• La percée de la Somme.et l'attaque contre la 19° D.I

    Le 5 juin, à 3 heures du matin, nous entrâmes en action pour aller nous mettre en position d'attente dans un bois aux environs de Péronne. Malgré l'honneur de commander un groupe, ce m'était diablement pénible de ne pas marcher cette fois à la tête de ma chère 6e Compagnie, avec laquelle j'avais partagé depuis septembre les joies et les peines.

    La marche dans le. jour naissant par, un lever de soleil magnifique restera pour nous tous inoubliable. A peine avions nous pris notre position d'attente,que notre artillerie commençait déjà son concert du matin, et que nos amis apparaissaient à nouveau dans les airs, et déjà le vieil esprit guerrier est là, toutes nos pensées de repos et de vie normale sont oubliées, tous les nerfs et tous les sens sont, orientés sur l'attaque et la percée. Tous brûlent du désir de tomber à nouveau sur la peau des Français, et aussi de prouver à nouveau que rien ne peut arrêter l'attaque des chars allemands.

    Dès 6 h 30 nous sommes déjà rappelés de notre position d'attente, et à 7 heures nous passons dans Péronne et traversons la Somme. L'ennemi n'a appliqué que des feux de harcèlement restreinte sur les points de passage conquis déjà depuis deux jours (1), car il n'attend pas l'attaque de l'armée allemande en cet endroit et croit encore avoir, du temps pour continuer à s'installer et pouvoir organiser sa
    position.

    (1) Inexact. Les ponts étaient restés aux mains de l'ennemi depuis son avance sur Abbeville, et n'avaient pu être repris.
    Depuis l'échec de notre tentative pour ressaisir les ponts (24-26 mai), nous nous attendions à être attaqués.

    D'après les déclarations de prisonniers, le Français a, dans cette région, adopté une nouvelle tactique. Il a transformé chaque village en forteresse, et a renoncé sciemment à une ligne de défense et de tranchées continues.

    Dans ces localités, les points d'appui doivent être tenus de telle façon qu'on laisse d'abord passer les chars, et que, quand ceux-ci continuent la progression et sont arrêtés et combattus en un autre endroit par une forte défense ces points d'appui doivent couper les communications, avec l'arrière et ainsi rendre impossible la progression ultérieure des chars. Ces points d'appui doivent, en outre, pouvoir également combattre efficacement et sans être affaiblis, l'infanterie qui suit les chars.

    L'idée n'était pas mauvaise, mais ne tenait compte ni de l'esprit combatif de I'armée allemande, ni de la connaissance de la valeur effective de l'arme, des chars allemands. Ainsi le Français était surpris au premier moment, et le passage sur la Somme réussissait sans aucune perte. On avait supposé que nous étions encore dans le nord, et on n'avait pas cru qu'une formation blindée, après avoir supporté dix-neuf
    jours d'action et les plus lourds combats de percée, fût de nouveau en situation d'exécuter de telles marches forcées et de passer aussitôt après à une nouvelle attaque et une nouvelle percée. Ainsi l'adversaire sous estimait toujours de nouveau l'arme cuirassée allemande, et il lui fallait de nouveaux
    coups pour se laisser convaincre de la valeur des hussards noirs.

    A 10 heures, tout était prêt pour l'attaque à hauteur d'Assevillers. Le premier groupe cette fois en première ligne et le deuxième en deuxième échelon (1). Le fier Régiment cuirassé se trouvait de nouveau prêt à donner à l'ennemi un nouveau coup.

    Il est vraiment étonnant de voir quel calme et quelle tranquillité régnaient dans la troupe avant une telle attaque. La nuit était courte et tous se sont couchés pour dormir, aucun n'est nerveux ni inquiet, on pourrait presque penser que ce n'est pas la guerre, que ce sont seulement des manoeuvres, et qu'ensuite il y aura une attaque quelconque, dans laquelle on ne tuera qu'avec des cartouches à blanc.

