Au printemps de 1944 tous étaient fin prêts, parfaitement préparés et motivés dans l'attente du jour « J ». Fin mai ils se retrouvèrent dans un camp secret entouré de barbelés dont ils avaient interdiction de sortir.Début juin le colonel Bourgoin qui commandait le 4e SAS et son adjoint Puech-San- son étaient informés de ce que l'on attendait d'eux.Overlord l'opération du débarquement aurait lieu en Normandie et une mission stratégique était confiée aux SAS français. Son énoncé était très clair : coûte que coûte, empêcher les forces allemandes situées en Bretagne d'aller renforcer les défenses ennemies qui s'opposeront au débarquement. Cette unité serait donc, de fait, la première engagée dans la bataille de la Libération.Les parachutistes de la France libre trois ans après leurs premières missions en France, allaient donc retrouver leur pays les armes à la main.Pour cette mission il fut décidé que les premiers éléments seraient parachutés dans la nuit précédant le jour J afin d'opérer des destructions d'une part et de créer, d'autre part, deux bases permettant l'arrivée progressive du reste de l'effectif.L'une Samwest, située dans la forêt de Duhaut, serait confiée aux sticks des lieutenants Botella et Deschamps. L'autre Dingson dans la forêt de Saint Marcel serait attribuée au lieutenants Deplante et Marienne. A J+2 dix-huit sticks parachutés chacun dans une zone différente, effectueraient des missions de destructions précises. C'est dans ce cadre que l'un d'eux commandé par Michel de Camaret et Denis Cochin fera sauter un train dans le tunnel de la Corbinière immobilisant pour longtemps toute circulation sur l'une des lignes principales de chemin de fer.Au cours d'un brieffing il fut précisé que la très active résistance bretonne ayant été en partie décimée par la Gestapo, ses possibilités d'aide étaient mal connues. Les parachutages se feraient donc blind c'est-à-dire secrète ment, sans accueil au sol. Seule indication il y avait près de Saint-Marcel un terrain « accrédité » et sans doute des éléments de maquis mais impossibles à évaluer ni en quantité, ni en valeur.
Le 5 juin, un peu avant minuit, les quatre sticks étaient largués en théorie sur des dropping zones faciles à identifier de nuit par les pilotes. En réalité les écarts furent grands approchant parfois vingt kilomètres.Pour le stick de Marienne ce fut le drame. Son avion tourna longtemps en rond à l'altitude de larguage soit deux cents mètres, à la recherche des points de repères. Le pilote donna l'ordre de saut en espérant qu'il ne s'était pas trop trompé.En fait il se trouvait exactement au-dessus du principal poste d'observation allemand de la région, sur les hauteurs de Plumelec. Les guetteurs alertés depuis longtemps par le bruit des moteurs, virent les corolles des parachutes s'ouvrir à quelques centaines de mètres d'eux.Au moment du saut un espace avait dû se produire car, au sol, un groupe de quatre hommes se retrouva très séparé des autres. Parmi eux Emile Bouétard.Ils se préparaient à enterrer leurs parachutes, impatients d'avoir des réponses aux imitations de cris d'oiseaux qu'à intervalles réguliers, grâce à des sifflets, ils lançaient dans la nuit pour retrouver les autres éléments du stick.Pour eux la surprise fut totale. Bouétard un peu à l'écart, finissant de décrocher un parachute difficile à dégager des branches d'un arbre, était le plus proche de la patrouille allemande brusquement surgie. Il fut immédiatement abattu. Ses trois camarades maniaient la pelle ; leurs armes étaient à quelques pas d'eux. Il n'y eut pas de combat. Tué vingt minutes après avoir retrouvé sa Bretagne natale, Emile Bouétard