• Le Maquis de Saint Marcel par Roger LEROUX ( 1981 )

    Le Maquis de Saint Marcel par Roger LEROUX ( 1978 )

     

     

    Le terrain «Baleine» et le maquis de la Nouette

    A l'est du département du Morbihan, Saint-Marcel est une petite commune d'environ 500 habitants, située à 3 kilomètres de Malestroit, sur les pentes du plateau qui sépare la vallée de la Claie de la vallée de l'Oust.

    La ville la plus proche est Ploërmel, à 19 kilomètres au nord ; Vannes est à 32 kilomètres au sud-ouest , Redon à près de 40 kilomètres au sud-est . Le bourg n'est traversé que par deux petites routes de faible trafic .

    Entre Saint-Marcel et Sérent s'étend une région dont les parties les plus élevées sont boisées tandis que les autres sont en cultures . Certains endroits présentent un aspect intermédiaire , avec prédominance tantôt de bois tantôt de cultures. Sur le versant sud du plateau, une vaste clairière située au nord de la ferme de la Nouée (1) (ou la Nouette, comme on dit dans le pays) avait été choisie en février 1943 comme terrain de parachutage. C'était l'époque où Guy Lenlant, agent du B.C.R.A., envoyé en Bretagne en décembre 1942, constituait des équipes de parachutage et recherchait les terrains susceptibles de permettre soit l'envoi d'armes par la voie aérienne soit des atterrissages d'unités aéroportées.

    Ce terrain tut homologué sous le nom de Baleine : il était particulièrement bien situé ; en effet, tout en étant relativement éloigné des grandes voies de communications et voisin de taillis qui permettraient de camoufler un dépôt d'armes, il était facile à repérer par la voie ferrée de Questembert à Ploërmel et par l'Oust canalisé.

    (1) La ferme de la Nouée et le terrain Baleine sont situés sur le territoire de la commune de Serent .

    Le Maquis de Saint Marcel par Roger LEROUX ( 1978 )

    les colonels" Morice et Bourgoin (photo du haut) .
    le commandant Guimard Emile, membre de l'Etat-Major départemental (photo du bas a gauche).
    le lieutenant-colonel Le Garrec , commandant le 2e bataillon F.F.I., bataillon d'Auray (photo du bas a droite).

    Un seul parachutage y fut effectué, pour le S.O.A. (2) , longtemps avant le débarquement (en mai 1943). Trois autres ne purent avoir lieu et ensuite , il semble qu'on n'ait plus voulu l'utiliser afin d'éviter que l'attention des Allemands fût attirée sur ces parages. Le commandant départemental de l'Armée secrète avait décidé que la Nouette servirait de base pour la réception d'armes et éventuellement de renforts parachutés au moment du débarquement. Plusieurs réunions de résistants locaux y eurent lieu en 1944, dont une le 11 mars, en présence du général Allard, alors caché au château voisin de Tirpen. Un membre de l'Etat-Major départemental, Emile Guimard, qui avait du prendre le maquis dès le 4 mars, venait au moins une fois par semaine voir le fermier de la Nouette, Pondard , pour s'assurer que l'ennemi ne se doutait de rien .

    Le 31 mars, une cinquantaine d'arrestations désorganise la résistance morbihannaise en la privant d'une partie de ses cadres (pour la plupart gendarmes et chefs de district ou agents du ravitaillement général): Le 6 avril , trois gendarmes de Malestroit doivent prendre le maquis : le samedi 8, deux d'entre eux arrivent à la Nouette. Leur disparition a fait grand bruit, mais la plupart des habitants de la région croient qu'ils ont été arrêtés par les Allemands. Peu après, un autre gendarme de Malestroit prend à son tour le maquis et vient rejoindre ses deux collègues ; tous trois se construisent une baraque dans le taillis. Bientôt, d'autres
    résistants qui se sentent traqués de tous côtés viennent se joindre à eux. Ces hommes partent souvent la nuit pour assister à des réunions ou effectuer des actions de sabotage.

    Les forces allemandes de Bretagne au jour du débarquement.

    Le système défensif de Normandie-Bretagne est tenu par la 7e Armée du général Dolmann (P.C. au Mans).

    Trois corps d 'armée se partagent les zones côtières : le 84e C.A. (général Marx) , P.C. à Saint-Lô ; le 74e C.A. (général Koltitz), P.C. à Guingamp ; le 25e C.A. (général Fahrmbacher) , P.C. à Pontivy.

    En Bretagne, les troupes de campagne se répartissent ainsi :
    1° En zone nord , les trois divisions du 74e Corps d'armée : la 319e D.I. (P.C. à Pontorson) ; la 77e D.I. (à Saint-Malo) ; la 266e D.I. , à Guingamp (avec P.C. à Belle-Ile-en-Terre).

    2° En zone sud , les trois divisions du 258e Corps d'armée: la 343e D.I. , à Brest (avec P.C. à Landerneau) ; la 265e D.I. , à Lorient (avec P.C. à Quimperlé) ; la 275e D.I. à Saint-Nazaire (avec P.C. à Redon).

    Ces troupes d'occupation sont complétées par diverses unités de renforcement: la 3e et la 58e Divisions aéroportées, la 353e D.I. (P,C. à Landivisiau), des unités dites de l'Est , constituées en escadrons de cavaliers et de cyclistes ukrainiens à 600 hommes et en bataillons d'infanterie de Géorgiens à 800
    hommes.

    Il y a encore le 258e Régiment de forteresse, à vingt -neuf compagnies, trois groupes d'artillerie de côte de l'Armée, deux bataillons spéciaux formés d'hommes malades des oreilles et de l'estomac et des unités d'aviation (1200 hommes, dans le Morbihan , appartenaient à celles-ci).

    L'ensemble des effectifs allemands stationnés en Bretagne est ainsi d'environ 150 000 hommes au moment du débarquement allié en Normandie. La densité d'occupation est particulièrement forte dans l'ouest de la Bretagne qui a été partagé , dès le mois de mai 1944, en secteurs de sécurité surveillés par des formations spéciales.

    ( 2 ) Bureau des Opérations Aériennes.

    Le Maquis de Saint Marcel par Roger LEROUX ( 1978 )

    Parachutistes à la veille de leur saut sur la France, 5 juin 1944 (photo du haut).

    L'ensemble des effectifs allemands stationnés en Bretagne est d'environ 150 000 hommes
    dont la 3e et 5e divisions aéroportées (photo du bas : collection Binet).

    Les F.F.I. du Morbihan au jour du débarquement.

    L'Armée secrète a officieusement fusionné avec les Francs-Tireurs-Partisans (F.T.P.) en février, mais la mort à la mi-avril, des deux représentants du mouvement F.T.P. au sein de l 'Etat-Major F.F.I. a interrompu cette collaboration.

    Au printemps, le Comac (Comité d 'Action Immédiate, qui siège à Paris et qui dépend du Conseil national de la Résistance dont il est l'organisme militaire ) a choisi les F.F.I. du Morbihan pour administrer la preuve qu'on peut laisser aux troupes de la Résistance le soin de détruire les voies ferrées (Plan vert), selon
    les directives du Block Planning établi au début de 1944. Un officier du Comac, Rivière , est venu le 5 mai apporter un ordre de destruction générale des voies ferrées de la région de Bretagne. Les coupures ont été effectuées selon les ordres reçus, dont certaines dans les Côtes-du-Nord et dans l'Ille-et-Vilaine et
    elles ont été entretenues du 7 au 13 mai, c 'est-à-dire pendant une semaine, comme il avait été prescrit.

    Vers le 15 mai, un délégué du Cornac, le commandant Barthélemy (alias Hauteur ou Barrat), est venu à son tour pour se rendre compte de l'importance des effectifs F.F.I. et de la tenue des hommes. Il passe en revue de nuit, toute la compagnie de Malestroit sur la lande de Robinson, entre Plumelec et Sérent . Il se
    déclare satisfait et il est décidé que les chefs de l'Etat-Major départemental reviendront la semaine suivante.

    Le lundi 22 mai, le D.M.R. (Délégué militaire régional) de la région M2, Valentin Abeille (alias Méridien, Fantassin, Monsieur Jacques) qui est en même temps chef du Bureau des opérations aériennes de Bretagne, arrive au maquis de la Nouette; il y est rejoint le lendemain par Hauteur et par Sinclair (de son vrai nom Paul Simon). son adjoint. Le 23, une conférence réunit les représentants du Cornac, le
    colonel Chenailler (alias Morice), chef des F.F.I. du Morbihan, le commandant Le Garrec (3) , chef du bataillon d'Auray, le colonel Donnart (alias Poussin), chef des F.F.I. du Finistère, et l'un de ses adjoints. C'est sans doute à ce moment qu'est communiqué aux F.F.I. l'additif au Plan vert (règlement d'exécution pour le jour J et les quinze jours suivants).

