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Chapitre 4: La montée vers la Sommes

16 Mai

A 18 heures, nous recevons I'ordre de départ. Le régiment ira s'embarquer à Dannemarie, à 21 kilomètres de nos cantonnements. Il partira dans l'ordre suivant: compagnie régimentaire , 1er, 2ème et 3ème bataillon. Départ échelonné entre le 16 mai 22 heures et le 17 mai 14 heures.

Et dans la nuit, le régiment commence sa marche vers I'inconnu.
Altkirch,... un avion est au sol; c'est un allemand, premier cadavre de cette nouvelle phase de la guerre. L'embarquement commence le samedi au début de la matinée. Et voici les retards inhérents à la vie militaire, les attentes incompréhensibles, les pénibles stationnements pendant des heures et des heures: le dernier train du régiment, avec le 3" bataillon, ne partira que le 18 mai, à 14h3O, avec 16 heures de retard.

17 Mai 

 On embarque. Le premier train part. Il est 10 heures. La D. C. A. dresse vers le ciel ses canons et guette les avions ennemis qui voudraient détruire le viaduc de Dannemarie; mais ceux-ci doivent être
en Belgique, où se déroule déjà la lutte farouche.

L'armée allemande, dans une poussée violente et victorieuse, a déjà traversé le canal Albert,
percé nos lignes à Sedan et franchi la Meuse.

Tout va mal. Nous admirons en passant la splendide vallée du Doubs. Belfort, Montbéliard, Baume-les-Dames, Besançon, Dôle. Voici Dijon et le plateau de Langres: le train va lentement et la nuit nous surprend, roulant toujours.

18 Mai

Le jour venu permet de voir que nous longeons la vallée de I'Yonne.
Où allons-nous ? A Soissons ? au Luxembourg ? En Belgigue ? Mystère! A Dieu vat!

Voici Montereau et la vallée de la Seine. Le train avance lentement, très lentement, avec de nombreux arrêts. Puis c'est la vallée de la Marne, bordée de coquettes villas. Paris approche, mais nous ne comptions guère revoir la capitale en de pareilles circonstances.

Durant de longues heures nous la contournons par I'ouest. Quelque chose a changé. Chacun sent la gravité de I'heure. Partout, le long de la voie, profitant des fréquents arrêts, hommes, femmes, jeunes filles, enfants, distribuent boissons et cigarettes; ce ne sont que sourires et encouragements.

Il faudra vaincre. Les trains militaires succèdent aux trains militaires. Que d'hommes, que de matériel en route pour barrer la route à I'ennemi I On reprend confiance malgré les mauvaises nouvelles, Pourquoi ne vaincrait-on pas ? Cependant, sur I'autre voie, passent les trains des réfugiés du Nord, de Belgique, des Ardennes, qui s'en vont abandonnant tout: pays, foyer, bétail. Mais il passe aussi des trains silencieux aux voitures métalliques, portant les couleurs françaises et la croix rouge, car pour d'autres c'est déjà commencé et fini.

Des avions français nous survolent. Nous avons passé Versailles, puis Sceaux. Le soleil se couche de nouveau dans un ciel sans nuage. Chacun s'endort.

La pénible réalité n'est pas loi.

19 Mai

Dimanche. Réveil brusque au petit jour. Il est 4 heures à peine. Le train s'est arrêté. Le disque est fermé; le bruit court que de terribles bombardements d'avions ont atteint la voie. Le capitaine Levreux, I'adjudant Tudal et une patrouille vont reconnaître la voie ferrée. Ils reviennent une demi-heure après, ayant trouvé la guérite des signaux vide; on serait à une vingtaine de kilomètres de Compiègne. Ils ramènent un caporal du Génie gui était caché dans un bois.

Un violent bombardement s'est en effet abattu près de là, il y a une heure à peine, et l'équipe du Génie qui réparait la voie déjà démolie compte plusieurs tués. Tous les hommes se sont enfuis, affolés. Le caporal tremble encore d'émotion.

