5 juin, les lignes téléphoniques entretenues par la batterie ont été constamment maintenues en service malgré les bombardements. Des lignes supplémentaires
    ont été établies en cours d'action pour relier les pièces avancées. Ceci est tout à l'honneur de l'équipe
    téléphonique de batterie dirigée par le brigadier Foltz. »

    Revenons à nos chenillettes. Avec beaucoup de courage et un très grand sens de l'opportunité, Tardiveau se tourne vers Herleville, où se défend le 2° Bataillon du 41°. Il y a encore là des Allemands aux prises avec nos fantassins, spécialement dans la partie est du point d'appui; saisi entre deux feux, dans la plaine, l'ennemi dépose les armes (Les sous-lieutenants Gefîray et Cocault, du 2° Bataillon ! se plaisent à reconnaître l'efficacité de l'intervention de Tardiveau dans le dégagement d'Herleville. )

    Jusqu'à 20 heures, les chenillettes de l'Adjudant travaillent à nettoyer le terrain autour d'Herleville et à le libérer. Les Allemands qui peuvent s'échapper regagnent en désordre la route d'Amiens.

    On voit par cette action remarquable que l'infanterie allemande, sans engins blindés nombreux, ne surpassait pas nos hommes en valeur, et que nous eussions fait une très belle guerre, si l'arrière nous eût donné des chars et des avions.

    Les prisonniers faits aux abords d'Herleville y furent conduits avant d'être envoyés à Vermandovillers; ils étaient épuisés et se précipitaient sur les puits, tant ils avaient soif.

    A Vermandovillers, ils rejoignirent les prisonniers du Bois Étoilé. Parmi les 5 officiers, il se trouvait un chef de bataillon. Ils appartenaient à plusieurs unités: 134° Régiment d'Infanterie (autrichien); 96° Rhénan, un G. R. Un feldwebel déclara fièrement : « Je suis le seul survivant de mon bataillon » et, montrant la plaine, il ajouta : « les autres sont là ! »

    Les pertes allemandes en cette affaire furent considérables.

    A Vermandovillers, le lieutenant Loysel, officier de renseignements du 41°, interrogea les officiers; puis on les transporta bien vite à l'État-Major de la Division, où sans doute on fut très heureux d'en tirer quelques renseignements.

    Les hommes de troupe furent emmenés dans la soirée par le lieutenant Austruy de la C. H. R., venu de Lihons avec une dizaine de fantassins pour les escorter.

    La journée du 5 juin s'achève, le soir tombe. Nos ambulances apportent les blessés des villages, sauf ceux de Fay, qu'elles ne peuvent malheureusement atteindre. Par la route de Lihons, nos camarades et des blessés allemands sont évacués sur l'arrière.

    Le calme s'est fait; il semble que les Allemands n'aiment pas les combats de nuit.

    Les appels de Fay arrivent toutes les heures; on y tient toujours; mais il faudrait des vivres, des munitions, des renforts pour le dégager.

    A l'horizon, des incendies dévorent les maisons, ces témoins d'une vie naguère tranquille. De grosses fusées jaunes montent vers le ciel, en arrière de nos positions. Des projecteurs allemands balaient les nuages du côté d'Ablaincourt.

    Bien sombres s'annoncent nos perspectives. En cette fin de journée, la situation se présente ainsi:
    A notre gauche, la 7° D.I. N. A. demeure sur ses positions.
    A la 19° D.I, le 41° tient partout.
    Au centre, malgré l'avalanche des chars, seuls sont tombés les points d'appui d'Estrées, Deniécourt, Belloy, Berny.

    Le Lieutenant-Colonel et les services du 117° R. I. tiennent encore, dans Pressoir; ils succomberont demain matin. Du 117° il ne restera que la C. H. R. et le train de combat, cantonnés à Méharicourt, et qui rejoindront le 41°.

    A Chaulnes, P. C. de l'Infanterie Divisionnaire, le colonel Paillas est enveloppé par les chars.

    A droite, notre 22° Étranger est demeuré, avec un courage admirable, sur ses emplacements. Il n'a cédé que les carrières au nord de Fresnes-Mazancourt.

    Derrière nous, dans Lihons, le G. R. D. 21 et la C. H. R. du 41° R. I. soutenus par les pièces du 304° R. A. P. tiennent fermement. . .

    Autres récits concernant l'adjudant Tardiveau.

    La narration des faits sur cette bataille du 5 Juin 1940 commencée à 10 h 00 au Bois Etoilé varie selon le R.P Louis BORDEAIS,ancien aumônier militaire et les Lts LUCAS & HERVE dans leur journal de guerre du 41° R.I.
    L'action conduite par l'Adjudant TARDIVEAU prendra fin à Herleville vers 20 h 00.
    Il n'en demeure pas moins que l'exploit de l'Adjudant TARDIVEAU est exceptionnel. Le 29 Juin 1940 au cours d'une prise d'Arme de la VIIème Armée à Pompadour, le Général WEYGAND lui remettra la Médaille Militaire. TARDIVEAU aurait terminé sa carrière dans l'Armée avec le grade de Capitaine.

    Concernant l'action d'éclat de l'adjudant Tardiveau, voici ce que est rapporté dans l'historique du régiment (41° Régiment d'infanterie, 19° D.I. - Journal des opérations de guerre, Lt Lucas & Lt Hervé). A noter, cependant, une légère différence par rapport au témoignage de Louis Cherel ; dans l'historique, l'initiative de ce fait serait à mettre au crédit du chef de corps du 41°. L'adjudant Tardiveau aurait agi sur ordre. (J'emploie bien le conditionnel). Quant à Louis Cherel, celui-ci se souvient d'un épisode (qui) l’a marqué dans son séjour sur la Somme : l’exploit de l’adjudant Tardiveau qui partit le 5 juin vers le Bois Etoilé sur une chenillette, simplement armé d’un fusil-mitrailleur. Louis se souvient d’un lieutenant qui tentait de le dissuader et lui disait : vous êtes fou Tardiveau ! Il revint cependant sain et sauf et accompagné de plus de deux cents de prisonniers.
    Le 5 juin à 10 heures. La situation devient de plus en plus critique. L'ennemi a dépassé le Bois-Étoilé et ses mitraillettes prennent d'enfilade la batterie du 304° R.A.P., obligeant les servants à quitter leurs pièces. La situation est grave, il faut agir. Déjà, à plusieurs reprises, les artilleurs ont demandé au colonel du 41° qu'on leur porte secours. Mais où trouver des renforts ? Tous les villages sont attaqués ou menacés de l'être d'un moment à l'autre. Aucun élément ne peut être distrait de leurs faibles garnisons. C'est alors que le colonel tente une action d'audace. Il donne l'ordre à l'adjudant Tardiveau de prendre deux chenillettes, de les armer d'un F.M. chacune et de tenter de dégager les artilleurs. Sans doute les chenillettes sont des engins de ravitaillement, sans armes, avec un faible blindage,et non des engins de combat, mais il faut tout essayer. L'adjudant Tardiveau part aussitôt et sans hésiter se lance sur la route de Vermandovillers à Herleville, puis dans la plaine pour dégager d'abord les artilleurs du 304°. Ceux-ci se défendent au mousqueton contre les éléments ennemis qui, se rapprochant peu à peu, on atteint et même dépassé la route d'Herleville à Vermandovillers, à 400 mètres au sud du Bois-Étoilé. Sans hésiter, agissant avec ses chenillettes comme avec des chars, méprisant les balles qui frappent les parois de ses engins, l'adjudant Tardiveau parcourt la plaine, mitraillant avec ses deux F.M. tout élément qui résiste. Blancs de poussière, abrutis par 6 heures de lutte, affolés par ce qu'ils pensent être des chars français, démoralisés, les Allemands se rendent par petits groupes, et, vers 13 heures, une colonne d'une centaine de prisonniers, convoyés par des artilleurs, arrive au P.C.R.I. Vers 13 h 30, par son action énergique et décisive, l'adjudant Tardiveau a dégagé toute la plaine entre le Bois-Étoilé et la route d'Herlevile à Vermandovillers et les artilleurs du 304° reprennent leurs tirs devant Fay et Foucaucourt.
    Mais pendant ce temps, la situation a empiré aux lisières nord du Bois-Étoilé. En effet, malgré la résistance désespérée des artilleurs et de la section de la 7° compagnie, les Allemands ont pris pied dans la partie nord du bois où la situation devient intenable. les balles sifflent de tous côtés : un aspirant d'artillerie vient d'être tué le mousqueton à la main ; nos pertes sont nombreuses. Emporté par son succès, l'adjudant Tardiveau déborde le Bois-Étoilé par l'ouest et se lance dans la plaine. L'apparition de ses deux engins produit le même effet de surprise et de démoralisation sur l'ennemi qui, décimé par le tir à bout portant de nos canons et par les rafales de nos armes automatiques, se bat depuis le lever du jour et se trouve littéralement à bout. Ses cadavres jonchent la plaine. Ses éléments se rendent par petits groupes. En quelques heures le Bois-Étoilé est dégagé et les débris des colonnes allemandes sont dirigés à pied ou dans des bennes de chenillettes sur Vermandovillers. 4 officiers, dont un chef de bataillon, et 3 lieutenants, 180 hommes, tel est le bilan de cette audacieuse tentative qui a réussi admirablement grâce au courage de l'adjudant Tardiveau et de ses chenillettes
    .

    L'adjudant Tardiveau n'a pu agir seul. Qui sont les autres soldats qui l'accompagnaient ? Deux chenillettes en action supposent deux conducteurs et deux servants aux F.M., donc quatre hommes dont l'adjudant Tardiveau.