    Le 24 mai, au pont de Bocneuf, sur l'Oust, entre Pontivy et Josselin, une autre conférence réunit sous la présidence de Chenailler les commandants Caro (bataillon de Ploërmel-Josselin), Robo (bataillon de Pontivy) et Le Coutaller (bataillon de Guémené). Chenailler leur fait part de la division du département en
    cinq secteurs F.F.I. ainsi que de l'ordre d'armement des unités et des dispositions à prendre pour l'application du Plan vert et du Plan violet (ce dernier concerne les coupures à opérer sur les lignes téléphoniques aériennes et souterraines).

    Le 26 mai, Barthélemy part de bon matin pour Paris ; le soir du même jour, Abeille et Paul Simon partent à leur tour. Ils doivent revenir la semaine suivante pour rester définitivement, mais, le 3 juin, deux agents de liaison, dont l'un est porteur d'une grosse somme d'argent (une vingtaine de millions de francs, selon certains témoignages), annoncent en arrivant de Paris l'arrestation de Valentin Abeille et de Paul Simon.

    ( 3 ) le commandant Le Garrec appartient à l'O.R.A . Qui vient juste de s'intégrer dans les FFI.

    Le Maquis de Saint Marcel par Roger LEROUX ( 1978 )

    Le 6 juin 1944. 1 h 30, le caporal Bouetard est tué - première victime française des
    combats de la libération - Lande du Halliguen en Plumelec (photo du haut).

    Message du capitaine Marienne. 8 juin 1944 (photo du bas à gauche).

    Le Pont sur la Claie, Cadoudal, en Plumelec (photo du bas à droite).

    La disparition d'Abeille n'empêchera pas l'exécution des plans prévus . Le 3 juin, le nouveau chef du B.O.A., Edouard Paysant (alias Kim -B., Dominique Tinchebray, Monsieur Yves, Trouvère), arrive dans le Morbihan avec son équipement radio.

    Le 4 juin, la radio de Londres lance le message Les dés sont sur le tapis et, le 5 juin , Il fait chaud à Suez. Le premier ordonne l'exécution immédiate du Plan vert et du Plan violet, le second celle du Plan rouge (opérations de guérillas) . Les coupures de voies ferrées seront effectuées dans la nuit du 6 au 7 et entretenues les jours suivants , mais la seconde mission confiée aux F.F.I. du Morbihan (application du Plan rouge) exige un armement supérieur à celui dont elles disposent.

    En effet, en dehors d'armes récupérées (4), les F.F.I. ne possèdent presque pas de fusils ni de fusils-mitrailleurs . Les armes reçues par l'intermédiaire du B.O.A. ne consistent qu'en 400 mitraillettes Sten , 150 pistolets de modèles divers, 4000 grenades et un assez important tonnage d'explosifs. C'est un armement destiné à des équipes de saboteurs, non à des troupes en campagne. La répartition en a été faite par sections, mais on n'a pu armer que dix compagnies et il est impossible d'envisager des opérations importantes.

    C'est pourquoi, le 5 juin :
    1° -  En exécution des ordres reçus et conformément aux plans établis avec les délégués du Comac, Chenailler lance un ordre de mobilisation générale aux bataillons de Ploërmel-Josselin, de Vannes, d'Auray et de Guémené, qui représentent un effectif de 3500 hommes. Le premier de ces bataillons doit rallier la Nouette, centre mobilisateur , pour en constituer la garnison permanente: les trois autres resteront dans leur région d'origine. Le reste des F.F.I. du département doit se mettre en état d'alerte ; seuls leurs chefs doivent prendre le maquis et exécuter les actions de sabotage prescrites.

    2°  - En l'absence du délégué militaire régional Barthélemy (Hauteur), qui doit remplacer Abeille et qui ne reviendra de Paris que le 11 juin, à bicyclette , avec deux secrétaires , Chenailler, coupé de toutes relations avec Paris , adresse à l'Etat-Major interallié le message n° 95 suivant :

    Situation inchangée depuis dernier message Hauteur - Fusion réalisée, toutes organisations sous commandement Morice, successeur Yodi (5) - Exécuteront différentes missions malgré armement dérisoire - Dix compagnies faiblement armées sur vingt-cinq - Morbihan peut assurer liaison avec départements bretons. Magnifique esprit troupe qui demande armes - Prière parachuter D.M.R. sur
    terrain B.O.A. Baleine - Accuser réception - Morice.

    La réponse à ce télégramme parviendra à Chenailler (Morice) le 10 juin, à 5 h:

    S.R.O. Bretagne O.P.S./23 du 9/6/44
    Pour Kim . Vous accusons réception vos neuf cinq et neuf six du cinq juin, neuf
    neuf du six juin, un zéro trois et un zéro cinq du sept juin. Félicitations chaleureuses à Morice pour magnifique organisation F.F.I. Morbihan. Envisageons de vous envoyer prochaine lune officier-liaison Fonction - Jusqu'à son arrivée, rester en liaison avec nous pour nous donner besoin armement , détail activité F.F.I. Morbihan - Pour l'immédiat, faisons l'impossible pour donner satisfaction aux demandes de Morice.

    (4) C'est ainsi, par exemple, que la compagnie de Rochefort-en-Terre dispose de mousquetons français recueillis des 1940 derrière l'armée polonaise. les F.F.I possèdent aussi des armes prises aux Allemands, quelques mitraillettes Schmeitzer et des pistolets.

    (5 ) Yodi : le commandant de gendarmerie Guillaudot , chef du réseau Morbiannais de La France combattante jusqu'à son arrestation par la Gestapo . le 10 décembre 1943.

    Le Maquis de Saint Marcel par Roger LEROUX ( 1978 )

    L'arme des maquisards (photo du haut) :
    LA MITRAILLEITE Cf STEN .. (anglaise. Calibre 9 mm) : a) canon ; b) refroidisseur ; c)
    guidon ; d) poussoir d 'accrochage du chargeur ; e) levier d'armement ; f) cran de sûreté ; g)
    oeilleton ; h) bouton de culasse ; i) crosse ; j) plaque de couche ; k} renfort ; l) pontet : m) détente ; n) bouton de tir coup par coup ; o) boite du chargeur ; p) fond du chargeur ; q) bouton d'accrochage du couloir d'alimentation : r) couloir d 'alimentation. Dessin : extrait du manuel d 'instruction militaire édité par le Conseil National de la Résistance.

    Les F.F.I recevront leur arme et un brassard F.F.I. (photo du bas).

     

    Les Intentions alliées.

    L'objectif initial des opérations déclenchées le 6 juin à l'aube sur les plage de Normandie prévoyait la prise de Caen, Bayeux, Isigny, Carentan et Cherbourg ainsi que des terrains d 'aviation situés dans cette région. Selon le plan Overlord (version révisée du mois de février 1944), au jour J + 17, les armées anglaise et américaine devaient tenir une ligne partant de Cabourg et aboutissant à Granville en passant par l'est de Caen, Condé-sur-Noireau et Vire. A J + 20 ou après elles reprendraient leur avance vers le sud et le sud-est , et il était prévu que, à J + 60. les Américains occuperaient la côte atlantique jusqu'au sud de Saint-Nazaire et tiendraient le front sur la Loire jusqu'à Tours, puis sur une ligne allant de Tours à un point situé entre Alençon et Chartres, tandis que les Britanniques iraient de ce point à l'estuaire de la Seine.

    Pour faciliter la conquête de la presqu'île bretonne et l'occupation de ses ports dans les délais prévus, le Commandement interallié avait-il envisagé la possibilité d'un débarquement de diversion entre le golfe du Morbihan et l'embouchure de la Vilaine (6) ? Ce débarquement devait, dit-on , s'effectuer à J + 30 (7). Il semble bien qu 'il se soit agi uniquement d'un bruit à faire courir pou réveiller l'inquiétude des Allemands et les obliger à ne pas trop dégarnir de troupes au sud de la Bretagne (8).

    En tout état de cause, il importait, dans l'immédiat, d'empêcher ou au moins de ralentir les mouvements prévisibles des forces allemandes de Bretagne vers le front de Normandie. C'est à des parachutistes et aux F.F.I. de Bretagne qu'incomberait la tâche de fixer les divisions allemandes dont l'appoint pourrait mettre les forces alliées de débarquement dans une situation difficile. C'est pourquoi des troupes parachutées devaient commencer à être larguées dans la nuit précédant le jour J, avec la mission d'isoler la presqu'île bretonne du reste du territoire.

    Il fallait agir très vite, et malgré la démonstration faite dans la semaine du 7 au 13 mai par les F.F.I. du Morbihan, le Commandement suprême redoutait que la Résistance , dont l'action risquait toujours d'être retardée ou empêchée par des arrestations, fût dans l'impossibilité d'accomplir l'ensemble des destructions voulues.