Nous repartons à nos risques et périls. Dans le jour naissant, le train avance lentement . . . Chapelet d'entonnoirs béants le long de la voie; trains déraillés aux wagons pulvérisés. Une gare, non, un
amas de décombres. Le café-restaurant près du passage à niveau est éventré et son toit s'est écroulé.

Des rails bouleversés, et encore, encore des entonnoirs. Sur le canal, le long de la voie, des péniches ont été coulées par les bombes. Les avions ennemis sont passés là il y a une heure à peine. La marche hésitante du train continue. Il s'arrête après quelques centaines de mètres, puis repart, puis s'arrête à nouveau.

Et voici des avions. La D. C. A. tire! canons de 75 et canons de 25 dont la cadence rapide ne nous était pas encore connue. Les avions s'en vont ; 10 minutes, 20 minutes après d'autres reviennent. Les convois se succèdent à 100 mètres. Quelles belles cibles ! Dans ces wagons, on ne peut que << subir ». On ressent à la fois un mélange d'inquiétude et de sang-froid.

A deux kilomètres de Compiègne le capitaine Soula, de l'état-major de la 19ème D. I., et le lieutenant Lucas, adjoint du colonel, précèdent le convoi et se rendent à la gare où règne la plus grande agitation : deux officiers de la D. I. arrivés la veille et installés dans la salle des guichets les mettent au courant de la situation. Pratiquement on ne sait rien de précis. L'armée Corap n'existe plus. C'est une vraie débandade gui s'écoule depuis trois jours, mélangée à d'innombrables convois de réfugiés : Génie, Services, Infanterie, Artillerie, pêle-mêle. Hommes hirsutes, hâves, débraillés, le plus souvent sans armes : C'est cela I'armée française ! Les civils marchent comme des automates sur les routes :
jeunes filles, vieilles femmes, hommes, poussant charrettes, brouettes,voitures d'enfants sur lesquelles sont amoncelés les objets les plus divers.

Et sur tout cela planent la peur et la fatigue. C'est la panique.

Pour réussir, les Allemands auraient, paraît-il, usé de tous les moyens, même de faux ordres portés par de faux officiers . . . Les passages de la Meuse ont été forcés. Les renforts ont été assaillis par les engins blindés allemands, alors qu'ils marchaient en rase campagne. Rien n'a résisté.

Où est l'ennemi ? On ne sait trop. Lassigny ? Roye ? Montdidier ? Y a-t-il des troupes devant nous ? Peut-être les débris épars de quelques régiments résistent-ils çà et là ?

Un officier de l'état-major de I'Armée, chargé des transports, se révèle plein d'optimisme. Sans doute les voies sont démolies par les bombardements, sans doute c'est l'embouteillage, mais les trains arriveront quand même quelque part et les unités débarqueront où elles pourront.

On rapporte un ordre de débarquement pour Roye-sur-Matz. Il est 7 heures. Le train repart. Toujours des avions. La D. C. A. tire toujours. Plusieurs stations. Nouvel arrêt. Le chef de gare se refuse à
nous faire conduire plus loin. Les Allemands, d'après lui, ne sont pas loin. Nous sommes à Ressons-sur-Matz. Le colonel Loichot téléphone à la division. Il rapporte I'ordre de débarquer où nous sommes.

II n'y a qu'un petit quai de débarquement et, dans le ciel toujours bleu, les avions peuvent survenir d'un moment à l'autre, aussi chacun y met-il du sien : à peine débarqué on se camoufle. Les wagons viennent à quai deux par deux et débarquent chevaux et matériel. Les canons de 25 anti-chars sont rapidement descendus et mis en batterie à la sortie nord de Ressons-sur-Matz. A huit heures, tout est terminé. En une heure les compagnies régimentaires et une section de mitrailleuses du 3ème bataillon ont été débarquées et installées dans le bourg : barricades, garde aux issues, D. C. 4... A 14 heures, le P. C. R. I. est toujours sans nouvelles des trois bataillons : nul ne sait où se sont arrêtés les trains qui les transportent. Pas de renseignements non plus sur I'ennemi, << quelque part dans le nord >>. Notre G. R. D. (bien réduit, car des bombes d'avions ont détruit la moitié de I'escadron à cheval et
quelques motos lors du débarquement) est passé à midi, partant à la découverte. La C. D. A. C. est installée à Chevincourt.

