• Capture de la 11° Compagnie

    Il sera désormais impossible à la 11° Compagnie de nous rejoindre. Elle n'a pu quitté Soyécourt assez tôt. En effet, elle ne s'est mise en route qu'à 4 h 30, alors que le jour avait déjà paru, et que le reste du 3° bataillon s'était mis en marche à 3 h 20 ou 3 h 30 au plus tard.

    Nous allons expliquer ce retard et raconter comment finit cette courageuse Compagnie. Ce nous sera une
    occasion de constater le magnifique caractère de Fauchon qui voulait combattre sur place, dans son point d'appui organisé solidement, car il se doutait bien qu'une rencontre sur la plaine avec les blindés allemands le ferait tomber, sans qu'il pût se défendre efficacement, entre les mains de l'ennemi.

    Sur cette épisode, j'ai pour me renseigner le journal de marche du 3° Bataillon, le rapport de Fauchon, les témoignages d'officiers ou d'hommes dont l'admiration pour leur Capitaine est avec raison très grande.

    Le journal de marche s'exprime ainsi :

    A 2 h 10 (le 7 juin) un motocycliste du P. C. R. I. apporte au commandant Jan l'ordre écrit de se replier
    immédiatement au sud-est de Montdidier. Nous n'avons plus qu'une heure et demie de nuit; l'opération est très hasardeuse . . . Le commandant transmet immédiatement par écrit l'ordre de repli... au capitaine Fauchon. Ce dernier vient de rendre compte que sa Compagnie serait engagée au nord de son point d'appui et qu'il refuse de se replier. En moins d'une heure, le Bataillon, 9° Compagnie en tête, convoi hippo fermant la marche, toutes les munitions et le matériel embarqués, se met en route. Seul le 75 du P. A. Fauchon est là ... A Vermandovillers, le commandant Jan... attend la 11° Compagnie à qui il vient de renouveler-l'ordre de repli.

    En des circonstances aussi dramatiques, où tout l'effort de l'attention est tourné vers l'action, il n'est pas facile de noter avec une grande précision les heures. Je m'en tiendrai à celles qui me sont données par les témoignages et les documents.

    Vers 2 h 30, des éclaireurs allemands incendient un bâtiment à 50 mètres du point d'appui de Fauchon.

    A 2 h 45, le commandant Jan communique par écrit au Capitaine de la 11°, l'ordre de repli du lieutenant-colonel Loichot; par écrit aussi, Fauchon répond négativement. Convoqué par le Commandant, il confirme sa volonté de ne pas s'en aller, alléguant que sa Compagnie, au nord, est engagée avec l'ennemi et que le décrochage n'est pas possible.

    On avait entendu, en effet, à un certain moment, dans la nuit, des tirs du côté de la 11°, déclare Morini, secrétaire du commandant Jan, et le sergent Rondel, de la 11°, assure que l'ennemi, très visible, n'était qu'à 200 mètres.

    La véritable raison du refus de Fauchon est à chercher, selon un autre témoignage, dans le sentiment profond qu'il avait de son devoir: « l'idée de se replier lui mettait la rage au coeur ».

    Il fait sans doute allusion à cette conversation avec son chef quand il écrit dans son rapport : « A 3 h 30, comme nous Iancions des V. B. au jugé, je suis appelé au P. C. de Bataillon. C'est l'ordre de retraite; la 11° Compagnie est d'arrière-garde. Je demande un ordre écrit ».

    Avant de partir, le commandant Jan lui envoie un nouvel ordre; mais la 11° ne vient pas encore; elle suivra; trop tard.

    Il résulte du rapport de Fauchon qu'après sa visite au commandant Jan, il se décide à mettre à exécution l'ordre reçu, et prend les mesures nécessaires :

    Je passe mes ordres pour un décrochage méthodique, l'itinéraire et la formation de retraite, en bluffant l'ennemi par des tirs de mortiers et de mitrailleuses. Le départ se fait sans pertes, sans rien abandonner, et en faisant, en cours de route, les destructions nécessaires.