    Dans l'Almanach 1941 de la Légion Française des Combattants, j'ai relevé ce texte:

    Le 5 juin, le 41° d'infanterie (appartenant à la 19° DI), défend contre les attaques ennemies les villages de Herleville et de Vermandivillers, situés dans la région de Péronne . Les infiltrations de l'ennemi mettent en péril la position dans le Bois Etoilé, de deux batteries du 3ème groupe du 10° RAD et de deux batteries du 304° RAP. La situation est grave.
    C'est alors que le colonel Loichot donne l'ordre à l'adjudant Tardiveau, sous officier énergique, comptant de multiples campagnes, de prendre deux chenillettes, de les armer de deux fusils-mitrailleurs, et de dégager les artilleurs.
    Sans doute les chenillettes ne sont pas des engins de combat, elles ne possèdent pas d'armes ni de moyens d'en placer, mais il fallait agir et ce moyen pouvait réussir.
    A 9h30, l'adjudant Tardiveau quitte Vermandovillers avec ses chenillettes par la route d'Herleville; il atteint les batteries du 304° RAP et sans hésiter, agissant avec des chenillettes comme avec des chars, parcourt le terrain, les calottes des chenillettes à moitié levées, laissant passer les fusils-mitrailleurs qui tirent par rafales sur tous les groupes d'Allemands rencontrés. Quelques groupes qui tentent de résister sont réduits à l'impuissance et tous ceux qui ne sont pas tués ou blessés jettent leurs armes et se rendent. A 11h30, les batteries du 304° RAP sont dégagées.
    Ne s'arrêtant pas là, l'adjudant Tardiveau fonce aussitôt vers le Bois Etoile où les deux batteries du 10° RAD encerclées luttent désespérément.
    Les deux chenillettes sont partout faisant le travail de plusieurs engins blindés. Le moindre parti ennemi qui ne dépose pas ses armes est vite mis à la raison par une rafale de fusil-mitrailleur à courte portée.
    Après trois heures d'efforts, le Bois Etoile est dégagé; plus de 200 prisonniers sont déjà aux mains des artilleurs et de nombreux morts et blessés jalonnent les abords des batteries.
    Mais ne voulant pas arrêter là son effort et jugeant sa mission non remplie, puisque l'ennemi encercle encore en partie Herbeville, où se défend vaillamment le 2ème bataillon, il décide de poursuivre son action. Mitraillant les groupes les uns après les autres, l'adjudant Tardiveau assaille l'ennemi avec le même succès. Et cette lutte se poursuit jusqu'à ce que les derniers noyaux de résistance soient anéantis.
    Herleville et le bois Etoile dégagés, l'ennemi repoussé jusqu'à la route nationale à hauteur de Foucaucourt. Voilà le résultat de cette action héroïque.

    Le combat du Bois Etoilé.

    On retrouvera plus-tard le Capitaine Tardiveau à la tête d'une compagnie FFI en Bretagne.


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  • La défense et l'attaque d'Herleville

    Herleville que defendait le 2° Bataillon du 41° , diminué de la 7° Compagnie, est dans la plaine du Santerre, presque au centre du triangle formé par Foucaucourt, Vermandovillers et Framerville, à deux kilomètres environ au Sud de la route d'Amiens.

    Un chemin de terre, légèrement encaissé, le relie à la sortie ouest de Foucaucourt; une ancienne route, aujourd'hui abandonnée, se dirige sur Soyecourt.

    A l'est, sur la route de Vermandovillers, existe un bois épais, le Bois Étoilé, où se peuvent voir encore aujourd'hui les anciens ouvrages allemands de la bataille de la Somme, en 1917. La première ligne ennemie passait à sa lisière, Herleville étant aux mains des Français, Vermandovillers celles des Allemands,

    Au nord-ouest; deux ravins assez profonds, descendent des rives de la Somme; l'un d'eux aboutit à l'église d'HerIeville; l'autre est bordé par Je bois Saint-Martin.

    Trois batteries de 75 étaient en position sur la route de Vermandovillers, la 7° et la 9° du 10° R. A. D., dans le Bois Étoilé, l'autre du 304° R. A. P dans le chemin même Il y avait en outre 2 canons de 47, le premier vers la droite et en avant du Bois Étoilé, le second sur la gauche du 304° R. A. P., vers le calvaire.

    La garnison d'Herleville comprenait, autour du capitaine Thouron, commandant le Bataillon, les 5°, 6° Compagnies et la C. A. 2. Pour une raison d'économie, on avait dû se contenter de défendre la partie sud et la partie ouest du village; la partie nord, celle de l'église fort peu bâtie, avait aussi l'inconvénient de pouvoir être abordée par surprise, puisque le ravin tortueux et profond de 5 ou 6 mètres y aboutissait. Les deux pièces de 75 données au point d'appui étaient pointées, l'une vers le nord, en direction de Foucaucourt, l'autre vers l'est, en direction de Soyecourt.

    L'attaque sur Herleville.

    Le soir du 4 juin, un observateur a constaté que l'ennemi mettait en batterie des minenwerfer.

    Le 5 juin, 3 h 30, le bombardement éclate sur Foucaucourt, et peu après sur Herleville. Au même moment, on voit l'infanterie allemande avancer en fortes colonnes, avec une témérité qui lui vaudra de lourdes pertes: elle descend par la droite de Foucaucourt, très nombreuse, débarquée des camions dans la plaine, et par la gauche, entre Foucaucourt et le bois Saint-Martin, dans le secteur du 31° R. T. A. Dans
    son rapport sur la contre-attaque menée dans la journée par l'adjudant Tardiveau, le lieutenant Lucas, adjoint au lieutenant-colonel du 41°, écrit qu'un millier de fantassins ennemis étaient venus par la gauche, accompagnés d'une dizaine d'engins blindés, et , en s'infiltrant par le ravin. Ces données sont conformes à celles que j'ai rapportées des observateurs de Foucaucourt.

    Les engins blindés n'allèrent pas à Herleville; le témoignage du lieutenant Ravoux, de la C. A. 2, est corroboré par l'affirmation catégorique des sous-lieutenants Cocault, de la C. A. 2 et Geffray de la 6° Compagnie, qui furent de la bataille jusqu'à la fin.

    Il semble que deux auto-mitrailleuses se montrèrent à une certaine distance. Mais un coup en plein de nos mitrailleuses les fit s'éloigner. Le sous-lieutenant Geffray vit trois motocyclistes, dans l'avancée du village à droite.

    Plusieurs de ces engins blindés vinrent au nord-est du Bois Étoilé, à un kilomètre d'Herleville. Quelques-uns seront, détruits, mais d'autres ont pu repartir, puisque le sergent Morazin, de la 1° section du 1° Bataillon, en surveillance à la sortie sud de Foucaucourt, vit dans l'après-midi « des chenillettes chargées de fantassins rebrousser chemin ».

    Vers 5 h 30 le tir des mortiers ennemis ayant cessé, l'infanterie allemande se trouva à 300 mètres de nos défenses, dans notre dispositif de gauche et de droite; notre canon de 75 dut déboucher à zéro. L'ennemi ne parvint pas à entamer nos défenses; ses rafales de mitraillettes firent chez nous quelques blessés et un tué. L'approche par la plaine était très dangereuse, car nos mitrailleuses la balayaient; l'infanterie s'infiltra par le ravin; c'était facile, car nous avons dit que nous n'occupions pas les alentours de l'église. Il semble que pendant un certain temps une mitraillette fut installée dans le clocher; mais elle n'y resta pas. Du reste, nos 75 prirent ce clocher pour cible.

    Plus à droite, grâce à un chemin de champ légèrement encaissé (1 mètre), une partie de la colonne allemande, précédée de ses blindés, réussit à se glisser entre Herleville et Vermandovillers, arrivant ainsi à 300 mètres du Bois Étoilé, auquel la plaine forme comme un glacis. J'ai dit que le 10° d'artillerie avait installé deux batteries dans le bois et que le 304° en avait une également dans le chemin de
    Vermandovillers, à 400 mètres environ en arrière et à gauche du bois vers Herleville. Deux canons de 47 antichars flanquaient les batteries. Un groupe de 10 hommes de la 7° Compagnie du 41' R. 1. avait été donné en soutien à l'artillerie.

    Vers 5 heures du matin, le 2° Bataillon fait une perte très grave: un obus tue le lieutenant Yves Prigent, adjoint au Commandant de Bataillon, blesse très grièvement le capitaine Thouron, chef du 2° Bataillon  du 41°, et le lieutenant Ravoux, Commandant de la C. A. 2. Ils ne seront évacués que le soir, à la nuit
    tombante, sur Vermandovillers.

    A Herleville, où les bombardements sont intermittents, on est toujours attaqué par l'infanterie ennemie qui, pendant une partie de la journée, entame le point d'appui. Venant par groupes, elle offrait une cible magnifique aux mitrailleuses de la C. A. 2, aux fusils mitrailleurs des voltigeurs, aux 2 canons de 75 du 10° R. A. D. débouchant à zéro leurs obus à balles.

    On pouvait croire, dit Ravoux, à leur manière insouciante d'approcher, que les Allemands étaient grisés. Ils furent vite dégrisés, car ils restèrent en grand nombre sur le terrain ou vinrent grossir le nombre de nos prisonniers. On leur avait affirmé, paraît-il, que Paris était tout près. Un Allemand blessé posa au lieutenant Ravoux cette question: « A quelle distance sornmes-nous de Paris ? »

    Pendant l'après-midi, l'ennemi viendra encore par groupes (c'était évidemment sa méthode d'attaque), mais il sera moins agressif. Il devait arriver dissocié par la résistance de Foucaucourt, Fay, Soyécourt, et déjà affaibli par ses pertes qui furent fort grandes.

    Sans s'arrêter à réduire les points d'appui, qui tous tiennent bon, les Allemands essaient de descendre vers le sud, laissant derrière eux bien des morts et des blessés.

    Ils vont essayer de s'emparer du Bois Étoilé et de ses batteries. Le résultat pour eux, en cas de réussite, était intéressant : le 41° R. I. était encerclé.