18 heures : Des avions allemands arrivent sur Ressons-sur-Matz, volant à basse altitude, une douzaine environ: ils vrombissent et brutalement les bombes s'écroulent à grand fracas, visant la gare. Une
usine située près de là flambe. Les oiseaux de mort sont repartis, leur besogne faite en quelques minutes.

Pour organiser la défense, le régiment ne dispose - protégé par 2 ou 300 cavaliers qui représentent avec nous toute la division - que de 180 hommes, tous spécialistes, 3 F. M., les canons de 25 de la
C. R. E. et une S. M. du 3ème bataillon.

Dans la nuit, heureusement, arrive le 1er bataillon. Débarqué à Canly, à 9 kilomètres sud-ouest de Compiègne, il a été transporté en camions et va occuper les villages de La Neuville-sous-Ressons et de Cuvilly, à quelques kilomètres au nord de Ressons. Il y parviendra vers 1 heure du matin.

A 22 heures et à 24 heures, notre G. R. D. fait connaître qu'il n'y a aucun élément ennemi au sud de I'Avre.

20 Mai

Cependant à 1 heure on signale la présence d'éléments blindés ennemis à notre droite, et G. R. D. et C. D. A. C. sont envoyés au plus vite pour border l'Oise et protéger notre flanc. Nous ne sommes plus
couverts devant nous; il faut ouvrir l'oeil. Toute la nuit les lamentables convois de réfugies et leurs lourdes charrettes défilent devant le P. C. R. I.

Le soleil se lève dans un ciel toujours bleu et sans nuages. On en arrive à regretter la pluie. Toute la journée des escadrilles nous survolent; la D. C. A. de Compiègne intervient à tous moments et de
nombreux combats aériens se livrent dans le ciel. A 9 heures, nouveau bombardement de la gare de Ressons-sur-Matz : il faut à tous moments se camoufler dans les caves et tranchées. L'usine brûle toujours. L après midi, le colonel Paillas, commandant l'Infanterie Divisionnaire, se rend seul en auto jusqu'à Montdidier et n'y trouve personne, ni amis, ni ennemis ; il revient enchanté de ce coup d'audace, ayant seulement essuyé au retour quelques rafales de mitrailleuses d'avions. Le P. C. R. I. est toujours sans nouvelles des 2ème et 3ème bataillons qui se sont embarqués les derniers à Dannemarie. Cependant les 2ème et 3ème bataillons du 117ème R. I ont débarqué, et le général Toussaint, commandant notre 19ème D. I, constitue un groupement temporaire formé de ces deux bataillons, de notre 1er bataillon et du G. R. D, sous les ordres du lieutenant-colonel Loichot, commandant le 41ème R. I. Ce groupement reçoit I'ordre de couvrir Compiègne, et dans ce but fait mouvement vers le nord à 21 heures. Le G. R. D. va border I'Avre, le 1er bataillon occupe Tilloloy, sur la route Compiègne-Roye, les deux bataillons du 117ème  Piennes, Remaugies, Fécamp et Bus, à I'est de Montdidier. Le P. C. du groupement s'installe à Boulogne-La-Grasse.

Àu cours de la marche de nuit, des fusées suspectes s'élèvent du bois de Beuvraignes. Des avions nous survolent par moments; un officier affirme avoir vu descendre des parachutistes. Le peloton d'éclaireurs motocyclistes est sur les dents. Depuis le matin il court çà et là à la recherche de ces fameux parachutistes souvent signalés mais introuvables.

