• L'Almanac'h, les grandes dates de l'Histoire de Bretagne

    #9 La bataille de Saint-Marcel, le 18 juin 1944
     Durée 21 minutes
    3 février 2021
    Cette date est restée comme celle de la bataille de Saint-Marcel (56), journée pendant laquelle l'armée allemande a liquidé cet important maquis morbihannais. La mémoire des deux semaines d'intense activité de la Résistance et la terrible repression qui a suivi a durablement marqué les habitants.

    Tristan Leroy est conservateur du Musée de la Résistance Bretonne de Sant-Marcel, actuellement en pleine refonte muséographique. Cette nouvelle présentation mettra l'humain au cœur du propos, en mettant en avant des objets qui ont une histoire afin de restituer ce qui a pu être le quotidien des résistants à hauteur d'homme.

    Dans cet épisode, il nous raconte la formation de la Résistance bretonne puis du maquis de Saint-Marcel et sa liquidation à partir de ce que l'on a vite appelé la bataille de Saint-Marcel, le 18/06/1944. La question de la mémoire locale des événements est le fil rouge de ce récit, avec les témoignages de survivants, recueillis en 2012 par des élèves du lycée Jean Quiennec de Malestroit.

    L’Almanac’h est une série produite par Bretagne Culture Diversité.

    Proposée et réalisée par Antoine Gouritin.

    Les témoignages de cet épisode sont extraits du film réalisé par les élèves du lycée Jean Quiennec de Malestroit en 2012 : https://vimeo.com/46279860

    La musique originale est de Jeff Alluin.

    Pour aller plus loin :
    Bougeard Christian, La Bretagne pendant la Seconde Guerre mondiale et les identités régionales, Brest, Editions du CRBC, 2002.
    Leroux Roger, Le Morbihan en guerre 1939-1945, Mayenne, Joseph Floch, 1978.
    Animé par : Bretagne Culture Diversité
     
     

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  • Mail du 06/12/2017.

    Monsieur, j'ai eu l'occasion de lire votre blog consacré à la mémoire du 41° Régiment d'infanterie durant la seconde guerre mondiale, qui m'a beaucoup intéressé, étant l'un des petit-fils du Lieutenant-Colonel Loichot, qui commanda ce régiment en 1940. Pour votre information, un livre vient de paraître concernant le Lieutenant-Colonel Loichot : 
    "le lieutenant-colonel Loichot, une âme de résistant", par Gilles-Marie Moreau, éditions L'Harmattan. 
    Gilles-Marie Moreau est mon frère, lui aussi donc petit-fils du Lieutenant-Colonel Loichot. Voici la présentation du livre : 

    Ce livre retrace la vie, dans l’armée et dans la Résistance, mais aussi dans sa famille, d’un officier franc-comtois, titulaire de onze citations, mort pour la France en déportation pour faits de Résistance. Il a été écrit à partir de la consultation de nombreuses archives publiques, privées et familiales, ainsi que grâce à des témoignages.
    Né dans le Haut-Doubs en 1888 d’une famille très chrétienne, Camille Loichot devient d’abord instituteur libre. En 1914, il est sergent de réserve dans l’infanterie. En 1918 il est capitaine au 171e RI, chevalier de la Légion
    d’honneur, avec sept citations, et a été blessé trois fois. Le 7 novembre de la même année, il assiste à l’arrivée des parlementaires allemands venus demander l’armistice.
    Il reste alors dans l’armée, participe à l’occupation française de la Rhénanie, à la campagne de Syrie où il est cité, puis devient chef de bataillon à Colmar au 152e RI, un régiment d’élite.
    En 1940 il commande le 41e RI, un régiment breton qui sera cité à l’ordre de l’Armée pour sa magnifique conduite au combat.
    Retourné à la vie civile durant l’Occupation, le colonel Loichot rejoint la Résistance au sein de l’ORA, et prend le commandement du groupement Doubs-Jura-Nord des FFI. Arrêté le 11 février 1944, il est emprisonné à Besançon, puis déporté en Allemagne : à Fribourg, puis Manching, et enfin au camp de Dachau. Libéré le 15 mai 1945, il rejoint la Première Armée française du général de Lattre, mais tombe gravement malade et meurt à Ravensburg le 25 mai 1945.

    Courriers . . .