    Vermandovillers, avec sa petite garnison, n'était qu'à 500 mètres . . .

     


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  • Le soir du 4 juin, on avait vu des groupes ennemis descendre de Dompierre vers Estrées-Deniécourt. De son côté; le sergent Armand Martin, observateur de la 3° Compagnie, avait constaté des mouvements insolites et aperçu des Allemands se promenant sur le terrain, porteurs de cartes. C'était un indice que l'ennemi avait des intentions agressives.

    Le matin du 5 juin, à 3 h 30, un bombardement d'artillerie d'une grande intensité s'abat sur Foucaucourt et sur le boqueteau, à courte distance au sud du groupe Béthuel, vers le carrefour Estrées-Soyécourt, à l'est.

    Au tir des canons allemands se joignent bientôt les bombes incendiaires lancées par les avions. Un certain nombre de maisons ne tardent pas à flamber. Très vite, la ferme la plus au nord du point d'appui, où s'était installé le P. C. de la 1° Compagnie, n'est plus qu'un brasier. Il faut transporter ce P. C. dans un abri derrière la ferme.

    Plusieurs groupes de combat de la 1° Compagnie se trouvent dans l'obligation de changer d'emplacement. Vers 6 heures, par l'effet des bombes incendiaires, tout s'enflamme, écrit le caporal Joseph Angenard (2° section de la 1° Cie). Son groupe, en position face à Dompierre, au centre du village, est installé dans une grande cour entourée d'un mur. Le feu, qui approche, chasse Angenard et ses camarades de leur abri au pied du mur; ils y brûlent. Mais ils sont coupés des autres groupes, du côté sud, par le feu. Magloire Prioul sort le premier et essaie de passer dans la grange en flammes; il est brûlé vif sous les yeux de ses camarades. Angenard et Maurice Michel sautent par-dessus le mur, face à l'ennemi,
    et sous le bombardement vont se joindre au groupe de combat voisin.

    Un peu après, une auto-mitrailleuse allemande venant de Dompierre s'approche; elle saute sur une mine.

    Le bombardement dura près de deux heures; il ne cessa du reste pas beaucoup pendant la journée.

    L'infanterie ennemie se porte alors à l'attaque, précédée sur quelques points d'un petit nombre de chars et d'automitrailleuses.

    L'assaillant avançait par petits groupes en formation diluée, manœuvrant très bien, remarque le sergent Armand Martin. Immédiatement, de tous les côtés, les armes automatiques et les fusils se mettent à cracher, mêlant leur voix grêle au tonnerre des 75 et des 155 du 10° R. A. D. et du 210°. Les Allemands, malgré notre feu, fonçaient et nous dépassaient vers la gauche, laissant devant la 3° Compagnie un
    rideau d'hommes. Les 77 et les minen tombaient, en faible quantité, dominés qu'ils étaient par notre artillerie.

    Le mouvement des Allemands, sortant de la sucrerie de Dompierre, allait s'amplifiant, note Hubert de Goesbriant. Amenés en camions, ils débarquaient dans la plaine, et descendaient en grand nombre, obliquement, vers Estrées et Soyécourt, par la droite de Foucaucourt, en moindre nombre, par la gauche de ce village. Ils étaient trop loin pour que, du centre, on pût agir contre eux avec le canon de 25.

    Le sergent Amand Bitaud, de la 2° section de la 3° Compagnie, en position à l'ouest, écrit:
    L'infanterie allemande débouche (vers 4 h 30) des bois situés à 1 kilomètre au nord-ouest de Foucaucourt, entre Chuignes et Chuignolles. Elle progresse rapidement en direction d'un repli de terrain, situé à 300 mètres environ sur notre gauche, où elle se trouvera complètement à l'abri de nos vues et de nos coups. Pour y atteindre; elle doit parcourir 7 à 800 mètres complètement à découvert. La rapidité
    de sa manœuvre nous déconcerte un peu. Quand nous ouvrons le feu, un certain nombre d'Allemands étaient déjà à l'abri de la crête. Comble de malheur; nos deux F. M. qui battaient ce secteur s'enrayent presque en même temps. La mitrailleuse qui doit nous seconder ne se décide pas à entrer en action. Le bombardement continuait; le sous-lieutenant Goudineau va secouer les mitrailleurs ... A peine ont-ils
    commencé à tirer qu'un obus tombe sur une grange remplie de paille, et ils doivent déguerpir devant I'incendie. Ils quittent même complètement le secteur, C est bien dommage, car le champ de tir est merveilleux, et nul endroit n'était plus indiqué que celui-là . . .

    Nos F. M., vite remis en état, travaillent de leur mieux, gênant beaucoup l'avance allemande; mais sans pouvoir l'arrêter.

    Au bout de quelques heures, plusieurs sections ennemies étaient déjà à l'abri de la crête, où seuls venaient les Inquiéter, de temps en temps, nos 75.

    D'autres sections débouchent sans cesse des bois et progressent rapidement, avec un flegme déconcertant sous le feu de nos deux F. M.

    Avant la fin de la matinée, autant que je m'en souvienne, tout le gros des troupes attaquant par l'ouest de Foucaucourt au moins l'effectif d'un bataillon, plus un certain nombre d'autos blindées remorquant presque toutes des canons antichars, est à l'abri, derrière une crête, à quelque 500 mètres à l'ouest du village.

    Tout le reste de la journée se passe pour nous à attendre de ce côté une attaque qui ne vient pas.

    L'ennemi continue sa progression vers le sud, espérant peut-être nous encercler. Mais il dut se casser le nez quelque part car vers le soir, nous le vîmes se replier en grand désordre, harcelé par notre 75 et par notre mitrailleuse.

    Le sergent Martin, observateur de la 3° Cie, avait son poste dans la grange dont parle Bitaud ; il écrit:
    Mon premier observatoire avait été touché par un obus et était en flammes; je me tins alors dans une grange en face du P. C. et dominant tout le champ de bataille. C'était une merveille de voir l'action de nos 75 et des mitrailleuses de tête. Des hommes et des chevaux tourbillonnaient, pris dans la bourrasque, et s'abattaient pour ne plus se relever. Cependant, les Allemands passaient toujours, sur le flanc
    gauche de la 3° Compagnie, utilisant les défilements. Devant moi, à 1000 mètres, une auto blindée et un attelage étaient touchés. Toute la matinée se passa à tirailler de la sorte.

    D'autres observateurs ont noté ce mouvement des troupes allemandes; leurs remarques sont consignées dans le rapport consacré à la contre-attaque menée, en cette journée du 5 juin, par l'adjudant Tardiveau, autour du Bois Étoilé et de Herleville, au sud de Foucaucourt. Un millier de fantassins, précédés d'une dizaine d'engins blindés, étaient passés par là gauche de Foucaucourt, entre ce village et le bois Saint Martin, tenu par le 31° R. T. A. de la 7° D. I. N. A.

    Le sergent Morazin (1° section de la 1° Cie) installé avec son groupe dans le jardin de l'école, constate dans la journée les efforts de l'ennemi pour contourner le 1° Bataillon, et voit lui aussi, des autos chargées d'hommes; il ajoute qu'elles rebroussèrent chemin.

    La même remarque est faite par le sergent Martin: « Au début de l'après-midi on vit les premiers groupes ennemis, débandés, refluer en désordre. Nous croyions déjà tenir la victoire. Des groupes de chevaux, démontés pour la plupart, galopaient à travers la plaine. Le mortier en position au nord-ouest de l'église faisait du bon travail, sous la direction du caporal-chef Olivier. »

    Partout l'ennemi fut accueilli rudement, malgré les quelques chars et les auto-mitrailleuses qui le protégeaient.

    François Trémel, de la 1° Compagnie, note que, quelques heures après le commencement de l'attaque, des chars suivis d'infanterie sortirent du petit bois situé en face de la 3° Compagnie; ils obliquèrent à gauche et passèrent devant la 1°, sous le feu de nos canons de 75 ils s'en allèrent, et les fantassins
    en même temps.

    Angenard (1° Cie) fait la même constatation. Mais déjà auparavant, vers 6 ou 7 heures, 4 auto-mitrailleuses avaient dirigé une tentative contre la droite de notre dispositif; à l'extrémité est. Plusieurs de nos hommes (Cotto, Angenard, le caporal Delatouche) virent l'une de ces auto-mitrailleuses sauter sur une mine, en essayant de contourner la barricade; les trois autres s'en allèrent vers Dompierre, d'où elles
    étaient venues.

    Le soir, à 22 h 30, le caporal Delatouche ira, avec son groupe, poser de nouvelles mines, et il ramènera un blessé allemand, qui avait encore son revolver à la main.

    Pendant toute la journée, l'ennemi attaque, mais surtout par le front ouest ou nord, puisque le soldat Gestin (du groupe Béthuel, chargé de la défense du carrefour est) ne vit pas d'Allemands à cet endroit le 5 juin.

    Pourtant l'ennemi ne devait pas être bien loin, car la route d'Amiens, toute droite, d'est en ouest, était balayée par les balles; et, au témoignage de Goesbriant et de Morazin, la liaison avec le P. C. de Bataillon au sud de la route, en était rendue dangereuse.

    La défense se montre acharnée et courageuse, dès le début de l'attaque le tir d'arrêt est demandé; il se démontre efficace, joint au tir intense de nos armes automatiques. Jamais en cette journée du 5 juin, l'ennemi ne put aborder nos positions, quoique, par deux fois surtout, il essaie de pousser davantage son effort.

    Le sergent-chef Levitre (1° section de la 1° Cie) déclare « que les vagues d'assaut se brisaient l'une après l'autre sous les coups de nos armes automatiques et des barrages du 10° R. A. D. », On a vu plus haut que, d'après le sergent Martin, des renforts allemands venaient toujours alimenter la bataille.