    (1) C'est donc une deuxième vague de chars. La première était partie au petit jour.

    A 10 h 30, arrive l'ordre d'attaquer.

    Devant nous, à quelques kilomètres seulement, est couchée l'infanterie qui ce matin, à la première heure, est passée à l'attaque, mais elle n'est pas allée loin. L'ennemi tient opiniâtrement une grande et large chaussée, qui passe en travers de la direction d'attaque.

    Alors résonne encore une fois le vieux cri de bataille: Les chars en avant; et déjà les équipages sont à leur place, les moteurs sont mis en marche, un ami fait encore une fois un signe amical à un camarade, volets fermés et préparatifs de combat, puis le premier char démarre et la percée à travers la ligne Weygand est commencée.

    Tout d'abord le terrain est mamelonné et traversé de fortes rides de terrain, de sorte que la vue est des plus limitée. A peine sommes-nous en marche que s'oppose à nous un violent feu de mitrailleuses et d'armes antichars venant de Belloy, Berny ainsi que d'Estrées. Mais notre but est plus loin, nous avançons entre ces localités, en tirant peu, de façon telle que nous laissons Belloy et Berny à gauche, Estrées à droite, et que nous menaçons le plus vite possible ces positions de l'ennemi, par l'arrière.

    Puis, le terrain devient plus découvert, la grande chaussée devant nous paraît dans le champ du regard et se détache clairement à l'horizon avec ses arbres en boule. Le Régiment avance en formation étalée, tout près à gauche le Régiment frère, et de nouveau nous jouissons enthousiasmés du coup d'oeil d'une attaque allemande de chars très grandement montée, car à droite de nos deux Régiments avancent encore contre l'ennemi d'autres Régiments de chars.

    Mais maintenant le Français est réveillé, et a bien reconnu le danger de la situation. comme une traînée de poudre, on doit avoir passé par téléphone: Attention, grande attaque allemande avec chars, car soudain se déclenche un feu d'artillerie monstrueux qui croît en violence de minute en minute.

    Le 1er groupe est déjà au delà de la route nationale et j'ai juste le temps de commander à mon Groupe de traverser celle-ci à toute allure. Justement mes dernières voitures sont passées au travers des obus qui éclatent particulièrement nombreux en cet endroit-là; il tombe en quelque sorte un rideau de fer et d'acier, et l'artillerie ennemie établit ici sur la route un barrage, comme il n'yen a pas eu de plus fort, même pendant la guerre mondiale. Pour nous, il est aussitôt tout à fait clair que pour le moment il n'y a plus aucune communication possible avec l'arrière; pas une fois nos estafettes moto et nos détachements de reconnaissance n'ont pu traverser le barrage de feu. Maintenant il s'agit tranquillement et clairement d'anéantir et de battre l'ennemi en avant, car ce n'est pas de sitôt que nous recevrons des envois de l'arrière et qu'il y aura des liaisons.

    Entre temps, le 1er Groupe a continué à avancer, et en atteignant Ablaincourt, a été reçu par un feu violent du village même et d'un petit bois tout proche. En un clin d'oeil, le Groupe se trouve dans le plus violent combat. Avant qu'on ait pu se rendre compte de la situation, six voitures ont reçu les plus dures atteintes, et quatre braves chars sont en feu sur le terrain. Et ceci n'est que le commencement du combat, et ces chars en feu ne sont certainement pas pour nous le plus joli spectacle, car nous savons qu'ici de nouveau
    des camarades ont souffert, et que de braves soldats des chars sont en grand danger. Mais déjà les positions des canons de défense meurtriers de l'ennemi sont reconnues, et le lieutenant Ziegler passe courageusement a l'attaque. Il reçoit aussitôt dans sa voiture un coup au but qui lui coûte la vie. Le combat est déchaîné au plus haut point. L'adversaire sait ce que cette attaque signifie, que chaque kilomètre
    de terrain que ces chars allemands gagnent, est propre à rendre possible la percée souhaitée, et à nous ouvrir, à nous Allemands, le chemin vers la capitale. Et comme l'on est bien fixé là-dessus, le Français combat opiniâtrement, avec acharnement et méprisant la mort, car il sait que cette fois ce ne sont ni la Belgique, ni la Hollande qui sont en jeu, mais c'est la France et Paris même.