    Je vous prie de croire, Monsieur, à l'expression de mes meilleurs sentiments. 
    Philippe Moreau


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  • Extrait de l'histoire du camp des indésirables . . .

    La politique de répression mise en place par la IIIe République à l’encontre des individus jugés « dangereux pour la défense nationale ou la sécurité publique » se traduit dans les départements par la création de « centres de séjour surveillé pour indésirables français ». En Dordogne, le « Camp du château du Sablou » voit ainsi le jour. Il fonctionne du 17 janvier au 30 décembre 1940, soit une année à peine… suffisamment longtemps pour marquer la mémoire du lieu, ainsi que celle des trois à quatre cents internés, détenus « par mesure administrative ».

    Le château du Sablou, côté cour

     

    Le 41° RI au Château du Sablou en 1940 (le camp des indésirables)

     

    Pour bien mesurer toute l’ampleur du dispositif répressif, il est nécessaire de garder en mémoire la chronologie des événements qui se succèdent à compter de la déclaration de guerre de l’Angleterre et de la France à l’Allemagne. Le conflit qui éclate le 3 septembre 1939 conduit le gouvernement Daladier à renforcer la surveillance des milieux politiques considérés comme subversifs et à étendre la procédure d’internement à tout individu, étranger ou non, suspecté de porter atteinte à la défense nationale ou à la sécurité publique. Le décret-loi du 12 novembre 1938 relatif à « la situation et à la police des étrangers » a déjà statué sur le cas de ces « indésirables étrangers » dont il est « indispensable d’assurer l’élimination […] en raison de leur activité dangereuse pour la sécurité nationale ». En vue de leur internement, des « centres spéciaux de rassemblement » sont créés. Le premier d’entre eux voit officiellement le jour le 21 janvier 1939, au lieu-dit « Rieucros », sur la commune de Mende (Lozère). Des dizaines de milliers d’étrangers y sont détenus, Espagnols d’abord puis, sous Vichy, juifs allemands, autrichiens, polonais et français.

    Avec le décret-loi du 18 novembre 1939, une nouvelle étape est franchie dans la répression :

    « Les individus dangereux pour la défense nationale ou pour la sécurité publique peuvent, sur décision du préfet, être éloignés par l’autorité militaire des lieux où ils résident et, en cas de nécessité, être astreints à résider dans un centre désigné par décision du ministre de la Défense nationale et de la Guerre et du ministre de l’Intérieur ».

    Cette mesure vise principalement les militants et sympathisants communistes ainsi que les « ressortissants de puissances ennemies ». L’internement administratif accorde aux préfets un pouvoir souverain. Sans qu’aucun délit n’ait été commis, sans qu’aucun jugement ni aucune condamnation n’aient été prononcés, ces derniers peuvent à loisir interner, « à titre préventif ». Le 14 décembre 1939, dans une circulaire qui leur est adressée, Albert Sarraut, ministre de l’Intérieur, fixe les conditions d’application du décret-loi :

    « L’extrémiste qui, par ses conseils et ses tracts, s’efforce de rompre dans les usines le moral robuste des travailleurs, l’alarmiste des cénacles ou des salons qui jette sur ses auditoires les paroles de mensonge ou les prophéties de panique sont, au même titre, les ennemis de la Patrie, et le devoir que vous trace le décret du 18 Novembre est de les déceler en les éloignant, sans délai, des lieux où ils poursuivent une activité d’autant plus nocive qu’elle parvient à se mieux soustraire à l’étreinte de la loi. […] Dès lors, la nécessité s’impose d’être armé non seulement contre le fait délictueux ou criminel, mais aussi contre la volonté notoire de le commettre. […] Ainsi, l’obligation de la précaution préventive apparaît-elle aussi impérieuse que celle de la mesure répressive. […] Ce texte est grave. Il place dans vos mains [celles des préfets] une arme redoutable. Il est exorbitant du droit commun du temps de paix. Mais il est justement ainsi parce que c’est une loi du temps de guerre et destinée à disparaître avec elle, une loi exceptionnelle ». Cette toute-puissance conférée aux préfets par l’Intérieur s’amplifie sous Vichy, conduisant l’historien Marc-Olivier Baruch à écrire : « L’administration territoriale devait revenir au modèle napoléonien des origines : redevenu l’empereur de son département, le préfet n’aurait pas de difficulté à assurer son rôle de représentant unique du pouvoir central ».