    Les Alliés étaient d'ailleurs mal renseignés sur l'importance des mouvements de résistance en France occupée ; le manque de coordination entre les Services de renseignements britanniques et le B.C.R.A. dirigé par le colonel Passy, ne pouvait que renforcer leur méfiance à l'égard de l'organisation des maquis et, lors de l'établissement du plan Overlord, ils n'avaient pas été disposés à attribuer un grand rôle aux forces de l'intérieur, à la fois parce qu' ils ne pouvaient confier leurs intentions à des éléments qu'ils ne contrôlaient pas et parce que la place d'une armée de guérilla dans un ensemble d'opérations aussi complexe était difficile à déterminer sans une connaissance précise de ses possibilités.

    En juin 1944 ~ l'aide de la Résistance n'était donc encore envisagée que comme un appoint. Les troupes parachutées dans la nuit de J - 1 à J et au cours des nuits suivantes devraient , outre leur mission de sabotage, entrer en contact avec les groupes locaux et leur fournir un encadrement pour désorganiser
    l'ennemi et faciliter la pénétration alliée.

    Comme on escomptait que l'armée américaine pénétrerait en Bretagne aux environs de J + 20, les parachutistes se joindraient ensuite aux forces terrestres au fur et à mesure de l'avance de celles-ci (9).

    (6) Dans le rapport sur les défenses allemandes du Morbihan. établi par lui en juin 1943 et parvenu à Londres à la mi-juillet de la même année , dans le dossier connu sous le nom de Panier de cerises, le commandant de gendarmerie Guillaudot avait signalé la possibilité d'un débarquement dans la baie de Suscinio. où les ouvrages côtiers étaient peu nombreux (un tous les kilomètres) et où la flotte serait hors d'atteinte des pièces à longue portée de la presqu'ile de Quiberon. En 1935, un exercice de débarquement de chars y avait pleinement réussi.

    (7) Cf . Paulin, La rage au coeur. p.184.
    (8) Témoignage du capitaine Fay, officier de liaison britannique parachuté à la Nouette.
    (9) Témoignage du colonel Bourgoin.

    Le Maquis de Saint Marcel par Roger LEROUX ( 1978 )

    L'armement reçu était anglais et comportait des pistolets, des mitraillettes, des carabines .
    des fusils-mitrailleurs, des engins antichars, des mines, des grenades (photo du haut ).

    Le commandant départemental F.F.I. dispose d'une compagnie de transport (photo du bas).

    Les parachutistes.

    a) Mission prévue:

    Deux sortes de missions furent confiées aux parachutistes français (10) sur le territoire breton :

    1° -  Des missions de sabotage sur les voies de communication (voies ferrées, lignes souterraines à grande distance, lignes téléphoniques), pour isoler des lieux de débarquement les garnisons allemandes de la côte bretonne et éviter ainsi tous renforts immédiats, L'exécution de ces sabotages fut prévue pour la
    nuit J à J + 1 ou J + 1 à J + 2.

    2° - Des missions d'infiltration à l'intérieur de la Bretagne. Le Haut Commandement britannique voulait aussi constituer deux bases, l'une dans les Côtes-du-Nord , l'autre dans le Morbihan, pour recevoir éventuellement de puissantes unités parachutées ou aéroportées . Les deux points, choisis arbitrairement,
    étaient la forêt de Duault pour les Côtes-du-Nord, la partie centrale des landes de Lanvaux pour le Morbihan.

    Des échelons précurseurs devaient être envoyés dans la nuit de J - 1 à J pour :

    a) examiner sur place : les réactions et la force de l'ennemi dans le voisinage : les possibilités défensives du secteur : les possibilités de coopération avec la Résistance ; les possibilités d'atterrissage de planeurs

    b) former une base d'où rayonner aient les groupes de sabotage et d'assaut et où ils viendraient se réapprovisionner en munitions et en explosifs. Il faudrait donc trouver dans le voisinage un terrain favorable aux parachutages (une drop zone ou, en abrégé, une D,Z. ).

    C'est le bataillon du commandant Bourgoin, composé de 500 hommes appartenant au 2e régiment de Chasseurs parachutistes, qui fut choisi pour exécuter les missions de sabotage et d' infiltration et préparer ainsi l'arrivée d'unités plus importantes.

    Pour chacune des deux bases, un échelon précurseur fut constitué par deux groupes de neuf hommes commandés chacun par un officier . Ces groupes devaient partir la nuit même du débarquement dans deux avions différents et, en principe , être parachutés sur le même terrain . Chaque groupe comprenait trois radios équipés de deux émetteurs-récepteurs Midget et deux pigeons, d'un Eurêka (11) et d'un S.Phone (12), chaque homme avait six jours de vivres.

    Les chefs de ces détachements furent, pour les Côtes-du-Nord, le lieutenant Deschamps (en premier ) et le lieutenant Botella (en deuxième) et, pour le Morbihan , le lieutenant Marienne (en premier) et le lieutenant Deplante (en deuxième ).

    L'envoi de missions de sabotage (Cooney parties), au nombre de dix-huit , un peu partout dans les deux départements , le deuxième soir après le débarquement . devait constituer la deuxième phase , Deux d'entre elles se composaient d'un officier, un sous-officier et trois hommes, les seize autres d'un officier ou
    sous-officier et deux hommes.

    Les missions avaient dix jours, au maximum, pour opérer. Elles devaient ensuite se rabattre sur les bases préparées par le détachement précurseur. Des rendez-vous avaient été fixés en des points à proximité desquels, en principe, les bases devaient se trouver. Ces rendez-vous s'appelaient Agamemnon et
    Béatrice pour les Cotes-du-Nord ; Charlotte et Oudile pour le Morbihan. La rentrée des missions de sabotage était escomptée à partir de J + 5.

    Enfin , les deux bases étant prêtes, pendant que les Cooney parties exécuteraient leurs missions, les détachements précurseurs devaient équiper par parachutage les forces de résistance qu 'ils auraient contactées et les patriotes qu 'ils auraient recrutés, et recevoir, quand leur chef en ferait l'appel , le reste du
    bataillon qui partirait aussitôt par petits groupes, dans un secteur déterminé avec une mission de combat précise (13). Le reste du bataillon devait être ainsi parachuté par groupes de dix hommes dans un délai de J + 10.

    b) L'arrivée.

    Le détachement précurseur des Côtes-du-Nord est parachuté sans incident dans la nuit du 5 au 6 juin, entre en contact le lendemain avec la Résistance (en majorité F.T.P.) et établit la base Samwest.

    Dans le Morbihan (14), les événements ne se déroulent pas aussi favorablement.
    Le groupe du lieutenant Marienne touche terre le 6 juin à 0 h 45 à l'endroit prévu, mais celui-ci se trouve à 800 mètres du poste d'observation allemand de Plumelec . Du temps est perdu à la recherche d'une malle et au bout d 'une demi-heure , la D.Z . est cernée par environ 150 ennemis, pour la plupart des Russes, alertés par la vigie de l'observatoire. Un feu d'armes automatiques oblige Marienne et ses hommes à abandonner leurs bagages et à quitter le terrain . Le caporal Bouetard est tué, première victime française des combats de la Libération, les trois radios sont capturés avec les postes et les codes intacts. L'agent en civil (capitaine André) qui devait servir de guide à Marienne et le sergent Raufast sont séparés de Marienne qui n'a plus que deux hommes avec lui.

    Au même moment, Deplante et ses hommes sont parachutés à Lilleran , près de Guehenno, avec une erreur de 12 kilomètres. Marienne et Deplante (après avoir pris contact, chacun de son côté, avec des membres de la Résistance), se retrouvent dans le bois qui avait été choisi comme point de ralliement , le 7 juin, vers 9 h du matin, et décident de quitter cette région; guidés par le lieutenant F.F.I. Morizur, de Plumelec, ils se rendent, à une vingtaine de kilomètres de là, à la ferme de la Nouette. Ils y retrouvent le capitaine André et le sergent Raufast qui sont arrives la veille dans le courant de l'après-midi. Dès ce moment la Nouette devient le point de ralliement des parachutistes (base Dingson);  non seulement
    ceux du Morbihan, mais aussi ceux des Côtes-du-Nord après la dispersion de la base samwest (12 juin ), rcevront l'ordre de s'y rendre. En fait , les hommes d une dizaine de Cooney parties et plusieurs groupes venus de la forêt de Duault arriveront à la Nouette avant le 18 juin.

    Les événements ont démontré le manque absolu de coordination entre les services de renseignements qui travaillent en France et en Angleterre, entre le B.C.R.A . et le commandement britannique. Ils ont aussi apporté aux parachutistes la preuve que la Résistance bretonne n'était pas anéantie et qu'il leur fallait travailler avec elle . Or, ils n'y étaient pas préparés. On ne leur avait même pas expliqué ce qu'étaient les F.F.I. et les F.T.P. !

