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Bataille de Saint Marcel (récit de Loïc BOUVARD - Soldat FFI )

Bataille de Saint Marcel (récit de Loïc BOUVARD - Soldat FFI )

Il est cinq heures et demie, Guy-Michel me réveille et m'annonce la bagarre, j'entends d'ailleurs encore les derniers coups de feu. C'est simplement un groupe de reconnaissance allemand composé de deux autos dans lesquelles sont huit soldats qui, attirés par les fréquents parachutages, est venu voir ce qui se passait et s'est heurté au feu de nos FM. Nous en avons tué quatre, fait prisonniers trois, dont un grièvement blessé et le dernier s'est échappé avec une des voitures. 

Sans plus faire attention à cet incident, je vais, avant la messe qui est à huit heures, voir les chauffeurs qui s'affairent autour de leurs jeeps descendues comme eux du ciel, cette nuit. Ils montent des fusils mitrailleurs dessus car toutes les mitrailleuses se sont écrasées au sol. Pourtant, avec les débris de plusieurs, un caporal parachutiste arrive à en reconstituer une. Pendant ce temps, tout en les regardant et en les questionnant, je mange presque une boite entière de bonbons vitaminés qu'ils viennent de me donner.

Et voici la messe. C'est l'aumônier du camp qui la dit. Nous y assistons très nombreux. Après l'évangile, le prêtre nous dit quelques mots :"il ne faut pas parler de vengeance, mais de revanche ; ils ont gagné la première manche, nous gagnerons la seconde avec l'aide de Dieu. Préparons-nous au combat". A peine la messe finie, je n'ai pas seulement le temps d'aller dire bonjour à Victoire et à ses filles et de déjeuner que la bataille commence. L'allemand échappé est parti avertir à Ploërmel et ce sont plusieurs compagnies allemandes qui arrivent à l'attaque. Nos gars sont prêts, derrière les taillis et ils les attendent fermement.

L'effervescence règne au camp. Chacun s'agite et la mitraille se poursuit sans arrêt. Au premier assaut, les FFI en ligne ont eu peur et partaient déjà, mais le lieutenant Marienne était là, qui les a remis en place, je peux dire "à coups de pieds dans le derrière". Les allemands tombent comme des quilles.

Revenons au camp. Dans notre groupe des "plantons", ou "agents du GG", nous n'avions pas encore été armés et notre chef, le lieutenant Colineaux, assisté du Sergent Pretseille, y procèdent. J'ai toutes les peines du monde à obtenir une carabine. Heureusement, j'avais la permission de maman. Le pauvre Guichou n'y parvient pas et pleure à chaudes larmes ; mais il vaut bien mieux ainsi. Comme armement, on me donne une carabine américaine, merveilleuse arme légère semiautomatique et dont la précision est très appréciée.

Me voici à l'œuvre, aidé par Guy, dans notre cabane des plantons en train de nettoyer nos armes et de faire nos provisions de munitions. Je sors et rencontre le capitaine Puech-Samson qui n'a pas l'air très content de me voir ainsi habillé et armé. Il m'appelle et me dit : "Loïc, avec quelle permission ?". Celle de maman, mon capitaine ... et aussitôt, il me fait un grand sourire et me dit : "Bon, eh bien, viens avec moi à la bagarre, tu as deux minutes". Je vais vite embrasser mon petit guy-guy qui pleure encore, le pauvre gars, de me voir partir et de rester seul. Mais le commandant Bourgoin s'en occupe et va le faire partir avec les Pondart à qui il a donné l'ordre de quitter "la Nouette". Je les embrasse eux aussi, ils sont pleins de courage et les voilà qui s'en vont à travers champs, laissant tout. 

Les allemands n'ont pas fait un pas et les commandants Bourgoin et Morice nous ont bien donné l'ordre de ne pas avancer afin qu'il y ait le moins de perte possible, mais seulement de maintenir fermes les positions. Je pars enfin de mon côté, avec le capitaine, vers les Hardis, Bois-Joli et Sainte-Geneviève, afin de contacter avec les bataillons engagés (deux) et de transmettre les ordres. Il n'a pour toute arme que deux grenades et force jumelles, cartes, crayons, papiers, etc... Je suis très fier d'être son garde du corps, comme il m'a dit, et je fais claquer les vieilles bottes de grand-père, que j'ai adoptées.