    Le lieutenant Ziegler est tombé, les lieutenants Pfisker et Wagler reçoivent également des coups, s'en tirent sains et saufs, mais doivent au plus vite abandonner leurs beaux véhicules, mais tout cela ne peut arrêter notre attaque.

    Entre temps, le 2ème Groupe a poussé jusqu'aux camarades déjà engagés, et ainsi on réussit par un tir en commun et concentré, à mettre hors de combat et à détruire 5 canons antichars. Comme alors une batterie est encore reconnue, elle est à son tour prise sous un feu concentré, et peu après, traversée par les chars, et réduite définitivement au silence.

    Ainsi dans les premiers moments il y a eu des morts et des blessés, et maintenant enfin le docteur Schulz-Merkel peut venir au secours des blessés. Le nombre des chars démolis s'est élevé et l'ennemi tire encore de tous les coins, tout particulièrement sur les véhicules en feu. A peine le Docteur a-t-il commencé son activité, que l'ennemi amène en position de nouvelles pièces antichars et ouvre le feu sur nous, et le docteur Schulz-Merkel s'effondre, atteint à la tête. Ses sanitaires le pansent, et bientôt il a repris connaissance et se remet au travail pour soigner les camarades grièvement blessés.

    Chacun sait qu'ici aujourd'hui il y va du tout, et que l'on combat pour une décision de tout premier rang. C'est seulement le commencement de la journée, et jusqu'au soir il nous reste devant nous de nombreuses heures.

    Entre temps le 2ème Groupe a amené toutes ses voitures en position, entreprit le combat par le feu avec Ablaincourt, et le gros du Régiment a réussi à progresser jusque devant Omiécourt. Le 1er Groupe n'a pas encore atteint cette localité qu'il est accueilli de nouveau par un feu infernal partant du village même ainsi que de tous les boqueteaux environnants. Mais des flancs aussi les voitures reçoivent subitement des coups et de nouveau en un clin d'oeil les premières voitures sont en flammes. La situation est tout autre que réjouissante. L'ennemi a aujourd'hui encore la part la plus facile et la meilleure du combat, nous de beaucoup la plus difficile. Il se trouve caché derrière des maisons et des haies, complètement invisible pour nous, et le plus souvent impossible à reconnaître pendant que nous nous déplaçons sur le terrain en pleine grandeur et sans camouflage, et attirons ainsi tout le feu sur nous. Seulement quand on tire, seulement quand l'un de nous est atteint et mis en feu, seulement alors nous avons conscience du voisinage immédiat de l'ennemi, Il nous faut alors, tout en nous tenant au milieu de la campagne, chercher l'ennemi et essayer de le reconnaître.

    C'est dans ces conditions qu'ici aussi plusieurs de nos voitures sont atteintes et mises hors de combat. Mais de son côté le Français n'est plus invisible. Chaque coup trahit sa position, et ainsi nous savons très tôt où il a placé ses canons et sa défense. Vite un petit bois et une ride du terrain sont trouvés comme défilement pour nos chars, car maintenant c'est à l'artillerie de s'entretenir avec le Français, car la
    défense est très forte et les munitions pour nos pièces de chars sont peu nombreuses.

    II n'est que juste midi, la journée est encore longue, et nul ne sait combien de temps encore le tir d'arrêt nous séparera de nos échelons. Aussi de très bonne heure devons nous penser à l'économie des munitions, car aujourd'hui, au jour de la décision, on doit compter avec tout, y compris une contre-attaque française avec chars. Mais cela ne se passe pas toujours aussi simplement que se le représentent les
    chars avançant en dépit du feu adverse. Pour l'artillerie, qui se trouve encore en arrière de la barrière de feu, l'éloignement est trop grand, un bombardement d'Omiécourt est par suite impossible, et un changement de position n'est pas réalisable parce que l'infanterie a encore trop peu avancé.