    (10) Ces parachutistes sont des Français qui font partie du 2e Régiment de chasseurs parachutistes appartenant a la brigade britannique du Spécial Air Service (SAS) commandée par le général Mac Leod. A partir du 6 juin , Ils sont placés sous les ordres du général Koenig , mais ce commandement restera théorique.

    (11) Eurêka : appareil très lourd (grosse valise) destiné à guider vers la DZ du sol en indiquant la lettre du terrain, l'avion muni de Rebecca.
    (1 2) S.Phone ; appareil pesant 30 kilogrammes , portable à dos , permettant de communiquer avec avion quand Il est au-dessus du terrain.
    (13) Corta, Les bérets rouges, p.184

    (14) Le commandant Bourgoin a demandé au colonel Passy et à son adjoint Manuel si ses hommes trouveraient des groupes de résistance. Il lui fut répondu que la Résistance morbihannaise avait été désorganisée , qu'il ne restait que quelques hommes dans la Montagne Noire et du côté de Guer , Alors que le département dispose de dix-huit terrains homologués par le B.O.A., le lieu d'arrivée du détachement a été choisi au hasard, au vu de photographies aériennes.

    Le Maquis de Saint Marcel par Roger LEROUX ( 1978 )

    C'est le bataillon du commandant Bourgoin, composé de 520 hommes, qui fut choisi pour
    exécuter les missions de sabotage et d'infiltration et préparer l'arrivée d'unités importantes
    (photo du haut).
    Les parachutistes jouissent d'un énorme prestige parce qu'ils viennent d'Angleterre et qu'ils
    ont déjà combattu les Allemands en Libye (photo du bas).

    La Nouette du 6 au 18 juin.

    Dans la matinée du 6 juin, plusieurs automobiles amènent tous les chefs de la Résistance locale et départementale, avec leurs radios. Paysant, chef du B.O.A., s'installe à la ferme du Parc avec Irène, sa secrétaire, et toute son équipe radio qui dispose d'un matériel important, entre autres un Eurêka et un S.Phone.

    Dès l'après-midi, les résistants de la région de Malestroit arrivent en grand nombre ; une véritable foule se presse à la Nouette. Le soir , il y a déjà une centaine d'hommes dans la ferme de la famille Pondard et dans les bois environnants. Le lendemain, les chefs de groupe commencent l 'instruction des hommes; les volontaires ne cessent d'arriver ; il faut tuer des bêtes pour nourrir tout le monde; on installe un abattoir, une boucherie, une cuisine, une boulangerie, des groupes électrogènes pour charger les accumulateurs afin d'assurer l'éclairage et le fonctionnement des postes de radio, un atelier de cordonnerie, un atelier d'habillement, un atelier de réparation pour le parc automobile.

    Lorsque Marienne arrive à la Nouette (soir du 7 juin ), il est impressionné par l'importance des effectifs présents ou annoncés. Il envoie le lendemain , par radio, au commandant Bourgoin le message suivant:

    Pierre 1. Indicatif 101 - Confirme message adressé par commandant F.F.I.
    Confirme 10 compagnies faiblement armées sur 25 - Envoyer urgence tous officiers disponibles , troupes et matériels, en particulier Bren Gun - Votre présence ici indispensable. Urgence - Suis enthousiasmé par organisation et ses immenses possibilités - Le Q.G. Résistance affirme pouvoir aider d'ici Samwest - Charlotte et Dudule reconnus, seront fortement installés et défendus - Prévenez toutes les missions que ces rendez-vous se portent bien - Ai vu atterrir hier mission n° 413 (15). Avons envoyé patrouille - Mission actuellement au Q.G. Sera renseignée et guidée sur son objectif. Confirme DZ 418 233 OK9. Convient également pour planeurs . Vous attendons nuit de 0 + 3 à 0 + 4. Serez guidé par Eurêka - Terrain balisé et défendu - Lettre de reconnaissance convenue - 50 camions 3 tonnes , 50
    voitures tourisme disponibles. Avons grosses réserves vivres et cheptel sauf farine. Envoyez
    d'urgence essence, matériel sanitaire et uniformes avec, si possible, identité
    - Attendons confirmation de votre arrivée - Resterons un moment silencieux.
    Signé : Pierre 1.

    Ce message fut suivi d'un deuxième envoyé le 9:

    Pierre 1. Indicatif 101 - Confirme message adressé hier au commandant Bourgoin
    - Situation rétablie de prodigieuse façon malgré les mauvaises arrivées . Ai retrouvé
    Pierre Il (16) et Fernand (17) - Ai pris contact avec Résistance - Suis au Q.G. Gros succès - 3500 hommes en formation régulière vous attendent - Votre présence ici indispensable. Vous donnerai peut-être détails dans journée - Confirme DZ sera gardée par 500 hommes la nuit de votre arrivée - Confirmer - Urgence matériel et hommes.

    (15) Il s 'agit de la mission composée du sergent Mendès-Caldas et de deux hommes. parachutés dans la nuit du 7 au 8 près du château des Hardys-Béhélec.
    (16) Lieutenant Deplante et son stick.
    (17) Alias capitaine André, de son vrai nom André Humer-Hue.

    Ces deux télégrammes résument la situation des forces du Morbihan à l'arrivé des premiers éléments parachutistes.

    Le 9 après-midi, l'une des filles du fermier de la Nouette, Anna Pondard, est envoyée auprès du commandant Caro pour lui dire qu'il doit rejoindre le camp dans la nuit . Tous ses hommes seront rendus le 10 au petit jour pour assurer la garde du camp. A partir de ce moment , 500 hommes protègent le P.C. et le terrain de parachutage.

    Le Commandement départemental des F.F.I. dispose d'une compagnie de transport, dirigée par le capitaine Mounier , de Ploërmel, président du syndicat de transporteurs et membre de l'état-major.

    Le docteur Maheo organise le service sanitaire pour recevoir et soigner des blessés. Deux infirmeries sont installées , l'une dans le garage de Mme Salle (propriétaire de la Nouette, elle habite une maison voisine) et l'autre dans le grenier de la Nouette, au-dessus de la cuisine de la famille Pondard.

    Les bureaux de l' Etat-Major se sont installés un peu partout ; quelques-un sont dans les greniers. De nombreuses secrétaires et dactylos travaillent toute la journée, d'autres jeunes filles travaillent à la confection de milliers de brassards de drapeaux et de fanions.

    Enfin , deux aumôniers sont à la Nouette depuis le 6 juin.

    A la suite des deux télégrammes de Marienne, le commandant Bourqoin décide de se faire parachuter à Dingson, ainsi que le reste de son bataillon qui sera largué par groupes de dix hommes. Il arrive dans la nuit du 9 au 10, en même temps qu 'une cinquantaine d'hommes et avec une cinquantaine de containers pleins d'armes ; il est surpris par l'atmosphère de kermesse(18) qui règne à la Nouette ; il y a des lumières de tous côtés; des patriotes vont et viennent fébrilement dans les tenues les plus étonnantes. Tous les civils du voisinage on assisté au parachutage. Il y a du monde partout, dans les appartements , les
    hangars , les écuries , dans les champs, dans les bois. Une exaltation extraordinaire s'est emparée des F.F.I. à la vue de ces hommes qui tombent du ciel pour les armer et les encadrer , qui ne parlent que de se battre pour contribuer à la libération du sol national dont la guerre les a éloignés depuis plusieurs années.

    Les parachutistes jouissent d'un énorme prestige , parce qu 'ils viennent d'Angleterre , parce qu 'ils se sont déjà battus contre les Allemands en Libye, mais aussi parce que leur présence donne la certitude que des armes vont arriver en masse. Au cours des nuits suivantes d'autres parachutistes suivront , il finira par y en avoir plus de 150.

    A la demande du commandant Bourgoin , Morice invite les bataillons F.F.I à rallier la Nouette (on commence à dire le camp de Saint-Marcel ) par petits détachements pour les faire armer. Chaque nuit (sauf celles du 11 et du 15 juin où le temps ne le permit pas) des avions Stirling lâchent des containers, à raison de vingt-huit par appareil. Le 13 juin, vingt-cinq avions lâchent environ 700 containers et colis , ainsi que le lieutenant-colonel Willk (alias Fonction). C'est le plus important parachutage de la France occupée (19) . Au total 3000 à 4000 hommes ont été armés à Saint-Marcel. L'armement reçu était anglais et comportait des pistolets , des mitraillettes , des carabines , des fusils , des fusils-mitrailleurs, des engins antichars , des mines, des grenades.