    Le camp du Château du Sablou:

    Le château du Sablou a été bâti au XVIIIe siècle, sur une terrasse rocheuse émergeant de la forêt, face au village de Fanlac, village rendu célèbre par Jacquou le Croquant, héros du célèbre roman d’Eugène Le Roy. À la fin du XIXe siècle, le château est la propriété d’Edmond de Floirac et de son épouse, Marthe de La Sablière. Le 4 septembre 1940, sur la commune voisine de Montignac, quatre adolescents partis à la recherche de leur chien fugueur découvrent une grotte qui, en raison de la splendeur de ses ornements, a été baptisée « la Chapelle Sixtine de la préhistoire ». Il s’agit de la grotte de Lascaux. En 1940, le château du Sablou appartient à Henri-René Bardin, négociant parisien. La réquisition du lieu par le préfet s’explique par l’isolement de cette propriété de 130 hectares : « Cachée dans la forêt Barade, c’est un endroit sûr pour parquer des détenus sans éveiller curiosité et soupçons ».

    Sous le pseudonyme de Paul d’Hérama, l’instituteur Paul Caillaud relate son arrivée au Sablou. Au début du mois de juin 1940, lui et ses compagnons d’infortune arrivent en gare de Montignac, en provenance de la citadelle de Saint-Martin-de-Ré :

    « Après la traversée de la ville, ce fut l’ascension sur les hauteurs dominant le paysage, par une route en lacet. […] Au bout de quelques kilomètres, au sein d’un massif imposant de hauts arbres, le château du Sablou nous apparut, spacieux bâtiment rectangulaire de deux étages, couvert d’ardoises. Un large espace, transformé en jardin, bordait sa façade, donnant à l’est ; à l’ouest, c’était la cour des internés, avec une citerne au centre, et une aile de dépendances, jadis granges ou écuries, aujourd’hui logements pour surveillés politiques. À l’angle nord des constructions, se dressait une modeste tour reliée à une aile courte de bâtisses, dont les fondations descendaient très bas, formant trois étages en bordure du promontoire où se perchait Le Sablou. Des fils de fer barbelés, cette fois, et non des remparts, nous séparaient du reste du monde. […] Épaisses, hautes, les rangées de barbelés étaient longées par un chemin de ronde où, jour et nuit, cinq sentinelles veillaient, fusil chargé et baïonnette au canon, sans compter le fonctionnaire de garde dans la guérite de l’entrée. Tout proche se tenait le poste de police [poste de garde], occupé par de jeunes militaires de l’active. »

    La capacité du Sablou est de 225 à 250 internés. « Ce dernier chiffre ne semble pas devoir être dépassé, en raison de l’exiguïté des locaux utiles – explique le commissaire spécial Antz – surtout si l’on tient compte du fait qu’il y a également à loger une trentaine de personnes appartenant aux effectifs d’administration et de surveillance et que certains locaux utilisés pendant l’été ne pourront pas l’être pendant la mauvaise saison. »

    Le Commandement:

    Par courrier en date du 1er février 1941, Maurice Labarthe, préfet du département de la Dordogne, adresse au ministre de l’Intérieur quelques renseignements « au sujet des camps d’internés civils français et étrangers de [son] département ». On relève que « le camp du Château du Sablou […] a été créé le 17 janvier 1940, par note n° 205/2 du Général commandant la 19e Région ». Du 17 janvier au 20 juin 1940, le commandement est placé sous l’autorité du capitaine Saule. De fin juin à début novembre, le capitaine Daguet assure la direction du camp. Il est remplacé le 5 novembre par le commissaire spécial Antz qui commande le camp jusqu’à sa fermeture, le 30 décembre 1940.

    Sous le commandement du capitaine Saule, le service de garde est assuré par quatre sous-officiers, quatre brigadiers, quarante hommes – des gardes mobiles ainsi que des tirailleurs sénégalais. Interné au Sablou au mois de mai, Alphonse Martin raconte comment le capitaine Saule, voulant donner des leçons de patriotisme, brime et insulte les détenus. André Moine, « ouvrier métallo » et dirigeant communiste, brosse ce portrait du capitaine Saule : « C’était un ancien officier de carrière, il n’avait rien d’un tortionnaire, mais tout d’une vieille culotte de peau ».

