• A FAY - La fin de la 10° Compagnie

    Dans la nuit du 6 au 7, à 2 heures du matin, l'ordre fut remis aux Bataillons du 41° de se replier derrière l'Avre; il arrivait bien tard pour être facile à exécuter; le 1° Bataillon, et, au 3° Bataillon, la 11° Compagnie, touchés par l'ordre ne purent se dégager de l'étreinte; seules passèrent les Compagnies du 2° Bataillon, et la 9° Compagnie du 3° Bataillon avec une partie de la C. A. S, et les Compagnies régimentaires.

    Quant à la 10° Compagnie, complètement encerclée depuis 3 jours, elle ne peut être avertie par des coureurs qui ne sauraient passer, et l'ordre de rejoindre le commandant Jan, transmis par la radio du P. C. R. I. ne fut pas entendu par le poste de la 10°. L'eût-il été, que l'exécution eût été impossible; Le Moal et ses hommes n'eussent pu sortir de Fay.

    Le matin du 7, il n'y a plus de munitions pour les armes d'infanterie, ni pour les mortiers et le canon de 25. Les mitrailleuses sont encore abondamment pourvues. Il n'y a plus ni vivres, ni eau, depuis le 4 juin.

    Au petit jour, le bombardement recommence. Comme la veille, l'ennemi tire dans les maisons avec des obus de 25 antichars, car les balles de mitrailleuses sont sans efficacité.

    Un obus de 105 traverse les murs de la maison où la pièce du caporal Chareaudeau est en position. Heureusement, il n'éclate pas, et tombe juste au dessous du canon de la mitrailleuse. Un mitrailleur va l'enterrer dans le jardin.

    La fin de la résistance approchait.

    Voici comment se fit la reddition de la petite garnison : une centaine d'hommes valides.

    Vers 8 heures, les Allemands agitent un drapeau blanc, au barrage de la route d'Estrées; les hommes de la section Dugast, retranchés dans le cimetière, tirent sur cet objectif. Dugast arrête ce tir inutile.

    A 10 h 45, un officier allemand se présenta porteur d'un drapeau blanc. Il demande qu'on cesse de résister. les troupes allemandes, dit-il, se rapprochent de Paris; vous êtes encerclés par deux bataillons de mitrailleurs et l'artillerie, vous ne pouvez pas reculer; si vous ne vous êtes pas rendus ce soir, l'artillerie de gros calibre bombardera le village.

    A ce moment précis, le brave Chareaudeau vient au P. C. pour se rendre compte de ce qui se passe. Il trouve le lieutenant Le Moal bien triste. On discutait alors les propositions de l'ennemi. Le docteur Renaud, qui assistait à la délibération, rend à Le Moal le témoignage qu'il ne voulait pas se rendre et qu'il désirait essayer une sortie pour échapper a l'encerclement. Cette sortie, hélas n'était pas possible.

    Renaud me dit encore que Chareaudeau ne voulait pas non plus entendre parler de reddition, il invoquait à l'appui de son refus tous les cadavres allemands alignés devant sa mitrailleuse, et ceux qui s'y ajouteraient encore, car il avait beaucoup de munitions pour ses pièces. Il fallut 20 minutes pour convaincre ce courageux garçon que la reddition s'imposait, car on ne pouvait plus tenir, et il fallait penser aux blessés, dont quelques uns déjà étaient morts.

    La reddition inévitable fut décidée. Le Moal, rapporte le sergent Bernard (de la 10°), envoya d'abord sa réponse aux propositions allemandes par le soldat Scoonen, qui s'était fait remarquer par son courage (Bernard dit même: sa témérité). Conduit les yeux bandés au Commandant ennemi installé dans le bois, il ne fut pas agréé. On voulait un gradé. C'est alors que le sergent Forlani, sous-officier de renseignements du 3° Bataillon et adjoint à la 10° Compagnie (et qui parlait bien l'Allemand), fut envoyé par le lieutenant
    Le Moal pour annoncer que la garnison cesserait le combat.

    L'officier allemand demande à Forlani combien il y a d'hommes: une petite compagnie, et sur le nombre 48 blessés. Étonnés de la résistance rencontrée, les officiers allemands déclarèrent par la suite en présence de Hiegentlich qui comprenait leur langue: Nous, croyions que vous étiez beaucoup plus nombreux, et que vous aviez 5 canons de 25.

    Je l'ai dit, il n'y en avait qu'un seul.

    Un peu plus tard, l'ordre est donné aux hommes de se rassembler; ils ont une demi-heure pour se préparer, et faire leur sac; ils doivent se rendre avec leurs armes individuelles. Les mitrailleuses sont démontées et rendues inutilisables, ainsi que le canon de 25.

    Chareaudeau écrit dans ses notes: Nous autres, à la mitraille, nous avions encore beaucoup de cartouches, et cela nous faisait un peu mal au coeur de nous rendre.

    Les hommes valides se réunissent devant le poste de secours. On se mit en colonne par 4, sac au dos, l'arme à la bretelle. Nous avions brûlé nos lettres. Les blessés restèrent à l'infirmerie. Nous marchions sur la route au devant d'eux (les Allemands). En sortant du village nous continuions d'avancer en tenant nos fusils au dessus de nos têtes, bien en ordre, et marchant bien au pas. A 300 mètres du village,
    les officiers allemands nous attendaient. Ils nous dirent : Vous vous êtes très bien défendus, et vous nous avez infligé de lourdes pertes. Ils croyaient que nous étions un Bataillon.

