• Un mouvement de repli particulièrement difficile. Ce que J'ai écrit à la fin du chapitre précédent l'a déjà
    suffisamment indiqué. Les détails qui vont suivre le montreront encore mieux.

    Le 7 Juin, vers 4 heures du matin, nous traversons Lihons en ruines, le bombardement a été effrayant. L'unique route de retraite pour la Division passe par Rosières. Nous nous dirigeons donc vers 
    l'ouest d'abord puis nous piquons vers le sud, vers Montdidier tandis que les blindés allemands suivent la route parallèle à la nôtre vers Roye et envahissent toute la zone entre la Somme et I'Avre. Déjà même ils sont à Rosières. Apres avoir traversé Caix, Hangest et Le Quesnel-en-Santerre.

    Nous franchissons l'Avre, un affluent de la Somme, vers 8h00 à Davenescourt. Dans cette jolie petite ville évacuée, nous ne trouvons rien pour refaire reprendre des forces, déjà le G.R.D et la 7° D.I.N.A est là, auprès du magnifique château, ou s'était installée une importante ambulance. Quelques blessés passent dans un camion ; parmi eu un soldat du 41°. A l'est, on entend le grondement sourd du canon. A trois reprises passent des escadrilles allemandes, d'une vingtaine d'appareils; elles bombardent
    Montdidier, à quelques kilomètres de là. 

    Après deux heures d'attente, le commandant Pigeon part reconnaître le point de rassemblement du 41° RI; que le lieutenant Lucas adjoint au Colonel, avait déterminé, d'accord avec le capitaine Soula, de l'Etat-Major de la 19° DI. à deux ou trois kilomètres plus loin à l'est, dans un bois, près de Becquigny, le long de l'Avre.

    Vers 8 heures, les unités du 41° commencent d'arriver dans l'ordre suivant

    C. D. T.; 2° Bataillon, 3° Bataillon. Des compagnies de la 7° D. 1. N. A. s'intercalent entre nos
    unités. Nous passons dans le bois deux ou trois heures; Ia chaleur est accablante. Bientôt, vers 13 heures, une arme automatique allemande, de la rive droite de l'Avre, envoie ses balles sur la route à la sortie est du bois.

    L'agonie de la 19° DI - Derniers combats

    Ce qui subsiste du régiment se groupe avant de repartir, car la mission de garder l'Avre, si c'est possible, est confiée à d'autres que nous, à la 7° D. I. N. A. beaucoup moins éprouvée.

    Cependant, le 41° n'avait pas l'ordre de continuer alors le mouvement de repli, mais de se rassembler derrière l'Avre, et d'attendre là des instructions nouvelles. Elles n'arrivaient pas. Aussi, le lieutenant-colonel Loichot se décide-t'il! à aller voir le général Lenclud, vers 10 h 30.

    Mais au retour, il se trouve en face d'une auto-mitrailIeuse ennemie d'avant-garde, près d'une ferme, à 1 kilomètre au sud de Davenescourt. Car déjà les Allemands sont là, sur le bord de l'Avre et dans la petite ville !

    Quelques balles sifflent autour de nous, et près de Davenescourt, les tirailleurs du 31° R. T. A. sont l'objet d'un tir plus nourri.

    Nous sommes inquiets, d'autant plus que l'heure de partir est passée depuis longtemps. Le lieutenant Loysel, puis le lieutenant Lucas, vont à la recherche du Colonel; ils ne le trouvent pas! Il est bloqué avec sa voiture dans la ferme. Le commandant Jan va prendre le commandement; la colonne se met en route pour se conformer aux ordres que le lieutenant Loysel est allé prendre à la Division. A ce moment, le Colonel arrive; il a pu se dégager.

    En attendant, nous avons vu passer des bataillons de tirailleurs de la 7° D. I. N. A. Ils sont fatigués, comme
    tous. Quelle tristesse!

    Nous traversons la grande plaine, en descendant vers le sud, par Becquigny, Faverolles, Piennes, Assainvillers, Rubescourt. Nos hommes sont épuisés. La chaleur est intense. Nous allons par les chemins, à travers les champs, entre les blés mûrissants. A Montdidier, à l'ouest, à Roye, au nord-est, nous voyons l'éclatement des bombes allemandes et les incendies. Des avions allemands passent au-dessus de nos colonnes.

    L'agonie de la 19° DI - Derniers combats

    A Etelfay, le sergent Avril, observateur du 2° Bataillon, est légèrement blessé par une balle de mitrailleuse, tirée d'un avion qui a piqué sur la colonne.

    Il faut marcher! marcher! sans avoir mangé. Les hommes n'en peuvent plus. Ils vont quand rnême. C'est à en pleurer!

    Vers 7 heures du soir, nous arrivons à Domfront de l'Oise; c'est un joli, mais petit village, dans un vallon charmant. On ne s'y attendait pas. C'est comme un trou de verdure dans la plaine morne.

    Nous nous y arrêtons. Tout à l'heure, le grand dépôt de vivres, à quelques kilomètres au Nord, près duquel nous sommes passés, sera incendié par nos soins, pour ne pas ravitailler l'ennemi. Pourtant, nous aurions eu grand besoin, dans notre dénuement, de ses richesses.

    La Maison-Mère des Religieuses de la Compassion de Domfront est là. J'en fais la visite; elle est abandonnée. Beaucoup de vitres sont brisées; une partie de la maison, fort grande, a été détruite par l'explosion des bombes d'un avion français dont les débris gisent dans le jardin. Je reste un instant dans la grande et belle chapelle. Spectacle désolant!

