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Combat du 41° sur l'Oise la journée du 11 juin.

Le matin du 11 juin, la pluie tombe, Aujourd'hui, l'atmosphère est d'un sombre! Un brouillard qui s'étend sur tout. Une atmosphère de fin du monde, tragique. Nous nous perdons en conjectures sur les causes de ce phénomène. Nous ne savons pas que les dépôts de pétrole de Rouen brûlent, et que les Allemands pour franchir la Seine utilisent des nuages de fumée. C'est tout cela qui vient jusqu'à nous et nous enveloppe comme un linceul.

Ce matin, je me rends au P. C. de la division. Le motif est mon désir de présenter mes condoléances au Général, à l'occasion de la mort de son fils aîné, lieutenant du Génie, tué dans l'explosion d'un pont sur l'Oise.

Le Général me reçoit à Lamorlaye, dans un petit château, caché dans les bois. Il est fort ému par la terrible nouvelle reçue la veille. Plus d'une fois encore, dans les semaines à venir, je le verrai pleurer.

Un jour, après l'armistice, il me dira en versant des larmes : « J'avais promis à mon père de reprendre Strasbourg; nous l'avions repris, et je l'ai perdu; j'avais un fils, et je l'ai perdu aussi ».

Il me retient à déjeuner. Il pleut; le paysage est d'une tristesse inouïe. On entend le grondement de nos canons. L'État-Major est sur le qui-vive.

Vers 13 heures, l'auto me reconduit au Lys.

L'après-midi est beau. Par nos soins les ponts de Saint Leu-d'Esserent, de Précy-sur-Oise et de Boran sautent.

A 10 h 30, le pont de Boran disparaît; un de nos hommes de la 7° Compagnie, de la section de garde, sur la rive droite, dans le village pour prévenir de toute menace allemande, saute avec le pont. Il croyait avoir encore le temps de passer!

Peu après une auto-mitrailleuse ennemie se présente.

A 11 h 50, le joli pont suspendu de Precy s'effondre dans l'Oise.

Je vais voir les hommes du 2° Bataillon.

J'arrive aux villas, où sont placées les réserves. On ne se garde pas assez. Les hommes d'une Compagnie d'infanterie étrangère à la 19° D. I. (du 257° R.I.) sont occupés à trouver des bêtes à abattre pour manger. La 6° Compagnie du 41° est sur le bord de la rivière, s'y faisant des positions de tir; les autres compagnies sont alignées un peu en arrière, dans les bois.

Le sous-lieutenant Simoneaux m'accompagne un instant du côté du pont; il est par là avec ses mitrailleuses de 20 mm. Il y avait également un canon de 75 du 10° R. A. D., et une pièce de 37 de marine servie par 3 marins; ceux-ci étaient là avant notre arrivée dans le secteur.

Me voici maintenant avec nos braves garçons, qui à droite et à gauche du pont se retranchent. Deux sections de la 6° Cie sont à gauche avec un groupe de mitrailleuses sous les ordres de l'adjudant-chef; deux petites sections à droite avec un autre groupe de mitrailleuses, sous le commandement
du sous-lieutenant Geffray. Beaucoup plus loin, à droite du dispositif, quelques hommes de la 7° avec un groupe de mitrailleuses prennent d'enfilade le coude formé par la rivière. Ils sont très résolus. Je les vois tous, et après cette longue tournée, faite en vue de l'ennemi, je reviens péniblement par le bois en arrière, où se tiennent la 5° et la 7° Compagnies. Difficilement je retrouve mon chemin dans ces fourrés. Enfin, voici la route; je passe devant un canon de 25, de la C. R. E., en position à cet endroit, trop isolé.
Quelques obus tombent maintenant. Vers 5 heures du soir, je suis de retour au Lys.

La situation de nos hommes sur l'Oise est effrayante. Les Allemands sont en face, surtout dans un bois triangulaire, près du pont. Il y a plusieurs kilomètres entre ce petit groupe d'hommes et ceux de Précy à droite, d'Asnières sur Oise, à gauche.

Nos 155 vont essayer d'atteindre le bois. Le tir trop court, difficilement réglable en cette région plate et boisée couverte, tombe surtout sur les hommes de la section Geffray, établis à droite du pont.

Combat du 41° sur l'Oise la journée du 11 juin.

A peine suis-je revenu, qu'un violent bombardement commence à 16 h 45 sur notre bataillon de Boran. Il est vrai que depuis deux jours les Allemands ont été copieusement arrosés par nos 75 et 155. Mais à leur tour, ils font entrer en action leur artillerie et leurs rninen werfer; manifestement, ils veulent tenter le passage.