    Mais il reste que ni les chars, ni l'infanterie ne peuvent arriver au contact de nos hommes. Partout l'adversaire est contraint de se tenir au moins à quelques centaines de mètres.

    300 ou 400 mètres, en face de la 3° Compagnie, à l'ouest; 400 mètres au centre, devant la 1° Compagnie, selon Texier de la C. A. 1.

    On peut donc admettre que, d'une manière générale, l'ennemi s'installa derrière la crête, d'ailleurs fort légère, à 400 mètres environ.

    Toute la journée on se battit avec acharnement au fusil ou à la mitrailleuse, jamais à la grenade; le sergent-chef Rougé, adjoint au lieutenant de Saint-Sever de la 1° Compagnie, cite cette remarque du capitaine Giovanini, commandant le 1° Bataillon: « Toutes les sections tiennent bon », Il rappelle
    également que 7 hommes de sa Compagnie, dans leur ferme en feu, enveloppés de fumée décimèrent.une section complète qui essayait de passer par là.

    Le sergent Martin, parlant de la 3° Compagnie écrit :
    « Malheureusement, vers 14 ou 15 heures, le tir de notre artillerie devint intermittent, tandis que les 77 et les minen tombaient drus sur nos sections. Le bruit courait que le 10° R. A. D. et le 210° n'avaient plus de munitions. Cependant tout le monde tenait bon à son poste, et le moral était haut.»

    Mon deuxième observatoire fut alors touché et se mit à flamber. Je pris un fusil pour aller tirer avec les camarades.

    Un grave problème était celui du ravitaillement en vivres et en munitions. Des vivres, le Colonel du 41° ne pouvait en envoyer; il n'y en avait pour personne. Mais des munitions vinrent, car 6 fois dans la matinée du 5 juin, Cotto avec sa chenillette alla en chercher au P. C. du Régiment à Vermandovillers.

    C'était méritoire, puisque, les Allemands s'étaient répandus dans la plaine, dans le triangle
    Soyécourt-Foucaucourt-Herlevillc.

    Il arriva même, dans I'après-midi, que les cyclistes Saudrais et Cretet furent mitraillés à leur retour du P. C.
    du Régiment par les Allemands montés sur deux chenillettes françaises, arrêtées à proximité de l'entrée sud de Foucaucourt, à gauche de la route. Ils ne furent pas atteints. L'un alla avertir le chef du 1° Bataillon; l'autre le lieutenant-colonel Loichot.

    Le mortier de 60 du P. C. de Bataillon essaya de détruire ces chenillettes, mais il les manqua.

    En revanche, il fut plus heureux avec les blindés, car, toujours dans l'après-midi, il détruisit 3 auto-mitrailleuses et 2 chars, au sud-ouest de Foucaucourt, près du village. Ce fait est rapporté par Cotto et par Célestin Letellier, de la 2° Compagnie.

    Un autre fait qui dut être assez rare, sans doute, pendant cette guerre se produisit dans l'après-midi encore; un peloton de cavaliers allemands se lança contre le front de la 3° Compagnie. Nos mitrailleuses l'anéantirent et 8 chevaux furent capturés.

    Pendant ce temps l'artillerie ennemie continuait son tir, et la nôtre répondait. Peu à peu les maisons s'écroulaient sous l'action des obus et des flammes.

    Une pièce amenée spécialement en camion dans la plaine, derrière une crête, prit l'église sous son feu; Hubert de Goesbriant la vit se mettre en position, hors de la portée de son canon de 25. En 10 minutes l'édifice fut détruit et la pièce immédiatement enlevée. Partout dans les villages de la région on assiste à cette destruction systématique des églises.

    La journée du 5 juin s'achève; Foucaucourt n'a pas été entamé. Toutes les tentatives de l'ennemi ont été repoussées; à la tombée de la nuit, il se replie légèrement; tous les témoignages s'accordent à dire que les heures de la nuit furent calmes. Les blessés sont évacués sur le P. C. du Régiment et de là sur l'arrière.

    Le lieutenant Herzog, commandant la 3° Compagnie partit avec eux. Son état d'extrême fatigue nécessitait son évacuation. Le sous-lieutenant Goudineau le remplaça. Le sergent Bitaud, chef de la 3° section, fait les plus grands éloges de Goudineau, et le sergent Martin écrit dans les notes qu'il m'a envoyées: « Durant toute la journée, le lieutenant Goudineau s'était montré d'un sang-froid et d'une bravoure remarquables. Le soldat avait été réconforté, aux moments durs, par ce jeune chef plein .de vaillance. La 3° Compagnie
    lui doit beaucoup de sa résistance, car aux instants critiques, on le vit parcourir les points les plus exposés, sans ménager sa personne. » . . .

     


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    La défense de Soyécourt ( 5 juin )

    Comme Fay, Foucaucourt, Estrées, Deniécourt, etc., Soyécourt est un lieu connu dans l'histoire de la guerre 1914 -1918. On s'y est âprement battu, et il a été détruit entièrement. Les Allemands l'occupaient.

    Au matin du 5 juin 1940, Soyécourt est tenu:

    A droite, au carrefour de la route d'Estrées, par la 9° Compagnie du 41° (capitaine Dunand).
    A gauche, autour de l'église, par trois sections de la 11° Compagnie (capitaine Faucbon). Nous avons vu que la section Lebreton est en avant, dans le bois du Satyre, sur la route d'Amiens.

    Il y a en outre la section de mitrailleuses de 20 mm. antichars du 1° Bataillon (commandée par le sous-lieutenant Simonneau) et trois sections de mitrailleuses de la C. A. 3 (la 4° est à Fay) et 2 canons de 75 antichars du 10° R. A. D. sous le commandement du lieutenant Leclerc de la Herverie.

    Le commandant Jan, du 3° Bataillon du 41° dirige la défense.

    La veille, dans la soirée, on a incendié et fait sauter deux fermes situées l'une à gauche de la route, l'autre à droite, à la sortie nord-ouest, parce qu'elles gênent le tir de nos armes automatiques. On a fait disparaître également un hangar rempli de paille, situé à 500 mètres sur le chemin de Foucaucourt.

    A 3 h 30, le 5 juin, comme pour toute la Division, un violent bombardement annonce que l'attaque est déclenchée. A travers le bois, au nord, on aperçoit déjà les incendies qui dévorent Estrées. Une fumée âcre et noire, chassée par le vent, nous vient de ce village; le bombardement fait rage; les obus s'abattent sur Soyécourt. Un 105 déchiquète, près du P. C. de la 11° Compagnie, le soldat Le Crosnier. Puis des
    escadrilles de bombardiers ennemis surviennent; les bombes descendent en sifflant; leur éclatement provoque des secousses formidables; les avions semblent chercher les mitrailleuses de 20 (antiaériennes). Les entonnoirs sont tout proches du matériel et des abris; rien n'est touché. Une fois
    de plus, les trous étroits et profonds prouvent leur efficace protection. Le jour s'est levé. On sent nettement que l'effort ennemi se fait à l'est, sur Estrées, Belloy. Aucune nouvelle de Fay. Il n'est plus possible d'envoyer un agent de liaison, car notre observatoire signale des masses compactes de chars d'assaut ennemis en direction de I'est ; on les voit défiler en formation profonde dans les terres à blé; ils dépassent déjà Deniécourt et foncent vers le sud. Ils sont hors de portée de nos 25 et de notre 75 (1). En même temps, nous hésitons à ouvrir le feu sur des hommes qu'on aperçoit à la lisière du bois du Satyre... Cependant, nous aurons bientôt la certitude qu'il s'agit de « Feldgrau », et que jamais Fay n'a eu l'idée d'un repli. Nous exécutons alors sur ces éléments d'infanterie ennemie des tirs efficaces à la mitrailleuse, au mortier de 81, et même à la mitrailleuse de 20. Toutes les lignes téléphoniques sont coupées. La liaison est assurée avec Vermandovillers par motos « et par E. R. 17 ». (Journal de
    marche du 3° Bataillon) On peut même y venir à pied comme je l'ai fait moi-même.

    Les vagues allemandes, venant du nord, ont, en effet, dépassé la route d'Amiens. Elles se sont heurtées à la vaillante section Lebreton qui livre un courageux combat dans le bois du Satyre. Elle y tiendra jusqu'au soir. Mais par la droite et par la gauche, elles débordent le bois et s'approchent à 400 mètres de Soyécourt, où elles sont accueillies par le tir vigoureux de toutes nos armes.

    Aussi vers 9 heures, l'attaque se ralentit. Nos 75 et nos mortiers ont nettoyé la crête autour du bois. Un agent de liaison de la section Lebreton, réussit à ramener l'infirmier allemand fait prisonnier par Henri Corre.

    (1) Cependant le capitaine Fauchon écrit que le 75 de son point d'appui fait
    flamber un de ces chars qui débouchait de derrière la corne du bois sur la route
    d'Estrées a Soyécourt.

    Vers 10 heures du matin, Albert Quiblier, mitrailleur de la 4° section de la C. A. 3, en position à la sortie nord-ouest de Soyécourt, au delà de la maison brûlée, voit passer des camions chargés d'hommes. Quiblier m'assure qu'on défendit aux mitrailleuses de tirer, parce que l'on croyait que ce pouvait être des soldats du 117° qui se retiraient d'Estrées. C'était oublier qu'il n'y avait pas de camions à la disposition
    du 117°, à Estrées, ce ne pouvait être que des Allemands.

    Dans la matinée, le capitaine Fauchon s'en va dans le bois du Satyre, avec un groupe de la 11° Cie, accomplir la mission de dévouement.

    Vers le soir, trois auto-mitrailleuses ennemies venant d'Estrées sur Soyécourt dépassent la corne sud du bois, à droite. Le 75 ouvre le feu de trop loin; elles s'en vont, sans être, me semble-t-il, endommagées.

    L'ennemi s'est infiltré dans tout le bois.