    Nous prenons un rapide repas fait de conserves, de pain et d'eau.

    A 20 heures nous repartons, et vers 1 heure du matin, nos hommes, après avoir passé Dompierre, Ferrières, arrivent, toujours à pied, à Sains, Gannes, Ansauvillers et Quincampoix, au nord de Saint-Just-en-Chaussée. Après des jours de combat, ils ont marché 24 heures!

    Nous voici donc au 8 juin. Le P. C. du Régiment s'installe à Quincampoix; le 3° Bataillon reste à Gannes (celui de Jan), à quelques kilomètres au nord de Quicampoix; le 2° Bataillon (sous les ordres du lieutenant Le Guiner) à Sains-Morainvilliers, en arrière-garde, par conséquent. La section de mitrailleuses de 20 mm. de la C. A. 1 est avec lui; Simoneaux, un séminariste de Rennes, sous-lieutenant, la commande. C'est 'un jeune et brillant officier, que le commandant Hermann, qui connaissait les hommes, estimait au plus haut degré. Il nous rendra ce soir un service éminent; peut-être même sauvera-t-il les restes de la Division. Car il protège le 41° sur la gauche, dans le village d'Ansauvillers.

    L'agonie de la 19° DI - Derniers combats

    Nous passons la journée à Quincampoix. La vieille église est fermée.

    Qu'allons-nous faire? Allons-nous enfin pouvoir dormir? Non; il y a beaucoup d'agitation; et à 19 heures, il faut encore partir. Les Allemands nous suivent avec leurs engins blindés. Dans l'après-midi, ils ont tourné, sans l'apercevoir, dans Plainval, autour du P. C. du Général de Division, et par moments, au moins, ils sont à Saint-Just-en-Chaussée, derrière nous! Quelle étrange et dramatique situation.

    Le 8 au soir, jusqu'à 6 heures, il était dans l'intention du Commandement que la 19° Division s'installât au sud et à l'est de Saint-Just-en-Chaussée : Angivilliers, Erquinvillers. Mais nous irons beaucoup plus loin! 15 heures de marche pour nos hommes harassés.

    Il eût été désirable que nos convois et nos colonnes pussent passer par Saint-Just. La ville brûle en certains endroits, et les Allemands y sont déjà avec des mitrailleuses. Le capitaine Dunand, de la 9°, qui essaie d'aborder cette ville pour reconnaître le passage, est reçu par une mitraillette. A 19 heures, il nous est prescrit de prendre la route Meignelay-Ravenel, par des chemins difficiles dans la nuit. D'abord, il avait été dit qu'à Lieuvillers, au sud d'Angivilliers, des camions embarqueraient les hommes. Mais les hommes devront aller à pied, comme toujours. En effet, le lieutenant de Lestrange vient dire, par ordre de la D. I., que la consigne est :« marcher ou crever ». Car on ne peut faire autrement. Austruy, de la C. H. R., assistait à cet entretien entre le lieutenant-colonel Loichot et Lestrange. C'est lui qui me l'a rapporté.

    Le Colonel envoie Austruy reconnaître Lieuvillers. Austruy part avec un homme armé d'un fusil-mitrailleur, dans la voiture de Delourmel, lieutenant de la C. H. R. Il y est accueilli aussitôt par une fusée et des balles traceuses; il revient tout de suite rendre compte de sa mission. A peu près au même moment, le lieutenant Magnan, un excellent camarade, qui commandait la C. R. E. (Compagnie Régimentaire d Engins),est envoyé pour préparer le cantonnement près de Clermont, au sud de Saint-Just-en-Chaussée. II part, à bicyclette, accompagné du sergent-chef infirmier Letournel, du sergent-chef Delille, et de deux
    soldats, l'ordonnance du lieutenant Magnan et Gougeon.

    Le petit groupe arrive aux abords de Saint-Just, bombardé par les chars et auto-mitrailleuses allemands. Magnan donne l'ordre de contourner la ville; un des soldats l'ordonnance du lieutenant, blessé par le feu de l'ennemi rejoint pour s'y faire panser, un poste de secours établi à l'entrée de Saint-Just.

    Le Lieutenant arrête ses hommes de l'autre côté, en direction de Clermont, et s'en va faire seul une reconnaissance dans la ville. Il revient deux heures plus tard. A ce moment, Magnan et ses hommes se voyant cernés; se dissimulent dans un champ de blé.

    A la faveur de l'obscurité, ils repartent en essayant d'éviter les mitrailleuses allemandes disséminées un peu partout. Ils atteignent un petit bois où ils se font mitrailler. Obligés de se disperser, ils se séparent et ne se retrouvent plus. Delille est fait· prisonnier; Letournel et Gougeon échappent à l'ennemi.

    Magnan est blessé sérieusement. Néanmoins il s'éloigne.

    Qu'advint-il pour lui? Le témoignage du sergent-chef Delille nous a permis de le suivre, jusqu'alors. Il faut compléter par les déclarations d'un habitant.

    Le matin du 9, Magnan se présente dans une ferme, à Agnetz (2 kilomètres N. O. de Clermont).

    L'enemi est tout près. Le fermier n'avait pas quitté sa maison, estimant qu'il eût été vain de chercher ailleurs un refuge. Magnan était porteur de deux pistolets, l'un français, l'allemand. Pour ne pas compromettre le fermier, Magnan rejette l'offre qu'on lui fait de le cacher dans la ferme; les engins motorisés de l'ennemi commençaient d'entourer les bâtiments. Il fallait que Magnan se retirât pour
    n'être pas pris, le temps pressait; le fermier insistait. Magnan sort, se réfugie dans une petite tranchée-abri creusée à proximité et s'y établit en position de défense avec ses deux pistolets.