    L'ennemi a, en effet, dès ce premier jour, fait usage de sa nouvelle tactique, et derrière nous tout le front s'est ranimé. Devant tous les villages presque jusqu'à Péronne, nos Régiments d'attaque se trouvent engagés dans un très dur combat d'infanterie, et les ponts sur la Somme et la ville de Péronne se trouvent sous un très violent tir d'artillerie ennemie. En un mot la percée ne paraît pas devoir de sitôt être réalisée, et c'est un grand combat de tout premier ordre qui est allumé sur toute la ligne. Aussi devons-nous, provisoirement, tenir bon et essayer de contrebattre l'adversaire avec notre propre feu.

    Mais notre artillerie, toujours prête à nous aider, ne nous laisse pas complètement en plan. Une batterie parvient à concentrer son feu sur le petit bois se trouvant devant le 1er Groupe, et pour l'instant tout au moins, à réduire au silence l'artillerie ennemie et sa défense antichar extraordinairement forte.

    Mais il faut prendre une décision pour la continuation du combat. Dans ce but, le peloton léger du Régiment se porte pour éclairer en avant où de nouveaux différents boqueteaux et un petit remblai de chemin de fer se trouvent dans la zone de marche projetée.

    Mais cette fraction de Régiment reçoit elle aussi de tous côtés des feux de tous calibres, aussi le Commandant de la Brigade qui naturellement marche comme toujours avec sa voiture au milieu du groupe de tête, commande-t-il de tenir les positions atteintes, mais de suspendre la marche au delà, jusqu'au moment où l'artillerie réussira à neutraliser l'ennemi pendant notre progression, assez longtemps pour nous permettre de l'encercler ou de l'écraser.

    Ainsi à cette heure la situation n'est pas précisément favorable pour nous. Devant nous chaque village et chaque bois, on pourrait même presque dire chaque buisson, est littéralement farci d'artillerie et d'engins de défense, l'artillerie nous combat en partie même en coups directs et de ce fait intervient dans le combat d'une façon très efficace, pendant que derrière nous est déchaîné un combat à la vie et à la mort, attendu qu'il est combattu non seulement pour chaque village, mais pour chaque maison en particulier. Aussi rien d'étonnant à ce que bientôt nous recevions en fait des feux de quatre côtés, et on pourrait presque dire qu'aucun ne savait plus ce qui était l'avant ou l'arrière.

    A ce moment, le feu d'Ablaincourt n'avait toujours pas diminué. Comme la marche en avant était provisoirement arrêtée, je fis demi-tour avec une partie du 2ème Groupe et attaquai encore une fois cette partie de l'ennemi à revers en vue de l'anéantir complètement. L'attaque eut aussi le succès espéré, car la 5ème Compagnie put, sans grosses pertes pour elle, réduire au silence dans un village une batterie
    entière et anéantir tous les canons pendant que la se, dans une attaque hardie, arrachait à l'ennemi plusieurs pièces antichars. Et ainsi survint enfin à cette place du champ de bataille quelque repos.

    Il est déjà tard dans l'après-midi, toute la brigade de chars est éparpillée au milieu de l'ennemi derrière des hauteurs ou des bois, le soleil brûlant tombe sans pitié sur nous et autour de nous on combat héroïquement pour les localités. Avec le temps, toutes nos différentes entreprises de la journée nous
    ont procuré un grand nombre de prisonniers. Tout en avant aussi, ou le groupe de Lauchert tient l'ennemi en échec on a fait des prisonniers. Par des interrogatoires rapides nous apprenons qu'ici une division de régiments étrangers est en face de nous, et qu'elle se compose de tous les peuples de l'Europe (1). Ainsi nous, comptons déjà parmi cent vingt hommes qui ont ainsi été capturés au cours de la journée, des Turcs, des Egyptiens, des Espagnols, des Portugais, des Arabes, des Perses et même quelques Juifs. Nous sommes convaincus que tous ces gens se sont naturellement trouvés là au, combat comme volontaires pour la protection de la culture contre les Barbares. Nos hommes des chars simplistes, ne peuvent comprendre en rien quelque chose de semblable, et mainte expression juste tombe sur ce mélange
    de peuples, nomme « troupe de front français de toute première ligne »