était le premier mort de Overlord, la fantastique bataille pour la libération de notre pays qui serait déclenchée à l'aube.A deux cents mètres de là, Marienne entendant la rafale d'arme automatique, se demandait comment leur venue avait pu être ainsi détectée. Ignorant tout des poursuivants, et subitement conscient du danger immédiat qu'il courrait avec le reste de son stick, il décida de partir aussitôt dans la direction opposée à celle des tirs entendus. Il mit deux nuits pour rejoindre à Saint-Marcel Desplante dont l'effectif était au complet.Ils vont rapidement découvrir que les renseignements donnés au départ, n'étaient pas fiables. Près du terrain homologué depuis longtemps pour des parachutages et portant le nom de code « Baleine » il y avait des éléments de valeur du maquis, sous la responsabilité d'un homme de grande qualité, le colonel Morice. Les choses évoluèrent alors très vite.La nouvelle du Débarquement et celle de l'annonce de l'arrivée de parachutistes français qui se propagea à travers la lande telle une traînée de poudre, provoquèrent la venue à Saint-Marcel de groupes parfois bien hiérarchisés mais aussi d'une masse d'incontrôlés qui spontanément quittèrent tout pour venir se battre.L'ampleur de cet afflux posa rapidement problème à Dingson car cette donnée imprévue ne pouvait que modifier les plans d'action mis au point par les SAS à leur départ.La question ne se posa pas dans les mêmes termes à Samwest, dans la forêt de Duhaut, où sans trop de difficulté les sticks de Deschamps et Botella avaient été droppés. Les premières destructions effectuées, ils découvrirent de petits éléments de maquis, réfugiés dans la forêt qui pouvaient d'une part les aider à organiser la base et d'autre part, leur donner d'utiles informations, sur les objectifs à détruire ou attaquer. Confiants ils avaient donné le feu vert pour la réception des premiers renforts et dans la nuit suivante trois nouveaux les avaient rejoints avec le capitaine Leblond à leur tête.Leur implantation à peine amorcée, ce rassemblement qui n'avait pourtant rien de comparable à celui du Morbihan, avait été très vite détecté par les services de renseignement de l'ennemi.Le 9 juin les Allemands attaquaient en force. En fin de journée, après un combat inégal, les sticks se dispersèrent emmenant leurs blessés dont certains, comme Botella, très grièvement. Quatre des leurs, blessés avaient été jetés dans le brasier de la ferme que les Allemands avaient incendiée. L'ennemi avait subi des pertes sévères mais Samwest n'avait pas eu le temps de s'organiser.Le message annonçant cette nouvelle arriva au Quartier général des SAS alors que le commandement commençait à accepter l'idée d'un changement tactique pour la suite de l'exécution de la mission de Bretagne. Les informations de Déplanté enthousiastes et de Marienne beaucoup plus réservées engageaient à utiliser tous ces volontaires convergeant sur Saint-Marcel, pour constituer des groupes bien armés pouvant réaliser des actions de force aboutissant à créer l'insécurité dans toute la région ce qui correspondait bien à l'un des objectifs de la mission.La perte de Samwest relança les discussions sur le sujet. Tous admirent qu'il n'était pas possible de laisser se développer en un lieu précis un tel rassemblement. Si la Wehrmacht le décidait, avec ses moyens, artillerie et blindés compris, elle pouvait faire un carnage.Sans adopter de décision définitive il fut admis que la dispersion devant s'effectuer rapidement, dans les prochains jours il faudrait parachuter un maximum d'armes, de matériels et de renforts en utilisant « baleine » la dropping zone de proximité.