    L'ennemi pénètre dans la ferme, et, du premier étage, observant les alentours, découvre Magnan. Un officier allemand fait abattre un mur, et installe un char. Il commande: « feu à 150 mètres! »  Magnan, atteint à la tête, est tué.

    Pendant ce temps, un petit groupe de Français se battaient encore du côté de Clermont; une vingtaine des nôtres vinrent même jusqu'à la ferme, au contact de l'ennemi, qui subit des pertes.

    Après cette escarmouche, le Commandant du détachement allemand donna l'ordre au fermier d'ensevelir ses morts. Le premier corps que l'on releva fut celui de Magnan; on l'ensevelit sur place. La tranchée-abri devint son tombeau . . .


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  • Avant d'entreprendre le récit des combats livrés par la 19° D.I du 8 au 20 juin 1940, de l'Avre au Cher, il ne sera pas inutile, pour une plus exacte compréhension des faits, de nous rappeler, d'après le compte rendu du 1° corps d'Armée, quelles furent les intentions et déterminations successives du Commandement.

    Dès le 31 mai, à la suite de l'échec de notre manoeuvre devant Péronne et Amiens, une deuxième position avait été prévue, en arrière du 1° corps, jalonnée par Warsy, Dancourt, Beuvraignes, Bois de Crapeaumesnil, pour barrer la direction Péronne-Estrées-Saint-Denis.

    La 47° D.I reçut mission de la tenir; elle devait, en arrière de cette deuxième position, établir des bouchons antichars à Vuvilly, Tricot et Meignelay.

    On espérait pouvoir encore se défendre sur l'Avre.

    Une instruction personnelle et discrète du Général Commandant la VII° Armée, en date du 6 juin, 7h00 envisageait de ramener sur la deuxième position les grandes unités engagées sur la Somme.

    Pour le 1° Corps qui devait barrer la direction de Chaulnes-Clermont, le but de la manoeuvre tendrait à réaliser le dispositif suivant:

    Défendant l'Avre, en aval de Warsy, la 7° D.I.N.A couverte à sa gauche par la cavalerie, assurerait la liaison avec la X° Armée dans la région N.E de Braches.

    Entre Warsy et Crapeaumesnil, la 47° D.I.

    En arrière, la 19° D.I se regroupant dans la zone Rocquencourt, Broyes, Sains-Morainvilliers, saint-Just-en Chaussée, Frumechon.

    La 29° D.I devait tenir, aussi longtemps qu'il serait nécessaire, la ligne Roye, Nesles, le canal du Nord, au nord de Mayen court, pour permettre l'évacuation du saillant de Tergnier.

    Cette instruction devint exécutoire le même jour, 6 juin, 19h00.

    Quand fut décidé le repli des 4° D.I.C, 7° D.I.N.A, 19° D.I et 29° D.I.

    Malheureusement, sous l'éffort de l'ennemi, la 47° D.I ne put tenir, déjà le 7 juin , sur Roye, le matin, et le soir dans la région Dancourt-Crapeaumesnil, qui furent perdus. Et le 8 juin, à l'aube, la masse allemende s'infiltrait dans la région de Popincourt, et au nord de Beuvraignes, ou elle massait ses chars.

    L'après midi, la situation s'aggravait encore; à l'est, dans la région de Guiscard, la 3° D.I était violemment attaquée; dans la région de Nesles, les éléments de la 29° D.I étaient incertains; à gauche du 1° Corps, le 10° C.A semblait coupé en deux (à l'ouest de la 4° D.I.C)

    Enfin, on apprenait, à 16h00, que les éléments motorisés ennemis débouchaient de Breteuil, et se présentaient devant Saint-Just-en-Chaussée (derrière la 19° D.I, pourtant en retrait de la deuxième position) et au nord de Lassigny.

    Il fallait que la VII° Armée qui, jusqu'à 17h45, le 8 juin, formait le propos d'arrêter l'ennemi, le 9 juin, sur la ligne générale Saint-Just-en-Chaussée, cours de l'Aronde, Compiegne, en se servant de la 19° D.I, modifiât ses plans et envisageât un repli profond jusqu'à l'Oise: une marche de 45 km.

    D'ou les modifications successives dans les ordres donnés à la 19° D.I.

    D'abord, le soir du 8 juin, elle devait s'installer à la hauteur de Saint-Just-en Chaussée.

    Ensuite, reconnaissant cette impossibilité, on lui prescrit de continuer sa marche jusqu'à l'Oise de Pont-Sainte-Maxence, parce qu'on espère pouvoir tenir cette rivière . . . 


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  • Des renseignements fort précis fournis par le capitaine de Nantois (9° batterie du 10° R. A. D.) me permettent d'ajouter une note sur le repli du seul groupe d'artillerie de campagne qui restât à la 19° D.l.

    De la 8° batterie, dispersée en antichars à Soyécourt et Herleville, 3 pièces revinrent se joindre aux 7° et 9° batteries, qui avaient si bien, défendu le Bois Etoilé.

    Les 7° et 9° ,batteries étaient en position à la côte 109; la nuit s'était passée sans incident.

