Le soir du 4 juin, on avait vu des groupes ennemis descendre de Dompierre vers Estrées-Deniécourt. De son côté; le sergent Armand Martin, observateur de la 3° Compagnie, avait constaté des mouvements insolites et aperçu des Allemands se promenant sur le terrain, porteurs de cartes. C'était un indice que l'ennemi avait des intentions agressives.
Le matin du 5 juin, à 3 h 30, un bombardement d'artillerie d'une grande intensité s'abat sur Foucaucourt et sur le boqueteau, à courte distance au sud du groupe Béthuel, vers le carrefour Estrées-Soyécourt, à l'est.
Au tir des canons allemands se joignent bientôt les bombes incendiaires lancées par les avions. Un certain nombre de maisons ne tardent pas à flamber. Très vite, la ferme la plus au nord du point d'appui, où s'était installé le P. C. de la 1° Compagnie, n'est plus qu'un brasier. Il faut transporter ce P. C. dans un abri derrière la ferme.
Plusieurs groupes de combat de la 1° Compagnie se trouvent dans l'obligation de changer d'emplacement. Vers 6 heures, par l'effet des bombes incendiaires, tout s'enflamme, écrit le caporal Joseph Angenard (2° section de la 1° Cie). Son groupe, en position face à Dompierre, au centre du village, est installé dans une grande cour entourée d'un mur. Le feu, qui approche, chasse Angenard et ses camarades de leur abri au pied du mur; ils y brûlent. Mais ils sont coupés des autres groupes, du côté sud, par le feu. Magloire Prioul sort le premier et essaie de passer dans la grange en flammes; il est brûlé vif sous les yeux de ses camarades. Angenard et Maurice Michel sautent par-dessus le mur, face à l'ennemi,
et sous le bombardement vont se joindre au groupe de combat voisin.
Un peu après, une auto-mitrailleuse allemande venant de Dompierre s'approche; elle saute sur une mine.
Le bombardement dura près de deux heures; il ne cessa du reste pas beaucoup pendant la journée.
L'infanterie ennemie se porte alors à l'attaque, précédée sur quelques points d'un petit nombre de chars et d'automitrailleuses.
L'assaillant avançait par petits groupes en formation diluée, manœuvrant très bien, remarque le sergent Armand Martin. Immédiatement, de tous les côtés, les armes automatiques et les fusils se mettent à cracher, mêlant leur voix grêle au tonnerre des 75 et des 155 du 10° R. A. D. et du 210°. Les Allemands, malgré notre feu, fonçaient et nous dépassaient vers la gauche, laissant devant la 3° Compagnie un
rideau d'hommes. Les 77 et les minen tombaient, en faible quantité, dominés qu'ils étaient par notre artillerie.
Le mouvement des Allemands, sortant de la sucrerie de Dompierre, allait s'amplifiant, note Hubert de Goesbriant. Amenés en camions, ils débarquaient dans la plaine, et descendaient en grand nombre, obliquement, vers Estrées et Soyécourt, par la droite de Foucaucourt, en moindre nombre, par la gauche de ce village. Ils étaient trop loin pour que, du centre, on pût agir contre eux avec le canon de 25.
Le sergent Amand Bitaud, de la 2° section de la 3° Compagnie, en position à l'ouest, écrit:
L'infanterie allemande débouche (vers 4 h 30) des bois situés à 1 kilomètre au nord-ouest de Foucaucourt, entre Chuignes et Chuignolles. Elle progresse rapidement en direction d'un repli de terrain, situé à 300 mètres environ sur notre gauche, où elle se trouvera complètement à l'abri de nos vues et de nos coups. Pour y atteindre; elle doit parcourir 7 à 800 mètres complètement à découvert. La rapidité
de sa manœuvre nous déconcerte un peu. Quand nous ouvrons le feu, un certain nombre d'Allemands étaient déjà à l'abri de la crête. Comble de malheur; nos deux F. M. qui battaient ce secteur s'enrayent presque en même temps. La mitrailleuse qui doit nous seconder ne se décide pas à entrer en action. Le bombardement continuait; le sous-lieutenant Goudineau va secouer les mitrailleurs ... A peine ont-ils
commencé à tirer qu'un obus tombe sur une grange remplie de paille, et ils doivent déguerpir devant I'incendie. Ils quittent même complètement le secteur, C est bien dommage, car le champ de tir est merveilleux, et nul endroit n'était plus indiqué que celui-là . . .
Nos F. M., vite remis en état, travaillent de leur mieux, gênant beaucoup l'avance allemande; mais sans pouvoir l'arrêter.
Au bout de quelques heures, plusieurs sections ennemies étaient déjà à l'abri de la crête, où seuls venaient les Inquiéter, de temps en temps, nos 75.
D'autres sections débouchent sans cesse des bois et progressent rapidement, avec un flegme déconcertant sous le feu de nos deux F. M.