21 Mai

Les compagnies régimentaires arrivent au petit jour, à 3 heures du matin, à Boulogne-la-Grasse, joli village dans un pays accidenté et boisé où se trouve un vieux château fort, en partie démoli au cours de la guerre 14-18... Nous atteignons en effet les lieux où les Allemands furent arrêtés en 1918. A la fin de la journée, vision formidable de puissance, 120 bombardiers allemands, accompagnés de 20 chasseurs, passent au-dessus de nos têtes en formations impeccables et bombardent Compiègne et Estrées-Saint-Denis, puis reviennent. Deux avions manquent au retour. Sept chasseurs français s'attaquent follement à une escadrille, mais doivent rapidement abandonner; les Allemands s'éloignent vers le Nord. Onze d'entre eux descendent en piqué pour attaquer le terrain d'aviation de Beuvraignes, puis tous disparaissent rapidement. Et toute la journée des avions passent et repassent.

Enfin des nouvelles sont parvenues de nos 2ème et 3ème bataillons. Le 2ème bataillon a débarqué un peu avant Compiègne et vient d'occuper la Neuville-sous-Ressons. Le 3ème bataillon a débarqué la veille au soir à Précy-sur-Oise, près de Creil ; il a été transporté en camions au cours de la nuit, au sud de Cuvilly, et occupe Riquebourg. Ces deux bataillons n'ont pas souffert de l'aviation ennemie. Par contre, la section automobile de la C. H. R. a été durement bombardée en gare de Verberie où elle débarquait le 19 mai après-midi. Nous avons un tué et plusieurs blessés. Le gros transporteur d'essence a pris feu. Beaucoup de voitures sont ,criblées d éclats et un désastre n'a pu être
évité que grâce au sang-froid du lieutenant Austruy, officier mécanicien du régiment. Tous les convois hippos et autos du régiment sont regroupés à Ressons-sur-Matz.

22 Mai

Rien de changé : ciel toujours bleu, nouvelles toujours mauvaises. Par une marche de nuit le 3ème bataillon s'est porté à Canny-sur-Matz, où il s'installe défensivement dans la journée du 22 mai. Malgré
nos conseils les habitants quittent leurs villages; il avait fallu expulser brutalement le maire de Boulogne-la-Grasse qui voulait faire partir tout le monde le 21 au matin. La plupart des habitants reviendront d'ailleurs quelques jours après, pour partir définitivement les 5 et 6 juin. Le G. R. D. lance toujours plus loin ses reconnaissances, Lassigny, Roye, Chaulnes ont été reconnus. L'ennemi ne semble pas vouloir pousser vers le sud, sauf quelques engins blindes signalés çà et là. Toutes ses forces sont, pour l instant, dirigées vers le nord-ouest, vers la mer, pour couper du reste de la France l'armée de Belgigue et l'armée du Nord. Le Haut Commandement français décide d'attaquer I'ennemi de flanc, et, pour cela, de border la Somme en un premier bond, puis de se porter jusqu'à Arras où notre VIIème Armée (général Frère) rejoindra I'armée du Nord (général Blanchard) ,qui descend elle-même vers le sud, coupant ainsi les colonnes motorisées allemandes qui se sont dirigées vers
Calais et Boulogne, Le 22 mai au soir le groupement temporaire est dissous. La 19ème division qui a enfin débarqué tous ses éléments d'infanterie va se regrouper dans la nuit, en vue de cette marche en avant. Le 1er bataillon reste à Tilloloy, le 2ème bataillon se porte par une marche de nuit sur Beuvraignes et le 3ème bataillon sur le bois des Loges, sous Crapeaumesnil. Les compagnies régimentaires et le P. C. R. I. iront au sud de Beuvrraignes, au Cessier.

23 Mai

A 6 heures, tout le dispositif est en place. A 7 heures commence la marche d'approche. Nous sommes en marche vers I'ennemi: la bataille va s'engager. Malheureusement les hommes sont las des trois jours de chemin de fer, des marches accomplies durant trois autres jours et de quatre nuits sans sommeil. D'autre part, I'artillerie n'a pas encore fini de débarquer et elle est loin dans le sud. Les fantassins seront seuls pour agir. Le moral cependant est élevé. On part avec confiance. Chacun
est décidé à faire tout son devoir, même plus que son devoir.