    Le 7 juin, vers 5h 30, alors que j'essayais en vain d'établir une liaison par T. S. F. avec le 41° RI, j'ai aperçu
    à quelques centaines de mètres sur ma gauche une longue colonne d'infanterie marchant vers le sud-ouest par le chemin reliant Herleville à Rosières-en-Santerre: c'était le 41° qui se repliait; un officier était porteur de l'ordre général de repli, daté de 2 h 30, signé Loichot; j'étais mentionné parmi les destinataires. J'ai su plus tard que 3 estafettes m'avaient été envoyées au cours de la nuit : un sous-officier et un officier par l'A. D. 19, un sous-officier par le Colonel d'Infanterie; tous trois ont disparu en cours de route.

    (Rapport Schérer au général Doumenc)

    Le commandant Schérer apporta lui-même à ses batteries l'ordre de se replier sur Montdidier.

    Le capitaine de Nantois, qui a écrit sous la dictée du lieutenant de Courson, décrit la retraite en ces termes :

    L'infanterie s'est déjà repliée; le temps presse; il n'arrive qu'une partie des avant-trains. Les premiers chars ennemis paraissent. Le lieutenant de Courson donne toutes les voitures attelées à l'aspirant Muzard et le fait retraiter sur Vrély. L'Aspirant et toute sa colonne seront pris dans ce village: entourés de motocyclistes et d'auto-mitrailleuses, ils ne peuvent que se rendre. Le lieutenant de Courson fait partir à pied quelques hommes; puis il retrouve des avant-trains, attelle de nouvelles voitures et part avec elles. Un
    caisson est atteint par un obus tiré par les chars ennemis et saute. C'est au cours de cette sortie de position que sont tués : le maréchal des logis chef Guénégo, le trompette Le Collen, l'ouvrier en bois Lefeuvre, les conducteurs Josse et Boscher, tous de la 9° batterie, et aussi le maréchal des logis Le Floch, de L'État-Major du Groupe, qui, à ses moments de liberté, était notre très dévoué aumônier. L'adjudant-
    chef Bibaud devait périr à Beaufort, queIques kilomètres plus loin. Guénégo était le meilleur de mes sous-officiers; Le Collen était un soldat parfait.

    Ce qui reste de la 9° Batterie manoeuvre alors sous les ordres du lieutenant de Courson. Le Groupe est en effet séparé en trois. L'État-Major et la 7° Batterie participeront à l'affaire de Saint-Just-en-Chaussée au cours de laquelle tombera en héros le lieutenant Marseille; la  8° retraitera dans l'axe de la Division; la 9° enfin sera constamment batterie d'arrière-garde et combattra à hauteur du G.R.D.

    Les sous-officiers et les hommes s'accordent à proclamer que le lieutenant de Courson a commandé avec courage et bonheur.

    Après avoir cantonné à Broyes le 9, à Saint-Martin le 10, passé l'Oise à Saint-Leu, retrouvé le 3° groupe, mis en batterie à Baillon le 12 (la batterie tire beaucoup sur cette position), la 9° Batterie, réduite de moitié, est renforcée d'une section du 61° R. A. rencontrée par hasard en chemin et dernier reste d'une batterie qui retraite sous le commandement de son Capitaine, le capitaine de Toulouse-Lautrec;
    celui-ci prend naturellement le commandement de la nouvelle formation.

    Dans ce repli du 3° Groupe du 10° R. A: D., la 8° Batterie a son histoire à part. On sait en effet que 2 pièces étaient en antichars à Herleville, et les 2 autres à Soyécourt sous les ordres du lieutenant Le Cler de la Herverie.

    Les 2 pièces d'Herleville se retirèrent sans difficultés spéciales avec le 2° Bataillon du 41°.

    Des 2 pièces de Soyécourt, l'une fut perdue, L'autre sauvée. Une pièce était en position à l'est du point d'appui, l'autre à l'ouest, dans le secteur de la 11° Compagnie, sous la direction immédiate de La Herverie. L'ordre de se retirer lui ayant été donné, celui-ci courut à la pièce de l'est. Artilleurs et attelages étaient partis déjà avec le commandant Jan et l'infanterie. Le Lieutenant ne pouvait malheureusement
    emmener son canon.

    Restait la pièce de l'ouest, Sur l'ordre du capitaine Fauchon (11° du 41°), La Herverie s'en alla le premier avec mission d'appuyer, s'il y avait lieu, la 11° Compagnie.

    La pièce passa derrière le Bois Étoilé, et rejoignit la 1° Compagnie (lieutenant de Saint-Sever) du 41°. Avec les fantassins elle entra dans Rosières. La 1° Compagnie accrochée par l'ennemi se disloqua. La Herverie mit en batterie; les fantassins s'éloignèrent. A ce moment, 3 side cars armés de mitrailleuses s'avancèrent contre les artilleurs. Notre 75 n'avait plus d'utilité en ce lieu, il allait être pris; La Herverie en hâte le fit partir au galop. Mais le Lieutenant était à pied. Tandis que la pièce retrouvait plus loin le 41°,
    l'officier se joignit au petit groupe de fantassins de l'adjudant-chef Rochard et du sergent Morazin; après une retraite difficile, que j'ai racontée plus haut, il échappa à l'ennemi.

    Nous laissons derrière nous bien des camarades tués; il y en a partout dans la boucle de Ia Somme; les blessés sont au nombre de plusieurs milliers; et il reste les prisonniers.

    De la 19° Division, il ne subsiste plus qu'un groupe de 155, sous les ordres du commandant Nicole; Un groupe de 75, celui du commandant Schérer ; une partie du Génie; une moitié du G. R. D. 21, un millier de fantassins du 41°, auquel se joint la C. H. R. du 117° R. I.; L'État Major de la Division et les services.