Avant la fin de la matinée, autant que je m'en souvienne, tout le gros des troupes attaquant par l'ouest de Foucaucourt au moins l'effectif d'un bataillon, plus un certain nombre d'autos blindées remorquant presque toutes des canons antichars, est à l'abri, derrière une crête, à quelque 500 mètres à l'ouest du village.
Tout le reste de la journée se passe pour nous à attendre de ce côté une attaque qui ne vient pas.
L'ennemi continue sa progression vers le sud, espérant peut-être nous encercler. Mais il dut se casser le nez quelque part car vers le soir, nous le vîmes se replier en grand désordre, harcelé par notre 75 et par notre mitrailleuse.
Le sergent Martin, observateur de la 3° Cie, avait son poste dans la grange dont parle Bitaud ; il écrit:
Mon premier observatoire avait été touché par un obus et était en flammes; je me tins alors dans une grange en face du P. C. et dominant tout le champ de bataille. C'était une merveille de voir l'action de nos 75 et des mitrailleuses de tête. Des hommes et des chevaux tourbillonnaient, pris dans la bourrasque, et s'abattaient pour ne plus se relever. Cependant, les Allemands passaient toujours, sur le flanc
gauche de la 3° Compagnie, utilisant les défilements. Devant moi, à 1000 mètres, une auto blindée et un attelage étaient touchés. Toute la matinée se passa à tirailler de la sorte.
D'autres observateurs ont noté ce mouvement des troupes allemandes; leurs remarques sont consignées dans le rapport consacré à la contre-attaque menée, en cette journée du 5 juin, par l'adjudant Tardiveau, autour du Bois Étoilé et de Herleville, au sud de Foucaucourt. Un millier de fantassins, précédés d'une dizaine d'engins blindés, étaient passés par là gauche de Foucaucourt, entre ce village et le bois Saint Martin, tenu par le 31° R. T. A. de la 7° D. I. N. A.
Le sergent Morazin (1° section de la 1° Cie) installé avec son groupe dans le jardin de l'école, constate dans la journée les efforts de l'ennemi pour contourner le 1° Bataillon, et voit lui aussi, des autos chargées d'hommes; il ajoute qu'elles rebroussèrent chemin.
La même remarque est faite par le sergent Martin: « Au début de l'après-midi on vit les premiers groupes ennemis, débandés, refluer en désordre. Nous croyions déjà tenir la victoire. Des groupes de chevaux, démontés pour la plupart, galopaient à travers la plaine. Le mortier en position au nord-ouest de l'église faisait du bon travail, sous la direction du caporal-chef Olivier. »
Partout l'ennemi fut accueilli rudement, malgré les quelques chars et les auto-mitrailleuses qui le protégeaient.
François Trémel, de la 1° Compagnie, note que, quelques heures après le commencement de l'attaque, des chars suivis d'infanterie sortirent du petit bois situé en face de la 3° Compagnie; ils obliquèrent à gauche et passèrent devant la 1°, sous le feu de nos canons de 75 ils s'en allèrent, et les fantassins
en même temps.
Angenard (1° Cie) fait la même constatation. Mais déjà auparavant, vers 6 ou 7 heures, 4 auto-mitrailleuses avaient dirigé une tentative contre la droite de notre dispositif; à l'extrémité est. Plusieurs de nos hommes (Cotto, Angenard, le caporal Delatouche) virent l'une de ces auto-mitrailleuses sauter sur une mine, en essayant de contourner la barricade; les trois autres s'en allèrent vers Dompierre, d'où elles
étaient venues.
Le soir, à 22 h 30, le caporal Delatouche ira, avec son groupe, poser de nouvelles mines, et il ramènera un blessé allemand, qui avait encore son revolver à la main.
Pendant toute la journée, l'ennemi attaque, mais surtout par le front ouest ou nord, puisque le soldat Gestin (du groupe Béthuel, chargé de la défense du carrefour est) ne vit pas d'Allemands à cet endroit le 5 juin.
Pourtant l'ennemi ne devait pas être bien loin, car la route d'Amiens, toute droite, d'est en ouest, était balayée par les balles; et, au témoignage de Goesbriant et de Morazin, la liaison avec le P. C. de Bataillon au sud de la route, en était rendue dangereuse.
La défense se montre acharnée et courageuse, dès le début de l'attaque le tir d'arrêt est demandé; il se démontre efficace, joint au tir intense de nos armes automatiques. Jamais en cette journée du 5 juin, l'ennemi ne put aborder nos positions, quoique, par deux fois surtout, il essaie de pousser davantage son effort.
Le sergent-chef Levitre (1° section de la 1° Cie) déclare « que les vagues d'assaut se brisaient l'une après l'autre sous les coups de nos armes automatiques et des barrages du 10° R. A. D. », On a vu plus haut que, d'après le sergent Martin, des renforts allemands venaient toujours alimenter la bataille.