    (1) Ceci est faux. Il n'y avait qu'un régiment étranger le 22 Régiment de volontaires.

    Notre situation dans l'après-midi n'est pas précisément rose; la chaleur, Il est vrai; a dépassé son point le plus élevé, mais la soif nous tourmente de façon inquiétante, et toute goutte de liquide, café de la cuisine de campagne, bouteille de vin ou eau de Seltz presque chaude, a été bue. Depuis longtemps le Commandant du Régiment a envoyé chercher des munitions, de l'essence et des vivres, mais sur nos
    arrières et sur les côtés, il est toujours combattu pour la possession des Villages et il ne faut pas encore penser à l'arrivée jusqu'à nous, même de l'artillerie si nécessaire.

    Mais soudain, venant d'on ne sait où, ni de quel côté, apparaissent nos voitures à munitions, deux cuisines de campagne et les pelotons de Pionniers, même du carburant arrive, et cet extraordinaire exploit de notre train de combat élève le moral de façon peu commune. Deux voitures, il est vrai, sont restées en route en feu, mais nous avons maintenant à nouveau des munitions, de l'alcool et du café, et quoi qu'il advienne, la percée réussira bien quelque part.

    Entre temps les heures ont succédé aux heures depuis le commencement de l'attaque, la division blindée qui combat tout près à notre droite ne paraît pas, d'après le bruit de la bataille, avoir progressé beaucoup plus que nous et paraît même être engagée dans des combats particulièrement difficiles.

    Le lieutenant Kastner reçoit alors l'ordre de se mettre avec son peloton en liaison avec cette division et de s'orienter sur place sur la situation du combat.

    Kastner lui-même, dans le char III assure bientôt la jonction avec les camarades se battant tout près de nous à notre droite; il apprend que Fransart a bien été atteint, mais que de ce côté, la résistance de l'ennemi est très forte, et que nos propres pertes sont considérables. Là aussi les envois de l'arrière parviennent mal, et la division voisine souffre elle aussi du manque de munitions.

    Kastner prend connaissance de tout et prend le chemin du retour pour apporter son rapport à la Brigade. Mais entre temps la situation s'est changée sur le chemin du retour, et un violent tir contre des chars partant d'un petit bois s'abat sur lui; En un clin d'oeil il reçoit lui-même comme voiture de pointe un projectile, le moteur est démoli et la voiture reste en panne. Pour continuer sa route il se rend vite à pied
    à une autre voiture. Mais l'ennemi s'est proposé d'anéantir ce détachement, et maintenant il vise le chef. Kastner court comme un lièvre dans le chaudron d'une sorcière, mais beaucoup de chasseurs le poursuivent. Il s'affaisse gravement blessé aux deux pieds par un projectile antichars. Mais nous avons là un officier allemand de chars voulant apporter à son Commandant de Brigade un rapport qui peut être
    important pour les décisions tactiques ultérieures, aussi de toute son énergie il assemble ses forces malgré ses deux jambes blessées, atteint une de ses voitures, s'étend sur l'arrière, et parvient par un suprême effort jusqu'à son supérieur. D'une voix tremblante, carte en main, Kastner oriente son supérieur sur tout ce qu'il sait, a vu et entendu, et seulement alors les médecins s'empressent autour de lui, et il peut être transporté au plus prochain poste de secours. Actuellement Kastner gît depuis des semaines et des mois dans un hôpital, car le péroné d'une jambe a été traversé, et les projectiles de 2,5 font des trous d'une damnée grandeur.

