• La défense de Deniécourt

    En arrière d'Estrées, à 1 km, le tout petit village de Deniécourt aligne ses maisons le long de la route de Chaulnes à Dompierre. A certains endroits mal nivelés, autour de l'église neuve, et sur l'emplacement du château détruit pendant la grande guerre, on devine encore le tracé des tranchées ou des positions de batteries allemandes.

    Le P.C. du commandant Pierret, chef du 1° Bataillon du 117°, y est établi; il n'a autour de lui que sa section de Commandement, sa 2° Compagnie, 3 mitrailleuses de la C.A.1, 1 canon de 25, une section de 4 mitrailleuses de 20 mm, 1 canon de 75 et son équipe de la 6° batterie, commandée par l'aspirant de la Motte-Rouge. Le règlement prescrivait que les mitrailleuses de 20 mm étaient mises à la disposition du 1° Bataillon de chaque régiment; en la circonstance, c'était un inconvénient, car la section de mitrailleuses de 20 mm supprimait une section de mitrailleuses ordinaires.

    Deniécourt était également l'observatoire avancé du 3° groupe du 10° R.A.D, appui du 41° RI.

    Le capitaine de Nantois, de la 9° Batterie, s'y était installé le soir du 4 juin.

    Pendant la journée du 5 juin, le rôle du capitaine de Nantois fut important. On l'a vu par le récit que j'ai fait du combat autour du Bois Etoilé. Par des renseignements précis, cet officier dirigea efficacement les tirs du groupe. Son nom reviendra plusieurs fois dans ce paragraphe.

    L'artillerie et l'aviation ennemies s'étaient montrées fort actives les 3 et 4 juin. Le début de la nuit du 4 juin ne fut marqué que par les tirs de harcèlement du 3° groupe du 10° R.A.D et par ceux d'un groupe de 155 du 210° sur Assevillers et les pentes entre Becquencourt et Assevillers. Il n'y eut pas de réaction du côté allemand.

    La défense de Deniécourt

    Le 5 juin, à 2 h. 30, des fusées verdâtres déclenchent les tirs d'arrêt du 3° groupe. Le capitaine de Nantois demande par téléphone de ne pas continuer ces tirs, car les fusées étaient allemandes et partaient des lignes ennemies. Les tirs d'arrêt furent néanmoins achevés et même répétés. L'artillerie agit ensuite par concentration sur certains points fixés par le commandement.

    Je dois tous mes renseignements sur Deniécourt au commandant Pierret et au capitaine de Nantois.

    L'attaque allemande débute par un bombardement très violent d'artillerie, vers 3 heures du matin. La rue était remplie de fumée; les tuiles des toits volaient en éclats; des pierres étaient projetées dans toutes les directions.

    Le capitaine François, commandant de la C. A. 1, et le lieutenant Hélion, officier adjoint, rejoignent le Chef de Bataillon. La mesure fâcheuse qui avait fait renvoyer à l'arrière, malgré leur protestation, avant le 15 mai, les capitaines de réserve âgés de plus de 40 ans, avait malheureusement privé le commandant Pierret de son adjudant major et des capitaines des 2° et 3° Compagnies.

    Vers 3 h 30, les chars ennemis apparaissent, en nombre considérable, de chaque côté de Deniécourt, une centaine environ à l'est et 80 à l'ouest.

    La défense avait été bien organisée: emplacements de tir, observatoires, solides barricades, etc... Mais en raison des instructions reçues, rien n'avait été préparé entre les points d'appui. C'eût été un travail inutile, puisqu'on n'avait personne à y mettre.

    Bien renseignés et guidés par leur aviation, les chars passent donc dans les intervalles, à 1.500 ou 2.000 mètres, hors de portée de nos canons de 25 et même de 47.

    Cependant un certain nombre de gros chars se présentent à la lisière nord de Deniécourt, pour détruire les armes antichars. C'est ainsi que le canon de 75 placé en D. C. B., à environ 30 mètres à l'est de la route de la Bascule à Ablaincourt, ne peut tirer qu'un seul obus, car le canon de 88 d'un gros char de 60 tonnes le coupe en deux de son premier coup, blessant mortellement l'aspirant de la Motte-Rouge (il avait
    la tête ouverte) et tuant plusieurs sous-officiers ou soldats.