    Nous étions arrivés 16000 !!! 3000 hommes, tout au plus descendaient.

    La 7° Division Nord-Africaine, notre voisine de gauche, s'en allait également, et par la même route.

    La 29° D . I. (général Gérodias) notre voisine de droite, avait perdu en deux jours: le 112° R.I, sa demi-brigade de chasseurs, (moins 2 petites compagnies); les États-Major de la demi-brigade de chasseurs du 94° d'Artillerie de montagne; l'État-Major de l'Infanterie Divisionnaire, et plusieurs batteries.

    Nos morts restèrent sans sépulture jusqu'au 21 juin. A partir de ce jour-là, M. l'abbé Pierre Turcry, curé d'Estrées et son frère, l'abbé Jean Turcry, curé de Belloy, et de 9 villages avoisinants, aidés d'une partie de la population, maintenant revenue, les ensevelirent avec un zèle pieux.

    C'était un spectacle effrayant, m'a dit 'l'abbé Turcry, que celui de ces nombreux morts.

    Sur le monument que peut-être un jour on élèvera là, à leur mémoire,on pourra, ce me semble, graver la fière devise de la Bretagne : « Potius mori quam foedari »  - « Plutôt mourir que manquer à l'honneur ».

    Dans les villages que nous abandonnions, beaucoup de maisons étaient en ruines; et pas une des charmantes églises, toutes neuves; n'est en bon état ; plusieurs ne sont que des amas de pierres et de briques.

    La 19° Division a succombé avec honneur dans une lutte terriblement inégale. Les citations à l'ordre de l'Armée accordées à la 19° D.I, collectivement, et à quelques unités survivantes: 41° R. I.,:22° Étranger, 10° R. A. D., G. R. D. 21; 3° groupe du 10° R., A. D en témoignent. Toutes les autres eussent mérité le même honneur.

    Je transcris seulement les citations de la 19° D. I, du 41° RI et du G. R. D. 21, n'ayant pas les textes des autres.

    19° Division d'infanterie: Au cours des combats des 5 et 6 juin 1940; s'est montrée digne de son magnifique passé de gloire militaire. Attaquée par un ennemi disposant d'une aviation de bombardement
    puissante et d'innombrables engins blindés, a tenu sur place sans aucune défaillance, encerclée dans ses points d'appui. Ne s'est repliée que sur l'ordre du Commandement, sans que l'ennemi ait réussi à la rompre, ni à la bousculer.
     

    41° Régiment d'infanterie: Superbe régiment dont la fermeté et l'abnégation peuvent être citées en exemple. Les 5 et 6 juin 1940, submergé dans ses points d'appui par des éléments blindés, soumis à
    des bombardements d'aviation et d'artillerie d'extrême violence, le 41° Régiment d'Infanterie, sous les ordres du lieutenant-colonel Loichot a tenu magnifiquement, fait de nombreux prisonniers, et ne s'est replié en combattant que sur l'ordre du Commandement, accomplissant avec succès un mouvement de repli particulièrement difficile.

    21° groupe de reconnaissance: Au cours des 5 et 6 juin 1940, occupant un point d'appui constamment pris à partie par l'aviation, l'artillerie et les blindés ennemis, a tenu d'une façon splendide, presque sans
    pertes, grâce à une organisation défensive, remarquable. A constamment fourni au Commandement les renseignements les plus précieux malgré l'ennemi qui l'encercle.

    Mieux encore que ces citations, un chapitre du livre écrit par le capitaine Ernst Freiherr von Jungenfeld,
    commandant un groupement de chars, pour raconter l'attaque de sa Division panzer sur le Santerre, montrera que la résistance de la 19° Division, celle du 117° en particulier, fut valeureuse, et que si nous eussions eu des chars pour contre-attaquer, la bataille de la Somme eût été un dur échec pour l'ennemi. . .


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  • Dans la nuit du 6 au 7, à 2 heures du matin, l'ordre fut remis aux Bataillons du 41° de se replier derrière l'Avre; il arrivait bien tard pour être facile à exécuter; le 1° Bataillon, et, au 3° Bataillon, la 11° Compagnie, touchés par l'ordre ne purent se dégager de l'étreinte; seules passèrent les Compagnies du 2° Bataillon, et la 9° Compagnie du 3° Bataillon avec une partie de la C. A. S, et les Compagnies régimentaires.

    Quant à la 10° Compagnie, complètement encerclée depuis 3 jours, elle ne peut être avertie par des coureurs qui ne sauraient passer, et l'ordre de rejoindre le commandant Jan, transmis par la radio du P. C. R. I. ne fut pas entendu par le poste de la 10°. L'eût-il été, que l'exécution eût été impossible; Le Moal et ses hommes n'eussent pu sortir de Fay.

    Le matin du 7, il n'y a plus de munitions pour les armes d'infanterie, ni pour les mortiers et le canon de 25. Les mitrailleuses sont encore abondamment pourvues. Il n'y a plus ni vivres, ni eau, depuis le 4 juin.

    Au petit jour, le bombardement recommence. Comme la veille, l'ennemi tire dans les maisons avec des obus de 25 antichars, car les balles de mitrailleuses sont sans efficacité.

    Un obus de 105 traverse les murs de la maison où la pièce du caporal Chareaudeau est en position. Heureusement, il n'éclate pas, et tombe juste au dessous du canon de la mitrailleuse. Un mitrailleur va l'enterrer dans le jardin.

    La fin de la résistance approchait.

    Voici comment se fit la reddition de la petite garnison : une centaine d'hommes valides.