Très violent pendant un quart d'heure, ce bombardement dure jusqu'à 18 heures. Les Allemands essaient de franchir l'Oise sur leurs canots de caoutchouc; vainement d'ailleurs, car nos hommes se battent avec beaucoup de courage; de leurs trous individuels, ils tirent à 10 mètres avec sang-froid sur les ennemis. 3 ou 4 canots sont coulés avec leur équipage. Des deux côtés, les combattants crient avec fureur,
au milieu d'un nuage de poussière.

Les auto-mitrailleuses allemandes circulent lentement sur la route dominante et longeant la rive droite de l'Oise, et arrosent la 6° Compagnie de balles explosives.

A la même heure, une panique se produit autour du Lys; des hommes du 257° et du 41° (1) se replient affolés; un sergent-chef passe au galop avec son canon de 25. J'essaie d'arrêter ce mouvement, et je me précipite au P. C. pour alerter le colonel Loichot, qui sort bien vite, rameute son monde, le porte en avant, et avec l'aide des lieutenants Lucas et Loysel, organise la résistance au centre du village; au carrefour
des routes. On entend le claquement des balles de 20 mm. lancées par les auto-mitrailleuses. Bientôt tout
rentre ,dans l'ordre.

(1): Les hommes du 41° étaient des permissionnaires d'Alsace qui, par un hasard extraordinaire, avaient retrouvé le régiment; ils étaient arrivés à l'instant même au Lys, sans armes, bien entendu. Le lieutenant Lucas les avait tout de suite envoyés à leur bataillon, le 2°; ils tombaient en pleine bagarre, malheureusement, avant même d'avoir rejoint leurs Compagnies. D'où leur affolement.

 La section Mauduit (de la 9°) en réserve au Lys est envoyée dans le bois en renfort.

De 18 heures à 19 heures, le calme se rétablit. Les sections en ligne sur le bord de la rivière profitent de ce calme pour se ravitailler en munitions et relever les morts. Les Allemands en font autant de leur côté, et installent dans le bois triangulaire, derrière le remblai du chemin de fer, à l'abri de nos coups, des minen werfer contre lesquels nous serons impuissants.

A 19 heures, le bombardement reprend avec violence. Une quinzaine de soldats ennemis réussissent à franchir l'Oise, à la droite du groupe Humeau, de la section Geffray, avec l'intention évidente de la tourner, pendant que d'autres se lancent sur des radeaux pour l'aborder de front.

Les hommes de Geffray tirent résolument sur les équipages des radeaux; ceux-ci retournent à leur point de départ au milieu des cris. Mais le groupe Humeau doit soutenir un combat en règle sur la rive; là aussi J'ennemi est repoussé, mais il capture le caporal Kuntz, avec un ou deux soldats, qui succombent après avoir épuisé toutes leurs munitions (2).

(2): Vers 19 heures, le lieutenant-colonel Loichot ordonne  par prudence de brûler le drapeau du 41°.

 Nos 75 et 155 répondent, bien entendu, aux canons de l'ennemi.

Vers 21 h 30, les deux sections de droite de la 6° Compagnie se replient sur le bois, à 200 mètres en arrière; les deux sections de gauche restent sur leurs emplacements de combat, et ne se replient par ordre qu'à deux heures du matin. Elles viennent rejoindre sur la route du Lys à Gouvierne le gros du 2° Bataillon, qui avait, pour les dernières heures de la nuit, en vue de se resserrer sur le centre et d'éviter une surprise, quitté sa première ligne de repli à la lisière du bois, vers 23 heures, pour se porter sur la route
parallèle de Gouvieux.

En raison des pertes du bataillon, du manque de munitions, de la surprise possible à la faveur de la nuit, de la difficulté des liaisons, de la fatigue morale et physique des hommes, le commandant Pigeon souhaitait regrouper ses Compagnies sur cette ligne. L'attaque nous avait coûté 13 tués, une quarantaine de blessés; des armes automatiques avaient été écrasées par les obus et les minen.

Après beaucoup de discussions qui exigèrent un va-et-vient du lieutenant Lucas, adjoint au Colonel; celui-ci accéda au désir du Commandant, et autorisa ce déplacement pour quelques heures, jusqu'au moment où quelques engins blindés viendraient purger d ennemis la foret.

En effet, le Commandement a décidé que quelques chars, avec leurs sections de chasseurs porté du 94°, viendraient nettoyer les bois, à l'aube du lendemain 12.