    Selon Martin, le capitaine Daguet qui lui succède laisse un meilleur souvenir :

    « Il semble ne vouloir tenir aucun compte de l’opinion malveillante de son prédécesseur en ce qui nous concerne. Il s’entretient avec les internés, pose des questions, sur leur métier, leur famille, lit la correspondance. En quelques jours sa conviction est définitivement faite et un changement intervient. Plus d’appel du soir dans les chambres, au garde-à-vous, plus de corvées, hormis celles destinées à la cuisine, au ravitaillement en eau potable et à l’entretien sanitaire des locaux et du camp. Subsiste uniquement la cérémonie des couleurs, sans appel sur les rangs. Sur sa demande, suite à une réclamation des internés qui ne peuvent pas recevoir de colis, il obtient de l’Intendance, repliée à Sarlat, la fourniture de vêtements militaires. Des permissions sont accordées aux internés originaires des régions limitrophes ; un certain nombre de permissionnaires ne rejoindront plus le Sablou sans que leur absence provoque le moindre remous. Les malades dont l’état nécessite des soins sont hospitalisés à Montignac, sur la demande du capitaine Daguet. »

    Le personnel d’administration, d’encadrement et de surveillance dont dispose l’autorité militaire sous le commandement du capitaine Daguet, est ainsi réparti :

    1° – Administration : 1 lieutenant-médecin, 1 sous-lieutenant qui a fonction d’adjoint au commandant, 1 adjudant-chef faisant fonction d’officier de détail, 3 sergents-chefs (comptabilité, ravitaillement, vaguemestre) ;

    2° – Encadrement et divers : 2 adjudants-chefs, 3 sous-officiers, 1 caporal d’ordinaire, 6 démobilisés (chauffeur, palefreniers, téléphoniste…) ;

    3° – Surveillance : un détachement du 41e régiment d’infanterie, composé de 40 hommes (officiers et gradés compris).

    Jusqu’au 31 octobre 1940, la garde du camp est sous contrôle du ministère de la Guerre. Le 30 octobre, le secrétaire d’État à l’Intérieur fait savoir au préfet de la Dordogne que « l’Autorité Militaire ne pouvant plus se charger de la garde des centres de séjour d’indésirables, cette surveillance incombera au Ministère de l’Intérieur (Direction Générale de la Sûreté Nationale) et qu’un Commissaire de Police [sera] détaché », conformément à la loi du 17 novembre 1940 relative à la surveillance des camps. Le commissaire spécial Antz est nommé à ce poste. Le 6 novembre, il s’adresse au ministre de l’Intérieur en ces termes :

    « J’ai l’honneur de vous rendre compte qu’arrivé au Centre de Séjour Surveillé du Sablou le 31 octobre 1940, j’en ai pris la direction effective hier, le 5 novembre 1940, à 10 heures, le commandant militaire qui m’a précédé, le capitaine Daguet, ayant rejoint son corps. À l’appel effectué à la dite heure, 243 surveillés étaient présents sur un effectif de 273 internés, dont douze sont actuellement hospitalisés à Périgueux ou dans d’autres établissements et un en permission régulière. Il manque 18 surveillés dont l’évasion se serait produite entre le 20 octobre et hier… »

    Le 8 novembre 1940, deux pelotons de gendarmerie sont envoyés au Sablou pour en assurer la surveillance. Ils sont commandés par le lieutenant Theret et viennent en remplacement du détachement du 41e RI qui assurait la garde jusqu’alors. Les conditions d’installation sont précaires. Le commissaire Antz s’en ouvre au commandant militaire de Périgueux :

    « L’installation des gendarmes serait grandement améliorée par la mise à disposition du camp de cinquante lits en fer avec literie militaire normale (matelas) et de quinze nécessaires de toilette pour sous-officiers (table, cuvette, broc et seau). Par ailleurs, je me permets de rappeler qu’il n’y a aucun WC pour les sous-officiers de la Gendarmerie et seulement un WC très rudimentaire pour le personnel d’administration et de direction (la demande d’installation en a été faite il y a quelques jours) et que l’appareil de douches promis au camp n’a toujours pas été installé. »