    Le 17 juin arrive le stick du lieutenant de la Grandière, avec quatre jeeps. Ces jeeps avaient été aménagées spécialement , elles n'avaient ni pare-brise ni capote. Le siège arrière était supprimé pour donner de la place au mitrailleur servant une Vickers montée sur pivot mobile.

    (18) l'expression est du colonel Bourgoin.
    (19) Selon le témoignage de l'ancien chef départernental du B.O.A.; du 8 au 17 juin . 68 avions parachutèrent des hommes et des containers sur le terrain Baleine.

    Le Maquis de Saint Marcel par Roger LEROUX ( 1978 )

    Le 13 juin, 25 avions larguent environ 700 containers et colis (photo du haut ).

    Le 18 juin 1944, 4 h 30, deux voitures allemandes s'avancent sur la route de Saint-Marcel à
    l'Abbaye (photo du bas).

    A l'avant , à côté du chauffeur , un jumelage de deux Vickers sur axe mobile représentait une puissance de feu de 3200 coups à la minute (20). Malheureusement , le container où étaient les mitrailleuses destinées aux jeeps s'écrasa (le parachute ne s'ouvrit pas) et les douze mitrailleuses furent brisées. On ne put en
    reconstituer qu'une seule.

    Dans le chemin où étaient amenés tous les containers régnait une activité fébrile ; des paysans de la région avaient été réquisitionnés avec leurs charrettes (au nombre d 'une vingtaine) pou ramener les containers . Ceux-ci étaient ouverts les armes et les munitions étaient enlevées par des équipes composées de parachutistes et de membres des F.F.I. Il arrivait aussi de l'habillement (des tenues anglaises furent parachutées dès le début) et des chaussures, ainsi que des conserves. Celles-ci étaient entreposées dans un grenier tandis que l'habillement était rangé dans la cave de Mme Salles.

    Tous les jours c'était un défilé d'unités F.F.I. venant au camp se faire armer ; elles arrivaient en groupes parfois très nombreux (jusqu'à plusieurs centaines d'hommes), entraient en rang et marchaient au pas dans la cour de la ferme, puis allaient passer une visite d 'incorporation sommaire, recevaient leurs armes
    et un brassard F.F.I. On les dirigeait ensuite sur la limite du camp, des parachutistes se mêlaient à eux pour leur montrer où il fallait placer les armes automatiques et leur apprendre rapidement le maniement des armes nouvelles, puis ils repartaient vers leur maquis d'origine au cours de l' une des nuits suivantes.

    Le ravitaillement de cette concentration d'hommes nécessitait un énorme travail (il y eut parfois jusqu'à 2000 hommes à nourrir ). Mme Gorel (Anna Pondard) a raconté dans ses souvenirs (écrits aussitôt après la Libération) que sept ou huit boulangers chauffaient quatre fours du matin au soir : le caviste distribuait cinq ou six barriques de cidre par jour et au moins une barrique de vin. Il n'y avait pas une goutte d'eau à la ferme et il fallait aller chercher quotidiennement de quinze à vingt barriques d'eau. Dans les derniers jours on dut aller très loin. Cette corvée était assurée par des prisonniers civils sous la garde de F.F.I. en armes. Des paysans des environs se succédaient tout au long de la journée , amenant au camp du bétail, du cidre, des légumes : trois hommes allaient chercher de l'épicerie et du vin fourni par un négociant de Malestroit.

    Le camp prenait de l'extension. Dans la nuit du 13 au 14 juin, le 2e Bataillon F.F.I. , de la région d 'Auray , arrive après s'être fait durement accrocher par des forces ennemies dans les bois de Saint-Bily (21): les 900 hommes du commandant Le Garrec ne doivent rester que trois jours mais ils séjourneront plus longtemps au camp en raison du mauvais temps qui ne permet pas de recevoir toutes les armes attendues. Au 16 juin, les premiers postes sont rendus auprès du bourg de Saint-Marcel, toutes les fermes environnantes sont englobées ; la superficie occupée est d'environ 500 hectares.

    (20) Cf. Corta, Les bérets rouges, Paris , 1952, p. 205 .
    (21) A une vingtaine de kilomètres à l'ouest de Saint-Marcel.

    La situation au matin du 18 juin.

    Les Allemands ne soupçonnèrent sans doute pas l'existence d'un centre mobilisateur de cette ampleur. Ils crurent au déclenchement d'opérations limitées , à des sabotages et à des actions dispersées de guérilla. Après le débarquement, ils ne cherchèrent pas tout de suite à gêner le mouvement des volontaires qui quittaient leur domicile pour se rendre aux lieux de rassemblement des bataillons F.F.I. Ils se préoccupèrent surtout d'acheminer leurs réserves sur la Normandie. Il a été dit (22) qu  les opérations alliées de Normandie semblaient avoir été prévues une semaine à l'avance par le commandement
    allemand et que l'ordre de mouvement des troupes de Bretagne qui gagnèrent la Normandie serait du 1er  juin. Mais le général Fahrmbacher , ancien chef du 25e Corps d'armée , déclare que c'est aussitôt après le 6 juin que ces mouvements eurent lieu. Constatant qu'aucun débarquement n'était tenté dans la presqu'île et ne croyant guère à la possibilité d'une tentative de quelque ampleur, le commandement allemand de Bretagne préleva les réserves qui se trouvaient à sa disposition , c'est-à-dire, immédiatement , des formations de la 3e et de la 5e Divisions de parachutistes , puis la 353e Division d'infanterie. En même temps, les divisions stationnées sur la côte détachaient des groupement tactiques composés en général d'un régiment de grenadiers renforcé (23).

    L'acheminement de ces troupes fut sérieusement entravé surtout à partir du 8 juin, date à laquelle les dix-huit missions S.A.S. de sabotage vinrent ajouter leur action à celle des F.F.I. et, à partir du 9 juin, les Allemands lancèrent les unités de l'Est (six régiments de Russes blancs, d'Ukrainiens et de Géorgiens) à la recherche des terroristes et des parachutistes.

    L'établissement d 'une base aussi importante que celle de Saint-Marcel ne pouvait passer inaperçu. Les allées et venues des ravitailleurs devaient attirer l'attention : d' autre part, les hommes qui se rendaient à Saint-Marcel ne prenaient pas toujours la précaution de se déplacer de nuit. Un parachutiste du stick du lieutenant Deplante a raconté (24) comment il s'était rendu de la ferme du Pelheu (près de Plumelec ) à la Nouette , située à 25 kilomètres : le convoi parti le matin (quatre-vingts hommes (25) et cinq ou six charrettes transportant le ravitaillement) et n'arriva qu 'à la nuit tombante, sans avoir toutefois rencontré
    d 'Allemands.

    Le bataillon Le Garrec, au moment de sa concentration dans le bois de Saint-Bily, fut surpris par une formation de Russes blancs. Les Allemands, qui avaient constaté dans de nombreux bourgs la disparition de tous les jeunes gens , ne pouvaient ignorer que ceux-ci se rassemblaient par centaines dans des bois écartés. Divers incidents (échanges de coups de feu , soldats allemands abattus) ainsi que les nombreux sabotages effectués sur les voies ferrées après le 6 juin par les F.F.I. et les missions parachutées révélaient une organisation complexe.

    (22 ) Revue de fa France libre. n° 89. juin 1956 : article non siqné sur l'action des F,FI.en Bretagne.
    (23) Cf. Lorient. 1940-1945
    (24) Paulin (ouvrage cité)
    (25) Nombre indiqué par le secrétaire de mairie de Plumelec . Paulin dit 100 a 150 hommes.

    Les multiples opérations effectuées sur le terrain Baleine à proximité de la Nouette, à partir du 9 juin , ont évidemment été remarquées malgré le temps couvert. Les avions parachuteurs n'ont pas rempli leur mission sans être repérés par les postes de guet allemands, en particulier par celui du château de la
    Villeneuve, situé à moins de 5 kilomètres au sud de la Nouette, et surtout par celui du moulin de la Grée-en-Plumelec , situé sur une éminence, à 14 kilomètres à l'ouest. Le 16 et le 17 juin , les projecteurs de l'aérodrome de Meucon ont éclairé les avions qui larguaient les S.A.S. et des containers.

    D'autre part , des incendies s'allumèrent par fois à l'arrivée des sacs au sol. Un soir, le 14 ou le 16 juin , vers minuit , un container éclata en touchant terre ; les hommes qui montaient la garde dans le secteur crurent à une attaque ; les fusils-mitrailleurs tirèrent. Il y eut des coups de feu pendant un certain temps.

    Dans la nuit du 17 au 18 juin, cinq pilotes voyant des lumières et croyant qu 'il s'agissait du balisage de la D.Z . déversèrent 120 containers sur la gare du Roc-Saint-André (à 6 kilomètres au nord) . Or , elle était éclairée pour l'embarquement d'un régiment de la Wehrmacht. Naturellement , les Allemands saisirent les
    containers et comprirent qu 'une importante concentration de « terroristes » devait exister dans les environs. Ils décidèrent de patrouiller la région.