Mais il reste que ni les chars, ni l'infanterie ne peuvent arriver au contact de nos hommes. Partout l'adversaire est contraint de se tenir au moins à quelques centaines de mètres.
300 ou 400 mètres, en face de la 3° Compagnie, à l'ouest; 400 mètres au centre, devant la 1° Compagnie, selon Texier de la C. A. 1.
On peut donc admettre que, d'une manière générale, l'ennemi s'installa derrière la crête, d'ailleurs fort légère, à 400 mètres environ.
Toute la journée on se battit avec acharnement au fusil ou à la mitrailleuse, jamais à la grenade; le sergent-chef Rougé, adjoint au lieutenant de Saint-Sever de la 1° Compagnie, cite cette remarque du capitaine Giovanini, commandant le 1° Bataillon: « Toutes les sections tiennent bon », Il rappelle
également que 7 hommes de sa Compagnie, dans leur ferme en feu, enveloppés de fumée décimèrent.une section complète qui essayait de passer par là.
Le sergent Martin, parlant de la 3° Compagnie écrit :
« Malheureusement, vers 14 ou 15 heures, le tir de notre artillerie devint intermittent, tandis que les 77 et les minen tombaient drus sur nos sections. Le bruit courait que le 10° R. A. D. et le 210° n'avaient plus de munitions. Cependant tout le monde tenait bon à son poste, et le moral était haut.»
Mon deuxième observatoire fut alors touché et se mit à flamber. Je pris un fusil pour aller tirer avec les camarades.
Un grave problème était celui du ravitaillement en vivres et en munitions. Des vivres, le Colonel du 41° ne pouvait en envoyer; il n'y en avait pour personne. Mais des munitions vinrent, car 6 fois dans la matinée du 5 juin, Cotto avec sa chenillette alla en chercher au P. C. du Régiment à Vermandovillers.
C'était méritoire, puisque, les Allemands s'étaient répandus dans la plaine, dans le triangle
Soyécourt-Foucaucourt-Herlevillc.
Il arriva même, dans I'après-midi, que les cyclistes Saudrais et Cretet furent mitraillés à leur retour du P. C.
du Régiment par les Allemands montés sur deux chenillettes françaises, arrêtées à proximité de l'entrée sud de Foucaucourt, à gauche de la route. Ils ne furent pas atteints. L'un alla avertir le chef du 1° Bataillon; l'autre le lieutenant-colonel Loichot.
Le mortier de 60 du P. C. de Bataillon essaya de détruire ces chenillettes, mais il les manqua.
En revanche, il fut plus heureux avec les blindés, car, toujours dans l'après-midi, il détruisit 3 auto-mitrailleuses et 2 chars, au sud-ouest de Foucaucourt, près du village. Ce fait est rapporté par Cotto et par Célestin Letellier, de la 2° Compagnie.
Un autre fait qui dut être assez rare, sans doute, pendant cette guerre se produisit dans l'après-midi encore; un peloton de cavaliers allemands se lança contre le front de la 3° Compagnie. Nos mitrailleuses l'anéantirent et 8 chevaux furent capturés.
Pendant ce temps l'artillerie ennemie continuait son tir, et la nôtre répondait. Peu à peu les maisons s'écroulaient sous l'action des obus et des flammes.
Une pièce amenée spécialement en camion dans la plaine, derrière une crête, prit l'église sous son feu; Hubert de Goesbriant la vit se mettre en position, hors de la portée de son canon de 25. En 10 minutes l'édifice fut détruit et la pièce immédiatement enlevée. Partout dans les villages de la région on assiste à cette destruction systématique des églises.
La journée du 5 juin s'achève; Foucaucourt n'a pas été entamé. Toutes les tentatives de l'ennemi ont été repoussées; à la tombée de la nuit, il se replie légèrement; tous les témoignages s'accordent à dire que les heures de la nuit furent calmes. Les blessés sont évacués sur le P. C. du Régiment et de là sur l'arrière.
Le lieutenant Herzog, commandant la 3° Compagnie partit avec eux. Son état d'extrême fatigue nécessitait son évacuation. Le sous-lieutenant Goudineau le remplaça. Le sergent Bitaud, chef de la 3° section, fait les plus grands éloges de Goudineau, et le sergent Martin écrit dans les notes qu'il m'a envoyées: « Durant toute la journée, le lieutenant Goudineau s'était montré d'un sang-froid et d'une bravoure remarquables. Le soldat avait été réconforté, aux moments durs, par ce jeune chef plein .de vaillance. La 3° Compagnie
lui doit beaucoup de sa résistance, car aux instants critiques, on le vit parcourir les points les plus exposés, sans ménager sa personne. » . . .