• Foucaucourt

    A Foucaucourt, au contraire, c'est le combat acharné.

    Dès l'aube, le 6 juin, le bombardement recommence, violent. Le point d'appui est pilonné. Avec plus ou moins d'intensité, il va durer toute la journée.

    Vers 7 heures, l'infanterie allemande revient à l'attaque.

    L'une après I'autre; les maisons flambent; Notre artillerie ne réagit plus guère, au sentiment des défenseurs; un moment vint où elle se tut.

    Les tirs de l'infanterie sont surtout violents dans les secteurs Ouest et Est; le centre est moins fortement attaqué.

    Cependant, même au centre, les Allemands s'approchent assez pour que, note le sergent-chef Levitre (1° section de la 1° Cie), on pût tirer sur eux à coup sûr au fusil.

    Dans le secteur ouest, l'effectif des assaillants qui essaient, vers 7 heures, d'aborder nos positions est sensiblement le même que la veille; il semblait seulement que ce fussent des troupes fraîches.

    La tactique aussi est la même: I'ennemi tente de nous déborder par l'Ouest, comme au même moment il s'efforce de le faire par l'Est sur le groupe Béthuel.

    Mais le 6 juin, dans le secteur Ouest, on est mieux préparé; la mitrailleuse du caporal-chef Tamazian (C. A. 1), placée dans un endroit bien choisi, parfaitement camouflée, au point qu'elle ne fut pas repérée de toute la journée, fait un excellent travail et inflige à l'ennemi des pertes sérieuses.

    Cette mitrailleuse, par sa position, pouvait atteindre l'ennemi assez loin, avant même qu'il abordât la crête protectrice.

    Les témoins s'accordent à dire qu'elle prévenait l'ennemi à plus d'un kilomètre.

    Les mêmes témoins disent que la mitrailleuse respecta les voitures sanitaires allemandes qui venaient sur le terrain relever les blessés.

    Malgré le travail efficace de la mitrailleuse, I'ennemi réussit à faire passer, comme la veille, une partie de son effectif, car notre artillerie ne pouvait plus intervenir avec la même vigueur. Elle avait subi des pertes, et ses munitions étaient par malheur limitées, Pourtant ses barrages tombaient encore avec une admirable précision, en face de la 3° et de la 1° Compagnies. Cette constatation de Levitre et du
    sergent Bitaud est à la louange de nos camarades artilleurs.

    L'artillerie allemande harcelait sans répit nos hommes, ne leur laissant pas un instant de tranquillité.

    Il n'est pas douteux qu'aujourd'hui les Allemands veulent Foucaucourt ; ils s'en rapprochent peu à peu, en rampant dans les champs de luzerne, si bien que ce soir ils seront à 200 ou 300 mètres seulement de nos positions, en certains endroits.

    Au travail de l'artillerie ennemie, s'ajoute celui de l'aviation qui jette ses bombes incendiaires.

    De tous les côtés, même par le Sud, l'infanterie essaie de progresser; le soldat Piratais (1° section de la 1° Cie) précise que cet effort fut particulièrement violent à 7 heures; vers 10 h 30 et à 14 heures. Tous ces assauts sont repoussés avec des pertes sévères pour l'assaillant. Chez nous le nombre des tués fut beaucoup moindre, malgré le bombardement intense.

    Dans l'ensemble, le 1° Bataillon résiste victorieusement pendant toute la journée; sur un point cependant, l'Allemand réalise un gain.

    En effet, le groupe du sergent Béthuel (4° section de la 3° Cie) était en position avancée à l'Est, au carrefour des routes Estrées-Soyécourt.

    A 5 heures du matin, I'ennemi arrive à ce carrefour. Le groupe Béthuel ouvre le feu, tue et blesse un certain nombre d'Allemands.

    Un soldat ennemi veut traverser la route, plus près du groupe; il est abattu; deux autres se montrent et subissent le même sort.

    Mais les hommes de Béthuel sont encerclés. L'équipe du canon de 25, de la C. R. E., derrière eux, a sûrement été prise, car on n'entendit pas ce canon tirer sur l'objectif qu'il avait mission de battre.
    Il était environ 9 heures.
    Dès lors, les Allemands essaient de prendre Béthuel et ses 4 hommes par derrière. Le soldat Gestin voit un officier ennemi sortir vers cette heure là de l'abri du 25, seul sur la route; le sergent BéthueI s'installe à une fenêtre, à très courte distance, et le tue; un second, et, ce semble, un troisième, sont ainsi allongés par le fusil du sergent.