    Ceci n'a rien d'un grand exploit héroïque, c'est tout simplement notre accomplissement du devoir complètement normal et clair, d'après les vieilles moeurs prussiennes, sans égard pour soi-même, avec un seul grand but, l'accomplissement de cette parole de notre Führer: Devions-nous en mourir nous-mêmes, il faut que l'Allemagne vive.

    Enfin, la soif est étanchée, carburant et munitions saisis et arrimés sur les véhicules, partout la confiance s'est propagée, lorsque vers 16 h 30 éclate un tir d'artillerie inouï. D'abord les 75 ouvrent le feu sur nous de devant. Les voitures qui souffrent particulièrement sous ce bombardement appuient quelque peu vers l'arrière, et le plus possible aussi sur le côté. Mais à peine nous sentons-nous quelque peu en sûreté, que l'adversaire commence à tirer de la droite avec de l'artillerie lourde, de sorte que nous ne pouvons plus
    ni voir, ni entendre. Ça bouillonne comme dans un chaudron de sorcière, et les éclatements de ces gros obus nous encadrent de tous côtés. Le Français doit avoir quelque part un excellent observatoire contre nous, car il poursuit tous nos déplacements avec une exactitude digne d'admiration, et nous inflige bientôt des pertes sensibles.

    La situation s'élève au plus haut point, lorsque dans ce combat de feux apparaissent soudainement des avions de bombardement français qui nous attaquent en toute tranquillité et à espacements réguliers. Nos chasseurs paraissent voir en ce moment quelque part ailleurs un travail plus important, car les bombardiers décrivent en toute tranquillité des cercles au-dessus de nous, mais par bonheur nous
    pouvons dire que le Français est un bien mauvais lanceur de bombes. Tout le monde est rentré depuis longtemps dans les voitures de combat, les volets sont pour la plupart fermés, aussi lorsque à leur tour les chasseurs français accompagnant l'attaque foncent sur nous comme des éperviers et essayent leur chance en rase-motte, la bénédiction de balles qu'ils nous destinent est également sans succès, car un char allemand est nettement en mesure de défier ce tir.

    En tout cas, la situation n'est vraiment pas rose, car nous devons rester assis inactifs dans nos chars, on ne sait bientôt plus comment se tourner, quel mouvement on peut faire avec les chars, partout éclatent des obus; on essaye de nous étreindre de devant, de derrière et d'en haut, et en arrière de nous les camarades sont toujours encore engagés dans de lourds combats. Tous les villages, il est vrai sont déjà en feu, mais la liaison avec nous n'est pas encore établie.

    A ce moment, le peloton léger de la brigade réussit à nous amener une batterie contre avion (1), avec quatre canons lourds et quatre légers. Les petits gars n'ont pas eu facile à réaliser cette liaison, mais l'exemple de leur chef de batterie qui les précède dans le bain a convaincu les soldats qu'il y a urgence et qu'on a besoin d'eux en première ligne.

    C'est ainsi que cette batterie apparaît dans nos rangs et restera pour les jours suivants partie intégrante de notre Régiment.

    Ainsi cette batterie intervient dans le combat, mais sans succès, car l'artillerie lourde, qui nous combat se trouve quelque part derrière une colline, et ne peut de ce fait être atteinte par les canons de D. C. A. Tout au moins par suite de la présence de notre D. C. A. les pièces antichars ennemies sont devenues un peu plus tranquilles, mais le 2ème Groupe souffre toujours encore énormément sous le tir de l'artillerie
    lourde. C'est alors qu'à 19 heures, le Commandant de la Brigade commande la continuation de l'attaque.

    C'était une décision virile, car cette décision était prise à un moment où la liaison vers l'arrière n'existait pas, où on combattait encore pour la plupart des localités, où aucun ne savait comment nos échelons nous rattraperaient et nous compléteraient. Mais la percée était ordonnée, et c'est une vieille parole de soldat que c'est dans l'attaque qu'il faut chercher la meilleure défense. Et, comme toujours, le monde appartient aux courageux et pas aux faibles.