Pendant la nuit, les Allemands qui avaient passé la rivière, à la droite du dispositif, à la jonction des deux bataillons du 41°, là où il n'y avait personne pour interdire le passage,  s'en allèrent; autrement, on ne s'expliquerait pas que les deux sections de gauche de la 6° Cie aient pu demeurer jusqu'à 2 heures du matin sans être attaquées. Les chars n'auront à peu près rien a faire.

En dépit de pertes douloureuses, la journée ne s'achevait pas mal pour le 2° Bataillon.

A droite, sur le 3° Bataillon, la journée avait été tranquille; et même heureuse pour le 41°.

En effet, note le journal de marche du 3° Bataillon: Vers 13 heures, une patrouille de 6 hommes, commandée par l'adjudant-chef Le Demnat (9° Cie),. passe l'Oise avec mission de prendre liaison avec la section du 257° R.I. qui tenait la tête de pont (de Précy) et dont on n'a aucune nouvelle. Vers 14 heures, Le Demnat refranchit l'Oise. Aucune trace du 257°; il s'est fait barboter. Par contre, avec ses 6 hommes, Le Demnat ramène 6 prisonniers allemands qu'il a fait dans une ferme; l'un deux, un
sous-officier, est décoré. Enthousiasme des Bretons.

 Pendant que le 2° Bataillon du 41° est en difficulté, le 3° Bataillon du 41° reste calme sur ses positions. La rive en face ne lui paraît pas encore occupée et il continue de récupérer » des vivres dans la gare de Précy, de l'autre côté de l'Oise.

Le 13 juin . . . A l'aube, les chars font la petite opération annoncée; elle s'avère à peu près inutile; les Allemands sont presque tous repartis. Le 2° Bataillon avait pu sans rencontrer de résistance ennemie, se réinstaller à la lisière ouest de la forêt, à 200 mètres de la rivière; les 5° et 7° Compagnies sont en première ligne; la 6°, diminuée par ses pertes de la veille, est en seconde ligne.

Peut-être cependant faut-il, admettre que quelques Allemands restèrent cachés dans les bois épais, puisque, à 7 heures, le commandant Pigeon, circulant dans la forêt du Lys, pour faire, sur l'ordre du Colonel, la liaison avec le 3° Bataillon, fut blessé d'une balle dans l'épaule, et que 4 ou 5 autres balles d'une mitraillette atteignirent la carrosserie de la voiture (prêtée par le Colonel au commandant
Pigeon).

Des patrouilles conduites par le sous-lieutenant Simoneaux et l'aspirant Orilhange, fouillent le bois entre la
rivière et la route de Gouvieux, pour s'assurer que des éléments ennemis n'étaient pas restés, malgré le nettoyage opéré par les chars.

Pigeon, pansé au poste de secours du 3° Bataillon, nous arrive au Lys. Fidèle à lui-même, il fume une cigarette! Il faut l'évacuer; je ne le reverrai qu'au mois de juillet, à Saint-Priest-Ligoure (Haute-Vienne).

Un avion de reconnaissance allemand passe et repasse sur nos positions, vers 9 heures. Il semble que depuis le 20 mai, il soit attaché spécialement à la 19° D.I., car il ne nous quitte pas.

A partir de 15 heures, on commence à recevoir des balles ennemies sur la route du bois des Bouleaux (où se trouve le commandant Jan) à la ferme du Pont de Précy (tenue par la 9° Compagnie et la section de mitrailleuses du sous lieutenant Vaillant).

Notre artillerie tire sur Précy, mais trop court, car ses obus tombent sur la section Payen, à la cote 36 le long de l'Oise, et blessent 2 hommes. Deux brancardiers qui se sont portés au secours des blessés; sont blessés à leur tour, sur la route absolument découverte et exposée aux vues de l'ennemi,
par des balles allemandes de la rive droite.

Vers 18 heures, les mortiers allemands tirent sur la gauche de la ferme occupée par Dunand (9° Cie).

On peut croire que bientôt la position du 3° Bataillon sera intenable, car le G. R. D. 21 qui tenait l'Oise, à droite, signale qu'il vient de se replier (à 17 h 15) sur la Nonette.

L'encerclement se prépare.

Dans le secteur du 2° Bat / 41°, le calme règne, en cette journée du 12 juin.

Mais il est bien évident que notre position devient critique. Car au sud, du côté de Beaumont-sur-Oise, l'ennemi a franchi l'Oise; demain nous serons tournés. Déjà à l'est, nous sommes menacés puisque l'Allemand est dans la région de Senlis . . . 

 

 

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