    La défense de Deniécourt

    Le canon de 25 est aussi mis hors d'usage. Il n'y avait donc plus à Deniécourt d'armes antichars.

    Le capitaine de Nantois expose ainsi les faits qui marquent le début de l'attaque:

    Tout le monde est mis en alerte, aussi bien aux batteries qu'à l'observatoire par une préparation d'artillerie en 105 et quelques 150, exécutée par l'ennemi sur le village d'Estrées avec une précision remarquable et une rare intensité. Quelques tirs allemands balaient également la région comprise entre Estrées, Deniécourt et Soyécourt. Au petit jour, les fusées verdâtres de la nuit se répètent; elles jalonnent un
    front du carrefour de Bussus au carrefour ouest d'Assevillers. Elles sont donc bien émises par l'ennemi.

    Des engins automobiles, puis des chars, sortent d'Herbécourt et se dirigent vers le Bois Noir.
    A tout hasard, je donne à ma batterie (la 9° au Bois Étoilé) les éléments d'un tir destiné à battre une partie du front jalonné par les fusées verdâtres.
    Les chars s'y rassemblent en effet.
    Bien que soumise à un intense bombardement par avions (12 appareils survolent, par groupe de trois, le Bois Étoilé, 2 de chaque groupe mitraillant, et le troisième lançant des bombes incendiaires, et cela à 3 reprises), la batterie tire à mon commandement. Les nuages d'éclatement couvrent une dizaine de chars. Lorsqu'ils se dissipent, deux chars sont immobilisés, un troisième brûle. J'ignore ce que sont devenus
    les autres, mais ils ne débouchent pas.
    Les tirs ennemis, à l'ouest d'Estrées et de Deniécourt se multiplient. Une ligne téléphonique est détruite. II ne sera plus possible de la réparer. Je n'ai plus d'autre liaison qu'un E. R. 22 qui me met en communication avec le 3° groupe.

    A 5 h 15, les chars franchissent la route nationale Foucaucourt-Estrées. La droite des chars passe, pour
    l'observatoire, 300 mètres à gauche du carrefour des routes de Deniécourt et de Soyécourt à Estrées. La gauche de l'attaque ennemie est à l'est d'Estrées; elle n'est pas visible de l'observatoire.
    Les chars se sont d'abord placés en bataille sur la ligne jalonnée par les fusées verdâtres, fusées qui devaient être répétées en cours d'action, et chaque fois annoncer le rassemblement d'une nouvelle vague d'engins blindés. Ils ont ensuite avancé à toute vitesse nord-nord-ouest, sud-sud-est, jusqu'à dépasser la zone de nos tirs d'arrêt (le déclenchement de ces tirs au petit matin avait été sans doute pour eux un
    précieux renseignement).

    La défense de Deniécourt

    Après avoir passé la route nationale en évitant le village d'Estrées, ils ont marqué le pas pour s'aligner; puis, un char sur trois en avant, ils ont progressé lentement à travers champs dans l'intervalle des villages, c'est-à-dire des points d'appui et s'ils suivaient la route un instant, la quittant toujours avant chaque carrefour. Dès qu'une arme antichars se révélait, presque toujours en attaquant le char avancé, les deux autres chars du même groupe venaient à son secours. Il m'a été dit qu'en certains points un char,
    deux chars, avaient été touchés, mais qu'il est arrivé bien rarement que le troisième fut démoli avant d'avoir réduit au silence la pièce antichars.

    La pièce de la 6° batterie fut détruite avant d'avoir pu toucher les chars. Un peu avant 5 heures, j'avais prévenu l'aspirant de la Motte-Rouge du déploiement des chars. Il était déjà à son poste avec ses hommes. Je remonte ensuite à mon créneau d'observation.

    Vers 5 h 15, alors que les chars s'apprêtaient à longer par l'ouest le village de Deniécourt pour attaquer plus à l'arrière, l'un d'eux est vu par la Motte-Rouge au sommet d'une petite crête à gauche de la route Deniécourt-Estrées. Il tire; un premier obus manque le char; une seconde cartouche était déjà chargée, lorsque deux chars qui étaient au nord-est de la ferme Dollé, venant au secours de leur char de pointe, tirent: un de leurs obus éclate sans faire aucun mal, à l'entrée d'une cave; un autre, hélas! percute sur la
    volée même de la pièce; la coupant et volatilisant en même temps une fragile clôture de ciment, à travers laquelle tirait le canon pour en faire autant de projectiles supplémentaires. L'aspirant et ses hommes sont tous tués ou blessés.
    Vers 5 h 30, la première vague de chars, après avoir longé le mur de la ferme de l'observatoire (ferme Dollé) et quitté la route et tourné le village par l'ouest, disparaît vers le sud. Aux alentours immédiats de l'observatoire, un calme relatif est revenu. Estrées brûle et est attaqué par l'infanterie allemande.