Avant d'arriver aux Grands Hardis, nous voyons le commandant Le Garrec qui commande le bataillon engagé, devant la Nouette. Tout va bien dans son secteur, aussi, nous continuons sur le Bois-Joli où il semble que la poussée soit la plus forte. Il faut ramper car les balles sifflent de tous les côtés. Arrivés aux Grands Hardis, on a vraiment l'impression qu'on rentre dans le bain ; le capitaine donne plusieurs ordres et nous continuons.

Un peu avant le Bois-Joli, je trouve une mitraillette chargée, abandonnée, que je donne au capitaine. Puis, nous obliquons à droite, derrière des haies, à quelques trente mètres des boches. C'est palpitant, la première ligne de nos fusils mitrailleurs se trouve à 5 mètres en arrière, à côté du petit bois à moitié en feu, auquel nous avons abouti. C'est un tonnerre du diable et sans arrêt on entend des rafales de FM et force coups de fusils, etc... Ces cochons de boches ont installé une mitrailleuse lourde dans le clocher de Saint-Marcel et elle nous gêne et nous arrose bien.

Pendant ce temps, par la radio, nous avons demandé que des avions viennent détruire et mitrailler les observatoires de Villeneuve, Saint-Marcel (le clocher de l'église) et Plumelec. Le capitaine inspecte à la jumelle et Loïc accroupi est à côté de lui, prêt à le défendre. Nos fusils mitrailleurs tirent sans arrêt tout à côté de nous et j'en ai les oreilles déconfites. Soudain, des coups crépitent et nous sifflent aux oreilles. Je tire quelques coups, mais le capitaine me dit :"Loïc, je suis touché", et il tombe. Je me précipite vers lui et constate avec un autre parachutiste venu lui aussi en le voyant tomber; que c'est une blessure à la cuisse, sans gravité.

Je lui fais avec un vieux bandage un pansement tant bien que mal, puis, alors que le parachutiste le ramène derrière la haie et le remet en train, je reprends ma carabine et fou de joie de tirer dans ces cochons et anxieux pour mon capitaine, je m'amuse une minute. Puis il faut ramener le capitaine au camp. Nous ne sommes pas très loin de la petite route Saint-Marcel - Serent qui passe près de la Nouette et où sont nos autos mitrailleuses. Aussi, chacun d'un côté, nous l'aidons à marcher. Il est d'un courage magnifique et aux petits FFI qui le voient passer traînant la patte, il leur dit pour ne pas les démoraliser : "ce n'est rien, je me suis simplement foulé le pied en sautant un fossé, allez, du courage mes petits".

Nous arrivons enfin et une jeep devenue ambulance nous transporte au camp à l'infirmerie où le médecin FFI Mahéo (ou Sassoun) le soigne. Toujours d'un courage magnifique et exemplaire, mon capitaine subit une piqûre dans le ventre qui a dû lui faire un "tout petit peu mal", mais il ne dit mot. Puis je raccompagne le capitaine dans la chambre de la ferme servant de PC. Là, sont les commandants Bourgoin, Morice, Le Gouvello, les capitaines Guimard, Brunet, etc... Il s'allonge sur un lit et, sur sa demande, je m'allonge moi aussi à côté de lui. Je suis lassé et un peu impressionné et je fais un petit somme, alors que la mitraille continue toujours.

Vers trois heures, je me lève et suis chargé par Émile Guimard de fermer les armoires des Pondart. Obligation bien difficile à remplir car, sur les trois armoires, je m'aperçois qu'aucune ne peut fermer. Apercevant un joli petit mouchoir blanc, brodé, je le prends avec l'intention de le donner à son propriétaire en souvenir. À ce moment-là, je savais déjà que nous devrons décrocher ce soir, faute d'arme lourde.

Soudain un vrombissement ; 12 avions arrivent vers nous. Ce sont nos mosquitos tant attendus. En voilà déjà un qui pique sur Villeneuve, suivi du bruit sec de sa mitraille. C'est maintenant le clocher repère qui est mitraillé. Les troupes allemandes, devenues plus nombreuses, sont désemparées et leur feu ralentit. Mais ce n'est pas pour longtemps, car aussitôt les avions repartis, ça recommence de plus belle.

Je m'en vais un moment du PC et vais avec Xavier, un très chic type, Pierre et Marie, nettoyer nos armes dans la maison de cette pauvre et vaillante madame Salles, partie elle aussi il y a quelques heures. Nous buvons en même temps une dernière de ses bouteilles, puis, les aumôniers arrivant, nous causons cinq minutes avec eux. Je reviens vers mon capitaine qui, maintenant assis, s'occupe de faire taper des ordres. Le Bataillon Caro qui est établi en la ferme de Bois Séjour est en réserve et ne se bat pas, ainsi que toutes les troupes se trouvant vers la route "Malestroit-Sérent".

