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Le repli du 3° groupe du 10° R.A.D
Des renseignements fort précis fournis par le capitaine de Nantois (9° batterie du 10° R. A. D.) me permettent d'ajouter une note sur le repli du seul groupe d'artillerie de campagne qui restât à la 19° D.l.
De la 8° batterie, dispersée en antichars à Soyécourt et Herleville, 3 pièces revinrent se joindre aux 7° et 9° batteries, qui avaient si bien, défendu le Bois Etoilé.
Les 7° et 9° ,batteries étaient en position à la côte 109; la nuit s'était passée sans incident.
Le 7 juin, vers 5h 30, alors que j'essayais en vain d'établir une liaison par T. S. F. avec le 41° RI, j'ai aperçu
à quelques centaines de mètres sur ma gauche une longue colonne d'infanterie marchant vers le sud-ouest par le chemin reliant Herleville à Rosières-en-Santerre: c'était le 41° qui se repliait; un officier était porteur de l'ordre général de repli, daté de 2 h 30, signé Loichot; j'étais mentionné parmi les destinataires. J'ai su plus tard que 3 estafettes m'avaient été envoyées au cours de la nuit : un sous-officier et un officier par l'A. D. 19, un sous-officier par le Colonel d'Infanterie; tous trois ont disparu en cours de route.(Rapport Schérer au général Doumenc)
Le commandant Schérer apporta lui-même à ses batteries l'ordre de se replier sur Montdidier.
Le capitaine de Nantois, qui a écrit sous la dictée du lieutenant de Courson, décrit la retraite en ces termes :
L'infanterie s'est déjà repliée; le temps presse; il n'arrive qu'une partie des avant-trains. Les premiers chars ennemis paraissent. Le lieutenant de Courson donne toutes les voitures attelées à l'aspirant Muzard et le fait retraiter sur Vrély. L'Aspirant et toute sa colonne seront pris dans ce village: entourés de motocyclistes et d'auto-mitrailleuses, ils ne peuvent que se rendre. Le lieutenant de Courson fait partir à pied quelques hommes; puis il retrouve des avant-trains, attelle de nouvelles voitures et part avec elles. Un
caisson est atteint par un obus tiré par les chars ennemis et saute. C'est au cours de cette sortie de position que sont tués : le maréchal des logis chef Guénégo, le trompette Le Collen, l'ouvrier en bois Lefeuvre, les conducteurs Josse et Boscher, tous de la 9° batterie, et aussi le maréchal des logis Le Floch, de L'État-Major du Groupe, qui, à ses moments de liberté, était notre très dévoué aumônier. L'adjudant-
chef Bibaud devait périr à Beaufort, queIques kilomètres plus loin. Guénégo était le meilleur de mes sous-officiers; Le Collen était un soldat parfait.Ce qui reste de la 9° Batterie manoeuvre alors sous les ordres du lieutenant de Courson. Le Groupe est en effet séparé en trois. L'État-Major et la 7° Batterie participeront à l'affaire de Saint-Just-en-Chaussée au cours de laquelle tombera en héros le lieutenant Marseille; la 8° retraitera dans l'axe de la Division; la 9° enfin sera constamment batterie d'arrière-garde et combattra à hauteur du G.R.D.
Les sous-officiers et les hommes s'accordent à proclamer que le lieutenant de Courson a commandé avec courage et bonheur.
Après avoir cantonné à Broyes le 9, à Saint-Martin le 10, passé l'Oise à Saint-Leu, retrouvé le 3° groupe, mis en batterie à Baillon le 12 (la batterie tire beaucoup sur cette position), la 9° Batterie, réduite de moitié, est renforcée d'une section du 61° R. A. rencontrée par hasard en chemin et dernier reste d'une batterie qui retraite sous le commandement de son Capitaine, le capitaine de Toulouse-Lautrec;
celui-ci prend naturellement le commandement de la nouvelle formation.Dans ce repli du 3° Groupe du 10° R. A: D., la 8° Batterie a son histoire à part. On sait en effet que 2 pièces étaient en antichars à Herleville, et les 2 autres à Soyécourt sous les ordres du lieutenant Le Cler de la Herverie.
Les 2 pièces d'Herleville se retirèrent sans difficultés spéciales avec le 2° Bataillon du 41°.
Des 2 pièces de Soyécourt, l'une fut perdue, L'autre sauvée. Une pièce était en position à l'est du point d'appui, l'autre à l'ouest, dans le secteur de la 11° Compagnie, sous la direction immédiate de La Herverie. L'ordre de se retirer lui ayant été donné, celui-ci courut à la pièce de l'est. Artilleurs et attelages étaient partis déjà avec le commandant Jan et l'infanterie. Le Lieutenant ne pouvait malheureusement
emmener son canon.Restait la pièce de l'ouest, Sur l'ordre du capitaine Fauchon (11° du 41°), La Herverie s'en alla le premier avec mission d'appuyer, s'il y avait lieu, la 11° Compagnie.