    Le 117° R.I y résiste opiniâtrement.
    Estrées ne tombera que vers 15 heures, et des éléments isolés y résisteront jusqu'à 17 heures. Le bombardement s'allonge par moment et menace la ferme de l'observatoire.

    Un peu avant 6 heures, tombent dans la cour quelques chapelets de petites bombes lancées par des avions qui la survolent et la mitraillent. Mon grenier est traverse par les balles. La pièce du rez-de-chaussée où est installé le poste radio reçoit balles et éclats, mais les deux radios, le brigadier
    Charles Coïc et le canonnier Morice, continuent sans se troubler l'écoute permanente.

    A 6 h 15, pour la première fois, des balles de mitrailleuses terrestres viennent frapper le créneau d'observation. Je fais abriter mon personnel d'observation dans une cave et reste seul dans le grenier. De nouveaux chars isolés passent par intervalle. Mais la fumée des incendies couvre une grande partie du paysage. Je descends afin de resserrer ma liaison avec l'infanterie, et, faute de vues, de profiter des
    renseignements qui lui parviendraient.

    Il est 7 heures. Je vois d'abord l'aspirant de la Motte-Rouge, à demi-couché sur l'épaulement de la pièce, appuyé sur le coude droit la jambe gauche en l'air, sans connaissance, mais respirant fortement; en pendant: de l'autre côté de la pièce, étendu sur le dos, mi-soulève, son pointeur Proult, tué sur le coup; tous les deux face à l'ennemi. D'un trou voisin sortent les autres servants, tous plus ou moins touchés. Personne n'était venu encore à leur secours, parce qu'ils étaient en vue de deux chars arrêtés sur la crête d'Estrées Avec l'aide d'un fantassin du 117°, nommé Le Yaouane, qui s'est mis spontanément à ma disposition,
    j'ai pu ramasser tous les blessés et les mettre a l'abri, soit dans une grange, soit dans une cave. Les chars arrêtés semblent n'avoir rien vu; mais le bombardement reprend, intense, atteignant pour la première fois la ferme. Ce n'est qu'une demi-heure après que j'ai pu faire relever le mort, et que je l'ai enseveli décemment dans une pièce de la maison.

    Les infirmiers et les brancardiers du Bataillon ont pu nous rejoindre vers les 9 heures et donner aux blessés des soins un peu moins sommaires que ceux qu'ils avaient reçus de moi et de mes hommes. Mais ce n'est qu'à 12 heures que profitant d'un arrêt dans le combat dont je parlerai plus
    loin, je pus donner l'ordre de les transporter au poste de secours du Bataillon.

    De 7 heures à 12 heures, j'occupai mon grenier seul, car il était parfaitement inutile de risquer plusieurs dans un lieu traversé de balles et d'éclats. C'est ainsi que je vis. trois chars allemands qui revenaient de la direction de Soyécourt, passaient à 500 mètres de l'observatoire, puis regagnaient leur ligne de départ. Blessé à l'oeil gauche vers 10 heures, mon oeil droit me suffit jusqu'au soir.

    Je descendais aussi par moment pour prendre liaison avec l'infanterie, surveiller mon poste radio, etc... Je trouve que mes radios sont trop exposés; je leur donne l'ordre formel de descendre dans la cave avec leur appareil, puis je remonte observer; quelque trois quarts d'heure après je redescends, et je trouve mes radios à leur ancienne place; je m'en étonne, et le brigadier de me répondre: (( Nous vous avons obéi, nous sommes descendus et avons installé l'appareil; mais on entendait mal; alors nous sommes"
    remontés ici, puisque l'écoute y était meilleure ))

    La ferme de l'observatoire est à nouveau bombardée par avions en fin de matinée.