Tout marchait bien quand, soudain, éclatent dans la cour de la ferme plusieurs coups de feu, suivis d'une fusillade beaucoup plus proche. Aussitôt, des FFI partent vers le lieu d'où viennent les coups, c'est-à-dire vers Bohal. Les allemands, en effet, ayant bien repéré nos positions, ont fait un détour et attaquent maintenant de ce côté là encore. Ils se sont installés sur la petite colline du bois de Behellec et ne s'en font pas. Heureusement, les postes avancés, constitués par des parachutistes, les reçoivent comme il faut et les allemands tombent là comme dans tous les autres coins, c'est-à-dire par dizaines. C'est le poste du lieutenant Ranfast, premier parachutiste arrivé au camp, qui fait le plus beau travail : ils ont quatre fusils-mitrailleurs, et il faut que je cite les noms de : Crizik, De Aima, Gérard, Chilou.

Il est maintenant six heures et demie du soir. Le capitaine ne veut pas que je retourne me battre car la mitraille est tellement forte que ce serait un réel danger. Je me contente de faire des petites liaisons et d'aider de mon mieux le capitaine et les autres officiers en les faisant boire et manger. En effet, il ne reste plus une femme au camp. Elles ont toutes été évacuées.

Nous préparons maintenant le départ, le décrochage se fera à minuit et en même temps toutes les munitions et armes que l'on n'aura pas pu emporter en camion sauteront. D'ailleurs, le capitaine charge le sergent Charles Decrept de préparer ses charges et de faire sauter le tout. Nous devrons tous partir en colonnes ou par petits groupes au Château de Callac qui se trouve à peu près à 15 kilomètres de la Nouette. Nous devrons tous nous y retrouver demain matin et nous nous y reformerons.

Pendant ce temps, le lieutenant de Camaret, accompagné de 20 parachutistes, part à SainteGeneviève où la situation est plus critique. En effet, les allemands, voyant de très loin les grands murs blancs du château s'y acharnent, croyant trouver là les chefs de ce "maquis" et, pourtant, les FFI ne sont pas aussi forts là que devant La Nouette. Le temps passe vite et la nuit, déjà, tombe. Par un émissaire, nous apprenons que les allemands ont été repoussés du secteur de Sainte-Geneviève, vers Saint-Marcel.

Le capitaine me prend à part et me dit : "Comme blessé et ne pouvant pas marcher, je vais partir en jeep. Je n'ai pas de place pour toi, mon petit Loïc ; tu vas partir à pied avec les commandants et je suis sûr que nous nous retrouverons tous les deux demain matin". Je m'étais bien juré de ne plus me séparer de mon capitaine, mais je n'osais pas résister afin qu'il ne crût pas que je voulais aller en jeep. Je fis donc mon petit bagage et suivis le commandant Bourgoin. Je dis au revoir une dernière fois au capitaine et, peu après, vers 9 heures et demi, nous partîmes, direction "Serent".

Nous nous arrêtons dans des fossés, à 800 mètres de la ferme de la Nouette, pour attendre la compagnie Cadoudal. Pendant ce temps nous sommes un peu repérés et, de la colline d'en face, les allemands nous tirent dedans. Ça me fait une drôle d'impression d'entendre les balles siffler dans les champs de blé. Puis, tout à coup, une sorte de petite explosion, suivie de plusieurs autres… Elles paraissent très proches ; ne sachant ce que c'est, je me blottis dans le fossé et serre bien fort contre ma poitrine cette carabine que je suis si heureux de porter. Les bois de monsieur Philippe sont en feu ; ça produit un curieux effet, alors que la nuit approche. Plusieurs autres qui étaient avec nous dans les bois partent dans une "citron" pilotée par Jean Grignon et Lili Fochou, deux braves ; ils emmènent le commandant Bourgoin qui, s'étant foulé la cheville en descendant au sol l'autre soir, ne peut pas marcher. Je lui refile ma petite valise dans laquelle sont mes habits civils, ça me fera toujours ça de moins à porter. 

Enfin, voici Cadoudal et nous partons ; nous sommes quatre à cinq cents à la file indienne le long des chemins et au demi-clair de lune qu'il y a cette nuit, ça fait une impression bien particulière. Je suis entre Gilbert Énain et Jacques Quitelier, parachutistes radios, très chics.