    A 4 h 30, seulement, la 11° Compagnie, la section de mitrailleuses du sous-lieutenant Catherine-Duchemin, la section de mortiers de 81 avec leur armement et leurs munitions, évacuent Soyecourt, dans un ordre parfait, « comme au retour d'une manoeuvre », disent les hommes de Fauchon. La colonne n'avait pas de canon de 25. Un peu auparavant, le lieutenant Le Cler de la Herverie était parti,
    sur l'ordre de Fauchon, avec un canon de 75 en position dans le secteur de la 11°. L'autre pièce, installée dans le secteur de la 9° Compagnie, à l'est, dut être abandonnée, la section qui la servait étant partie avec les attelages précipitamment pour suivre le gros du 3° Bataillon du 41°.

    Avant de quitter le point d'appui, le Capitaine fait mettre le feu au matériel et aux munitions qu'on n'avait pu
    emporter.

    Après la traversée de Vauvillers (à l'ouest d'Herleville) un avion allemand repère la colonne. Du côté de Rosières en Santerre, vers lequel s'étaient dirigés des éléments du 1° Bataillon, on entendait des mitrailleuses. Harbonnières était bombardé.

    La 11° évita plusieurs villages; vers 7 heures, elle passa dans une localité où elle trouva plusieurs caisses de pain de guerre que les hommes affamés se partagèrent.

    L'itinéraire conduisit nos hommes à Caix.

    A quelques 500 ou 600 mètres, des voitures grises circulaient sur une route; déjà entre Rosières et Caix, la 11° recevait des balles dans le dos; il y avait des blessés; un certain flottement se manifestait chez les hommes.

    Cependant nos fantassins, suivis de leurs voiturettes, arrivaient à la voie ferrée qui relie Chaulnes à Amiens, à proximité d'un pont, à 2 kilomètres environ de Caix.

    A 200 mètres de ce pont, la Compagnie en colonne double reçoit un tir de mitrailleuses de flanc à gauche, et dans le dos. Plusieurs hommes tombent.

    Par bonds successifs, Fauchon entraîne la section de tête, à gauche; les mortiers de 81 suivent, jusqu'au pont. On essuie des rafales ajustées de mitrailleuses.

    Comme la 11° était en train d'exécuter l'ordre de passer à l'abri de la route en remblai du pont, une attaque de char et engins motorisés allemands débouche dans ce compartiment du terrain. Le caporal-chef Ben Khouty, le soldat Lainé, d'autres encore, sont tués par ce tir; une quinzaine d'hommes sont blessés. La Compagnie se trouvait sur deux billards balayés par les mitrailleuses allemandes.

    Elle allait tomber aux mains de l'ennemi.

    Le rapport du capitaine Fauchon va nous décrire ces derniers instants :