Les divergences persistèrent concernant le délai. Ceux qui, à l'Etat-major, préconisaient l'abandon rapide de Dingson, estimaient que si les Allemands avaient attaqué si vite Samwest ce n'était pas pour permettre à la base de Saint-Marcel de se maintenir en plein coeur de leur dispositif.Ne pouvant ignorer l'agitation grandissante dans la région et les dizaines d'avions qui, chaque nuit, sur un terrain éclairé larguaient des hommes et des centaines de containers (700 en une seule nuit le 13 juin, lâchés par vingt-cinq avions) une intervention se préparait peut-être déjà.Le mystère n'a jamais été levé concernant cette inertie favorisant Dingson alors qu'il y avait eu rapidité et puissance pour attaquer Samwest. On a souvent mis en avant un certain cloisonnement entre les différents com mandements ennemis de la région sans que cela ait jamais pu être vérifié.Profitant de cette situation, pendant une semaine ce fut, de nuit et même parfois de jour, une véritable noria d'avions lourdement chargés.Bourgoin, suspendu à un parachute tricolore, y fut largué avec son adjoint Puech-Sanson et 150 de ses hommes, avait ordre d'apprécier la situation, de rendre compte et d'une part proposer les meilleurs moyens de poursuivre la mission en utilisant les nouvelles forces créées sur place, d'autre part éviter impérativement un affrontement direct avec l'ennemi, lourd de conséquence et donc prévoir une évacuation de Dingson avant l'intervention prévisible des Allemands.« Dans quatre, cinq, six jours au grand maximum, nous devrons nous être évanouis dans la nature avec des secteurs d'interventions précis pour chaque groupe » décida Bourgoin peu après son arrivée.Deux événements vont réduire ce délai et totalement modifier les conditions prévues pour le retrait.Le 16 juin, 120 containers sont largués par erreur sur la gare proche de Roc-Saint-André où un contingent allemand campe dans l'attente d'un train sans cesse retardé.Le 17, deux voitures allemandes s'égarent dans la nuit et par une petite route, s'engagent dans le bois de Saint-Marcel. Elles sont stoppées et mitraillées au premier poste de garde mais l'un des occupants parvient quand même à s'enfuir dans la nuit. Son rapport va sans doute, accélérer plutôt que provoquer la décision d'intervenir de l'ennemi.
Le 18 tôt le matin, anniversaire de l'Appel du général de Gaulle, la base de Saint-Marcel dans un semi encerclement est attaquée simultanément de plusieurs directions, par une unité de la division de parachutistes allemands Krets et par des commandos de chasse appuyés par des mortiers et une artillerie légère. Bourgoin n'aura pas l'initiative de l'évacuation qu'il espérait. Il n'y avait plus qu'une seule solution, tenir toute la journée pour, en profitant ensuite de la nuit, déclencher un départ général, le plus en ordre possible.La bataille sera dure, meurtrière. Les SAS se sont répartis en quelques points vulnérables, entourés de jeunes maquisards qui vont connaître le baptême du feu, mais qui se battront avec un courage remarquable. On ne dira jamais assez combien les hommes de Caro, de Le Garrec, ceux du bataillon de Ploërmel vont dans ce combat contre des professionnels aguerris, étonner par leur sang froid, par leur fermeté face au danger. Ils furent tout au long de cette bataille formidables.
L'ennemi dans ses premières attaques a subi de lourdes pertes qui l'ont obligé à se replier et attendre le renfort d'une unité d'infanterie. En début d'après-midi aidés par des tirs de mortiers lourds contre lesquels les assiégés ne peuvent rien car ils n'ont que des armes légères pour la riposte, une percée des Allemands menace de couper la base en deux.Bourgoin et Puech qui ont bien mesuré les risques de cette offensive difficile à contenir sans artillerie sont en contact avec Londres et une intervention aérienne. Des avions patrouillent, qui pourront attaquer à l'heure dite des objectifs précis. A 16 h alors que l'ennemi progresse dangereusement, les chasseurs bombardiers font leur apparition, créant la surprise et obligeant à un repli massif et désordonné les unités qui menaçaient si dangereusement Dingson.
Marienne profitant du désarroi chez l'assaillant se lança alors dans une contre- attaque aussi téméraire que le personnage qui eut pour effet de bousculer les positions conquises par l'ennemi depuis le matin, en lui infligeant de lourdes pertes et en le ramenant près de ses bases de départ.L'offensive allemande ne pouvait reprendre qu'après une réorganisation de ses effectifs et heureusement pour Dingson, la nuit approchait. Le formidable orage qui s'abattit sur toute la région en début de soirée fut le bienvenu et favorisa l'opération d'évacuation immédiatement engagée.L'ennemi n'avait jamais réussi l'encerclement qui était son but et qui aurait été pour les SAS et les maquisards pilonnés alors par l'artillerie, une véritable tragédie.