    Nous avions une confiance aveugle dans la conduite du Commandant de la Brigade, et savions que sa décision devait conduire au succès.

    Et en effet nous sortions ainsi enfin de l'intense feu d'artillerie. L'ennemi nous poursuivit, il est vrai, de son feu jusqu'au remblai de la voie ferrée, mais à partir de là nous fûmes bien en dehors de son observation, et enfin nous pûmes respirer pendant un court moment. Maintenant seulement nous nous rendions compte quel effort nerveux avaient coûté les dernières heures.

    Mais nous étions dans l'attaque, nous cherchions la percée d'une position fortement défendue, et ainsi on devait admettre que l'ennemi utilisait tous les moyens pour nous arrêter et faire échouer notre percée. A peine sommes-nous sortis du tir et avons-nous parcouru une certaine distance, que d'Omiécourt éclate dans notre flanc un nouveau tir d'artillerie et de pièces antichars. Le 2e Groupe a, comme il marche en deuxième échelon, le bonheur de pouvoir reconnaître d'où partent les coups.

    En un tournemain, les voitures lourdes se trouvent en position, et le lieutenant Berger peut faire de l'excellent travail avec ses canons. Lorsque le lieutenant de Cossel intervient à son tour dans le combat de feu avec la 6e, l'adversaire est très vite écrasé et réduit au silence. A ce moment, les aviateurs français sont de nouveau sur place, nous ont reconnus avec la rapidité de l'éclair et visés. Les bombes éclatent, les chasseurs passent à l'attaque. On peut dire que nous sommes de nouveau dans la danse, et qu'on
    ne nous laisse aucun moment de repos. Mais les aviateurs ont bientôt jeté leur charge, disparaissent et n'ont encore cette fois aucun succès à enregistrer.

    A peine cette attaque d'avions est-elle terminée, à peine nos chars se sont-ils remis en mouvement, que recommence à tirer un seul canon restant des pièces antichars françaises, et ce cochon, trop lâche pour tirer sur des chars allemands, car ils pourraient répondre au feu, dirige son tir sur le char sanitaire, désigné très distinctement par la croix de Genève, de notre très dévoué docteur Baldauf. Ce dernier doit être
    ramené en arrière avec une blessure à la nuque très grave et laissant peu d'espoir.

    Mais cette offense au droit des gens, ce bombardement de la Croix-Rouge et de notre camarade Baldauf, trouva, Dieu soit loué, une réponse prompte et immédiate. Notre cher Pikra, déjà décoré de la croix de fer de 1re classe pour sa brave conduite à la position de la Dyle, reconnaît aussitôt la position du canon de défense, dirige personnellement sa pièce vite détachée de l'avant-train et obtient, dès le premier coup, au vrai sens du mot, un coup au but.

    Il s'est lui-même convaincu sur place de son coup et a constaté que par un hasard extraordinaire, son projectile, a la justesse d'un cheveu, a éclaté dans la bouche du canon adverse, et ceci au moment même où avait lieu, dans celui-ci un départ de coup. L'effet doit avoir été terrible, le tube du canon vola en morceaux et tout le personnel dut être littéralement mis en miettes.

    L'acte criminel contre notre brave docteur Baldauf était vengé. Non seulement ce fait fut constaté le lendemain par le lieutenant Kraus qui visita Omiécourt , mais II apprit aussi que dans cette localité mille soldats s'étaient rendus sans combat aux troupes attaquant derrière nous, et qu'un groupe entier d'artillerie ainsi que beaucoup de canons antichars avaient été pris comme butin, que dans Ablaincourt , ce village même qui au début de l'attaque nous avait infligé de si grandes pertes, 1200 autres Français s'étaient rendus sans grande résistance. Ainsi la continuation de notre attaque avait donc, en dernière analyse, eu le succès que l'adversaire se sentit menacé et abandonna le combat.