Nous voici maintenant sur la grande route après avoir longtemps suivi des chemins détournés. Mais, qu'arrive-t-il ? Une grande lueur illumine toute la campagne, puis c'est une énorme explosion ; je me jette dans le fossé, comme tous les autres d'ailleurs, ce doit être les munitions qui sautent, il est minuit et demi. Nous obliquons dans un petit chemin, mais les autres ne suivent pas ; le guide va voir ce qui se passe et ne revient pas. Nous attendons, blottis dans le fossé, quand une autre lueur est suivie d'une autre grande explosion : toujours les armes et munitions qui sautent. Le lieutenant Wagner envoie Gilbert vers la route nationale, mais l'ayant rejoint, il nous avertit que la colonne est perdue. Ce qui fait que nous sommes dix, dont neuf parachutistes et un patriote, le gars Loïc, qui ne connaît pas du tout la région. Nous repérons quand même un chemin et partons vers Callac après avoir consulté une carte. Nous traversons des bois, longeons des haies, traversons des fossés, toujours sous le clair de lune et aussi prêts à recevoir les boches.

Nous arrivons ainsi près de grands ravins quand, tout près de nous, des voix, des bruits de pas très nombreux, etc... Qui est-ce ? Des FFI, des boches ? Pour plus de sûreté nous ne nous faisons pas remarquer et restons tous les dix, seuls. Puis des maisons nous apparaissent, alors le lieutenant m'envoie frapper à la porte car, n'ayant pas d'uniforme, je me ferais moins remarquer. Ce bon lieutenant oublie sans doute que j'ai des bottes aux pieds et que sous ma veste sont cousus tous mes insignes de parachutiste et autres... Je pose donc mes armes et pars en bras de chemise frapper à la porte. Rien ne répond, il est une heure du matin et les gens doivent avoir une belle peur à cause des explosions de tout de suite et de la mitraille de toute la journée.

Que faire ? Nous nous penchons de nouveau à la lueur de nos lampes sur nos cartes, mais ne trouvons rien ; de tous côtés des bois, une route, quelques maisons, un petit ravin et un ruisseau dans le fond. Ajoutons à cela la lune et un beau ciel, voilà un paysage magnifique et féerique. Nous continuons, cette fois-ci, à travers la forêt ; pas loin de nous patrouillent des cosaques mais tout va bien, et ne sachant où nous sommes nous décidons de dormir là en attendant le jour. Ce qui fut dit fut fait et me voilà allongé, la tête appuyée sur une racine et grelottant car il ne fait pas chaud.

Je dors quand même un peu, quant, à 4 h et demi, réveil. De l'autre côté de la forêt, nous apercevons un fermier et les parachutistes m'envoient lui demander des renseignements. Je repars donc en bras de chemise et fais un peu partout des points de repère. Arrivé à la maisonnette, je frappe, personne. C'est alors que de derrière le tas de fagots j'aperçois un pauvre bougre, tremblant, qui s'approche. Il ne peut presque pas répondre à mes questions tellement il a peur de moi. Cet homme a couché dehors, ayant peur que, par suite des explosions, sa maison ne tombe par terre. Callac, d'après ses maigres renseignements, doit se trouver à 4 kilomètres à l'est. Je repars trouver les autres, mais plus personne. Pourtant je siffle l'air : "Sur le pont d'Avignon" et, enfin, Gilbert se lève de derrière un talus. Les autres sont partis et lui est resté m'attendre. Je me rhabille et nous partons quand le lieutenant Loïc Ranfast, Petit chef, et une vingtaine de parachutistes, passent sur la route. Nous nous joignons à eux et nous voilà partis vers Callac. Après une bonne petite marche, nous traversons la ville et nous dirigeons sur le château de Callac, grand rendez-vous. Nous nous arrêtons à une ferme et demandons à boire, mais toujours rien à manger, je commence à avoir faim. Je cause beaucoup avec Petit Chef qui me raconte le décrochage à minuit.

Enfin nous arrivons aux gorges et, enfin, voici le fameux bois où nous devons tous nous retrouver. Il y a là déjà tous les camions et les blessés. C'est la joie pour les parachutistes de se retrouver entre eux. Je retrouve le lieutenant Colineaux et le commandant Le Gouvello.