    La section Lebreton, bien réduite, reçoit l'ordre, au crépuscule, de se retirer sur Soyécourt. Son mortier de 81 avait rejoint déjà.

    Les bombardiers allemands viennent, dans la journée, lancer leurs bombes sur les batteries de 75 du 10° R. A. D. et du 304° R. A. P., installées dans le bois Étoilé et sur le chemin d'Herleville. Aussi beaucoup de tirs demandés ne sont pas exécutés.

    Depuis hier soir, nos observateurs signalent des convois de voitures blindées sur les routes, au nord et à l'est de Soyécourt. L'encerclement commence. Pendant plus de 30 heures, sans arrêt, le jour comme la nuit (mais alors avec les feux allumés) les chars, les camions, les voitures de tout genre, défilent.

    L'on ne pouvait leur opposer, sur la droite de Soyécourt, dans le secteur de la 9° Compagnie, qu'un canon de 25, 1 mitrailleuse, 1 canon de 75 incapables de les atteindre efficacement.

    Maintenant la nuit est venue; elle est calme. On voit, vers le sud, monter les fusées ennemies.

    L'on ignore qu'à Estrées, à Deniécourt pourtant si proches, le 1° Bataillon du 117° a succombé.

    On met la nuit à profit pour faire le ravitaillement en munitions. . .

    La défense de Foucaucourt.

    La défense de Soyécourt et de Foucaucourt ( 5 juin )

    Foucaucourt, assez gros village tout en longueur, s'étale sur les deux côtés de la route d'Amiens à Saint-Quentin. Il a été à peu près entièrement détruit, nivelé, pendant la bataille de la Somme, de juillet à novembre 1917; la ligne de démarcation des deux armées passait entre Foucaucourt et le bois du Satyre, Foucaucourt était entre nos mains, le bois du Satyre était occupé par les Allemands qui y avaient de nombreux abris, et des positions de batteries encore visibles aujourd'hui. Un poste de commandement allemand était installé sous le petit pont qui livre passage à la voie de 60.

    A 1500 mètres au nord, court, parallèlement au village, une ligne de bois épais, de Chuignes à Dompierre, très propres à couvrir les mouvements de l'ennemi. Entre ces bois et Foucaucourt la plaine est parfaitement plate, et offre un bon champ de tir à nos mitrailleuses, mais aussi se prête aux manœuvres des engins blindés.

    A l'est, rien n'arrête la vue jusqu'au bois du Satyre, qui descend du nord-ouest de Fay à Soyécourt; les dernières maisons se trouvent à proximité d'une route conduisant à Soyécourt.

    Au centre, la route qui relie Chuignes à Vermandovillers coupe celle d'Amiens; un mauvais chemin se détache vers Lihons; il est légèrement encaissé entre Herleville et Vermandovillers, en face du bois Étoilé. Ce bois va être aujourd'hui le théâtre d'un rude combat qui tournera heureusement au désavantage de l'ennemi, je le raconterai plus loin quand il sera question d'Herleville.

    Un chemin circulaire enveloppe Foucaucourt et forme un léger bourrelet, susceptible de gêner un peu la vue de nos mitrailleuses.

    A l'ouest enfin, au nord de la route d'Amiens, on remarque une très légère crête, d'un mètre environ, dont les Allemands se serviront pour leur approche.

    Tous ces détails seront utiles à l'intelligence du combat de Foucaucourt.

    Le 1° Bataillon du 41°, sous les ordres du commandant Hermann, s'était retranché aussi bien qu'il l'avait pu dans ce point d'appui; des barricades avaient été dressées aux issues, des mines semées par le Génie sur les toutes et dans les champs.

    Hermann ayant été appelé au commandement du 22° Étranger le 3 juin, le capitaine Giovanini, venu du
    117° R. I, l'avait remplacé.

    La garnison était composée de la section de Commandement, de la C. A. 1, d'une section de la C. R. E. (deux canons de 25 et deux mortiers de 60), des 3 Compagnies de voltige, et de quelques sapeurs.

    Elle était ainsi répartie :
    Le P. C, de Bataillon et la Section de Commandement, dans la deuxième maison après le poste de secours, à droite de la route de Vermandovillers, à 300 mètres environ avant le carrefour central.
    La 1° Compagnie (lieutenant de Saint-Sever) occupe le secteur est, depuis l'église (exclue) jusqu'au carrefour de la route de Soyécourt, au nord de la route d'Amiens.

    Elle s'échelonne dans l'ordre suivant, de la gauche à la droite: .
    La 1° section (lieutenant Sebag), à gauche de la route de Chuignes; elle tenait aussi, au sud de la route d'Amiens, la mairie-école et le jardin de l'école (groupe du sergent Morazin).
    la 2° section (adjudant Héry), à droite de la route de Dompierre.
    la 3° section (adjudant-chef Rochard), plus à droite, orientait son tir vers Dompierre.
    la 4° section (sous-lieutenant Primel), occupe la droite du secteur; elle a détaché, un peu en pointe vers l'est, dans les dernières maisons, le groupe du sergent (abbé) Béthuel; deux barricades sur la route encadrent ce groupe Isolé, qu'appuie un canon de 25 de la C. R. E. placé un peu en arrière, dans une forge dont le mur a été percé d un créneau, non loin de ce canon, et sur le même côté sud, se tenait une
    partie des voltigeurs de Béthuel. La mission de Béthuel est de se battre et de défendre le carrefour est. Un petit boqueteau se trouvait au sud, et non loin de Béthuel.

    La 3° Compagnie (lieutenant Herzog le 5, sous-lieutenant Goudineau le 6), garde le secteur ouest, à partir de l église, au nord de la route.

    La 3° section, sergent-chef Besnier, à droite de la rue perpendiculaire à la route d'Amiens, dans la région du Calvaire, face au nord.
    La 2° section, sous-lieutenant Goudineau (à partir du 6 : sergent (abbé) Armand Bitaud), à gauche de cette rue, face au nord-ouest.
    La 4° section, sergent-chef Morin, en arrière et à gauche de la 2° section, du côté du cimetière, en flanquement du dispositif.
    La 1° section, sous-lieutenant Agnès, au sud de la route d'Amiens, en réserve.

    Une section de mitrailleuses est placée entre la grange située tout au bout de cette rue perpendiculaire et la ferme qui servait de pivot à la section Goudineau.

    L'observatoire de la 3° Compagnie fut d'abord établi dans cette grange, puis, après sa destruction, un peu au sud, dans une ferme, en face du P. C. de la Compagnie.

    La 2° Compagnie (lieutenant Servais) défend le sud du village, à droite et à gauche de la route de Verrnandovillers : elle protège les arrières du 1° Bataillon.

    Les armes automatiques avaient été placées:
    Le canon de 25 de Bernard, de la C. R. E.dans un bouquet d'arbres isolé, au nord-est de l'église.
    Le canon de Hubert de Goesbriant, C. A. I, dans un jardin, à gauche de la route menant à Dompierre; deux mitrailleuses l'encadraient, celle du caporal Glotain, à gauche, celle du caporal Delarose, à droite.
    Un autre canon de la C. R. E., derrière le groupe Béthuel pour battre la route Estrées-Soyécourt, à l'est.
    Un dernier canon, enfin, au sud de la route dl'Amiens à gauche de la mairie-école, pour la défense sud.
    Des trois mortiers de 60, le premier se trouvait derrière le canon de 25 de Goesbriant, le deuxième au sud du P C de Bataillon et du poste de secours, près de la route de Vermandovillers et du canon de 25 du caporal Arondel pointé vers le sud; le troisième au nord-ouest de l'église . . . 

     


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  • Le bois du Satyre commence à Fay et descend jusqu'aux avancées de Soyécourt. Il est traversé du nord au sud par un ravin profond de 5 ou 6 mètres et par la voie de 60 qui dessert la sucrerie de Dompierre ; la grande route d'Amiens le coupe en son milieu. On y trouve encore aujourd'hui les restes d'abris allemands de l'autre guerre; dans les entonnoirs creusés par les obus ou les mines une abondante végétation a poussé.

    La garde des passages est confiée à une section de la 11° Compagnie, capitaine Fauchon, elle va se battre en ce lieu chargé de souvenirs avec une ardeur farouche. A l'exemple de son chef qui ne cesse de courir à la recherche de l'ennemi.

    Grand, maigre, un peu sourd, avec un regard qui exprime la fermeté et la douceur, mais qui brille d'une flamme dure quand il est question des Allemands; vêtu d'un, uniforme propre, mais qui ressemble plus à celui d'un homme de troupe qu'à celui d'un officier; toujours armé, au combat, d'un mousqueton, tel se présente à nous le capitaine Fauchon, l'un des plus braves soldats que j'aie rencontrés dans les deux guerres. Car il a fait la première aussi, comme tous les officiers du régiment qui ont dépassé la quarantaine. Il connaît les Allemands pour avoir été leur prisonnier. Fauchon est soldat dans l'âme. Certains disaient: C'est un fanatique! Le bel éloge! Fauchon était d'ailleurs très bon pour ses hommes qu'il aimait, eux le lui rendaient bien. Pourtant il exigeait d'eux beaucoup. Comme il était exigeant pour
    lui-même. Je me souviens qu'au début de janvier, nous étions à Lexing devant Sarrebrück. A son retour de permission, il nous y retrouva. La vie aux avant-postes était fort pénible; par le froid, il y avait beaucoup de 
    pieds gelés, par conséquent des évacués nombreux. La Compagnie d'avant demanda le renfort d'une section de la 11° Cie. Fauchon lui-même en prit le commandement; muni seulement de sa couverture et de son mousqueton, il monta au Brandenbusch. Il venait de m'expliquer pourquoi :
    « Pendant ma permission, je n'ai pas quitté un seul instant ma femme et mes enfants; je n'ai rien vu de la ville; après la permission, il faut une réaction; je vais en première ligne ».
    Tel était l'homme; un admirable caractère. Plusieurs fois son administration avait demandé son rappel; il refusa toujours. Sa place était au combat.  Il était resté au Régiment, parce que la censure postale avait su, par la correspondance des hommes, de quel prestige il jouissait auprès d'eux. A sa suite, ils se jetteraient dans le feu. Ils y sont aujourd'hui.