Le dispositif de marche est le suivant : En avant-garde, Ie 1er bataillon doit occuper Chaulnes. Derrière lui, le 2ème bataillon suivra I'itinéraire ouest de Roye-Fresnoy-Hattencourt-Hallu. Le 3ème bataillon, à droite, passera par Crapeaumesnil - Amy - Verpillères - Roiglise - Carrépuy - Gruny - Crémery - Liancourt - Punchy. À gauche (ouest) du 41ème marche le 117ème R. I Derrière le 41ème, le 22ème régiment volontaires étrangers suivra l'axe Royes Chaulnes. Le G. R. D. poussera des reconnaissances aussi près que possible de la Somme, Tous ces éléments marqueront un temps d'arrêt sur I'Avre.

A 7 h 15 le 1er bataillon s'engage sur la route de Roye-Chaulnes. Il est transporté dans des autobus de la ville de Paris (T.C.R.P.). Dès le début, à quelques kilomètres de Tilloloy, incident très significatif: un sous-lieutenant du Train (vrai ou faux), crie aux premiers autobus que des engins blindés arrivent et, en s'agitant sur la route, arrête le convoi. Déjà trois ou quatre gros autobus manoeuvrent pour tourner. L'embouteillage commence. Fort heureusement le ciel gris et les nuages bas ne sont pas favorables à l'aviation. Le capitaine Thouron survient à ce moment et remet tout en route. Le sous-lieutenant du
Train a disparu. Est-ce encore un << coup d'Hitler » ?

Cette marche d'approche ,commencée à 7 heures ne devait se terminer qu'à 23 heures. Marche pénible, en grande partie à travers champs, sur de mauvaises routes ou pistes. Seuls des avions survolent de temps à autre nos colonnes ; un petit avion de reconnaissance, type Heinkel, paraît, en particulier, << prendre en consigne » Ie 41ème R. I. Il nous suivra partout, durant plusieurs semaines, avec son moteur semblant tourner << sur trois pattes », et sera gratifié de surnoms plus ou moins gracieux, tels que le << pou du ciel >>, << le petit emmerdeur », << le mouchard », etc . . .

Tous les villages sont abandonnés. Une partie du bétail erre dans la campagne, le reste crie de soif et de faim dans les étables. Les hommes, au passage, détachent les bêtes, pompent de I'eau dans les
abreuvoirs, rendent la liberté aux cochons, aux lapins. Nos cultivateurs bretons qui montent au combat ne peuvent rester indifférents à toute cette misère.

En cours de route, vers la fin de la journée, Ie 2ème bataillon est dirigé sur Punchy et le 3ème bataillon sur Puzeaux. Le P. C. R. I. devra s'installer à Hallu. A 23 heures les hommes, exténués par cette marche d'approche pénible, atteignent les positions désignées et s'y installent. L'ennemi, heureusement, n'est pas encore là, et la nuit sera à peu près tranquille.

C'est alors que commence pour le régiment un véritable imbroglio. Durant trois jours, le 41ème R. I., divisé en plusieurs groupements indépendants et variant tous les jours, marchant isolément sur les axes les plus diflérents et sans liaison entre eux, continuera sa marche d'approche, prendra ,contact avec I'ennemi et livrera ses premiers combats, Le tableau suivant groupe ces opérations :

2ème bataillon : 5ème compagnie, 24 mai occupe Pertain; 25 mai prend Epenancourt; 6ème compagnie, 24 mai prend Villers-Carbonnel et se replie le soir sur Marchelepot; 7ème compagnie, 24 mai en réserve à Licourt, 25 mai prend Pont-Saint-Christ.

3ème bataillon: 21 mai quitte Puzeaux, traverse Chaulnes, Ablaincourt, Vermandoviilers, Soyécourt, et occupe au soir Estrées-Deniécourt.