    Le commandant Bourgoin et l' Etat-Major sont parfaitement conscients que la base va être repérée tôt ou tard . Ils attendent avec impatience l'ordre d'intensifier la guérilla et de marcher au-devant des troupes alliées pour leur servir de guides.

    Dans la nuit du 17 au 18 juin, ils sont informés par radio que le Commandement interallié a décidé d'ajourner le projet de débarquement entre Port-Navalo (à l'entrée du golfe du Morbihan) et l'estuaire de la Vilaine (26) . Le général Mac Leod envoie le message : Eviter à tout prix bataille rangée . Stop. Continuer
    guérilla à outrance et armement F.F.I. (27) », La dispersion des unités est décidée , mais il est trop tard.

    Le 18 juin, à 4 h 30 (heure solaire, qui sera seule utilisée dans ce qui suit), deux voitures de la Feldgendarmerie de Ploërmel s'avancent sur la route de Saint-Marcel à l'Abbaye : leurs occupants veulent sans doute se rendre compte de ce qui se passe dans cette région.

    Le premier poste F.F.I. ouvre le feu : la première voiture franchit le barrage tandis que la deuxième est détruite par un obus de P.l.A.T. tiré par un parachutiste . La première voiture est arrêtée un peu plus loin, à la hauteur du château des Hardys-Béhélec et un bref combat s'engage entre ses occupants et les F.F.I. Des huit feldgendarmes, trois sont tués, un est blessé et trois sont faits prisonniers , un seul s'échappe et va donner l'alarme. Le service de santé , alerté, fait enlever les victimes et le camp se prépare à soutenir une attaque qui ne peut manquer de se produire au cours des prochaines heures.

    Le camp est défendu par environ 2400 hommes :
    a) A l'ouest , au nord et au nord-est , le bataillon Caro , avec 1200 hommes bien armés (28).
    b) Au sud-est et au sud, le bataillon Le Garrec (750 hommes) (29).

    (26) Papiers Chenailler (colonel Morice).
    (27) Cf . Paulin, op. cit
    (28) Nombre indiqué dans l' Historique du 8° Bataillon F.F.I. par le commandant Caro.
    (29) Nombre indiqué par le commandant le Garrec (Dans le maquis breton avec ceux de L.ORA.).

    Le Maquis de Saint Marcel par Roger LEROUX ( 1978 )

    Le camp est défendu par 2400 hommes. Détachement du bataillon Caro, compagnie de Ploërrnel. rééquipée après les combats (photo du haut ).
    Première attaque à 8 h 15. Bois-Joly , une rapide fusillade tue cinq F.F.I. et une jeune bergère (photo du bas).

    La 3e Compagnie, recrutée en grande partie parmi les cheminots d'Auray, a pris position depuis deux jours à l'est et au sud du château des Hardys, couvrant la route de Saint-Marcel, et la 1re Compagnie, plus à l'ouest, jusqu'à 500 mètres à l'est de l'Abbaye. Enfin, la 2e Compagnie s'est installée dans un chemin creux au nord de la 3e.

    c) Des formations du bataillon de Rochefort-en-Terre en cours de formation; la compagnie de Rochefort- en-Terre (173 hommes) et le groupe F.F.I. de La Gacilly, Peillac , Saint-Martin-sur-Oust , Les Fougerets (57 hommes), plus une section de la compagnie F.T.P. de Guer, qui s'est rattachée aux F.F.I. après avoir
    été coupée du Comité militaire régional des F.T.P.

    d) Environ 140 parachutistes sont présents au camp. Sous les ordres du capitaine Larralde, le gros d'entre eux assure la liaison entre le bataillon Caro et le bataillon Le Garrec ; les autres sont répartis parmi les F.F.I. 

    e) Enfin les quatre jeeps forment une petite unité mobile à grande puissance de feu.

    La bataille.

    La garnison allemande de Malestroit est alertée vers 6 h 30. Elle comprend un bataillon de la Wehrmacht, d'un effectif de 500 hommes. Deux compagnies sont mises sur pied pour l'attaque du camp.

    Un plan, retrouvé quelques jours plus tard par le curé de Saint-Marcel, montre ce que les Allemands connaissaient du camp : ils le plaçaient au nord de la route de Saint-Marcel à l'Abbaye, entre les villages des Hardys et la ferme de la Nouette.

    Les Allemands arrivent à 8 h 15 au bourg de Saint-Marcel. Un jeune cultivateur se rend immédiatement aux Hardys-Béhélec pour prévenir le commandant du bataillon d 'Auray qui alerte les troupes situées de part et d'autre de la route de Saint-Marcel à l'Abbaye. Il semble en effet que l'effort allemand va se produire sur cet axe puisque c'est là qu'a eu lieu le bref engagement du lever du jour.

    1re attaque. - Pendant ce temps, les Allemands se déploient. Leur axe d'attaque est dirigé vers le Nord-Ouest (de Saint-Marcel vers le Bois-Joly). Le front est de 500 mètres environ : la première vague a l'effectif d'une compagnie (200 hommes). Profitant de la protection que leur assurent les haies et les chemins creux, les groupes ennemis progressent sans être vus. L'un d'eux, suivant le chemin qui part du calvaire de Saint-Marcel vers les Grands-Hardys, réussit à atteindre le poste situé à 100 mètres au sud de la ferme du Bois-Joly. Une rapide fusillade tue à bout portant les cinq F.F.I. du poste et la bergère de la ferme qui gardait ses vaches dans la prairie voisine.

    Il y a eu surprise , mais l'alerte est donnée; entre Sainte-Geneviève et la route, tout le monde est à son poste . Il est 9 heures.

    Les premières patrouilles allemandes arrivent isolées, en file indienne . croyant n'avoir affaire qu'à un petit groupe de maquisards. Les armes automatiques françaises ouvrent le feu dans toutes les directions; tous les itinéraires sont battus, tous les couverts pris à partie. Les Allemands, décimés, entreprennent
    alors de poursuivre leur progression dans les champs de blé et ils se couvrent par des grenades fumigènes. Ils atteignent vers 9 h 30 la ferme du Bois-Joly.

    Une contre-attaque les rejette de la ferme dans les terrains découverts balayés par les fusils-mitrailleurs . Les Allemands subissent de très fortes pertes et ils doivent se replier en direction de Saint-Marcel vers 9 h45.

    Le Maquis de Saint Marcel par Roger LEROUX ( 1978 )

    Vers 10 h, les armes automatiques. un fusil-mitrailleur tous les dix mètres, arrêtent les
    Allemands (photo du haut).

    Le Dr Mahéo organise le service sanitaire. Equipe de la Croix-Rouge (photo du bas).

    Cette première action qui a duré environ trois quarts d'heure a engagé la 2° Compagnie du bataillon Le Garrec deux sections du bataillon Caro  et une section de parachutistes.

    2e attaque -  A 10 h 00, les Allemands attaquent de nouveau à peu près dans la même direction, mais en faisant porter le principal de leur effort vers le nord du Bois-Joly et Sainte-Geneviève , qu'ils croient être le P.C.; leur effectif représente au moins le double de celui de la première action, soit deux compagnies.

    Au cours de, cette deuxième phase, les Allemands utilisent des mortiers qui prennent a partie les lisières des bois de Sainte-Geneviève d'où partent les rafales françaises les plus nourries. La bataille dure jusqu'à midi. Les armes automatiques (un F.M, tous les dix mètres) arrêtent les Allemands qui sont tués en grand nombre dans les champs de blé et les prairies au sud de Sainte-Geneviève. De nombreux blessés sont dirigés sur Saint-Marcel d'où ils sont évacués.

    Du côté français, il y a aussi des pertes , Les blessés reçoivent les premiers soins au château de Sainte-Geneviève . Les jeeps des parachutistes, par les chemins creux , les évacuent ensuite vers le poste de secours du camp. On attendra la nuit pour les transporter ailleurs.

    Au poste de commandement de la Nouette, on se préoccupe de constituer des réserves en vue d'une contre-attaque pour le cas où les troupes en ligne devraient se replier. Ces réserves, de la valeur d'une compagnie , prélevées sur le bataillon Caro et renforcées par des parachutistes, sont disposées au centre
    de la zone ,d'action de l'ennemi, dans les bois à 400 mètres au nord du Bois-Joly.

    Vers midi, le commandant Bourgoin demande des ordres et des secours aériens . Des officiers préviennent les fermiers de la Nouette et les autres civils qu'ils doivent évacuer le plus vite possible. A ce moment se produit une légère accalmie , mais le combat ne cesse pas. Les Allemands restent sur place et tirent sur tout homme qui se fait voir.

