18 Juin 1940
A 1h30, réveil. La division vient de donner l'ordre de faire mouvement. Le régiment s'installera défensivement à 12 kilomètres plus au Sud au carrefour des routes Orléans-Romorantin et Beaugency-Romorantin. Départ à 2h40. Ordre : 2ème bataillon, C. D. T., 3ème bataillon.
Il pleut légèrement, pour la première lois depuis longtemps, mais cela cesse rapidement. Itinéraire: Chaumont-sur-Tharonne, la Ferté-Beau-harnais. Vers 6 heures un gros trimoteur allemand survole la colonne à très basse altitude: affolement des civils, calme absolus des hommes.
A 8 heures, le régiment est installé comme suit : 2ème bataillon au carrefour de Grand-Villiers; P. C. R. I. . P. S. et C. D. T. à la ferme d'Avignon, à 1 kilomètre plus au Sud sur la route de Romorantin; à
3 kilomètres Sud-Est d'Avignon, sur la petite route de Marcilly-en-Gault, le 3ème bataillon tient le carrefour de Saint-Viatre; à 3 kilomètres au Sud d'Avignon, sur la route de Romorantin, la C. H. R. est camouflée dans le bois qui longe la route. Le P. C. D. L est à Millancay; le G. R. D. à Marcilly-en-Gault, la 4ème compagnie du 257ème R. L à Neung-sur-Beuvron. Enfin, à 27 kilomètres au Nord, la 5ème compagnie est toujours installée à la Ferté-Saint-Aubin avec ses trois autos-canons. Les quelques pièces d'artillerie qui restent sont mises en batterie dans la région de Marcheval, à 4 kilomètres Sud-Ouest d'Avignon.
C'est la pleine Sologne, terrain plat parsemé d'étangs et de bois. Vers midi 30 on signale au P. C. R. I. qu'une colonne motorisée allemande aurait franchi la Loire. A 15h25 un compte rendu du sous-lieutenant Guilloton, daté de 15 heures, signale que l'ennemi semble approcher de la Ferté-Saint-Aubin et que le G. R. C. A. qui était en avant de lui se replie.
A 15h30, ordre de la division de replier la 5ème compagnie, vraiment trop aventurée, seule, à 27 kilomètres du régiment. Des camionnettes de la C. H. R. sont envoyées pour la ramener par l'itinéraire
Neung, Yvoy, afin d'éviter la grande route. A 15h35, le colonel part en auto au P.C.D. I. chercher des ordres. A16h45. ordre de la division de préparer le repli du régiment pour le début de Ia nuit: le
41ème va occuper la région de Chabris, à 12 kilomètres Sud-Ouest de Romorantin, sur la rive Sud du Cher. L'heure de départ sera fixée ultérieurement. Les unités sont alertées. A 18h25, contre-ordre de la division. Jusqu'à nouvel ordre, tenir sur place. Le 3ème bataillon se portera à la Ferté-Beauharnais. Le 41ème régiment d'infanterie se compose alors du 2ème bataillon à deux compagnies qui ne possèdent plus que quelques fusils-mitrailleurs ayant chacun quelques chargeurs, du 3ème bataillon à une compagnie de trois sections, de la C. D. T., spécialistes sans armes automatiques, et de quelques mitrailleuses. Les canons anti-chars sont restés bloqués au Nord de la Loire par les convois civils.
A 19h15, sans nouvelles du colonel parti en auto pour la Ferté-Saint-Aubin à 16h30, par l'itinéraire Neung-Yvoy, sans nouvelles de la 5ème compagnie ni des camionnettes envoyées pour la ramener, le
lieutenant Lucas, officier-adjoint du colonel, rend compte de la situation au commandant Jan.
Le colonel et la 5ème compagnie sont sans doute prisonniers. Les éléments ennemis sont peut-être proches. Le commandant Jan envoie le lieutenant Lucas rendre compte au P. C. D. I. de cette situation et de la faible force défensive du régiment. A 19h25 le lieutenant Lucas fait prévenir le 2ème bataillon de se tenir sur ses gardes et se rend à Millançay. Le général Lenclud, informé, donne l'ordre de tenir sur place malgré tout, mais un civil est introduit qui apprend au général qu'une colonne motorisée allemande était à 19h15 à Neung-sur-Beuvron, où la compagnie du 257ème s'était rendue sans combattre. Puis le lieutenant Blanchet, du 10ème d'artillerie, officier de liaison du régiment auprès du 41ème, arrive en side-car et rend compte qu'une colonne motorisée allemande a dépassé le Grand-Villiers et c'est présentée à 19h50 au carrefour d'Avignon. Elle doit être en marche sur Millançay.
Le général donne les ordres suivants : le lieutenant Lucas s'efforcera de regrouper les éléments restants du 41ème R. I. et leur donnera l'ordre de se porter sur Marcilly-en-Gault où se trouve le G. R.D.
Ces éléments se replieront à la nuit, derrière le Cher, dans la région de Chabris, en ralentissant l'avance de l'ennemi s'il y a lieu. Le lieutenant Blanchet s'efforcera de replier derrière le Cher les éléments restants d'artillerie. Trois autos-mitrailleuses lourdes sont affectées à la défense de l'entrée Nord de Millançay.