1er bataillon: reste à Chaulnes les 24 et 25 mal. Ce furent les premières armes de notre régiment dans cette nouvelle guerre: chacune des sections mériterait une relation particulière.

24 Mai

Au matin, le 2ème bataillon, à la suite d'une série d'ordres contradictoires, a été partagé en plusieurs groupements. La 6ème compagnie, commandée par le lieutenant Duchesne, part avec une section de mitrailleuses vers le Nord, dès le début du jour. Elle atteint Omiécourt, puis Marchelepot. Elle est précédée d'une compagnie de chars. Sa mission est de s'emparer de Villers-Carbonnel et du Pont de Brie, dernier pont sur la Somme, à quelques kilomètres au sud de Péronne. Fresnes Mazancourt
est atteint sans peine, malgré les avions qui mitraillent nos petites colonnes, mais, en approchant de Villers-Carbonnel, les chars sont violemment pris à partie. Artillerie et canons anti-chars en mettent plusieurs hors de combat ; les mitraillettes lancent leur aboiement régulier. Cependant, entraînés par leur énergique commandant de compagnie, les Bretons parviennent jusqu'au village et en chassent l'ennemi. La progression a été dure. Onze hommes, dont sept sous-officiers, ont été tués en payant d'exemple. Le débouchê de Villers-Carbonnel en direction de Pont-de-Brie semble difficile, car I'ennemi arrose de balles toutes les lisières nord et nord-ouest du village. L'artillerie ennemie
continue à tirer à cadence espacée, mais régulière.

Vers 14 heures, le capitaine commandant Ia, compagnie de chars décide de revenir en arrière, jugeant ne pouvoir exposer ses chars à une nouvelle attaque dans ce terrain plat et sans abri. Le lieutenant
Duchesne fait alors parvenir au colonel Paillas, commandant le groupement, ce compte rendu « J'occupe Villers-Carbonnel. La compagnie de chars qui m'appuyait se retire. Sans I'appui des chars je ne crois pas pouvoir m'emparer de Pont-de-Brie, mais si j'en reçois I'ordre, je reprends la progression. >> Une compagnie du 22ème R. M. V. E. arrive vers 16 heures.pour renforcer Ia 6ème compagnie, mais son capitaine juge la situation si mauvaise que, loin de pousser vers Pont-de-Brie, comme
le proposait le lieutenant Duchesne, il obtient l'ordre de se replier sur Fresnes-Mazancourt. Devant I'ordre écrit et formel, Ie lieutenant Duchesne, la rage au coeur, abandonne Villers-Carbonnel et se replie sur Fresnes-Mazancourt.

Durant ce temps, la 5ème compagnie occupe Pertain sans difficultés et la 7ème compagnie s'installe à Licourt, avec le P. C. du 2ème bataillon du 41ème R.I.

Ce même jour le 3ème bataillon progresse en marche d'approche dans une formation impeccable. L'aviation allemande harcèle nos colonnes. Où sont nos avions ?

Chaulnes, Vermandovillers. Là parvient la nouvelle qu'un peloton moto du G. R. D. vient de se faire décimer devant  Assevillers, à 6 kilomètres au nord. Soyécourt est atteint, La canonnade éclate à droite : c'est l'ennemi qui bombarde Berny-en-Santerre qu'assaille, à 3 kilomètres de là, le 22ème R. M. V. E. Le 3ème bataillon du 41ème poursuit sa progression et atteint, malgré le bombardement violent qui fait des victimes, le village d'Estrées Deniécourt, où, avec le P. C. bataillon s'installent les 10ème et 11ème cornpargnies. A droite de ce village, face à Belloy-en-Santerre, la 9ème compagnie est arrêtée par des feux nourris d'armes automatiques et s'accroche au terrain. Le contact est pris. La nuit tombe. Sans chars, sans aucun appui d'artillerie, nos fantassins ont largement progressé par leurs seuls moyens et rapidement les troupes qui ont fourni un effort magnifique s'installent pour résister s'il y a lieu à une contre-attaque.