    L'unité motorisée fonce en tirant, s'arrête en continuant de tirer, puis subitement interrompt son tir. Je vois avec stupéfaction surgir d'une tourelle de char un homme dont je ne saurais dire qu'il a un casque allemand. Il lève les deux bras et reste ainsi comme s'il faisait « camarade! » Alors, pensant à la soirée stupide du 29 mai, à Fay, où la 11° avait subi par erreur le feu de chars français, dont les mitrailleuses
    faisaient en tirant le même bruit que les mitrailleuses allemandes, j'en viens à me demander : « Est-ce encore une méprise? » serait-ce un début d'entrée en scène d'un de ces chars français dont on nous a annoncé qu'ils viendraient à la rescousse? Et sans doute ne suis-je pas le seul à avoir ce réflexe, car mes voltigeurs ne tirent plus. L'on n'entend plus que les rafales de mitrailleuses de l'autre côté du remblai. Je brandis alors le fanion de la Compagnie au canon d'un mauser, et bondis vers le char immobile toujours
    surmonté du buste du type faisant camarade, qui se trouve être l'élément du dispositif motorisé le plus rapproché de la tranchée de la voie ferrée. En partant, je dis à mes voisins, des hommes et gradés de la section Véron et des mortiers de 81 : « Si ce ne sont pas des Français, ils me tireront dessus
    » ou voudront me prendre; alors, ne vous occupez pas de » moi; tirez ». J'avais, en effet, pleine confiance en Holtz, que chacun à la 11°, savait nommérnent désigné par moi, pour prendre le commandement de la Compagnie, si je venais à être descendu. En avançant, je m'aperçois qu'il s'agit d'Allemands. Je me retourne en criant: «Ce sont les Boches! Feu l » et j'oblique vers la gauche. A ce moment, quelqu'un
    arrivait derrière moi. C'est Holtz qui me dit: Mon Capitaine; regardez votre Compagnie, comme ils se sont
    tassés!» Les Allemands se sont remis à tirer et manoeuvrer; le char portant leur chef tire à droite, où je suis. Mais tirez! » Feu! Mon Capitaine, vous allez faire massacrer votre Compagnie. S'il y en a qui veulent se rendre, je ne me rends pas. » Et je m'écarte vers le ravin de la voie ferrée,en roulant le fanion. Je me laisse tomber dans le ravin, au fond duquel une équipe de F. M. commence à me suivre de loin, puis renonce. Là-haut, aux cris en allemand, puis à la cessation du tir, je comprends que les survivants sont cernés et prisonniers. Je cache le fanion et fais le mort pendant un temps que le bris de ma montre m'empêche d'apprécier. Puis je rampe jusqu'à une cabane de la maison du garde barrière où j'étudie la carte et observe. Des side-cars et camions ennemis traversent le passage à niveau. Les survivants
    de la 11° ont disparu, emmenés en captivité. A un moment favorable, je gagne le ravin qui contourne Caix,
    pour tenter de rejoindre la 9° Compagnie et le Chef de Bataillon. Je retrouve et suis des foulées de colonne par un, que des musettes jetées par des hommes du 41° m'incitent à croire la bonne voie. A hauteur de Caix, je tombe dans une embuscade allemande, braquant sur moi une mitraillette
    et des mauser. Décidé à m'évader à la première occasion (comme je l'avais fait de Saint-Quentin le 7 avril 1918, en uniforme allemand), je dis en allemand: Je viens; je suis seul! et parle de ma compagnie. Le sous-officier qui commandait le groupe me déclare: Je sais. On nous a parlé de la Compagnie cernée. Les survivants sont prisonniers, et il se mit au garde-à-vous devant moi. J'étais prisonnier.
    L'officier commandant la compagnie allemande me dit : Schiksal  (C'est la destinée.) et me salua quand je le quittai; il me laissait mon étui à pistolet. J'avais deux grenades F. 1 dans les poches de ma capote. 

    Le 10 juin, je réussis à quitter la colonne de prisonniers avant Péronne, et me camouflai, pour attendre la nuit, dans un buisson d'orties; mais à Péronne, sous la menace de fusiller 5 officiers et 5 soldats si je n'étais pas ramené, les Allemands réussirent à trouver deux lâches (dont aucun n'était de mon unité, et dont l'un était étranger) qui guidèrent une camionnette boche jusqu'à ma cachette.

    A ce récit de Fauchon, je puis ajouter quelques détails qui m'ont été rapportés par le sergent Clément Angibault :

    Les hommes de la 11° connaissaient le lieu où se terrait leur Capitaine, mais ne le révélèrent pas.

    Fauchon éclata en fureur contre l'officier qui l'avait trahi et lui reprocha avec raison d'avoir manqué à son devoir. Quant aux Allemands, ils tournèrent en dérision la lâcheté des deux individus qui avaient aidé à reprendre le Capitaine de la 11°, car évidemment ils n'auraient pas fusillé des officiers.

    Une remarque pour terminer ce chapitre:

    Peut-on supposer que le retard de la 11° Compagnie obligea les colonnes ennemies lancées à la poursuite du 41° à attendre? et qu'ainsi un réel service fut rendu au 2° Bataillon et aux restes du 3°? C'est admissible.

    On doit, en tout cas, admirer le courage et l'ardeur du vaillant soldat qu'est le capitaine Fauchon . . .

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