    Peu de temps après, Gestin est gravement blessé (une balle explosive dans les yeux); son tireur Terranéo, blessé légèrement, n'abandonne pas le combat. Les camarades de Gestin (ils restent 3 avec Béthuel : le tireur Terranéo, les pourvoyeurs Dubois et Albert Guillet) continuent de remplir leur mission; ils tirent sur le carrefour et dans les champs, à droite de la route.

    Malheureusement, vers 11 heures, il n'y a plus du tout de munitions, et Béthuel est toujours séparé par l'ennemi du reste de ses voltigeurs, et des autres groupes de la 4° section.

    Les 4 hommes se réfugient auprès de Gestin dans la cave, tandis que les Allemands continuent d'attaquer Foucaucourt.

    Ceux-ci sont maîtres du carrefour. Toute liaison était devenue impossible au groupe Béthuel,
    et la fusillade était continuelle. Jusqu'au lendemain 7 juin, à 16 heures, les 5 hommes resteront dans leur cave, sans être avertis du repli ordonné.

    Quant aux autres soldats du groupe, placés en arrière, ils rejoindront dans la nuit le gros de leur section; pour leur malheur, car ils seront parmi les fusillés de Beaufort. On lira plus loin ce douloureux et cruel épisode.

    Pendant que se livre à la pointe Est de Foucaucourt ce combat, la lutte continue autour du point d'appui.

    Dans l'après-midi, le Bataillon est presque enveloppé; il est menacé d'être débordé. Il ya maintenant chez nous, sans parler des morts, beaucoup de blessés qu'on ne peut évacuer.

    Le lieutenant Sebag (1° Compagnie) est mis hors de combat au début de l'après-midi; le sergent-chef Levitre le remplace à la tête de la 1° section. A la 3° section de la 1° Cie, le sergent Guyard et le caporal Boulain sont tués à 13 heures.

    Les munitions surtout pour les mortiers, sont malheureusement presque épuisées.

    Le capitaine Giovanini, commandant le Bataillon, organise la défense de son P. C., désormais plus menacé par sa droite. D'autant plus que des vergers et des boqueteaux favorisaient une progression de l'ennemi.

    Roger Cotto et Texier, qui ont vécu, ces journées dans l'entourage immédiat de Giovanini, ont pu me fournir de précieux détails, révélateurs de l'énergie du Capitaine et de ses hommes. Giovanini met tout le personnel de son P. C. dans les positions de combat; lui-même se prodigue. Texier l'a vu à côté de lui et du lieutenant Bellanger (qui avait eu une brillante attitude déjà devant Sarrebrück), tirer sur l'ennemi par les ouvertures du P. C., en direction de l'Est; les Allemands étaient parvenus à 200 mètres du P. C., en
    contact avec la droite de la 4° section de la 1° Cie.

    Texier ajoute un détail que je n'ai pu vérifier, dont il est le seul à parler, parmi mes témoins: il croit que nous avions un lance-flammes, et que l'on s'en servit au moment où les attaquants s'approchèrent si près.
    Il est certain, en revanche, que Giovanini fit Installer, à droite de son P. C., dans le jardin derrière la grange, une mitrailleuse qu'il servit lui-même, et dont le tir était dirigé vers la haie, le boqueteau et le carrefour d'Estrées-Soyécourt; il tira sans arrêt les bandes que 3 hommes arrivaient à peine à garnir assez vite, jusqu'au moment où, la pièce étant repérée, les minens rendirent intenable la position.

    A la fin de l'après-midi, l'artillerie allemande redouble l'intensité de son tir, avec des obus de gros calibre. L'un d'eux tombe sur la mitrailleuse du caporal Delarose, à 10 mètres du 25 de Goesbriant. La pièce est écrasée; Delarose est mortellement blessé, et meurt une demi-heure après; un autre n'a qu'une blessure légère qui lui permet de combattre encore.

    A la fin de la journée, le 1° Bataillon sera toujours maître du village, sauf des maisons à l'extrémité Est. Après un dernier arrosage par gros calibre, l'ennemi se maintiendra sur ses positions, à quelques centaines de mètres; le chef de section Bitaud (3° Compagnie) entendait dans le silence de
    la nuit, les cris gutturaux des Allemands.

