11 Juin 1940
Au réveil, un brouillard noir, bas et lourd, recouvre la vallée. Vers 8 heures il s'épaissit singulièrement, semble glisser lentement, par vagues. . . On parle de gaz ? Mais on saura plus tard que c'étaient les
grands réservoirs des raffineries d'essence de Rouen qui brûlaient et dont la fumée noire avait été poussée jusqu'à nous par le vent. Vers 11 heures tout se dissipe et le ciel redevient bleu, éternellement.
Vers 10 heures des éléments allemands sont signalés au Sud-Ouest
de Creil et à 11h15 nous recevons l'ordre de faire sauter les ponts de l'Oise. Celui de Boran s'écroule d'abord, puis, à 11h50, c'est le pont suspendu de Précy qui s'abime dans l'Oise avec fracas. Son explosion met le feu aux nappes d'essence qui s'écoulaient des réservoirs détruits la veille et durant une heure la surface de l'eau sera couverte de grandes flammes rouges.
N'ayant plus de nouvelles de la section du 257ème R. I. installée en tête de pont sur l'autre rive, à Précy, pour signaler l'approche de l'ennemi avant de se replier en barques, le commandant Jan envoie l'adjudant-chef Le Denmat avec une patrouille de 6 hommes de l'autre côté de la rivière, à 13 heures.
Elle est de retour vers 14 heures. II ramène 6 prisonniers allemands, dont un sous-officier, ce sont des cavaliers qu'il a astucieusement surpris dans une ferme, et le gros regret des nôtres est d'avoir dû laisser de l'autre côté de l'eau, faute de moyens de transport, leurs jolis chevaux. Par contre, aucune trace de la section du 257ème R. I. qu'on soupçonne fort de s'être volatilisée sans crier gare. Le lieutenant commandant la compagnie du 257ème n'est pas fier de ses Méridionaux qui, bien que 40, se sont éclipsés sans tirer un coup de fusil alors que 6 hommes du 41ème trouvent moyen, en une heure,
de ramener 6 prisonniers. Gloire aux Bretons!
Vers 14h30 le 2ème bataillon signale des éléments ennemis sur les hauteurs bordant l'Oise. Soudain, vers 15h15, un violent bombardement de minen et de 105 s'abat sur Boran plage et les abords du pont.
Cela tombe dru, puis le tir s'allonge jusqu'aux lisières Ouest du bois de Lys et des élémenls ennemis tentent de franchir l'Oise sur de petits bateaux de caoutchouc, mais nos tirs nourris de fusil et d'armes automatiques les repoussent, Tentative manquée. Cependant l'ennemi a profité de cet essai pour repérer avec précision nos emplacements de mitrailleuses et de fusils-mitrailleurs qui ne sont pas assez enterrés faute de temps et de moyens, et cela d'autant plus que ces armes se trouvent
sur des pentes gazonnées dominées par les hauteurs de l'autre rive ou se masse l'ennemi.
Vers 17 heures, les tirs d'artillerie qui avaient fortement diminué reprennent avec une grande violence. Chacun de nos emplacements d'armes est soigneusement arrosé de minen. Cela dure près d'une demi-heure à forte cadence. Puis, soudain, de nombreux éléments ennemis tentent le passage. Ils sont repoussés presque partout, sauf à Boran-plage où le bombardement a rendu inutilisable plus de la moitié des armes automatiques. Notre faible artillerie, sans observatoires, sans liaisons téléphoniques, tire quelque peu au hasard sur les sorties de Boran et sur la route de Boran à Précy. A 17h45 l'ennemi a pris pied sur la rive gauche de la rivière et lancé en avant ses éléments légers armés de nombreuses mitraillettes et appuyés par des tirs nourris d'artillerie, la confusion est à son comble. Une trentaine de permissionnaires du 2ème bataillon qui, après avoir erré depuis le 12 mai, venaient de retrouver (par quel hasard) le régiment et avaient été dirigés vers 17 heures sur leur unité, accueillis sans armes par le violent tir d'artillerie, se sont repliés en désordre sur Lys-Chantilly, surpris de ce premier contact avec les réalités de la guerre. Des groupes isolés d'ennemis s'avancent dans la partie Sud du bois de Lys.
Le P. C. R. I. augmente rapidement ses moyens de défense, Les barricades sont renforcées. Un canon de 25 du 2ème bataillon qui s'est replié sur le P. C. vient s'ajouter aux deux canons de la C. R. E. déjà en batterie. Les maisons et les jardins de la partie Est du P. C. sont aménagés rapidement. Vers
18h15 des rafales de mitraillettes sifflent dans les rues. On s'attend, d'un moment à l'autre, à voir déboucher l'ennemi des bois qui enserrent les quelques maisons du carrefour.
Le colonel fait brûler le drapeau. . ,
Mais les heures passent. A part quelques rafales de mitraillettes, rien ne bouge. Deux patrouilles sont envoyées, l'une en direction de l'abbaye de Royaumont, et ne signale rien, l'autre, en parcourant le bois de Lys, en dilection de Boran-plage, reçoit des coups de feu.
Vers 21 heures, le lieutenant Lucas reprend la liaison avec le 2ème bataillon. La situation, bien que confuse, ne semble pas très bonne. La 5ème compagnie, au Nord, se dit submergée par l'ennemi; la 6ème, au centre, résiste encore avec peine; la 7ème compagnie, au Sud, c'est repliée dans le
Bois des Lys où elle résiste. Mais le brutal bombardement si précis n'a pas causé que des pertes; il a aussi atteint le moral des hommes dont l'état de fatigue est extrême. Une section de la 7ème compagnie qui était chargée de la garde du P. C. R. I. est envoyée en renfort.
Avec la nuit, tout se calme. Quelques rafales sifflent encore entre les arbres. La dispersion de tous les éléments du bataillon dans les bois assez touffus permet difficilement de se rendre compte de la situation. A 23 heures, le colonel donne l'ordre au 2ème bataillon de se replier sur la route de Précy-sur-Oise à Viarmes. Pendant cette fin de journée, le 3ème bataillon n'avait eu à subir aucune action de la part de l'ennemi.
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