    Estrées est débordé par l'est; les premiers fantassins ennemis parviennent jusqu'à un petit bois à notre droite et à mi-chemin d'Estrées.

    Depuis 11 heures, je préparais le déménagement de l'observatoire: il était devenu impossible de travailler dans un endroit où téléphone et plan directeur étaient criblés de balles, où la fumée de l'incendie d'Estrées empêchait toute observation sérieuse.

    Un peu avant midi, je vois l'infanterie allemande déborder le village.

    A midi, une accalmie se produit dans tout le secteur: l'ennemi ramasse ses morts. Il devait en remplir 12 camions et 12 remorques, et les charger au point que les roues des camions enfonçaient là où les chenilles des chars avaient à peine marqué.

    Ma décision est prise: je donne l'ordre d'évacuer les blessés de la 6° batterie jusqu'au P. C. de Bataillon.

    A 12 h. 15, je quitte la ferme avec mon détachement et mon matériel. Je gagne Deniécourt. Je me présente au chef de bataillon Pierret. Il devait dans la journée me faire profiter de tous les renseignements qui lui parvenaient; et à mesure que l'action avançait, que les incendies se multipliaient enlevant toute vue, le renseignement d'infanterie devenait la principale source d'information.

    Il fut également convenu qu'en cas d'assaut, les artilleurs prendraient leur place dans les groupes de combat d'infanterie, s'armant, puisqu'ils n'avaient pas d'armes individuelles, des fusils des premiers tués. 

    La ferme Dollé, qu'abandonnaient par nécessité le capitaine de Nantois et ses artilleurs, est située à une courte distance de Deniécourt, mais elle forme un groupe important de bâtiments isolés dans lesquels les artilleurs eussent pu facilement être enveloppés. Il fallait donc qu'ils rejoignissent le gros du Bataillon.

    Le capitaine de Nantois installa son observatoire dans la maison où se trouvait déjà celui du Bataillon, légèrement au nord, vers le centre du point d'appui. Le poste de radio fut rapidement monté dans le P. C. de la 2° Compagnie. Le capitaine de Nantois circula tout l'après-midi entre son observatoire, le P. C. de Bataillon et son poste de radio.

    Le commandant Pierret signale qu'après la destruction de ses armes antichars, les chars ennemis s'approchèrent du point d'appui et ouvrirent le feu. Il était difficile de circuler, car les obus pleuvaient, les balles traceuses des mitrailleuses se multipliaient. Deux chars touchés par nos projectiles et
    immobilisés à 500 mètres, au sud de Deniécourt, furent remorqués, en plein combat, par des chars de dépannage.

    Cette première vague de 180 chars était accompagnée d'autos blindées transportant de l'infanterie. Celle-ci, débarquée ,derrière les pentes, s'installa sur les crêtes dans des tranchées qu'elle creusa immédiatement. Les chars continuèrent leur marche vers le sud et attaquèrent notre artillerie (canons de 75) établie notamment dans un boqueteau et dans le chemin au nord et autour d'Ablaincourt. Nos batteries furent rapidement réduites au silence. Le commandant Pierret apprit le lendemain, par des officiers du 10° R. A. D. prisonniers, qu'après une héroïque défense beaucoup de nos artilleurs furent tués sur leurs canons; les officiers survivants furent hissés sur les chars ennemis. D'autres faits du même genre m'ont été signalés.

    De Deniécourt, On put constater pendant toute la matinée et une partie de l'après-midi, que les villages voisins étaient également bombardés et attaqués.

    Aidés par les notes du commandant Pierrot et du capitaine, de Nantois, nous pouvons suivre les péripéties de la bataille.

    A 14 heures, le bombardement recommence intense sur Estrées, et à Deniécourt, sur la ferme de l'observatoire. Quelques obus tombent au centre de Deniecourt.
    A 15 heures, l'infanterie ennemie dont nous avions déjà aperçu vers 11 heures quelques éléments débordant Estrées par l'est et prenant pied dans un petit bois entre Estrées et Deniécourt, achève cette manoeuvre en nombre et occupe définitivement le petit bois.