    Vers 2 h 15 (matin du 7 juin), quand le lieutenant Lucas, adjoint au Colonel viendra de Vermandovillers apporter l'ordre de repli, il recevra, à la barricade Sud de Foucaucourt, des coups de mitraillettes et de minen en provenance justement du Nord-Ouest, secteur de la 3° Compagnie; et, à 1 kilomètre au Sud du village, il verra deux Allemands se lever à son passage.

    Pendant cette dure journée du 6 juin, les hommes du 1° Bataillon se sont battus avec courage et sang-froid ; pourtant, depuis le 4 juin, ils n'ont guère mangé! Quelques petits traits sont significatifs de l'excellente tenue morale de nos braves camarades: le sergent-chef Levitre rapporte que le soldat Métairie, agent
    de liaison de sa section (1° de la 1° Compagnie), passa presque toute sa journée en allées et venues continuelles, sous le bombardement. Malgré la défense de son chef, il alla lui chercher un bidon d'eau, à 300 mètres de là, sous les obus. D'autres, comme Yon et Cazeneuve, essayaient fort tranquillement, sous le marmitage, de faire un peu de cuisine pour ravitailler les camarades. Le caporal-chef Tamazian, dont la mitrailleuse faucha des centaines d'Allemands, sacrifia son dernier bidon de vin (faute d'eau) pour
    refroidir le canon de sa pièce. Sacrifice méritoire, car il faisait très chaud!

    En de nombreux points l'incendie faisait rage.

    Dans l'espace de quelques heures, pendant l'après-midi, le P. C. de la 3° Compagnie doit changer de place deux fois, chassé par le feu. Le sergent Martin, qui s'y trouvait alors (vers 18 ou 19 heures) fit dégager rapidement les munitions et les grenades. Des blessés qu'on ne pouvait évacuer en
    raison de la gravité de leur état, remplissaient la cave, déjà atteinte par les flammes; Martin les fit transporter à côté de l'église, pour les mettre à l'abri.

    Un groupe de la 2° section (sergent Bitaud) était venu prendre position dans une grange, à côté du P. C. de la 3° Compagnie. L'ennemi l'ayant repéré, la situation devint vite intenable, car les minen tombaient avec une grande précision. Le tireur du F. M. venait d'être tué; le chef de groupe (caporal-chef Cassini) et son adjoint avaient été sérieusement blessés. Notre artillerie se taisait, tandis que des avions allemands survolaient, pour les reconnaître, nos groupes de combat.

    En cette fin de journée, la lutte était dure, écrit le sergent Armand Martin; chacun tenait son poste avec tranquillité, sans affolement. Partout les sections tenaient bien. On entendait les rafales des fusils mitrailleurs. Personne ne flanchait.

    La nuit arriva; elle fut assez calme. Tous les blessés évacuables et, parmi eux, le lieutenant Sebag, furent trans portés sur la chenillette de Roger Cotto, et par les voitures sanitaires à Vermandovillers.

    A son retour, Cotto rapporta le reste des cartouches du P. C. R.I., et quelques obus de mortier.

    Au milieu de la nuit, le sous-lieutenant Primel, et le 2° groupe de la 4° section de la 1° Compagnie durent abandonner leur maison en flammes, et se joindre au 3° groupe du caporal Delatouche. Au même moment, quelques voltigeurs du groupe Béthuel, qui avaient tenu, jusqu'alors, dans une maison, en arrière du canon de 25 capturé le matin, arrivèrent aussi; ils craignaient d'être pris à la faveur des ténèbres par l'ennemi installé à quelques mètres d'eux.

    Comme on le voit, la situation était critique; depuis le 4 juin, aucun ravitaillement en vivres n'avait pu être envoyé, puisqu'il n'yen avait pas, et les munitions elles-mêmes étaient fort réduites.

    Quand le lieutenant Lucas apportera l'ordre de repli le capitaine Giovanini pourra lui répondre que l'exécution serait difficile, car, en certains points, Français et Allemands étaient mélangés, maison par maison. C'était sûrement exact pour la section Primel, vouée à un tragique destin.

    Depuis deux jours, le Bataillon luttait contre des forces très supérieures; les indications fournies par l'examen des tombes ennemies nous apprennent que les morts appartiennent à 7 Régiments d'infanterie ou groupes de reconnaissance. . .

     

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