25 Mai

Toute la nuit n'a été qu'un véritable feu d'artifice. Entre les ruines qui flambaient, splendides et sinistres brasiers rougeoyants, sans arrêt montaient vers le ciel des fusées éclairantes et des feux de toutes couleurs. L'ennemi se renforce fébrilement devant le front de la division. Renforts en hommes et en matériel débarquent sans arrêt devant nous, notamment à Flaucourt, à Dompierre-Becquincourt . . .  Notre artillerie divisionnaire (10ème R. A. D. et 210ème R. A. L.) nous a rejoint enfin. Nos 75 et nos 155 exécutent sur ces rassemblements ennemis des tirs précis et nourris dont l'observation offre quelque intérêt, car ils font de gros dégâts. Sur le flanc droit de la division, I'ennemi borde la Somme, et il
est de toute nécessité, pour lui enlever la possibilité de nous attaquer de flanc, d'occuper toutes les têtes de pont avant de poursuivre la progression vers le nord.

La 7ème compagnie qui est restée en réserve dans la journée du 24 mai reçoit l'ordre de s'emparer du village de Saint-Christ-Briost et du pont sur le canal de la Somme. Précédée d'une compagnie de chars et renforcée par une section de mitrailleuses de la C. A. B. 2 elle s'y emploie rapidement. L'ennemi tente d'abord de résister, et le sous-lieutenant Oertel est tué en indiquant, comme objectif à un char une mitrailleuse allemande qui empêchait notre progression, mais nos hommes combattent
avec courage, et quelques heures plus tard les Allemands ont repassé la Somme.

Ce même jour, la 5ème compagnie occupe sans difficultés {e village d'Epenancourt, en bordure de la Somme, au sud de Pont-Saint-Christ. Enfin, dans I'après-midi, après un violent bombardement, le
117ème R. I. réussit à s'emparer de Belloy-en-Santerre. Dans la même journée, notre P. C. R. I. s'est porté de Hallu à Vermandovillers.

26 Mai

la 19ème D. I. a reçu I'ordre de continuer la progression et d'atteindre la Somme. Le 1er bataillon reçoit pour mission de dépasser le 3ème bataillon, qui, installé à Estrées-Deniécourt, fournira' la base de feux, et de prendre Assevillers, en vue de progresser ensuite par Cléry, jusqu'à la Somme. En liaison avec cette attaque, le 22ème R. M. V. E. doit s'emparer de Villers-Carbonnel, tandis que le 117ème, ces deux missions accomplies, s'avancera jusqu'à Péronne.

Le 1er bataillon se porte, dans la nuit du 25 au 26, de Chaulnes jusqu'à Estrées-Deniécourt. A 3 h 30, chacun est à son poste. C'est la première attaque importante du régiment; jusque-là, on n'a vu agir que
des groupements composés tout au plus d'une compagnie renforcée. Aucun char, malheureusement, ne va appuyer cette attaque, et les liaisons téléphoniques de notre artillerie, arrivée de la veille, ne sont pas encore établies. A 4 heures précises, après une courte préparation d'artillerie sur les lisières d'Assevillers, où des travaux ennemis sont observés depuis plusieurs jours, le 1er bataillon s'ébranle dans la plaine, dans une formation impeccable. La 1ère compagnie est à gauche, la 2ème à droite, la 3ème suit à 500 mètres. Le terrain est nu, presque plat ; ce sont des champs de blé encore jeune, de luzerne, avec trois boqueteaux isolés; pas une haie, pas de talus; I'axe de progression est ,concrétisé par une route blanche, presque rectiligne, sur laquelle on aperçoit encore les sides-cars détruits et renversés du peloton de notre G. R. D. anéanti là trois jours auparavant. Le 1er bataillon avance; les hommes marchent régulièrement, I'arme à la main, dans un ordre parfait. Notre artillerie bat les lisières du village et les éclatements des obus apparaissent à peine dans la brume légère qui, noyant le pied des maisons, ne laisse voir que leurs toits et le clocher. De temps à autres, les rafales des mitrailleuses
d'appui s'abattent sur les points repérés la veille. C'est une véritable manoeuvre ; les groupes avancent, s'arrêtent et se couchent, puis repartent, comme à Coëtquidan. Tout va bien, deux kilomètres
sur quatre ont été couverts. Soudain, des obus allemands s'abattent sur nos fantassins, des percutants, puis des fusants, par groupes de quatre. Les hommes disparaissent dans la poussière et la fumée. Ce tir cependant ne les arrête pas; ils avancent toujours au milieu des éclatements.
Les premiers éléments de droite semblent atteindre les lisières nord-est du village et vont le déborder lorsque retentit le crépitement rapide et saccadé des mitrailleuses ennemies qui tirent par bandes entières.