    La population pénitentiaire:

    e camp est principalement « réservé aux communistes français et aux Alsaciens autonomistes », indique le chef d’état-major de la 12e région militaire, à Limoges. Le préfet de la Dordogne précise que sont internés au Sablou « les Indésirables Français des 9e et 12e régions militaires [Poitiers et Limoges] ». Le 4 février 1941, le colonel Blasselle, commandant militaire à Périgueux, établit la liste nominative des internés par arrêté du préfet de la Dordogne. 33 « indésirables » sont cités. Sur le nombre, il y a 25 communistes (76 %). Parmi eux Maurice Sentuc, dont l’évasion est signalée le 5 novembre 1940. Une note des Renseignements généraux de Périgueux du 29 avril 1943 donne une idée de l’ampleur des mesures de répression qui, en Dordogne, ont touché les communistes :

    « Après la dissolution du parti communiste en septembre 1939, son activité se trouve paralysée à la suite des mesures suivantes : les dirigeants et militants les plus en vue sont internés au centre de séjour surveillé au Château du Sablou (environ 24) ; d’autres sont affectés à des compagnies spéciales, certains militants actifs, employés de la SNCF, sont déplacés »

    Pour ce qui est des « Alsaciens autonomistes », un rapport du 16 juillet 1940 émanant des commissaires spéciaux Montabre et Mann, de Périgueux, signale la présence de 21 « réfugiés d’Alsace-Lorraine internés au château du Sablou », qui tous expriment le désir de retourner chez eux et se disent prêts à subir le sort de leur pays. Se trouve parmi eux Émile Fanger, inspecteur des douanes allemandes en retraite, qui « possède la nationalité allemande ». Lothar Kubel, quant à lui, « désire redevenir Allemand ». René Schwob, Charles Walter et Albert Baumgartner souhaitent devenir Allemand. Aloïs Barth « autonomiste […] demande à retourner en Alsace et devenir Allemand plutôt que de rester citoyen français ». Émile Laplume et Pierre Oberweis (71 ans), de nationalité luxembourgeoise, demandent à retourner dans leur pays. Rodolphe Badermann, dentiste du Bas-Rhin, « demande à rester Français et si l’Alsace redevient allemande, à retourner en Amérique ». Alfred Daul, « ex-député du Parti communiste du Bas-Rhin, démissionnaire du Groupe ouvrier et paysan français […] demande à rester Français, et dans le cas où l’Alsace redeviendra allemande, il décidera ». Un nombre significatif de ces réfugiés est encore présent au Sablou le 9 août 1940. L’un d’eux, Otto Baron, a déjà été jugé et condamné à cinq ans de prison pour « propos anti-français ». Les autres internés le sont en qualité de « suspects au point de vue national », pour avoir tenu des « propos communistes, antinationaux, autonomistes, défaitistes et anti-français », ou encore pour avoir nourri des « sentiments anti-français ».

    Parmi les internés du Sablou se trouvent quelques militaires démobilisés issus des « compagnies spéciales de travailleurs militaires ». Dans ces compagnies avaient été versés les radiés d’affectation spéciale, mobilisés à l’arrière pour participer à l’effort de guerre. Dans son étude sur La France des camps, l’historien Denis Peschanski explique que ce sont le plus souvent des militants communistes et syndicalistes qui ont suscité un mouvement de revendication ou qui sont suspectés d’en avoir l’intention. « Démobilisés en juillet 1940, ces hommes furent transférés dans des centres de séjour surveillé. Beaucoup se retrouvèrent à Fort-Barraux [Isère]. » Concernant la démobilisation de ces compagnies, consécutivement à l’Armistice, le général de corps d’armée Frère rappelle, dans une note de service du 5 août 1940, que les militaires français affectés à ces compagnies « doivent faire l’objet d’un examen de leur situation par un commissaire spécial en accord avec les préfets. Ceux qui à la suite de cet examen seront classés comme suspects ou dangereux seront démobilisés, mais immédiatement dirigés sous escorte sur le camp du Château du Sablou (Dordogne) où ils seront internés comme civils ».

