10 juin 1940
Minuit 30. Réveil. Un officier de la division est là qui apporte l'ordre de s'embarquer au petit jour en camions pour aller défendre les passages de l'Oise, à l'Ouest de Chantilly. Adieu, veau, vache, cochon,
couvée! Adieu repos si désiré et si mérité! Et les interrogations fusent! Alors, il n'y a pas de troupes fraîches pour défendre l'Oise ? Il n'y a pas de positions organisées ? Ce sont les troupes qui marchent et combattent sans arrêt depuis près d'un mois et qui, par miracle, ont pu traverser les lignes ennemies en perdant les deux tiers de leur effectif et de leur matériel, ce sont elles qui doivent encore combattre ? Oui, mais que font les autres ? Il n'y a donc plus de troupes en France ? Non, il n'y a personne. Ce sont en effet les mêmes, ceux qui ont tenu sur la brèche depuis trois semaines, qui vont défendre l'Oise comme ils défendaient la Somme, avec cette différence qu'ils sont terriblement réduits en nombre, qu'ils sont abrutis de fatigue, qu'il n'y a presque plus d'artillerie, et qu'aucune position n'a été sérieusement préparée. C'est donc vrai. Les larmes viennent aux yeux. Jusqu'ici, dans l'ardeur des
combats, dans l'action, on espérait, on croyait vaincre. Maintenant on comprend que c'est fini, que la victoire est impossible. Nos peines, nos fatigues n'ont servi à rien, et c'est inutilement que tant de nos camarades se sont sacrifiés. La France est perdue. Certains envisagent déjà l'Armistice comme ta solution la meilleure. Que c'est dur!
Le régiment s'embarque entre 4h30 et 5h3O dans des autobus de la T. C. R. P. qui, au fur et à mesure de l'embarquement de chaque unité, filent à pleins gaz pour éviter les avions qui depuis le début du
jour ronronnent dans le ciel. Senlis, durement touché par les bombardements. Chantilly et son château. Le débarquement s'effectue dans la forêt de Chantilly, aux abords de Lys-Chantilly. La 19ème D. I. a en effet pour mission de tenir les passages de l'Oise du Sud de Boran, abbaye de Royaumont, jusqu'à Saint-Maximin. Placée à la jonction de deux corps d'Armée, elle a le périlleux honneur de défendre une boucle de la rivière, ce qui, comme dans la Somme, l'oblige à se défendre de face et de flanc et lui fait courir le risque d'être coupée par derrière si l'Oise était franchie dans la région d'Asnières-Viarmes. Or la 19ème D. I. ne compte plus comme effectifs que les restes de fantassins du 41ème R. I., des
cavaliers du G. R. D. et des artilleurs du 10ème R. A. D. et 210 R. A. L. avec quelques pièces. Ces éléments sont ainsi disposés : à l'Ouest le 2ème bataillon du 41ème a pour mission d'interdire le passage dans la région du pont de Boran. Au Nord le 3ème bataillon du 41ème a pour mission d'interdire le passage du pont de Précy-sur-Oise, ,avec à sa droite, les cavaliers du G. R. D. 2l chargés de défendre le passage dans la région du pont de Saint-Leu-d'Esserent. L'artillerie prend position dans le bois de Bonnet derrière les marais, au Sud de Lys-Chantilly. La 19ème D. I est renforcée par une compagnie du 257ème R. I., régiment du Midi dont doux sections sont installées au pont de Précy et deux autres sections au pont de Boran. Une batterie de 75, récupérée, vient étoffer l'artillerie divisionnaire.
Le 3ème bataillon s'installe sur ses positions dans l'après-midi. Il ne comprend plus d'ailleurs que trois sections de la 9ème compagnie, la 4ème (section Le Moal) étant restée à Ansauvillers, la 10ème compagnie avait été laissée encerclée à Fay et la 11ème compagnie à Soyécourt. La section
Payen s'installe face à l'Ouest, moulin de Précy, la section Le Denmat avec le P. C. Bataillon dans la ferme de Précy, face au pont, et la section Mauduit à Toutevoie, en liaison avec les cavaliers qui occupent le camp Romain.
L'ennemi n'est encore signalé nulle part sur l'autre rive, et de nombreuses reconnaissances y sont envoyées, tant pour reconnaitre les lieux que pour remplir différentes autres missions : défoncer les vastes réservoirs d'essence de Précy, récupérer des vivres dans un train de l'Intendance stationné en gare de Precy afin de suppléer au ravitaillement normal, inconnu depuis déjà longtemps. Il est curieux de constater que c'est à Précy-sur-Oise que débarquait le 20 mai le 3ème bataillon : que de chemin parcouru depuis!
La fin de l'après-midi se passe dans le calme, A 22 heures, le 2ème bataillon, dont le commandant Pigeon, chef d'état-major du R. I., vient de prendre le commandement, s'installe sur les positions reconnues dans l'après-midi: la 7ème compagnie à la plage de Boran, la 6ème compagnie au
Pont, la 5ème compagnie au Nord, en liaison avec le 3ème bataillon. Le P. C. R. I. est installé à Lys-Chantilly, au carrefour des routes Précy-Viarmes et Boran-La-Morlaye. La journée s'est écoulée sans difficultés, mais il est à prévoir que la situation deviendra vite critique dès que l'ennemi se présentera et cherchera à franchir l'Oise, ce qui ne tardera sûrement pas. En effet, 800 hommes pour défendre 10 kilomètres de rivière, c'est peu. Et 800 hommes fourbus, à bout de forces, avec peu de munitions, appuyés par une artillerie réduite et disparate, avec des liaisons téléphoniques presque inexistantes, c'est vraiment inquiétant.
D'autant que l'ennemi va occuper les rives dominantes de l'Oise, Mais les ordres du général de division sont formels : il faut tenir, le sort de Paris en dépend. Comme nous avons tenu sur la Somme nous tiendrons sur l'Oise, avec des moyens infiniment plus réduits.
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