5 h 45. Partout crépite le feu des armes automatiques ennemies; une nappe de balles sifflantes s'étend sur la plaine, se joignant au déchirement des obus qui éclatent.

6 h 30. Cela continue sans arrêt. Le chef de bataillon Herrmann, commandant le 1er bataillon, essaie de profiter d'un boqueteau pour faire progresser sa droite, mais le moindre mouvement de ses hommes
déclenche aussitôt le feu nourri et implacable de l'ennemi. Dans I'immense étendue plate, même les bonds homme par homme s'avèrent rapidement impossibles. L'ennemi occupe la position dominante; bien abrité dans les maisons ou dans des trous, il a beau jeu pour arrêter nos hommes couchés à même la luzerne ou le blé vert, le nez dans la terre; une mitrailleuse ennemie semble même s'être installée dans le clocher d'Assevillers, tirant de là sur tout ,ce qui bouge et causant des pertes sensibles. La progression du 1er bataillon est enrayée. Et les heures passent, le soleil monte et la chaleur se fait sentir, et les hommes immobiles reçoivent sans pouvoir bouger les balles qui font sauter la terre et les obus qui la retournent. La situation devient mauvaise. Aucun char pour aider à reprendre la marche en avant. L'artillerie, faute de moyens de liaisons téléphoniques, ne peut qu'essayer à tâtons
d'atteindre les points sensibles du village, sans résultat vraiment efficace.

Vers midi une contre-attaque allemande se déclenche, mais les tirs de barrage de notre artillerie et de nos mitrailleuses d'appui l'arrêtent rapidement. Pendant ce temps la  11ème compagnie (capitaine Fauchon) occupe sans difficultés le village de Fay, couvrant ainsi la gauche du 1er bataillon.

Et le 1er bataillon passe sur le terrain, en plein soleil et sous le feu, une journée épouvantable de fatigue physique et morale. Le chef de bataillon Hermann, aux prix de nombreux plats-ventres, a réussi à venir chercher auprès du colonel une solution à cette situation, mais nul renfort n'est disponible. Le mieux sera de se replier à la nuit et de reprendre ultérieurement cette attaque manquée. En attendant, notre artillerie martèle le village d'Assevillers et cherche, sans y réussir, à détruire son clocher. Puis les tirs diminuent. Le temps passe. Soudain, vers 17h30, à la suite d'un mouvement de rocade entre deux sections de la 2ème compagnie, une partie de celle-ci, ayant mal interprété ce changement,
se replie, suivie par la 3ème et la 1ère compagnie. Grâce au tir nourri de notre artillerie immédiatement alertée et à la faible réaction de l'artillerie ennemie, ce mouvement de repli s'effectue sans trop de
dommage, et il ne reste plus sur le terrain que deux ou trois noyaux totalisant une centaine d'hommes qui devront se replier à 21h30. Tout le 1er bataillon est alors regroupé. Il occupe provisoirement, avec une section de la 9ème compagnie, le secteur d'Estrées, dégarni par le départ à Fay de la 11ème compagnie, avant de se retirer à Soyécourt, où il pourra se reposer de cette journée au cours de laquelle il a perdu environ 50 tués et 75 blessés, dont les lieutenants Gomet et Le Quellec, et Ie
sous-lieutenant AIadel.

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