    Cinq militaires démobilisés sont concernés par cette mesure : Louis Gautrand, Ernest Coste, Amico, Persicol et Sauveur Sola. Gautrand, instituteur originaire de l’Hérault, rapporte :

    « Au Sablou, l’arrivée des cinq militaires en uniforme parmi les civils “surveillés” fit sensation. L’armée française était en déroute.… Les pourparlers d’armistice à la veille d’être engagés… On nous prit d’abord pour des déserteurs ! Mais je reconnus plusieurs camarades, notamment Marc Dupuy de la Fédération des Cheminots, Louis Bouet de la Fédération de l’Enseignement, directeur de L’École Émancipée… Il y avait de tout dans ce centre : des anarchistes, des trotskystes, des syndicalistes purs, des socialistes… mais les communistes étaient les plus nombreux. »

    Au nombre des « indésirables » internés au Sablou, se trouvent cinq Tsiganes. L’article 1er du décret du 6 avril 1940 stipule que « la circulation des nomades est interdite sur l’ensemble du territoire métropolitain pour la durée de la guerre ». Soupçonnés d’espionnage, les Tsiganes d’Alsace-Lorraine sont les premières victimes de l’Occupant qui, dès juillet 1940, les expulse vers la zone libre. Ils sont progressivement internés dans les camps d’Argelès-sur-Mer, Barcarès et Rivesaltes, avant d’être transférés en novembre 1942 sur le camp de Saliers (Bouches-du-Rhône), camp spécialement créé par le gouvernement de Vichy pour l’internement des Tsiganes en zone Sud. En Dordogne, pour l’année 1940, le « Camp de Fanlac » (Château du Sablou) est désigné pour l’internement des Tsiganes, également appelés « Bohémiens ». Les hommes y sont assignés à résidence, sur ordre du préfet, tandis que roulottes, femmes et enfants sont cachés dans la forêt alentour. Au château, ils se rendent utiles aux cuisines, sculptent des cannes, tressent des paniers que, par humanité, des sympathisants communistes s’efforcent de vendre dans les villages voisins afin de leur procurer un moyen de subsistance. Musiciens, leurs violons les accompagnent. Sur une liste dressée le 10 octobre par le capitaine Daguet, on trouve les noms de Joseph Lagrenée, Wilhem Lagrenée et Johan Lagrenée, tous trois signalés comme « musiciens ambulants sans domicile fixe. »

    L’absence de registres d’écrou ne facilite pas l’établissement d’une typologie précise de la population carcérale. Selon Madeleine Quéré, les registres auraient été volontairement brûlés par le capitaine Saule, au mois de juin 1940, peu avant l’arrivée des Allemands, mais surtout afin d’éviter qu’ils ne tombent entre les mains des communistes. Ceux-ci avaient en effet de bonnes raisons d’en vouloir au capitaine Saule dont le commandement avait été d’une grande brutalité et dont le mépris affiché à l’égard des communistes était total.

    Le cas de Paul Kleinert, réfugié alsacien employé à la poudrerie de Bergerac et résidant à Mouleydier (Dordogne), constitue un autre exemple de l’usage qui était fait de l’internement administratif. Le 24 septembre 1940, Paul Kleinert écrit au préfet pour se plaindre de ne pas avoir été, « à ce jour et comme promis », rapatrié sur Strasbourg. Il met également en avant le fait qu’il ne lui est plus possible de vivre avec les dix francs journaliers de l’aide aux réfugiés. Le 7 octobre 1940, le préfet de la Dordogne adresse une lettre au général commandant la 12e région militaire, résumant ainsi la situation :

    « Mécontent du retard apporté au rapatriement des Alsaciens réfugiés, Kleinert a adressé une lettre de protestation au sous-préfet de Bergerac dans laquelle il exprime son intention d’organiser à Mouleydier une manifestation placée sous la protection des autorités allemandes. Les intentions menaçantes de Kleinert se trouvent confirmées dans un rapport de gendarmerie où il est en outre indiqué que cet individu, animé d’un très mauvais esprit, est dangereux pour l’ordre public. J’estime dans ces conditions qu’il y a intérêt à le placer dans l’impossibilité de nuire jusqu’à ce que son rapatriement puisse être envisagé. » De fait, par arrêté du 7 octobre 1940, le préfet déclare Kleinert « astreint à résider dans le centre de séjour surveillé du Sablou où il sera immédiatement conduit […] vu le décret du 18 novembre 1939 relatif aux mesures à prendre à l’égard des individus dangereux pour la défense nationale et la sécurité publique. »

    La suite de l'histoire du camp des indésirables du Sablou est consultable sur: https://criminocorpus.revues.org/1781

     


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