    Le général Toussaint, commandant la 19° D. I. ne ménageait pas sa peine; on le rencontrait partout. Il était venu dans le bois du Satyre, et avait ordonné qu'une section le défendrait. La section de l'adjudant-chef Lebreton, de la 11° Cie avait été désignée.

    L'attaque du bois du Satyre

    Elle était ainsi disposée: le groupe de combat du sergent Le Goff et du caporal-chef Le Chevestrier, une douzaine d'hommes, était à gauche sur la voie de 60, au carrefour des chemins, orienté face au nord; le groupe du sergent Guitton était à droite de cette voie de 60; le groupe du caporal-chef Aubry en arrière; et enfin le groupe de l'adjudant-chef Lebreton, soutenu par le mortier de 81 de l'adjudant Baot, de la Compagnie régimentaire d'engins, en arrière et à l'est du decauville. C'était urie disposition en triangle. Mais, remarque Henri Corre (survivant du groupe Le Goff) les côtés de ce triangle, étant donné le terrain, étaient trop longs; c'est ainsi que son groupe pût être contourné sans que le groupe Aubry, en arrière, s'en rendît compte, car le bois était fort épais, et l'allée qui reliait les groupes n'était pas droite. Henri Corre ajoute que le groupe Le Goff avait eu le tort de prendre une formation en ligne, face à la route d'Amiens, de sorte que personne ne surveillait, d'une manière continue, l'arrière. II ne faut pas oublier, au surplus,
    qu'il y avait seulement une douzaine d'hommes par groupe.

    Vers 3 h 30, la position de la section Lebreton est violemment bombardée par l'artillerie, et bientôt l'aviation vient ajouter ses bombes aux obus.

    Vers 4 heures, nos hommes entendent des cris dans le bois; c'est l'ennemi qui se présente par le nord et descend le ravin de Dompierre à Soyécourt.

    Les groupes avaient déjà été alertés par Lebreton.

    Les Allemands veulent franchir la route et I'occuper; ne le pouvant pas à cause de la résistance du groupe Le Goff, ils contournent le bois par l'ouest et le sud, pour descendre vers Soyécourt et Herleville. Soyécourt est à 1.500 mètres, et Herleville à 3 kilomètres.

    Rangé face à la route et au ravin, le 6° groupe (Le Goff) tire avec ardeur. L'ennemi hésite; plusieurs Allemands passent cependant. Ils longent le bois pour tourner nos fantassins. Mais leurs fusils travaillent bien; ils tuent bon nombre d'ennemis, en blessent davantage encore. Les Allemands disparaissent. Le soldat Henri Corre (un séminariste de Quimper) s'en va, seul, faire une reconnaissance dans les fourrés, car il a aperçu une caisse de bandes pour arme automatique au sommet d'une butte à gauche. Derrière
    cette butte se tiennent 5 ou 6 Allemands blessés ; un de leurs camarades les soigne. Un peu plus tard, il se prétendra brancardier, mais il n'a pas la croix-rouge et il est armé. Corre le fait prisonnier, le désarme, et le conduit au P. C. de Lebreton, à quelques centaines de mètres derrière; il revient à son poste de combat. Mais voici que les munitions manquent. Il est 6 heures environ; il repart en chercher. On ne peut lui donner que 3 paquets de cartouches ! A son retour, les Allemands sont là de nouveau, ne cessant de tirer.
    Corre a tout juste le temps de se glisser près de ses 3 camarades dans le trou du F. M.

    Le sergent Le Goff vient d'être blessé très grièvement au ventre ou au rein. II refuse de se laisser évacuer, estimant que sa place est avec son groupe de combat; il ne veut pas même qu'on s'occupe de lui. Le caporal-chef Le Chevestrier prend le commandement.

    De temps en temps, car il faut ménager les munitions, le F. M. envoie une rafale; Mais peu après, le tireur Francis Cantin s'affaisse, tué raide d'une balle à la tête. Les munitions sont à peu près épuisées. L'ennemi attaque le groupe avec violence par devant par derrière, et lui tire dans le dos. Maintenant les grenades tombent, venant de tous côtés. Nos hommes essaient de franchir le cercle de fer et de feu. Tous s'écroulent tués ou blessés. Le caporal-chef Le Chevestrier est mort, il est étendu les bras en croix. Caillard, qui va mourir, crie encore. Henri Corre est renversé par une balle qui lui a transpercé le poumon droit; la balle a été tirée de tout près; un éclat de grenade l'a aussi blessé a la jambe. Les 12 hommes du groupe Le Goff sont maintenant couchés sur l'herbe.

    Un jeune Allemand donne à boire à Corre, étend sur lui une couverture, puis bande ses deux blessures; il lui dit, en français: « C'est la guerre ».

    Un groupe d'Allemands passe, et, à la prière de celui qui a soigné Corre, l'un d'eux lui donne encore un peu d'eau.

    Quelque temps après l'ennemi s'étant momentanément éloigné Corre se traîne jusqu'au P. C. de Lebreton. Il est environ 7 heures; déjà des blessés allemands sont là.

    A ce moment l'ennemi porte son effort sur le poste de l'adjudant-chef; Henri Corre couché, à moitié nu, assiste à ce combat inégal. Cependant l'ennemi est repoussé, mais l'adjudant Baot est tué d'une balle à la tête, près de son mortier de 81. Corre devra attendre plusieurs heures l'arrivée des brancardiers qui viendront vers 15 heures, amenés par le capitaine Fauchon.

    En effet, celui-ci inquiet de n'avoir pas de liaison avec le « poste intermédiaire» de Lebreton, décide de s'y rendre. Il avait vu du clocher de Soyécourt, de nombreuses vagues d'assaut allemandes manœuvrer, de part et d'autre de la route nationale contre le bois du Satyre. Il avait ordonné au canon de 75 du lieutenant Leclerc de la Herverie de tirer à vue sur ces assaillants, dont une partie battit alors en retraite vers la route de Foucaucourt.

    Fauchon se fait suivre du groupe de combat du sergent Boulanger et de 3 volontaires (soldat Morin, sergent comptable Angibault, sergent Rondel) et il confie momentanément le commandement de son point d'appui au lieutenant Holtz.

    Manœuvrant par un thalweg jusqu'aux premières lisières du bois du Satyre, il s'y infiltre par demi-groupes, et parvient au « poste intermédiaire », qu'il trouve entouré; le terrain était jonché de cadavres allemands.

    Attaquée depuis 3 heures du matin, la section avait été cernée de près, de tous les côtés, et avait résisté à fond, faisant 5 prisonniers, contraignant l'ennemi à reculer et à se terrer au nord de la route de Foucaucourt à Estrées.

    Comme on l'a dit, le groupe Le Goff était anéanti. Les chevaux du mortier de 81 étaient tous tués.

    Fauchon était trop attaché à ses hommes pour ne pas essayer de reprendre les blessés du groupe Le Goff restés entre les mains de l'ennemi. Les camarades de Corre sont en effet demeurés étendus auprès de leurs emplacements de combat. Fauchon d'abord part seul en avant; il est accueill par le feu des Allemands tout proches. Il fonce alors avec le groupe Boulanger et ses volontaires, attaquant au F. M., à
    la grenade, au fusil; il ne peut emporter les morts, pas même le soldat Davy, qui respire encore, mais a le ventre ouvert, et mourra sur place. Les mitraillettes allemandes claquent de tous les côtés, dit le sergent Clément Angibault, qui accompagnait Fauchon. Il faut s'en aller, en emportant le corps du soldat Ramonet, qui vient d'être tué d'une balle dans la tête. Le sergent Rondel a pu s'assurer que Le Chevestrier et tous les autres sont morts.

    Fauchon revient au P. C. de Lebreton.

    L'ennemi avait abandonné une mitrailleuse antichar, une mitrailleuse lourde, des mitraillettes, des pistolets, des mausers, des caisses de munitions, des grenades et de nombreux cadavres.

    Après avoir fait le tour du poste, et félicité ses hommes, le Capitaine fait relever par le groupe Boulanger le groupe Guitton que le sergent Rondel conduit à Soyécourt. On y transporte également le corps de l'adjudant Francis Baot.

    En interrogeant sur place les prisonniers, il apprend que l'effectif des assaillants comprenait 3 Compagnies. Sur le cadavre d'un gefreiter, il trouve un document fort intéressant:
    l'ordre de marche de son unité pour l'attaque; il y était prescrit de prendre Foucaucourt le 6 juin, et Soyécourt le 7 juin.

    Fauchon s'arme d'un Mauser et, aidé des soldats Morin et Djambourien, rapporte à Soyécourt la mitrailleuse antichar; il amène aussi le prisonnier valide.

    Il fait préparer une équipe de brancardiers; il se munit de grenades V. B. pour ravitailler Lebreton en munitions, et  vers 14 h 30, retourne au bois du Satyre, avec le sergent observateur Gauvain, le soldat Morin, 3 brancardiers et des infirmiers pour ramener les blessés. Dans l'intervalle, faute de munitions françaises, Lebreton avait continué de se défendre en utilisant les armes et les munitions allemandes.

    Le capitaine Fauchon revint, ramenant Henri Corre, et
    les blessés allemands, et rapportant un glorieux butin.

    A Soyécourt, la mitrailleuse allemande remplaça une pièce française hors d'usage.