    3e attaque - A 14 h, les Allemands reprennent et étendent leur attaque. Elle déborde nettement au Nord, le château de Sainte-Geneviève et intéresse au Sud la région du château des Hardys-Béhélec: le front s'étend sur plus de 2500 mètres. Alors que, dans la matinée n'avaient été engagées que des troupes
    allemandes, les renforts reçus au début de l'après-midi comprennent à la fois des parachutistes allemands de la division Kreta, venus de Josselin, des Géorgiens et un groupement tactique de la 275e Division d'infanterie.

    Les Géorgiens attaquent , au nord-est du dispositif français . la compagnie de parachutistes du capitaine Larralde. Ils avancent dans les taillis et les couverts à l'est de Sainte-Geneviève. Le combat se déroule à la grenade. Les parachutistes tiennent mais les bois sont en feu.

    Vers 14 h 30, les servants de deux F.M. ayant été tués à leur poste, la défense est démantelée à hauteur du château de Sainte-Geneviève, les Géorgiens se jettent dans la brèche et arrivent jusqu'au château. Des armes automatiques arrêtent leur avance. Le combat se stabilise dans ce secteur jusqu'à 19 h.

    Au centre , l'attaque allemande en direction du Bois-Joly est vigoureuse ; à 17 h 30, elle devient irrésistible ; la ferme est prise; les lignes françaises sont reportées en lisière des bois, à 300 mètres en arrière.

    Au, sud de la route de l'Abbaye, le calme a été relatif une partie de la matinée, les Allemands n'ont pris avant midi , qu'un contact assez lâche entre le château, des Hardys-Béhélec et le bourg de Saint-Marcel. L'après-midi, l'attaque s'étend à ce secteur ou les Allemands essaient de progresser vers l'Ouest : ils
    sont contenus mais, vers 16 h, ils accentuent leur pression , soutenus par des mortiers.

    L'aviation alliée est intervenue vers 15 h 30. Il faut souligner à ce propos la perfection de l'organisation militaire britannique. La demande de secours du commandant Bourgoin adressée au général du S.A.S. avait été, selon la filière normale, transmise, ensuite au 1st Airborne Troops et, de là, à l'état-major des
    opéranons combinées, puis au Bombing Command; or, les avions prirent l'air soixante-dix minutes après que l'appel eût été lancé. C'était un « squadron » de chasseurs bombardiers; pendant près d'une heure ils mitraillèrent et attaquèrent à la bombe les rassemblements ennemis et les colonnes qui arrivaient de divers côtés , ainsi que le clocher de Saint-Marcel où des snipers furent réduits au silence, et les observatoires de la Villeneuve-en-Bohal et de Plumelec. Dans le bourg de Saint-Marcel, les Allemands, pris de panique, se cachèrent un peu partout. Les gens qu'ils avaient arrêtés en profitèrent pour s'échapper. Mais une fois les avions partis, la bataille reprit avec acharnement.

    Contre-attaque. Nouvelle extension du front. A 19 h, une violente contre-attaque venant de la direction du Nord-Est est déclenchée sur le flanc de l'ennemi. Elle progresse malgré les difficultés du terrain et les réactions allemandes. La région même du château de Sainte-Geneviève est reprise, mais l'ennemi s'est accroché au centre du dispositif et  il est impossible de reprendre le Bois-Joly.

    A 20 h, l'action allemande commence à s'étendre; non seulement toute la face est du camp subit sa pression, mais le combat gagne le sud où deux attaques se développent, l'une en direction du château des Hardys-Béhélec , l'autre vers l'Abbaye. Le bataillon Le Garrec , déjà fortement attaqué à l'Est , entre le
    Hardys-Béhélec et le Bois-Joly, doit faire face à cette nouvelle action venue du Sud.

    Des troupes allemandes venues du camp de Coëtquidan ont été débarquée vers 18 h sur la route nationale 776. L'attaque de ces troupes fraîches est d'une extrême brutalité; malgré de lourdes pertes, elle progresse. Les balles incendiaires mettent le feu au bois en arrière des défenseurs, ce qui rend difficile les liaisons entre la première ligne et le P.C. Les F.F.I. contiennent partout l'ennemi mais, après 21 h, la pression de celui-ci continue à s'accentuer. C'est ainsi que, 21 h 45, une mitrailleuse allemande réussira à prendre position près du P.C, de la 3e Compagnie et balaiera de son feu l'allée centrale du parc des Hardys-Béhélec.

    De son côté, le bataillon Caro subit vers 20 h une dure attaque, que ses troupes fraîches repoussent par un feu nourri d'armes automatiques. Vers 20 h également , le P.C. de la Nouette apprend que sur tous les itinéraires des camions amènent des renforts allemands ; le secteur nord, resté calme, semble devoir s'agiter à bref délai car les postes avancés voient au sud de Saint-Abraham de rassemblements de troupes ennemies.

    Le décrochage. Vers 19 h, il était devenu évident que l'ennemi était en force et qu'on ne pourrait tenir plus longtemps sans épuiser complètement les munitions, dont la consommation avait été très forte, surtout pour les F.M. L'acharnement des Allemands permet maintenant de prévoir que, le lendemain, l'attaque
    reprendra dès le point du jour, appuyée par de l'artillerie qui commence à se faire entendre et peut-être par des blindés. Le commandant Bourgoin et le colonel Chenailler décident de disperser la base. Celle-ci n'a pas été encerclée et il est encore possible de décrocher dans de bonnes conditions. Ils ne font d'ailleurs que se conformer aux ordres reçus de Londres juste avant la bataille. les maquisards et les parachutistes vont se limiter à une action de sabotage et de guérilla et éviter désormais tout rassemblement important.

    Le décrochage commence, vers 22 h, par le départ du convoi automobile, qui emmène l'Etat-Major et se prolonge pendant une bonne partie de la nuit. Des compagnies du bataillon Le Garrec, durement accrochées, ne peuvent commencer leur mouvement qu'à 23 h.

    Une compagnie encadrée par des parachutistes reste en protection pendant que plus de 2000 hommes, une vingtaine de camions et quatre ambulances disparaissent dans la nuit . Elle réussit à se replier à son tour sans dommage à minuit; les F.F.I. regagnent leurs maquis d'origine sans rencontrer d'opposition sérieuse, mais il faut abandonner une grosse quantité de matériel. Le capitaine Puech-Samson, qui commande la compagnie de protection , quoique blessé à cuisse au cours de la bataille, met lui-même le feu à la charge qui fait sauter trois tonnes d'explosifs et de munitions reçus au cours des nuits précédentes.

    Lorsque des fonctionnaires seront envoyés par le préfet , le 7 juillet, pour étudier sur place des mesures tendant à préserver les récoltes des paysans sinistrés. ils verront près de la Nouette un important matériel : grenades, mitrailleuses, fusils-mitrailleurs . .  etc, des kilomètres de cordons à combustion lente en rouleaux et un tas de fusils anglais, brûlés et dont il ne reste que les canons, de 2,50 mètres à 3 mètres de haut sur 6 ou 7 mètres de long (30).

    Bilan.

    Au cours de la journée, une trentaine (31) de Français au maximum avaient été tués au cours des combats, dont six parachutistes ; environ soixante avaient été blessés et une quinzaine faits prisonniers. Les blessés furent évacués au cours de la nuit et dispersés dans des fermes. Ceux qui avaient besoin de soins chirurgicaux purent être opérés et soignés clandestinement.

    Les pertes allemandes furent beaucoup plus élevées. Les assaillants avaient sous-estimé l'importance des effectifs français et leur capacité de défense. Ils avaient été, surtout au cours de la première et de la deuxième attaques, fauchés dans les champs de blé par les fusils-mitrailleurs bien placés et protégés. Les
    parachutistes avaient fait de nombreuses victimes , en particulier le lieutenant Marienne qui, utilisant l'unique jeep pourvue de mitrailleuse, avait tué une quarantaine d'Allemands. On a souvent écrit que 560 Allemands périrent à Saint-Marcel ; il a été impossible de vérifier ce chiffre qui est probablement exagéré (32). Les habitants de Malestroit se souviennent d'avoir vu passer des camions de cadavres ; ceux-ci auraient été incinérés dans un four crématoire de campagne installé près du château de Josselin.

    Les Français relâchèrent leurs prisonniers ; ceux-ci avaient pu connaître les noms des chefs des F.F.I. et des parachutistes, ce qui conduisit les Allemands à traquer Chenailler et Bourgoin avec acharnement. Mais ils avaient aussi constaté que les troupes qui les combattaient n'étaient pas des terroristes mais une
    armée hiérarchisée et bien tenue. (33)

    (30) Note pour le prefet, le 7 juillet 1944
    {31) Dans le nombre de 42, habituellement indique. figurent des non-combattants assassinés par les Allemands et des F.F.I.ou des parachutiste situés dans le voisinage au cours des jours suivants.
    (32) Il serait d'environ 300 d'après le capitaine Fay.
    (33) Rapport de la Feldgendarmerie de Ploermel, cité par le colonel Le Menach et l'abbé Guyodo.