    Vers 8 heures, les Allemands agitent un drapeau blanc, au barrage de la route d'Estrées; les hommes de la section Dugast, retranchés dans le cimetière, tirent sur cet objectif. Dugast arrête ce tir inutile.

    A 10 h 45, un officier allemand se présenta porteur d'un drapeau blanc. Il demande qu'on cesse de résister. les troupes allemandes, dit-il, se rapprochent de Paris; vous êtes encerclés par deux bataillons de mitrailleurs et l'artillerie, vous ne pouvez pas reculer; si vous ne vous êtes pas rendus ce soir, l'artillerie de gros calibre bombardera le village.

    A ce moment précis, le brave Chareaudeau vient au P. C. pour se rendre compte de ce qui se passe. Il trouve le lieutenant Le Moal bien triste. On discutait alors les propositions de l'ennemi. Le docteur Renaud, qui assistait à la délibération, rend à Le Moal le témoignage qu'il ne voulait pas se rendre et qu'il désirait essayer une sortie pour échapper a l'encerclement. Cette sortie, hélas n'était pas possible.

    Renaud me dit encore que Chareaudeau ne voulait pas non plus entendre parler de reddition, il invoquait à l'appui de son refus tous les cadavres allemands alignés devant sa mitrailleuse, et ceux qui s'y ajouteraient encore, car il avait beaucoup de munitions pour ses pièces. Il fallut 20 minutes pour convaincre ce courageux garçon que la reddition s'imposait, car on ne pouvait plus tenir, et il fallait penser aux blessés, dont quelques uns déjà étaient morts.

    La reddition inévitable fut décidée. Le Moal, rapporte le sergent Bernard (de la 10°), envoya d'abord sa réponse aux propositions allemandes par le soldat Scoonen, qui s'était fait remarquer par son courage (Bernard dit même: sa témérité). Conduit les yeux bandés au Commandant ennemi installé dans le bois, il ne fut pas agréé. On voulait un gradé. C'est alors que le sergent Forlani, sous-officier de renseignements du 3° Bataillon et adjoint à la 10° Compagnie (et qui parlait bien l'Allemand), fut envoyé par le lieutenant
    Le Moal pour annoncer que la garnison cesserait le combat.

    L'officier allemand demande à Forlani combien il y a d'hommes: une petite compagnie, et sur le nombre 48 blessés. Étonnés de la résistance rencontrée, les officiers allemands déclarèrent par la suite en présence de Hiegentlich qui comprenait leur langue: Nous, croyions que vous étiez beaucoup plus nombreux, et que vous aviez 5 canons de 25.

    Je l'ai dit, il n'y en avait qu'un seul.

    Un peu plus tard, l'ordre est donné aux hommes de se rassembler; ils ont une demi-heure pour se préparer, et faire leur sac; ils doivent se rendre avec leurs armes individuelles. Les mitrailleuses sont démontées et rendues inutilisables, ainsi que le canon de 25.

    Chareaudeau écrit dans ses notes: Nous autres, à la mitraille, nous avions encore beaucoup de cartouches, et cela nous faisait un peu mal au coeur de nous rendre.

    Les hommes valides se réunissent devant le poste de secours. On se mit en colonne par 4, sac au dos, l'arme à la bretelle. Nous avions brûlé nos lettres. Les blessés restèrent à l'infirmerie. Nous marchions sur la route au devant d'eux (les Allemands). En sortant du village nous continuions d'avancer en tenant nos fusils au dessus de nos têtes, bien en ordre, et marchant bien au pas. A 300 mètres du village,
    les officiers allemands nous attendaient. Ils nous dirent : Vous vous êtes très bien défendus, et vous nous avez infligé de lourdes pertes. Ils croyaient que nous étions un Bataillon.

    Ils demandèrent que leur fût présentée la 2° section, de Dugast, qui avait défendu le cimetière, et manifestèrent leur étonnement devant un si petit nombre d'hommes.

    D'après Chareaudeau, que je viens de citer, les officiers auraient été autorisés à garder leur révolver. Je n'ai pu vérifier ce détail.

    Le docteur Renaud, qui a vécu toutes ces heures tragiques, m'a raconté la discussion qu'il eut avec l'officier allemand. Celui-ci déclara qu'on allait fusiller un certain nombre de nos hommes, car ils avaient tiré sur un side-car de la Croix Rouge, venant de Dompierre.

    Renaud lui répliqua: « à la nuit tombante, on n'avait pas pu voir la Croix Rouge; si les hommes l'eussent vue; ils n'eussent pas tiré, d'autant plus que la section était commandée par un adjudant prêtre, le Père Dugast ». Il eût pu répondre encore que les Allemands depuis trois jours tiraient constamment par obus et par balles sur le poste de secours, et que souvent ils avaient mitraillé nos brancardiers.

    Il ajouta: « Vous pouvez évidemment faire ce que vous voulez, puisque nous sommes entre vos mains, mais ce ne serait pas agir en soldat. »

    L'officier s'éloigna en grommelant, et il ne fut plus question de ces cruelles représailles.

    A la sortie de Fay, nos hommes passèrent à côté de deux camions qui venaient de sauter sur nos mines. Le drapeau à croix gammée flottait sur la grande ferme belge.

    A 19 heures, des ambulances emmenèrent les blessés les plus gravement atteints, et parmi eux le lieutenant Bernard.

    La 10° Compagnie du 41° a écrit une magnifique page d'histoire.

    Le Capitaine, abbé Dorange, et ceux qui sont morts avec lui en seront, pour les pèlerins du souvenir, d'admirables témoins, rangés autour de l'église en ruines de Fay.