    A la chute du jour le sergent Rondel s'offrit, pour aller porter à Lebreton l'ordre de se replier sur le gros du Bataillon à Soyécourt. Malgré les feux de renfort des Allemands venus d'Estrées, la section de l'adjudant-chef revint heureusement, chargée d'une mitrailleuse ennemie, mais bien diminuée, car aux morts dont j'ai cité déjà les noms, il faut ajouter ceux de Malejacq, Zochetto, Ferrand, Caillard, Gastel, Henri (Yves). . .


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  • Défense du secteur ouest de Fay.

    Vers 4 heures, les premiers fantassins ennemis font leur apparition. Ils viennent de la direction de Dompierre, village situé à 2 kilomètres au nord. Une batterie allemande était installée dans la carrière, près de la briqueterie, dont les bâtiments offraient un abri commode pour les hommes et les munitions. En juillet 1941, on y voyait les traces du travail de I'ennemi.

    Comme l'avait noté, dans un rapport des jours précédents, le lieutenant Holtz, de la 11° Compagnie, il semblait que Fay fût dans le secteur des Allemands de Dompierre.

    Nos mitrailleuses laissent l'ennemi approcher à bonne portée de tir, et quand il est à 600 mètres, les deux pièces du sergent Bernard et du caporal Chareaudeau tirent ensemble, par bandes entières. L'élan de l'ennemi est ralenti; cependant il continue sa progression en rampant et en faisant un mouvement tournant. Une faible ondulation du terrain gêne le tir de nos pièces. Les Allemands arrivent à s'établir dans le verger de la ferme Howard, incendiée, à très courte distance, 50 mètres, de la mitrailleuse Chareaudeau.

    Les balles allemandes démolissent le créneau où se tient le mitrailleur Gillette. Chareaudeau se met à sa pièce et l'on n'entend plus parler de l'Allemand. A la faveur du nuage produit par l'explosion d'une grenade fumigène, les Allemands se rapprochent. Nos mitrailleuses tirent dans le noir, au jugé, pour arrêter, si elle se produit, toute progression ennemie.

    Chareaudeau, Gillette et leurs camarades mitrailleurs feront pendant plus de deux jours un beau travail.

    Les voltigeurs de la 10° Compagnie ne leur cèdent pas en courage. Du soldat Alain Pichon, le caporal Chareaudeau écrit qu'il se défendait comme un lion; on le voyait partout, tirant au mousqueton, repérant les groupes allemands, avertissant les mitrailleurs : « il est formidable, il ne dort jamais ».

    Les mitrailleurs font du tir de précision, qu'un observateur dirige, en s'aidant d'une jumelle. Dans ces conditions les pertes ennemies devaient être considérables. C'est ce qui arriva.

    Du petit bois, à l'ouest de Fay, des fusées montent. Des obus placés bien au but, tombent toujours sur la 10° Compagnie accompagnés de projectiles de mortier et de grenades.

    Le feu prend  dans un petit hangar de la ferme Crow occupée par la section Bernard et les mitrailleurs, à trois reprises; trois fois on l'éteint, sans eau, car il n'y en a même pas pour désaltérer les hommes. Il faudrait aller dans la ferme belge, au sud du point d'appui, où se trouve l'unique réservoir, et bientôt les Allemands y pénètrent. Du 4 au 7 juin, à midi, nos fantassins ne pourront boire : le caporal mitrailleur
    Chareaudeau note dans son récit aux premières heures du 5 juin: « Ce qui nous reste d'eau, nous le gardons pour refroidir le canon de nos mitrailleuses! » 

    Les mitrailleurs ennemis ne s'endorment pas. Ils 'envoient des volées de balles. Le cache-flamme d'une mitrailleuse est arraché.

    Les voltigeurs viennent avertir leurs camarades de la mitraille qu'ils ont repéré un mortier allemand.

    Le sergent Bernard, excellent tireur, envoie une bande entière sur le point indiqué. Plusieurs balles ont probablement percuté des douilles d'obus, car le mortier, les munitions, les trois servants sautent en I'air dans un nuage de fumée : Nous sommes tous contents ! on regarde à la jumelle; ils sont tous les trois étendus par terre, bien morts. Raoul est vengé l

    Les V. B. des voltigeurs font taire un autre mortier, en position également au nord-ouest, en direction de la sucrerie de Dompierre.

    Les mitrailleuses doivent prendre un objectif inattendu: les vaches errantes, derrière lesquelles les Allemands se dissimulent ! quelques-unes sont tuées; elles font des bonds énormes.

    J'ai anticipé sur les événements de la journée, en traçant le tableau de l'activité de nos hommes ; il faut revenir aux premières heures du matin.

    Les fusées vertes, lancées par le lieutenant Bernard, n'ont produit qu'une pâle lueur dans le jour naissant; aucun tir de notre artillerie ne répond à leur appel.

    La fusée jaune, signalant I'arrivée des engins blindés, monte à 25 mètres, et brûle 4 ou 5 secondes.

    En rampant, par bonds, le lieutenant Bernard va visiter ses groupes de combat. Tout le monde est calme et décidé. Un exemple : dans l'un des groupes, un caporal-chef est occupé à démonter et graisser un F. M. encrassé; il travaille sans précipitation, sans énervement.

    On montre à Bernard deux Allemands blessés, tombés sur le chemin, près de la barricade, à 50 mètres. Des balles passent par les volets.

    Derrière Fay, à droite et à gauche, on entend beaucoup de bruit, remarque le lieutenant Bernard. En effet, les Allemands avec plusieurs centaines de chars, attaquent Estrées et Deniécourt; et plus à l'ouest sur la route d'Amiens, dans le bois, près du ravin, le petit groupe du sergent Le Goff de la section Lebreton (11° Compagnie) se défend avec une ardeur magnifique, avant d'être entièrement détruit.

    Depuis le début de l'attaque, une trentaine d'avions tournent au-dessus de Fay, sans pourtant laisser tomber de bombes; l'aviation ennemie est maîtresse du ciel; l'on ne voit pas une cocarde française. Les pilotes allemands piquent et virevoltent.

    A 5 heures du matin, au moment où le bombardement est intense, le capitaine Dorange, commandant la 10° Compagnie, sort pour aller visiter ses hommes sur leurs positions de combat. Sa tournée est presque achevée. Il arrive dans la cour de la grande ferme, derrière l'église, où se tient avec le groupe de mitrailleuses du sergent Bernard, la 4° section de la 10° Cie (lientenant Bernard). Il demande au sergent où il a placé son F. M. et raccompagne vers l'endroit où l'arme a été mise en position. A ce moment Dorange tombe; un gros éclat d'obus lui a déchiré le flanc, affreusement; un autre éclat l'atteint à la tête, au-dessus de l'orbite, et entre dans le crâne; en quelques secondes Dorange meurt.

    La disparition de ce brave soldat est une grande perte à tous égards; Dorange était un officier d'élite; une âme ardente et généreuse. Il avait dit à l'aumônier du 41°, quelques jours plutôt: (Vous verrez; je n'en reviendrai pas; mais les Boches ne m'auront pas vivant !)

    Aussitôt le lieutenant Le Moal prend le commandement; il va faire preuve d'un admirable sang-froid et d'un grand courage, dans ces heures tragiques.

    De tout cela, on ne sait rien au P. C. du Régiment, parce que Fay est déjà complètement entouré. Les coureurs, les munitions, le ravitaillement, rien ne peut plus passer. On ne peut communiquer que par radio avec le P. C. du 41°. Par la droite, un millier de chars ennemi a envahi la plaine, par la gauche les vagues d'infanterie déferlent autour de Foucaucourt et d'HerleviIIe. Les hommes de la 10° Compagnie assistent à ce défilé.

    Il Y a bien un code secret, mais il est si restreint qu'on ne peut donner à peu près aucun renseignement. Même le mot de repli n'y est pas prévu, parce qu'il est prescrit de tenir à tout prix sur les positions, sans songer à se retirer. A VermandoviIIers, on sait seulement que Fay tient toujours. Il est émouvant de penser que, toutes les heures, jusqu'au matin du 7 juin, arrivera au P. C. du Colonel ce message incessamment
    répété : Nous tenons toujours, mais envoyez des renforts, des vivres, des munitions. On ne pouvait envoyer de renforts; il n'y avait pas un homme disponible; quant aux munitions, elles manquaient aussi. On sait pourquoi.

    Quelle ne fut pas la tristesse de nos braves camarades, encerclés par l'ennemi, de ne rien recevoir pendant ces trois jours, et enfin, à 2 heures du matin le 7 juin , de ne plus percevoir la voix amie qui, jusqu'alors, avait du moins répondu à leurs appels angoissés !

    Jusqu'à 7h30, il y a peu de pertes dans le secteur ouest, à la 4° section: un mort avec un ou deux blessés.

    Les balles traceuses de l'ennemi font une multitude de sillons de feu.

    En revenant au groupe du sergent Soulard, le lieutenant Bernard trouve les hommes à leurs postes, couverts de plâtre et d'ardoises: à la lettre, la maison leur tombe sur le dos; mais ils y demeurent.

    En traversant la cour pour aller voir les mitrailleurs, un obus l'atteint, au beau milieu de son bond. La blessure est grave. Sous le bombardement qui continue, les brancardiers viennent le chercher. Le brancardier Duval, un excellent garçon, parfait soldat et parfait chrétien, a un geste magnifique.
    Le lieutenant Bernard le raconte en ces termes:
    « Le geste du brancardier Duval qui me transportait, et s'est jeté sur moi pour me protéger quand lui et son camarade ont dû poser le brancard à terre sous une rafale, ne s'effacera pas de ma mémoire, pas plus que le dévouement attentif du docteur Renaud pour ses blessés. »

    Deux heures après, Bernard est pansé au poste de secours; il est maintenant sur une civière, la jambe dans une gouttière. Il y restera jusqu'au 7 juin.