    A 15 heures également, la ferme où est l'observatoire commence à brûler. La section Chasseray s'y maintiendra jusqu'au soir dans une atmosphère irrespirable, sans pour cela demeurer inactive. Elle ira chercher en avant, à 15 h 30 deux artilleurs blessés (maréchal des logis chef des Ormeaux et canonnier Schirlin). Elle harcèlera par ses tirs tous les mouvements de l'ennemi qu'elle peut apercevoir. Elle ne se
    rendra que sur l'ordre du Chef de Bataillon et la dernière du point d'appui.

    A partir de 15 h 30, on signale des infiltrations d'infanterie ennemie à l'ouest d'Estrées et de Deniécourt. Je fais tirer mon groupe:

    Le bombardement de Deniécourt s'intensifie.

    A 16 h 30, les premières colonnes de prisonniers français ramenés des arrières français dans les lignes allemandes, sont vues marchant sur la route de Fresnes-Mazancourt. Elles sont importantes; l'une d'elles comprend un grand nombre d'officiers, dont plusieurs en pantalons, un État-Major sans doute. Et cela, en montrant la profondeur de la pénétration ennemie, jette une certaine inquiétude dans les esprits. Elle est augmentée par des messages du P. C. du 117°, enlevant tout espoir de secours.

    Je donne alors une partie de mon détachement, à l'infanterie, ne gardant que les radios et deux observateurs.

    Le commandant Pierret, n'ayant plus de ligne téléphonique, rendit compte pendant toute la journée au P. C. R. I. des événements et demanda des munitions. On ne pouvait, lui fut-il répondu, envoyer de chenillettes; elles ne sauraient passer à travers les chars; mais on priait le 41°, à gauche, de ravitailler Deniécourt. Ce n'était pas davantage possible, pour la même raison: le point d'appui était encerclé.

    Au cours de l'après-midi, cependant, on vit arriver assez bas, un gros avion français. Parfaitement encadré par la D. C. A. allemande, il fit demi-tour à 500 mètres du village. Cet avion, envoyé sur la demande du lieutenant-colonel Cordonnier apportait des munitions qu'il devait lâcher en parachutes. Atteint par l'artillerie ennemie, il alla tomber un peu plus loin.

    Sans cesse le commandant Pierret avait espéré voir apparaître des avions et des chars français qui le dégageraient. Vain espoir!

    Après la chute d'Estrées, vers 17 h 30, une colonne de chars et de voitures blindées descendit de ce village vers Deniécourt et prit position autour du point d'appui, qui est bientôt encerclé. Les chars tirent sur le village leurs petits obus et de nombreuses rafales de balles traçantes. « Les fantassins du 117° cherchent à atteindre tout ce qu'ils voient. Mais les canons de 25 et les mitrailleuses lourdes sont démolis.
    Il leur reste quelques fusils-mitrailleurs et des mortiers. »

    Des incendies se déclarent dans les parties qui n'avaient pas encore été détruites, allumés par les obus incendiaires et les balles traceuses. Par ce bombardement, le groupe de mitrailleuses de la section Desert, et plusieurs fusils-mitrailleurs sont mis hors d'usage.

    Derrière les chars, des autos blindées amènent des renforts d'infanterie, qui essaient de s'approcher du village et de s'y infiltrer.

    Du P. C. du Bataillon, l'adjudant-chef Bourigan fait ouvrir le feu sur cette infanterie.

    Le caporal Peccate, secrétaire du Commandant, va sous les balles chercher dans une grange un F. M. resté dans un side-car. Du premier étage du P. C., il tire jusqu'à épuisement de ses munitions. 

    Tous les hommes, dans ces circonstances difficiles, font preuve d'un grand courage, sans perdre leur calme. Citons ici ce fait que rapporte le commandant Pierret, L'adjudant chef du Génie qui avait, avec sa section de sapeurs, posé des mines toute la nuit, vint le trouver le matin pour lui proposer d'aller chercher ses, hommes et de renforcer avec eux la ligne de défense de Deniécourt. Rampant entre les chars ennemis, il parcourut ainsi les 500 mètres qui séparaient la ferme où ils se tenaient du point d'appui, et de la même manière, avec beaucoup de courage et d'audace, il ramène ses 40 hommes.

    A 19 heures, Deniécourt est en flammes. Les balles traçantes ont mis le feu aux fourrages entreposés dans les granges. La chaleur et les suies des incendies rendent pénible le séjour dans le village. Nous attendons l'assaut. Les artilleurs doublent les guetteurs d'infanterie. Les grenades sont distribuées. De rares bouteilles d'essence peuvent être équipées dans le cas où les chars pénétreraient dans le
    village.