Durant ce temps l'ennemi, comme on devait le savoir plus tard, arrivait en deux fortes colonnes motorisées de la région de Beaugency-Orléans, où il avait franchi la Loire dans le secteur du corps d'Armée voisin.
Après un violent bombardement, il encercle vers 16 heures la 5ème compagnie à la Ferté-Saint-Aubin.
Puis les troupes allemandes envoient un plénipotentiaire avec drapeau blanc qui informe le sous-lieuterant Guilloton qu'il est encerclé, que d'autre part l'Armistice étant signé il n'y a plus aucune raison de se battre. Entourée d'auto-mitrailleuses et de chars, dans un terrain n'offrant aucune défense naturelle, sachant l'Armistice demandé depuis la veille, la 5ème compagnie dépose les armes.
Et la colonne allemande descend vers le Sud. Rencontrant la tête de cette colonne, l'auto du colonel, qui se rendait seul vers la Ferté-Saint-Aubin, s'arrête à la vue des drapeaux blancs que l'on agite. Et
le colonel est aussitôt entouré et avisé que l'Armistice est signé et qu'il est prisonnier.
Les colonnes motorisées allemandes venant à la fois de Neung-sur-Beuvron et de la ferté-Beauharnais arrivent vers 19h40 au Grand-Villiers, où se trouve le 2ème bataillon. Un F. M. garde chaque route.
Sur l'une d'entre elles arrivent deux motocyclistes avec un drapeau blanc, qui font signe de ne pas tirer.
L'un d'eux, un officier, dit alors que l'Armistice est signé; il montre que ses armes ne sont pas chargées
et demande à parler au commandant du secteur. Le lieutenant Le Guinner arrive, écoute les explications et, convaincu de ce que la guerre est finie, donne l'ordre de déposer les armes. Alors la colonne motorisée allemande se présente et défile sous les yeux des soldats français.
Quelques coups de feu lurent cependant tirés, vraisemblablement sur l'autre route.
A 19h50, la section de pionniers de la C. D. T. s'était portée de part et d'autre de la route de Romorantin au carrefour d'Avignon, mais déjà des autos-mitrailleuses prennent d'enfilade cette route dépourvue d'abris. Des motocyclistes sont sur eux et les hommes n'ayant que leurs fusils pour lutter contre les autos-mitrailleuses et les chars qui les enserrent de tous côtés sont obliges de se rendre, la mort dans l'âme.
Et la colonne motorisée allemande reprend sa marche, sur la route nationale, vers Romorantin. Elle devait défiler pendant 35 minutes à 50 kilomètres à l'heure. Puis elle fut suivie d'une seconde colonne
20 minutes après: motocyclistes, chars, autos-mitrailleuses, infanterie sur camions spéciaux, autos-canons, pièces d'artillerie sur pneus remorquées par camions, . . . plusieurs milliers d'hommes, et quel matériel!
Evitant de peu les colonnes motorisées ennemies, le lieutenant Lucas rejoint le 3ème bataillon vers 20h10. Celui-ci vient d'apprendre l'encerclement et la capture du 2ème bataillon. L'ennemi se dirigeant vers le Sud l'a déjà.dépassé, mais les colonnes allemandes suivent uniquement la route nationale et le 3ème bataillon qui occupe la petite route de Marcilly et les bois qui la bordent a échappé à ses vues.
Suivant les ordres de la division, le commandant Jan rassemble les restes de son bataillon (trois sections de la 9ème compagnie, une section de la C. A. B. 3, la section de commandement auxquels se sont joints une partie de la C. D. T. et la compagnie de Pionniers du 117ème R. I. qui, stationnée
non loin du carrefour, ont pu se déferler aux vues de l'ennemi. Il donne l'ordre suivant: Le commandant Jan prend le commandement des éléments restants du 41ème R. I. Ceux-ci se porteront immédiatement sur Marcilly-en-Gault. A la nuit, ils se porteront au Sud du Cher, dans la région de Chabris, par l'itinéraire Loreux, Villeherviers, Villefranche, la Chapelle-Mont-Martin.
A 20h30 le 3ème bataillon du 41ème décroche et se replie en ordre sur Marcilly-en-Gault, ou, à 23 heures, viendra le rejoindre le capitaine Levreux, commandant la C. D. T., avec une dizaine d'hommes qui, camouflés dans les bâtiments de la ferme d'Avignon, ont pu échapper à l'ennemi. Sur ordre du commandant Jan, le lieutenant Lucas repart à Millançay rendre compte au P. C, D. I. Mais les colonnes allemandes encerclent le village que l'état-major de la division a quitté au dernier moment. Deux chars français flambent dans le soir qui tombe, les balles sifflent dans les rues et le lieutenant Lucas se replie sur Loreux, où il pense retrouver le régiment.
A Marcilly-en-Gault, le commandant Jan et le commandant du G. R. D., d'accord, décident, pour éviter les éléments ennemis qui, selon toute vraisemblance, ont atteint Romorantin, de modifier l'itinéraire et, obliquant vers le Sud-Est, de franchir le Cher au pont de Mennetou. Un motocycliste part à Millançay informer la division de ce changement d'itinéraire. Vers minuit les restes du 41ème R. I. se remettent en marche.
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