    On comprendra quel héroïsme s'est dépensé là, quand on verra que les morts allemands appartiennent à 11 unités différentes.

    On songe à un rocher de la côte bretonne, sur lequel viennent buter et mourir les vagues, à l'heure de la marée, jusqu'à 'ce qu'enfin il soit submergé.

    Dans une note qu'il m'a remise, le docteur Renaud écrit: Ces soldats et leurs chefs s'étaient battus comme des hommes et même, je puis le dire, pour beaucoup d'entre eux, comme des héros. Les Allemands eux-mêmes le reconnurent . . . Pour mon compte, je puis insister sur le dévouement et le courage sans limites dépensés par mes brancardiers de bataillon, et particulièrement par mon caporal-chef Lécrivain,
    prêtre et infirmier, et par Duval, toujours volontaires pour toutes les missions dangereuses. Et Dieu sait si c'en était une d'aller chercher les blessés dans ces conditions! Pour avoir soigné des blessés allemands, je pus obtenir de leurs médecins deux autos sanitaires, qui, dès le soir du 7 juin emmenèrent mes 8 blessés les plus graves. Je restai seul avec les autres; car les Bataillons allemands avaient repris leur marche sans s'inquiéter de nous. Le village dévasté n'était gardé que par cette petite bande
    de blessés (une quarantaine). Deux fois, pendant cette soirée, passèrent des détachements allemands; deux fois, ils se précipitèrent sur nous, l'arme au poing, nous obligeant à lever les bras, et croyant faire des prisonniers. Puis la nuit (du 7) tomba. Les camions qui devaient venir nous chercher n'arrivaient pas. Dans la crainte d'une nouvelle méprise allemande qui, cette fois, aurait pu être fatale, je fis rentrer tout mon monde dans la cave. La nuit fut longue ainsi pour moi. Le lendemain: (8 juin) vers midi seulement, j'aperçus de nouveau des Allemands et pus obtenir qu'on m'envoyât des camions. Le Soir, enfin, nous étions à Saint-Quentin, installés dans un hôpital français. Notre vie de prisonniers commençait.

    Ainsi s'achève le récit du docteur Renaud.

    J'ajoute qu'au témoignage de tous, sa conduite fut très exemplaire.

    Avant de quitter Fay, Renaud put obtenir à: grand peine de l'ennemi qu'on ensevelît Dorange, dont j'ai raconté la mort courageuse. L'abbé Lécrivain n'eut pas la permission de rendre à son confrère de Rennes ce dernier service, Un brancardier allemand promît de faire le nécessaire.

    Le corps de Dorange fut déposé dans une petite tranchée qu'avaient défendue ses hommes, à la lisière du cimetière, à quelques mètres du calvaire. Ainsi Derange, au point le plus avancé de la bataille, reposait près de la Croix de son Maître! « Vous verrez, m'avait-il dit, je n'en reviendrai pas; mais ça ne fait rien. Je n'ai qu'un désir: être auprès du bon Dieu; on y sera beaucoup mieux » . . . 

     

     


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  • Il sera désormais impossible à la 11° Compagnie de nous rejoindre. Elle n'a pu quitté Soyécourt assez tôt. En effet, elle ne s'est mise en route qu'à 4 h 30, alors que le jour avait déjà paru, et que le reste du 3° bataillon s'était mis en marche à 3 h 20 ou 3 h 30 au plus tard.

    Nous allons expliquer ce retard et raconter comment finit cette courageuse Compagnie. Ce nous sera une
    occasion de constater le magnifique caractère de Fauchon qui voulait combattre sur place, dans son point d'appui organisé solidement, car il se doutait bien qu'une rencontre sur la plaine avec les blindés allemands le ferait tomber, sans qu'il pût se défendre efficacement, entre les mains de l'ennemi.

    Sur cette épisode, j'ai pour me renseigner le journal de marche du 3° Bataillon, le rapport de Fauchon, les témoignages d'officiers ou d'hommes dont l'admiration pour leur Capitaine est avec raison très grande.

    Le journal de marche s'exprime ainsi :

    A 2 h 10 (le 7 juin) un motocycliste du P. C. R. I. apporte au commandant Jan l'ordre écrit de se replier
    immédiatement au sud-est de Montdidier. Nous n'avons plus qu'une heure et demie de nuit; l'opération est très hasardeuse . . . Le commandant transmet immédiatement par écrit l'ordre de repli... au capitaine Fauchon. Ce dernier vient de rendre compte que sa Compagnie serait engagée au nord de son point d'appui et qu'il refuse de se replier. En moins d'une heure, le Bataillon, 9° Compagnie en tête, convoi hippo fermant la marche, toutes les munitions et le matériel embarqués, se met en route. Seul le 75 du P. A. Fauchon est là ... A Vermandovillers, le commandant Jan... attend la 11° Compagnie à qui il vient de renouveler-l'ordre de repli.

    En des circonstances aussi dramatiques, où tout l'effort de l'attention est tourné vers l'action, il n'est pas facile de noter avec une grande précision les heures. Je m'en tiendrai à celles qui me sont données par les témoignages et les documents.

    Vers 2 h 30, des éclaireurs allemands incendient un bâtiment à 50 mètres du point d'appui de Fauchon.

    A 2 h 45, le commandant Jan communique par écrit au Capitaine de la 11°, l'ordre de repli du lieutenant-colonel Loichot; par écrit aussi, Fauchon répond négativement. Convoqué par le Commandant, il confirme sa volonté de ne pas s'en aller, alléguant que sa Compagnie, au nord, est engagée avec l'ennemi et que le décrochage n'est pas possible.