    Le capitaine de Nantois, dont je cite les notes, rend ce témoignage: « La tenue de tous est sans faiblesse. Fantassins et artilleurs (et sapeurs) sont prêts à résister. J'ai été particulièrement heureux de vivre ces moments aux côtés du lieutenant Tartonne, commandant la 2° Compagnie. Ce très jeune officier, animé avant tout de l'esprit de devoir, donnait des ordres avec un grand calme et une parfaite connaissance de son métier. J'ai vu à quel point ses hommes avaient; confiance en lui, combien aussi son autorité était
    grande dans l'ensemble du Bataillon.

    Le village brûle; le bombardement continue; il n'y a plus de liaison possible avec la section Chasseray qui résiste toujours dans la ferme de l'observatoire. La circulation devient très difficile à l'intérieur de Deniecourt, dont les rues sont battues constamment par le feu des armes automatiques ennemies.

    Vers 20 heures, ajoute le commandant Pierret, le nombre des chars allemands déjà bien grand est encore augmenté. Son Bataillon est à bout de munitions.

    Devant lui Estrées et Belloy, à sa droite Berny, ont succombé. Il ne sait pas que tout le reste du dispositif de la Division tient encore, que le sous-secteur ouest en particulier tiendra jusqu'au 7juin, de Fay à Lihons.

    A plusieurs reprises, le Commandant a reçu du P. C. R. I. des messages lui confirmant avec de plus en plus de netteté, qu'il n'avait à attendre aucun secours, aucun ravitaillement en munitions.

    Il fallait envisager la fin de la résistance.

    Pour parler des derniers instants de combat, je cite encore le capitaine de Nantois.

    Le commandant Pierret convoque « à 21 heures, à son P. C. tous les officiers présents dans le point d'appui. En m'y rendant, je vois s'élever les fusées de rassemblement des chars.

    Le Chef de Bataillon déclare qu'i! n'a plus de munitions et va se rendre. Ainsi est-il fait.

    En rejoignant mes hommes en compagnie du lieutenant Tartonne, je vois des fantassins qui déjà abandonnent leurs armes. Je rassemble les artilleurs, et, avec eux, je détruis tout mon matériel optique et transmissions. Tous les documents sont brûlés. Après avoir jeté mon pistolet dans un brasier, je n'avance à leur tête dans la rue principale où nous rencontrons les premiers soldats allemands. Il est 21 h 30.

    Nous sommes conduits à l'ouest du village. Le commandant Pierret et son adjudant-major, le capitaine François, sont emmenés à part.

    Avec le lieutenant Tartonne et les autres officiers d'infanterie, je traverse trois rangées: de véhicules, l'une de chars, l'autre de voitures légères blindées, la troisième de motocyclettes; tout cela presque jointif, constituait l' encerclement du point d'appui. Nous sommes conduits à la côte 88; là, on nous fait asseoir sur le sol, et des hommes nous gardent la mitraillette braquée.

    Seules de toute l'artillerie du secteur, les batteries du Bois Étoilé tirent encore. Je les entends et reconnais nettement ma batterie.

    Un officier supérieur s'approche de moi. Il veut savoir comment, artilleur, je suis au milieu de l'infanterie. Je lui réponds que je suis l'observateur du groupement. Alors il me dit en français: « Je vous dois mes beaux compliments pour le mal que vous nous avez fait ». Il me parle des pertes subies par eux, m'offre de garder mes armes, si je les ai encore. »

    Je termine par cette remarque du commandant Pierret; quand les derniers groupes furent capturés, et tous les hommes rassemblés à la lisière ouest de Deniécourt, les officiers allemands qui avaient conduit l'attaque firent appeler le Commandant, le saluèrent, et l'un d'eux lui dit:(Vous vous êtes bien battus; mais, malheureusement pour vous; vous n'aviez pas d'avions, pas de chars, et plus d'artillerie. )

    Des ambulances automobiles vinrent prendre les blessés, artilleurs et fantassins, parmi eux les lieutenants Mallet et Janffret, du 117°, et l'aspirant de la Motte-Rouge, du 10° R. A. D. Il était agonisant et mourut à son arrivée à Albert . . . 

     

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