La pièce passa derrière le Bois Étoilé, et rejoignit la 1° Compagnie (lieutenant de Saint-Sever) du 41°. Avec les fantassins elle entra dans Rosières. La 1° Compagnie accrochée par l'ennemi se disloqua. La Herverie mit en batterie; les fantassins s'éloignèrent. A ce moment, 3 side cars armés de mitrailleuses s'avancèrent contre les artilleurs. Notre 75 n'avait plus d'utilité en ce lieu, il allait être pris; La Herverie en hâte le fit partir au galop. Mais le Lieutenant était à pied. Tandis que la pièce retrouvait plus loin le 41°,
l'officier se joignit au petit groupe de fantassins de l'adjudant-chef Rochard et du sergent Morazin; après une retraite difficile, que j'ai racontée plus haut, il échappa à l'ennemi.Nous laissons derrière nous bien des camarades tués; il y en a partout dans la boucle de Ia Somme; les blessés sont au nombre de plusieurs milliers; et il reste les prisonniers.
De la 19° Division, il ne subsiste plus qu'un groupe de 155, sous les ordres du commandant Nicole; Un groupe de 75, celui du commandant Schérer ; une partie du Génie; une moitié du G. R. D. 21, un millier de fantassins du 41°, auquel se joint la C. H. R. du 117° R. I.; L'État Major de la Division et les services.
Nous étions arrivés 16000 !!! 3000 hommes, tout au plus descendaient.
La 7° Division Nord-Africaine, notre voisine de gauche, s'en allait également, et par la même route.
La 29° D . I. (général Gérodias) notre voisine de droite, avait perdu en deux jours: le 112° R.I, sa demi-brigade de chasseurs, (moins 2 petites compagnies); les États-Major de la demi-brigade de chasseurs du 94° d'Artillerie de montagne; l'État-Major de l'Infanterie Divisionnaire, et plusieurs batteries.
Nos morts restèrent sans sépulture jusqu'au 21 juin. A partir de ce jour-là, M. l'abbé Pierre Turcry, curé d'Estrées et son frère, l'abbé Jean Turcry, curé de Belloy, et de 9 villages avoisinants, aidés d'une partie de la population, maintenant revenue, les ensevelirent avec un zèle pieux.
C'était un spectacle effrayant, m'a dit 'l'abbé Turcry, que celui de ces nombreux morts.
Sur le monument que peut-être un jour on élèvera là, à leur mémoire,on pourra, ce me semble, graver la fière devise de la Bretagne : « Potius mori quam foedari » - « Plutôt mourir que manquer à l'honneur ».
Dans les villages que nous abandonnions, beaucoup de maisons étaient en ruines; et pas une des charmantes églises, toutes neuves; n'est en bon état ; plusieurs ne sont que des amas de pierres et de briques.
La 19° Division a succombé avec honneur dans une lutte terriblement inégale. Les citations à l'ordre de l'Armée accordées à la 19° D.I, collectivement, et à quelques unités survivantes: 41° R. I.,:22° Étranger, 10° R. A. D., G. R. D. 21; 3° groupe du 10° R., A. D en témoignent. Toutes les autres eussent mérité le même honneur.
Je transcris seulement les citations de la 19° D. I, du 41° RI et du G. R. D. 21, n'ayant pas les textes des autres.
19° Division d'infanterie: Au cours des combats des 5 et 6 juin 1940; s'est montrée digne de son magnifique passé de gloire militaire. Attaquée par un ennemi disposant d'une aviation de bombardement
puissante et d'innombrables engins blindés, a tenu sur place sans aucune défaillance, encerclée dans ses points d'appui. Ne s'est repliée que sur l'ordre du Commandement, sans que l'ennemi ait réussi à la rompre, ni à la bousculer.41° Régiment d'infanterie: Superbe régiment dont la fermeté et l'abnégation peuvent être citées en exemple. Les 5 et 6 juin 1940, submergé dans ses points d'appui par des éléments blindés, soumis à
des bombardements d'aviation et d'artillerie d'extrême violence, le 41° Régiment d'Infanterie, sous les ordres du lieutenant-colonel Loichot a tenu magnifiquement, fait de nombreux prisonniers, et ne s'est replié en combattant que sur l'ordre du Commandement, accomplissant avec succès un mouvement de repli particulièrement difficile.21° groupe de reconnaissance: Au cours des 5 et 6 juin 1940, occupant un point d'appui constamment pris à partie par l'aviation, l'artillerie et les blindés ennemis, a tenu d'une façon splendide, presque sans
pertes, grâce à une organisation défensive, remarquable. A constamment fourni au Commandement les renseignements les plus précieux malgré l'ennemi qui l'encercle.Mieux encore que ces citations, un chapitre du livre écrit par le capitaine Ernst Freiherr von Jungenfeld,
commandant un groupement de chars, pour raconter l'attaque de sa Division panzer sur le Santerre, montrera que la résistance de la 19° Division, celle du 117° en particulier, fut valeureuse, et que si nous eussions eu des chars pour contre-attaquer, la bataille de la Somme eût été un dur échec pour l'ennemi. . .
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