    Nous, par contre, nous continuions la marche en avant. La batterie contre avions marchait au milieu de nous, et était protégée à droite et à gauche par une compagnie de chars contre des surprises latérales.

    Ainsi, la Brigade continuait à avancer vers le sud comme un long serpent étroit, en contournant et évitant chaque village. Car chaque village était fortifié, et dans chaque village la surprise et la perdition nous épiaient. Ainsi, II ne restait rien d'autre à faire que de passer à côté de ces localités et les menacer de derrière, et si malgré cela nous recevions des coups de feu, de les mettre en feu en les bombardant,
    et ainsi de les enfumer et d'épargner aux camarades qui nous suivaient un dur combat.

    Ainsi, ici de nouveau, comme en Pologne, le feu est notre ami et notre allié...

    Ainsi notre marche en avant était marquée de nouveau par des villages brûlant et des maisons se consumant lentement, et enfin vers 22 heures, nous atteignîmes les hauteurs d'Étalon. La première partie de la percée était réussie, de nouveau les chars avaient rendu à plein, de nouveau la plus forte résistance ennemie n'avait pas pu finalement résister à l'assaut des chars allemands.

    A la fin de ce premier jour de percée au travers de la célèbre ligne Weygand, des chars allemands se trouvent de nouveau profondément dans les positions ennemies et imposent leur volonté à l'ennemi.

    Mais pour nous la journée n'était pas encore finie. Réduits à nos seuls moyens sans aucun soutien de tirailleurs ou d'infanterie, nous devions assurer notre sûreté pour la nuit et nous protéger contre les contre-attaques possibles. Pour cela il était bon de s'emparer de la grande route de Péronne Roye, devant nous, et par suite enlever les villages de Fonches et Fonchettes. Dans le cours de l'avance, le 2e Groupe était passé en tête, et c'est à lui, qu'échoit cette mission.

    Pendant que le Régiment frère assure les hauteurs d'Étalon, nous appuyons quelque peu vers la droite et nous continuons notre marche sur Fonches. Mais à peine atteignons nous la route, à peine sommes-nous à portée du village, qu'ici, à cette heure tardive de la soirée, nous recevons une nouvelle grêle de projectiles. En un clin d'oeil trois de nos voitures sont démolies et comme une autre veut courir à l'aide des camarades, elle reçoit également un coup antichar bien dirigé, et est elle aussi démolie. Aussi la se
    doit-elle attaquer de nouveau avec ses chars lourds pour nous procurer le repos mérité.

    Entre temps, l'obscurité est devenue presque complète et il n'est pas très facile d'assurer la sûreté commandée, de telle façon qu'elle constitue une sécurité pour les camarades dormant derrière nous. Mais ceci aussi pût être réalisé, et il pouvait être minuit lorsque nous annonçâmes que nous occupions cette position et que nous-mêmes pûmes éprouver un peu de repos.

    Après avoir combattu toute la. journée en extrême première ligne, après qu'eût reposé sur nos épaules la percée à travers la position Weygand si souvent désignée comme imprenable, après toutes les agitations de la Journée, avec ses différents événements, les chars se trouvaient de nouveau loin en avant de toutes les autres troupes de l'armée, ayant pénétré profondément dans le terrain de combat de l'ennemi,
    et montaient en plus la garde pour tous les autres camarades. Mais par cela même nous pouvons voir de nouveau combien complexe était devenue cette arme cuirassée allemande, et à quelles tâches elle était employée. Et nous étions conscients de ce devoir, car de notre vigilance dépendaient ,le bien et le mal, et la vie de nos camarades, et avant tout, l'exécution des plans de notre haute direction de guerre. Si de nuit nous étions soudainement culbutés ou repoussés par une contre-attaque française conduite avec énergie et désespérée, alors tous les succès du jour précédent et tous les sacrifices seraient vains . . .

     

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