Le commandant Brébant ne se tenait pas pour définitivement battu. Accompagné de son État-Major et de sa section de commandement, il cherche une ligne de retraite avec l'espoir de se rattacher à un point d'appui solidement organisé. Poursuivi par les Allemands, Brébant s'oriente vers le sud-est.
A 400 mètres à gauche sur la route d'Ablaincourt-Chaulnes, on remarque un chemin de terre; il s'encaisse
rapidement à mesure qu'on avance, et conduit à un bois, petit mais épais, situé au sud de Fresnes, en face de la route qui conduit à Marchelepot. A cet endroit, le chemin forme une tranchée naturelle de 3 mètres de profondeur, et pourtant le bois domine encore le carrefour. Quand je le visitai en juin 1941, il y avait encore quelques équipements militaires.
Quittant la ferme Namont, la petite troupe du commandant Brébant traversa la route d'Ablaincourt et s'arrêta d'abord dans le boqueteau, au sud-est de Berny, à gauche de cette route sur laquelle circulaient des motocyclistes allemands. Les hommes du 117° tirèrent sur eux.
Le groupe traversa ensuite obliquement la plaine pour s'engager dans le chemin de terre dont j'ai parlé, et qui conduit à Marchelepot, par le sud de Fresnes. A ce moment l'équipe du lieutenant Bernardin se trouva séparée du Chef de Bataillon.
Le sergent Chartrain, partit en éclaireur, le rejoignit près d'un tout petit bois, à proximité du chemin encaissé. Tandis que le lieutenant Bernardin continuait d'avancer, le commandant Brébant s'arrêta un instant et établit un plan de feu. L'ennemi le harcelait et l'arrosait d'obus de mortier.
Le tir de nos hommes faisait des pertes chez l'ennemi, mais ils en subissaient aussi. C'est alors que fut blessé le sergent-chef Lamotte qui eut le pied traversé par un éclat; néanmoins il ne laissa pas d'aller jusqu'au bout avec son Chef de bataillon. Le capitaine de Nadaillac, atteint grièvement, dut être transporté sur un brancard improvisé de branchage. Un soldat, dont le nom m'est inconnu, eut le bras arraché, et marcha seul jusqu'au moment où, ses forces le trahissant, il dut accepter le soutien d'un camarade.
Bientôt, le groupe Brébant abandonna ce boqueteau. Avec le plus grand calme, et faisant preuve du courage magnifique que tous lui connaissait, le Chef de Bataillon entraînait ses hommes. Vers 18 heures, en suivant le chemin creux, et après avoir en cours de route, repoussé les attaques de petits groupes allemands constitués sans doute par les équipages des chars répandus sur la plaine, il arriva dans le
bois, au sud de Fresnes, qui surplombe la route. La fusillade crépitait de tous les côtés. On ne savait d'où elle venait.
Les Allemands qui attaquaient Fresnes-Mazancourt, distant seulement de 400 mètres, étaient par là. Les obus de l'artillerie allemande tombaient sur la gauche de la colonne. Des hommes du 117°, blessés pendant ce repli, ne se relevèrent pas.
Le Chef de Bataillon arrêta là son monde, l'installa dans le bois, envoya en reconnaissance un officier et un sous-officier. Des chars ennemis circulaient aux alentours. Brébant s'orientait, cherchant de quel côté repartir. Le feu de l'ennemi n'avait pas cessé tout à fait; on entendait encore le sifflement des balles.
Une heure après, vers 19 heures, le groupe se remit en marche, pour gagner ensuite un autre bois, au nord -de Marchélepot, où il retrouva une section de canons de 47 du 94° R. A., et des éléments du 22° Étranger, qu'avaient rejoints le lieutenant Bernardin et son équipe. Il avait fallu encore essuyer quelques balles. Nos hommes, qui n'avaient rien mangé ni bu depuis longtemps, reçurent de leurs camarades
du Régiment Étranger, ce dont ils avaient un besoin urgent.
A la nuit tombante les blessés furent évacués, parmi eux le sergent Chartrain, atteint plusieurs heures avant dans le chemin creux; ils furent dirigés sur Senlis.
Le commandant Brébant, et son groupe, résistèrent encore pendant toute la nuit du 5 juin, et la journée du 6 juin, jusqu'à 18 h 30. Bréhant fut capturé le dernier, après une lutte désespérée. Le P. Le Pape, qui vécut en captivité avec lui, l'a entendu raconter le fait suivant: les Allemands auraient contraint un officier russe du 22° Étranger, prisonnier, à lui porter des offres de reddition : On m'oblige, lui cria-t-il, à vous demander de vous rendre; mais vous pouvez résister; Ils ont dit que je serai tué; cela ne fait rien . . .