Dans la nuit sous une pluie diluvienne, les hommes et le principal des armes et du matériel se dispersèrent dans les directions prévues. A deux heures du matin, Puech-Samson malgré ses blessures et Marienne lui aussi blessé, assurant sa couverture avec ses hommes et un groupe du maquis, firent sauter les réserves non transportables, avant de disparaître.La bataille de Saint-Marcel était terminée. Elle fut le symbole de la lutte menée au coude à coude en Bretagne par les Paras de la France libre et les hommes des maquis. Elle fut une victoire car l'ennemi ne réussit pas à anéantir ce rassemblement de la jeunesse résistante bretonne dont seul le courage avait pu suppléer à son manque d'expérience du feu, encadrée par des paras SAS qui n'étaient pas préparés à ce type de combat.Les pertes allemandes furent très élevées. Plusieurs centaines de morts. Maquisards et SAS perdirent près de soixante d'entre eux.On était le 18 juin, cela faisait 12 jours que la bataille faisait rage en Normandie et les forces ennemies n'avaient pas pu quitter la Bretagne où le combat va se poursuivre pendant des semaines, meurtrier mais victorieux parce que les unités allemandes stationnées en Bretagne ne pourront pas venir renforcer les défenses ennemies de Normandie.Marienne héros de Saint-Marcel dont la légende est devenue telle que sa tête a été mise à prix par la Gestapo, avec le stick qu'il a reconstitué et un groupe de maquisards commandés par le fidèle Morizur qui ne le quitte plus depuis qu'il lui a servi de guide pour rejoindre Saint-Marcel, Marienne frappe et se dérobe, changeant constamment de halte. Il faudra un dramatique concours de circonstance et beaucoup de félonie pour l'abattre.
Londres parachute le 3 juillet, le lieutenant Gray avec un stick et des moyens radios. Mal droppé, séparé de son groupe, une patrouille allemande le capture alors qu'il n'avait pas encore réussi à s'orienter et s'approchait d'un bourg pour tenter de l'identifier, ignorant que l'ennemi y était installé en force.Il est immédiatement pris en charge par une Gestapo très agressive menée hélas, par Zeller un ancien capitaine de vaisseau français. Ce dernier fait déshabiller Gray et l'exécute. Son adjoint Munoz également français va alors parcourir la lande en uniforme SAS et, papiers à l'appui, se faire passer pour Gray. C'est ainsi que les Bretons dupés, vont tout faire pour lui permettre de retrouver Marienne.Deux fois ils arriveront trop tard car par prudence ce dernier change constamment de halte. La troisième, le 12 juillet les renseignements sont bons. La veille Marienne a été rejoint par le lieutenant Martin ancien héros de Libye, rescapé de Samwest, accompagné d'une partie de son stick. Ils vont passer une bonne partie de la nuit à évoquer des souvenirs et faire des plans pour les jours qui viennent.Avant le lever du jour la Gestapo et un contingent allemand sont précédés par une traction avant. A son bord le faux lieutenant Gray qui abuse facilement la sentinelle FFI. Celle-ci, avant de comprendre pourquoi elle est poignardée, indique sans méfiance le lieu où dort Marienne, ses hommes et le groupe FFI qui l'accompagne.
La ferme est encerclée. Les SAS sont réveillés à coups de bottes pour apercevoir des mitraillettes pointées sur eux. Rassemblés dans la cour, paras et FFI seront allongés sur le sol et c'est dans cette position que les armes automatiques les exécuteront. Un seul, le sergent Judet, s'apercevra incrédule, alors que chargeurs vidés les Allemands exultent, qu'il n'a pas été atteint. D'un bond, courant comme un fou il atteint la lisière proche du bois avant que l'ennemi ait pu réagir. Huit mois plus tard parachuté en Hollande et capturé, il sera fusillé.