Les radios sont déjà affairés autour de la camionnette où se trouvaient leurs affaires. Ils me proposent de rester avec eux mais j'ai dans la tête de retrouver le capitaine Puech-Samson qui, lui, doit être là depuis hier soir. Je monte donc au château et là se trouvent tous les chefs en discussion, entre autres les commandants Bourgoin et Morice, mais pas de capitaine. Découragé et affamé et surtout bien fatigué, je me couche au pied d'un talus non loin des chefs et m'endors, je ne sais combien de temps, mais ce que je sais c'est que, tout à coup, je me sens réveillé et, ouvrant les yeux, j'aperçois le commandant Bourgoin qui, devant moi, me regarde en riant. Je me lève aussitôt et veux me mettre au garde à vous, mais je retombe tellement je suis fatigué. Alors, très gentiment, le commandant s'occupe de moi et me fait monter dans un grenier à foin où je dors vraiment bien.

Quand je me réveille, trois déceptions viennent me frapper : d'abord, une abondante pluie tombe et la cour est déjà inondée ; ça va être gai. Ensuite, j'ai beau chercher partout autour de moi, je ne retrouve plus ma carabine, on me l'a volée, j'en pleure presque, d'autant plus que j'ai encore sur moi toutes mes munitions. Je vais pour descendre, furieux, quand je ne trouve plus d'échelle.

J'appelle Maurice, le cuisinier, qui est en train de faire cuire sous un hangar de la viande pour le repas. Il m'apporte l'échelle, je vais à l'auto du commandant où j'avais mis la veille mon petit baluchon, je le retrouve fort heureusement, mais j'ai beau demander, chercher, m'affairer, toujours pas de carabine.

Il est presque midi, chacun va et vient, les ordres se donnent, les autos vont dans tous les sens et tout cela sous la pluie, dans la boue, et traqués. En effet, les allemands s'amusent maintenant à nous courir après et, déjà, dans quelques bois, les FFI se sont rabattus. Le capitaine n'est toujours pas là ! Je me joins aux radios auxquels le commandant Bourgoin me confie. La décision est prise de se disperser et de ne pas reformer de camp, l'endroit n'étant pas assez propice.

Alors chacun fiche le camp de son côté et va rejoindre sa famille, sa ferme, mais les pauvres parachutistes vont être, eux, obligés de se cacher dans des endroits inconnus. Je vais donc partager leur vie, tant mieux ! Le lieutenant Marienne, toujours avec son bandeau sur la tête, donne des ordres, réunit les jeeps et part pour nous protéger. Enfin le déjeuner ; drôle de déjeuner, un bout de viande sur du pain trempé. La pluie est de plus en plus forte et les traces des roues se voient de mieux en mieux dans la boue. Je reste un peu à arranger le camion des radios et, sur ma demande, ceux-ci m'affirment que ça ne fait rien qu'on m'ait volé ma carabine et qu'il y en a une autre pour moi dans l'auto. Je les crois (mal m'en prit).

Le bois est maintenant à peu près désert. Je vois passer les commandants Bourgoin et Morice et les capitaines Guimard et Brunet, tous en civils, ils vont prendre le vrai maquis. Ils me demandent de les accompagner jusqu'au moulin de Saint-Aubin où il y aura une cachette sûre pour nous. Mais je ne suis pas en civil et je n'ai pas le temps de me changer, car ils sont pressés ; je les rejoindrai donc avec les radios et le camion. La pluie tombe toujours, enfin nous partons. Où sont les allemands ? C'est à peu près calme aussi dans un bruit que l'on trouve pour le moment bien trop fort, la 11 légère avec Lili, Jean Guignon, René Allain, Raymond Guillard, part, suivie de près par notre petite camionnette conduite par un garagiste, chargée d'armes et de matériel radio, avec la lieutenant Hoffman et ses deux radios, Gilbert et Jacques et moi-même.

Le capitaine n'est toujours pas là et je suis désespéré. Voici maintenant la route, puis la route nationale, c'est bien imprudent, enfin tant pis, il faut passer. Les boches patrouillent mais nous n'en rencontrons pas quand soudain, après un petit village, au détour de la route, on nous annonce : "les Cosaques !" Que faire ? Le premier petit chemin venu fait notre affaire, mais pour comble de malheur la camionnette tombe en panne. Je suis très nerveux, nous poussons la voiture, nous voici enfin à l'abri des vues indiscrètes mais non des oreilles, car avec ses petits pneus et la boue, la pauvre Citroën ne peut plus avancer et patine en faisant un boucan du tonnerre.