    Dans l'après-midi du 5 juin, le bruit de la fusillade s'accroît, à la gauche de la 10° Compagnie, lui donnant un instant le faux espoir d'une contre-attaque française. Il s'en faut bien ! Ce sont les Allemands qui commencent à tirer sur les maisons avec des obus antichars, car ils se sont rendu compte que les balles de mitraillettes sont sans effet. Des obus explosent maintenant dans les maisons. 4 hommes du groupe Soulard sont blessés par un projectile.

    Au crépuscule, on vient apporter au caporal mitrailleur Chareaudeau et à son groupe l'ordre de s'établir dans le centre du point d'appui, pour éviter qu'ils ne soient encerclés pendant la nuit. Ils transportent donc leurs pièces et toutes leurs munitions, de l'étable de la grande ferme dans une maison d'habitation, à environ 200 mètres en arrière, et à 30 mètres sur la gauche de l'église. Une petite maison toute neuve de 4 pièces, dont ils percent les murs en direction de l'ennemi; ils y mettent leurs pièces en position couchée.
    Ils établissent une garde sévère à laquelle participent les sapeurs du Génie qui n'ont pu rejoindre leur Compagnie.

    Car Fay est complètement enveloppé. Ceux qui ont essayé de passer ont été tués, ou blessés, ou sont revenus.

    A Fay, la tombée de la nuit apporte un peu de calme. A la faveur des ténèbres, les infirmiers vont chercher de l'eau dans la ferme belge et font du café pour les blessés. Les infirmiers ne sont pas seuls à tenter ce dangereux ravitaillement. D'autres groupes de la 10° les imitent, sous la protection du groupe de combat du sergent Bernard qui prend position entre la barricade sud de Fay, au contact immédiat de l'ennemi. Jusqu'à minuit, les hommes se glissent les uns après les autres jusqu'à l'entrée de la ferme où se trouvait la borne-fontaine alimentée par un grand réservoir installé dans l'un des bâtiments d'exploitation.

    Le point d'appui n'est pas entamé, pas plus que Foucaucourt, Soyécourt, Herleville, Vermandovillers. Partout nos hommes offrent une magnifique résistance.

    Défense du secteur nord de Fay.

     Le secteur nord de Fay est défendu par la 1° section (lieutenant Le Moal). Un canon de 25 a été mis en position, à la pointe du village, dans ce secteur, pour faire face aux engins blindés qui pourraient venir de Dompierre et Assevillers, distants le premier de 2 kilomètres, le second de 2,8 km au nord-est. Les deux routes convergent à l'entrée de Fay, et n'en font plus qu'une qui forme la limite est du village, pour descendre sur Estrées-Deniécourt.

    Le 1° groupe (sergent Bernard) occupe une tranchée, à l'angle sud de la route d'Assevillers; le 2° groupe (sergent Joly, caporal Gandon) l'angle constitué par les routes Dompierre-Assevillers; le 3° (caporal-chef Launé, caporal Le Bahers) une tranchée, en avant des dernières maisons. Le P. C. de la section est dans la ferme, à la pointe de Fay. Un léger réseau de barbelés, au nord et à l'est, couvre la section.

    Dans cette partie du point d'appui, la nuit du 4 au 5 juin avait d'abord été calme. Le violent bombardement, à l'aube, ne fait pas de victimes. Les avions allemands se contentent de lancer leurs fusées. L'infanterie est arrêtée par le tir des fusils, des armes automatiques, et du mortier de 60, placé en arrière de la forge Louis. Jean Quiviger, agent de transmission de Le Moal, et observateur, déclare dans son compte rendu que, dans le secteur de la 1° section, les Allemands ne purent approcher à moins de 150 ou 200 mètres
    de nos positions. Ici, en effet, le champ de tir était excellent; il n'y avait pas pour l'ennemi de couvert sérieux. Nos F. M. et les fusils tiraient sans arrêt. Le lieutenant Le Moal dirigeait lui-même le tir du F. M. du 3° groupe en position devant une fenêtre de la ferme; le tireur Le Roux, les servants Hervy, Mével, Pellas, pendant des heures, vident sur l'ennemi leurs caisses de cartouches.

    En voyant l'ampleur de l'attaque, la première impression des hommes fut que la bataille était probablement perdue; tous pourtant gardaient beaucoup de calme et de sang-froid.

    5 juin 1940 - Fay

    Quand l'attaque est à peu près enrayée, l'espoir revient dans les cœurs : « C'est avec plaisir, note Quiviger, que l'on entendait le crépitement des F. M. et des mitrailleuses. »

    Vers 7 h 30, le matin du 5 juin, les munitions commencent malheureusement à faire défaut. On va en chercher au P. C. de la Compagnie.

    Le canon de 25 arrête coup sur coup un petit tank et 2 camions qui venaient par la route de Dompierre.

    Mais bientôt il y a des blessés. Un des hommes du canon de 25 reçoit un éclat dans les reins. Puis Jean Quiviger, qui se trouvait dans le grenier pour ses observations, est blessé légèrement au visage. Il s'installe à une fenêtre pour tirer au fusil sur les fantassins allemands; il est presque aussitôt atteint par une balle explosive à l'épaule. C'est seulement dans l'après-midi qu'il pourra être transporté au poste de
    secours. La bataille continuait, dit Quiviger, mais avec beaucoup plus de pertes pour les Allemands que pour nous.

    Parmi les blessés qu'il vit arriver au poste de secours Quiviger cite: Jézéquel, de la 4° section; le caporal-chef Launé de la 1°, le sergent Soulard, de la 4° ; le caporal Olivier, de la 7°, Derrien, du canon de 25, de la C. A. 3; Levenez, de la 3°, qui mourut dans la nuit, et François Henry, qui expira le 9 juin à l'hôpital Henri-Martin, de Saint-Quentin.

    Le lieutenant Le Moal, ayant pris le commandement de la 10° Compagnie, est remplacé à la tête de la 1° section par le sergent-chef Sébileau.

    La 1° section tiraille jusqu'au soir. A la nuit, Le Moal lui donne l'ordre d'évacuer la ferme, trop en pointe, et de s'installer dans les maisons, et autour des maisons, en arrière, notamment dans la forge Louis. A peine l'ordre est-il exécuté, que le bombardement redevient intense. Le 2° groupe, qui doit creuser ses trous, se trouve pris sous les bombes et les obus, à découvert. Alain Le Bihan et Le Mouël sont atteints, le premier très grièvement.

    Notons encore cette remarque importante de François Quiviger : la 1° section, qui n'est pas attaquée sur sa droite, dirige plutôt ses feux vers le nord-ouest, pour soutenir la 4° section.

    Ajoutons encore à l'actif du canon de 25 du secteur nord, la destruction de 3 auto-mitrailleuses venant de Dompierre.

    5 juin 1940 - Fay

    Défense du secteur est de Fay.

    La section de l'adjudant Dugast (2°) est établie dans le cimetière de Fay, long de 30 mètres environ, et large de 15; ce cimetière est fermé à l'est par un rideau d'arbres,  le champ de tir est vaste de tous les côtés; à l'est il faut se poster à une vingtaine de mètres sur la petite crête pour avoir une bonne vue. Dugast est donc à droite de la grande route, au carrefour du chemin qui conduit à l'église; il flanque le P.C de Compagnie et le poste de secours installés dans le triangle formé par les deux routes. Deux mitrailleuses de la 1° section de la C. A. 3 appuient ses voltigeurs.

    Au petit jour, le 5 juin, le cimetière est  violemment bombardé, par obus de 150 surtout. Les chars, les autos blindées apparaissent dans le secteur est. Les mitrailleurs préparent leurs cartouches perforantes. L'artillerie allemande ayant arrêté son tir, le caporal mitrailleur Daniel Poirier, et son chargeur Le Mauff, profitent de ce répit pour grimper dans un arbre du cimetière et examiner les alentours. Des side-cars
    sont arrêtés sur la route d'Assevillers (route de Péronne). Poirier fait pointer une mitrailleuse et commande le tir au moment où les conducteurs vont reprendre leurs machines. Trois d'entre elles ne repartiront pas.

    Vers 14 heures, l'adjudant Dugast donne l'ordre d'installer une mitrailleuse sur la petite crête à 20 mètres à l'est du cimetière, pour prendre de flanc les Allemands qui attaquent le 1° Bataillon du 117°, à Estrées. Le caporal Poirier, les mitrailleurs Henri Huet et Joseph Le Mauff, s'y transportent en rampant, et vident une caisse entière de cartouches sur une nouvelle section ennemie qui vient de descendre des camions. Cela fait, ils retournent à leur position normale. Arrivé à son emplacement, Daniel Poirier reçoit une balle
    dans la hanche.

    Quelques minutes après, des Allemands se montrent à la crête; sont aussitôt couchés par un F. M. de la section Dugast.

    Pendant ce temps, le tir des mortiers ennemis a repris. C'est a ce moment que les brancardiers de la 10° Compagnie viennent relever Poirier pour le porter au poste de secours. Poirier, aussi bien que Quiviger et Chareaudeau, se plaisent à signaler le courage extraordinaire des brancardiers. Le caporal-chef Lécrivain et Duval font l'admiration de tous.

    La journée du 5 juin s'achève; derrière Fay, à gauche, le 41° tient toujours solidement Foucaucourt, Soyécourt; mais à droite, le 117° d'Estrées, Deniécourt, Belloy et Berny a succombé, submergé sous le flot puissant de deux divisions Cuirassées; à l'extrême droite, le 22° Étranger s'oppose farouchement à l'avance ennemie dans son secteur de Fresnes-Marchelepot . . . 


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  • Vers minuit et demi de nombreuses fusées vertes partent du sol au nord-ouest de Fay. Elles sont lancées par les Allemands, pour amener peut-être nos batteries à se découvrir. En effet, aussitôt 3 batteries de 75 déclenchent un violent tir de barrage.

    Vers 3h30 le bombardement ennemi commence . . .


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