    Le Maquis de Saint Marcel par Roger LEROUX ( 1978 )

    Le 19 juin, l'artillerie allemande tire sur le camp et la Nouette. Ci-contre: la ferme de la Nouette reconstruite (photo du haut).

    Les Allemands se vengent en assassinant les blessés,les prisonniers, des innocents : Madame veuve Le Blanc, 83 ans, impotente , est massacrée dans son lit (photo du bas à gauche).

    Roger Le Berre, mort au champ d'honneur le 18 juin (photo du bas à droite).

    Répression.

    Le 19 juin au matin, l'artillerie des Allemands tire sur la Nouette, mais ils doivent constater que les troupes qui les ont tenus en échec la veille ont disparu. Ils se vengent en assassinant les blessés qu'ils découvrent dans les environs. A la suite de ces massacres, le commandant Bourgoin adresse un message au général
    Koenig demandant que l'armée française d'Italie en soit informée et le commandant des F.F.I., de son côté, fait savoir au commandement allemand que tous les officiers , sous-officiers et soldats de l'armée allemande qui tomberont entre ses mains subiront le sort infligé à ses soldats.

    Les Allemands organisen t une chasse sans merci contre les terroristes ; ils lancent dans la campagne le 261e Escadron de cavalerie ukrainienne et le 708e Bataillon d'infanterie géorgienne, par groupes d'environ 80 hommes, d'une très grande mobilité, qui fouilleront sans cesse les villages et les bois, terrorisant la population, arrêtant ou massacrant les isolés ou les petits groupes surpris avant d'avoir pu fuir ou organiser leur défense. Dès le 21 juin, la Feldkommandantur de Vannes fait remettre à la presse un avis (paru dans les journaux le 23) annonçant que . .  les patrouilles tireront à vue sur les personnes qui, en abandonnant la route à l'approche d'Allemands, se rendront suspectes par leur fuite.

    La Wehrmacht se venge en brûlant, le 25 juin, les châteaux de Sainte-Geneviève et des Hardys-Béhélec ; puis , le 27, ce qui reste des fermes et le bourg de Saint-Marcel où ne sont épargnés que l'église, le presbytère et les écoles.

    Conclusion.

    Au cours de la bataille de Saint-Marcel, qui se termina avant que les Allemands aient pu effectuer des tirs de blindés ou d'artillerie de campagne, les Français ont été supérieurs en nombre pendant toute la matinée. les Allemands ont découvert avec surprise, sur les arrières des champs de bataille de Normandie, l'existence de forces bien armées, bien encadrées, dotées même de quelques moyens
    mécaniques, qui leur ont infligé des pertes sérieuses et qu'ils n'ont pas réussi à battre. Ils ont pu constater que ces forces étaient en relation permanente avec l'Etat-Major allié puisqu'elles ont fait intervenir l'aviation alliée dans le combat. Ils vont craindre d'autant plus cette armée clandestine qu'ils en ignorent les effectifs.
    Malgré leurs recherches ils ne vont plus la retrouver qu'en éléments dispersés. Il leur sera impossible de la détruire, puisqu'elle refusera désormais toute bataille rangée et, à partir de ce moment, les Allemands auront peur des combattants de l'intérieur.

    Quant aux Alliés, la leçon qu'enseignait la bat aille de Saint-Marcel était simple: la lutte armée clandestine ne pouvait être organisée à partir d'une base permanente. La notion même de maquis mobilisateur procédait d'une méconnaissance grave des conditions dans lesquelles se trouvait la Résistance. La plus sûre méthode pour gêner l'ennemi sur ses arrières, c'était de couper les voies ferrées, les routes, les lignes souterraines à grande distance, c'était l'action de guérilla menée par des partisans bien armés et connaissant parfaitement le pays. C'était aussi la méthode la moins coûteuse en hommes.

    Dans le rapport qu'il présenta à son retour de Saint-Marcel au général Mac Leod, dans les premiers jours de juillet, le capitaine leblond insistait sur la nécessité d'éviter à tout prix les rassemblements et les actions de masse et recommandait de faire de la guérilla et du sabotage avec l'effectif d'une section au maximum.

    Deux jours après la bataille, le 20 juin, quelques heures avant d'être tué à l'ennemi, le lieutenant SAS. Roger de la Grandière (34) expliquait il à ses camarades combien l'emploi de parachutistes soit par grandes unités soit en mission de combat était une erreur. Les S.A.S., ainsi que le fait remarquer Corta (35) , ne ressemblaient pas aux unités parachutées en Normandie qui disposaient d'armement lourd amené en planeurs ; leur force était leur mobilité, leur dispersion sur une vaste étendue , les manoeuvres par petits groupes indépendants qui permettent d'attaquer des objectifs de toute sorte pour une courte durée et avec surprise et rapidité.

    (34) Ct . Notice sur le vicomte Roger de la Grandière .
    (35) Corta. Les bérets rouges. p. 213.

    Le Maquis de Saint Marcel par Roger LEROUX ( 1981 )

    Saint-Marcel libéré, premier lever des couleurs (photo du haut).

    Saint-Marcel , le retour dans les ruines (photo du bas) .

    Les S.A.S. qui atterrirent sur le sol breton au début de juin étaient d'ailleurs bien persuadés que leur mission serait de courte durée. On la leur avait présentée comme telle et ils croyaient qu'après le regroupement des missions de sabotage, ils mèneraient, conjointement avec les patriotes de l'intérieur, une action de guérilla pendant une quinzaine de jours, puis seraient rejoints par l'avance des armées alliées et serviraient de guides à celles-ci; après quoi ils seraient parachutés dans une autre région pour une mission du même ordre. Or, les troupes américaines ne purent pénétrer en Bretagne qu'au début du mois d'août.

    En fait , il est remarquable qu'en leur donnant mission de constituer une base d'où ils rayonneraient pour opérer les sabotages ou mener des actions de guérilla et où ils viendraient se réapprovisionner en munitions et en explosifs, le Commandement allié ait , en somme , quoique pour d'autres raisons (36), commis la même erreur que le Comac qui, en accord avec les autorités françaises de Londres, avait donné à l'Etat-Major départemental des F.F.I. l'ordre d'organiser à la Nouette un centre mobilisateur.

    La dispersion de la base de Saint-Marcel (en code Dingson), survenant après celle de la base Samwest, dans les Côtes-d u-Nord , amena les Alliés à renoncer au système des D.Z . permanentes . Vers le 25 juin ,au camp de Ty-Glas , dans le centre de la Bretagne, au cours d'une entrevue entre le lieutenant S.A.S.
    Deplante , le subdivisionnaire F.F.I. pour la région M2, Kuntz (alias Thierry) , son adjoint Le Hyaric (alias Pierre) (tous deux F.T.P.) et le major anglais Smith, qui avait l'oreille du haut Commandement , il fut convenu qu'on effectuerait désormais les parachutages dans le plus grand nombre d'endroits possible, pour que l'armement fût largué dans le voisinage même de chaque unité du maquis.

    Enfin, le combat de Saint-Marcel eut un énorme retentissement dans le Morbihan occupé par ce que c'était la première fois que l' occupant était tenu en échec. Les jeunes combattants des F.F.I., qui, pour la plupart , y avaient reçu le baptême du feu, s'y étaient dans l'ensemble très bien comportés, entraînés par
    le courage de leurs chefs et par l'expérience des parachutistes . Parmi ceux-ci , le lieutenant Marienne surtout s'était révélé un extraordinaire entraîneur d'hommes.

    Une véritable légende se forma autour des épisodes de cette journée ; les hommes du maquis savaient désormais que, le moment venu, bien armés, ils pourraient vaincre l'Allemand.

    (36) la Résistance française et le Comité français de la libération nationale étaient surtout préoccupés d'organiser la participation du peuple français à sa propre libération . Ils avaient proposé. à cet effet. fin 1943, le plan Vidal. Les Alliés avaient rejeté ce plan en février 1944. parce qu 'il les eût obligés à donner de trop larges informations sur Overlord à la Résistance française.

    Le Maquis de Saint Marcel par Roger LEROUX ( 1981 )

    Citation de Saint-Marcel (photo du haut à gauche).

    Sur les lieux du combat (photo du haut à droite).

    La croix des parachutiste, lande de Pinieux: l'esprit de sacrifice des parachustistes et de
    tous ceux qui combattirent les ennemis de la liberté ne doit jamais périr (photo du bas).

    Ce récit a paru dans la " Revue d 'Histoire de la Seconde guerre mondiale ... numéro 55 :
    Les maquis dans la libération de la France (Presses Universitaires de France).

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

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