Nous arrivons tant bien que mal au milieu du chemin et nous arrêtons car, paraît-il, il y a aussi des allemands de l'autre côté ; j'en doute fort étant donné qu'avec le bruit que l'on faisait les fritz devraient déjà être là. Chacun prend un poste de garde de chaque côté. Le premier qui arrive est descendu ! C'est ici la seule fois où j'ai eu vraiment peur car s'ils étaient arrivés nous étions encerclés et pris. J'en profite pour me mettre en civil et mets toutes mes armes et munitions dans le fond de la voiture. Nous fumons une cigarette et, Gilbert étant revenu d'une exploration et ne nous annonçant rien de grave, nous repartons par l'autre côté, ne pouvant faire demi-tour. Voilà la grande route, personne. Et, prudemment, chacun, de peur, rentre chez soi, et d'allemands point ne voit ! 

Les moteurs ronflent et nous faisons à peu près 3 kilomètres. Déjà, nous apercevons le moulin de Saint-Aubin où je retrouverai le colonel Bourgoin. Enfin, nous quittons cette grande route où tant de fois, il y a 15 jours, nous avons passé Guy et moi à vélo en mission. Nous sortons dans un petit chemin où il y a d'immenses mares d'eau et il pleut toujours. Nous n'en sortons plus. C'est alors qu'apparaît un homme boitant et à l'air un peu farouche. Je l'arrête et le conduit au lieutenant. C'est un dénommé Gaby qui connaît bien les filles Mallard du camp et qui nous mène vers le colonel Bourgoin car nous ne savions plus le chemin. Je pars donc, armé, avec lui qui partira ensuite chercher ses chevaux pour dépanner les autos. Voici le moulin délabré où, à la fenêtre, j'aperçois la tête du colonel. À la bonne heure, ils ne se sont pas perdus.

Je monte le petit escalier de bois et les retrouve en haut autour d'une boite de conserves et d'un bon morceau de pain. Je suis très bien accueilli, il va sans dire ! Et je me restaure moi aussi, quelle faim ! Puis voilà Madame Chenailler, la femme du colonel Chenailler, dont le nom de guerre est Morice, chef de notre camp. Elle vient apporter du beurre. Elle est à la Follette, ferme à 300 mètres d'ici, avec ses deux fils, dans le maquis aussi. Puis les chefs partent et me confient à Yvonne Mallard qui devra m'emmener coucher soi-disant chez le curé de Saint-Aubin ou chez elles, à SaintAubin aussi. Avant de partir, le colonel Bourgoin me dit encore : "Loïc, c'est bien, tu as été magnifique, je ne l'oublierai pas et dès que je pourrai télégraphier je le ferai savoir à ton père. Les FFI comme toi sont vraiment des types épatants". Que d'éloges !! Ils s'en vont, et je reste avec Lili, Jean, etc… Ils s'installent pour la nuit sur des matelas, comme Yvonne tarde à venir. Il fait bien noir quand elle arrive et il pleut encore un peu, vraiment quelle journée ! Sa sœur Marie est venue aussi. Ce sont deux vaillantes filles et qui ont fait depuis bien longtemps déjà de la résistance et qui ont été ruinées par les boches. Un de leurs frères, d'ailleurs, a été tué par eux. Nous nous engouffrons dans la nuit, avec les affaires du colonel Bourgoin, pour les camoufler. C'est un sac assez lourd.

Soudain, un bruit de pas et une ombre qui se profile au clair de lune. Qui est-ce ? Nous nous accroupissons parmi les genêts et l'être passe sans nous avoir vu. La prudence est la mère de la sûreté et ce serait vraiment pas fort de se faire prendre maintenant, on ne sait jamais. Vu la distance de Saint-Aubin et sur mes instances, nous allons à la Follette, nous camouflons dans un fossé le fameux sac et rentrons dans la toute petite maison où se trouvent les chefs. Je monte dans le grenier et m'affale sur la paille, entouré d'une bonne couverture. Pourtant, bien qu'épuisé, je ne peux m'endormir de suite. D'abord, la tension nerveuse est trop forte et les aboiements incessants des chiens, les allemands ne rôdent-ils pas autour ? S'ils arrivent, aucune issue, tant pis.

Et puis où sont maman et les petits ? Que sont devenus grand-mère et tante et aussi SainteGeneviève et puis mon petit Guy parti avec les Pondart, où est-il ? Ah, que de questions angoissantes, puis je m'endors.

L'histoire de ces deux jours, les plus beaux de mon existence, est terminée. Pour une histoire plus complète, il me faudrait raconter mes activités d'avant le camp, du 1er au 7 juin, du camp, du 7 au 17 juin, et après le camp à la Follette, du 19 juin au soir au 3 juillet.

Septembre 1944

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