    Ils demandèrent que leur fût présentée la 2° section, de Dugast, qui avait défendu le cimetière, et manifestèrent leur étonnement devant un si petit nombre d'hommes.

    D'après Chareaudeau, que je viens de citer, les officiers auraient été autorisés à garder leur révolver. Je n'ai pu vérifier ce détail.

    Le docteur Renaud, qui a vécu toutes ces heures tragiques, m'a raconté la discussion qu'il eut avec l'officier allemand. Celui-ci déclara qu'on allait fusiller un certain nombre de nos hommes, car ils avaient tiré sur un side-car de la Croix Rouge, venant de Dompierre.

    Renaud lui répliqua: « à la nuit tombante, on n'avait pas pu voir la Croix Rouge; si les hommes l'eussent vue; ils n'eussent pas tiré, d'autant plus que la section était commandée par un adjudant prêtre, le Père Dugast ». Il eût pu répondre encore que les Allemands depuis trois jours tiraient constamment par obus et par balles sur le poste de secours, et que souvent ils avaient mitraillé nos brancardiers.

    Il ajouta: « Vous pouvez évidemment faire ce que vous voulez, puisque nous sommes entre vos mains, mais ce ne serait pas agir en soldat. »

    L'officier s'éloigna en grommelant, et il ne fut plus question de ces cruelles représailles.

    A la sortie de Fay, nos hommes passèrent à côté de deux camions qui venaient de sauter sur nos mines. Le drapeau à croix gammée flottait sur la grande ferme belge.

    A 19 heures, des ambulances emmenèrent les blessés les plus gravement atteints, et parmi eux le lieutenant Bernard.

    La 10° Compagnie du 41° a écrit une magnifique page d'histoire.

    Le Capitaine, abbé Dorange, et ceux qui sont morts avec lui en seront, pour les pèlerins du souvenir, d'admirables témoins, rangés autour de l'église en ruines de Fay.

    On comprendra quel héroïsme s'est dépensé là, quand on verra que les morts allemands appartiennent à 11 unités différentes.

    On songe à un rocher de la côte bretonne, sur lequel viennent buter et mourir les vagues, à l'heure de la marée, jusqu'à 'ce qu'enfin il soit submergé.

    Dans une note qu'il m'a remise, le docteur Renaud écrit: Ces soldats et leurs chefs s'étaient battus comme des hommes et même, je puis le dire, pour beaucoup d'entre eux, comme des héros. Les Allemands eux-mêmes le reconnurent . . . Pour mon compte, je puis insister sur le dévouement et le courage sans limites dépensés par mes brancardiers de bataillon, et particulièrement par mon caporal-chef Lécrivain,
    prêtre et infirmier, et par Duval, toujours volontaires pour toutes les missions dangereuses. Et Dieu sait si c'en était une d'aller chercher les blessés dans ces conditions! Pour avoir soigné des blessés allemands, je pus obtenir de leurs médecins deux autos sanitaires, qui, dès le soir du 7 juin emmenèrent mes 8 blessés les plus graves. Je restai seul avec les autres; car les Bataillons allemands avaient repris leur marche sans s'inquiéter de nous. Le village dévasté n'était gardé que par cette petite bande
    de blessés (une quarantaine). Deux fois, pendant cette soirée, passèrent des détachements allemands; deux fois, ils se précipitèrent sur nous, l'arme au poing, nous obligeant à lever les bras, et croyant faire des prisonniers. Puis la nuit (du 7) tomba. Les camions qui devaient venir nous chercher n'arrivaient pas. Dans la crainte d'une nouvelle méprise allemande qui, cette fois, aurait pu être fatale, je fis rentrer tout mon monde dans la cave. La nuit fut longue ainsi pour moi. Le lendemain: (8 juin) vers midi seulement, j'aperçus de nouveau des Allemands et pus obtenir qu'on m'envoyât des camions. Le Soir, enfin, nous étions à Saint-Quentin, installés dans un hôpital français. Notre vie de prisonniers commençait.

    Ainsi s'achève le récit du docteur Renaud.

    J'ajoute qu'au témoignage de tous, sa conduite fut très exemplaire.

    Avant de quitter Fay, Renaud put obtenir à: grand peine de l'ennemi qu'on ensevelît Dorange, dont j'ai raconté la mort courageuse. L'abbé Lécrivain n'eut pas la permission de rendre à son confrère de Rennes ce dernier service, Un brancardier allemand promît de faire le nécessaire.

    Le corps de Dorange fut déposé dans une petite tranchée qu'avaient défendue ses hommes, à la lisière du cimetière, à quelques mètres du calvaire. Ainsi Derange, au point le plus avancé de la bataille, reposait près de la Croix de son Maître! « Vous verrez, m'avait-il dit, je n'en reviendrai pas; mais ça ne fait rien. Je n'ai qu'un désir: être auprès du bon Dieu; on y sera beaucoup mieux » . . . 

     

     

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