    On avait entendu, en effet, à un certain moment, dans la nuit, des tirs du côté de la 11°, déclare Morini, secrétaire du commandant Jan, et le sergent Rondel, de la 11°, assure que l'ennemi, très visible, n'était qu'à 200 mètres.

    La véritable raison du refus de Fauchon est à chercher, selon un autre témoignage, dans le sentiment profond qu'il avait de son devoir: « l'idée de se replier lui mettait la rage au coeur ».

    Il fait sans doute allusion à cette conversation avec son chef quand il écrit dans son rapport : « A 3 h 30, comme nous Iancions des V. B. au jugé, je suis appelé au P. C. de Bataillon. C'est l'ordre de retraite; la 11° Compagnie est d'arrière-garde. Je demande un ordre écrit ».

    Avant de partir, le commandant Jan lui envoie un nouvel ordre; mais la 11° ne vient pas encore; elle suivra; trop tard.

    Il résulte du rapport de Fauchon qu'après sa visite au commandant Jan, il se décide à mettre à exécution l'ordre reçu, et prend les mesures nécessaires :

    Je passe mes ordres pour un décrochage méthodique, l'itinéraire et la formation de retraite, en bluffant l'ennemi par des tirs de mortiers et de mitrailleuses. Le départ se fait sans pertes, sans rien abandonner, et en faisant, en cours de route, les destructions nécessaires.

    A 4 h 30, seulement, la 11° Compagnie, la section de mitrailleuses du sous-lieutenant Catherine-Duchemin, la section de mortiers de 81 avec leur armement et leurs munitions, évacuent Soyecourt, dans un ordre parfait, « comme au retour d'une manoeuvre », disent les hommes de Fauchon. La colonne n'avait pas de canon de 25. Un peu auparavant, le lieutenant Le Cler de la Herverie était parti,
    sur l'ordre de Fauchon, avec un canon de 75 en position dans le secteur de la 11°. L'autre pièce, installée dans le secteur de la 9° Compagnie, à l'est, dut être abandonnée, la section qui la servait étant partie avec les attelages précipitamment pour suivre le gros du 3° Bataillon du 41°.

    Avant de quitter le point d'appui, le Capitaine fait mettre le feu au matériel et aux munitions qu'on n'avait pu
    emporter.

    Après la traversée de Vauvillers (à l'ouest d'Herleville) un avion allemand repère la colonne. Du côté de Rosières en Santerre, vers lequel s'étaient dirigés des éléments du 1° Bataillon, on entendait des mitrailleuses. Harbonnières était bombardé.

    La 11° évita plusieurs villages; vers 7 heures, elle passa dans une localité où elle trouva plusieurs caisses de pain de guerre que les hommes affamés se partagèrent.

    L'itinéraire conduisit nos hommes à Caix.

    A quelques 500 ou 600 mètres, des voitures grises circulaient sur une route; déjà entre Rosières et Caix, la 11° recevait des balles dans le dos; il y avait des blessés; un certain flottement se manifestait chez les hommes.

    Cependant nos fantassins, suivis de leurs voiturettes, arrivaient à la voie ferrée qui relie Chaulnes à Amiens, à proximité d'un pont, à 2 kilomètres environ de Caix.

    A 200 mètres de ce pont, la Compagnie en colonne double reçoit un tir de mitrailleuses de flanc à gauche, et dans le dos. Plusieurs hommes tombent.

    Par bonds successifs, Fauchon entraîne la section de tête, à gauche; les mortiers de 81 suivent, jusqu'au pont. On essuie des rafales ajustées de mitrailleuses.

    Comme la 11° était en train d'exécuter l'ordre de passer à l'abri de la route en remblai du pont, une attaque de char et engins motorisés allemands débouche dans ce compartiment du terrain. Le caporal-chef Ben Khouty, le soldat Lainé, d'autres encore, sont tués par ce tir; une quinzaine d'hommes sont blessés. La Compagnie se trouvait sur deux billards balayés par les mitrailleuses allemandes.

    Elle allait tomber aux mains de l'ennemi.

    Le rapport du capitaine Fauchon va nous décrire ces derniers instants :

    L'unité motorisée fonce en tirant, s'arrête en continuant de tirer, puis subitement interrompt son tir. Je vois avec stupéfaction surgir d'une tourelle de char un homme dont je ne saurais dire qu'il a un casque allemand. Il lève les deux bras et reste ainsi comme s'il faisait « camarade! » Alors, pensant à la soirée stupide du 29 mai, à Fay, où la 11° avait subi par erreur le feu de chars français, dont les mitrailleuses
    faisaient en tirant le même bruit que les mitrailleuses allemandes, j'en viens à me demander : « Est-ce encore une méprise? » serait-ce un début d'entrée en scène d'un de ces chars français dont on nous a annoncé qu'ils viendraient à la rescousse? Et sans doute ne suis-je pas le seul à avoir ce réflexe, car mes voltigeurs ne tirent plus. L'on n'entend plus que les rafales de mitrailleuses de l'autre côté du remblai. Je brandis alors le fanion de la Compagnie au canon d'un mauser, et bondis vers le char immobile toujours
    surmonté du buste du type faisant camarade, qui se trouve être l'élément du dispositif motorisé le plus rapproché de la tranchée de la voie ferrée. En partant, je dis à mes voisins, des hommes et gradés de la section Véron et des mortiers de 81 : « Si ce ne sont pas des Français, ils me tireront dessus
    » ou voudront me prendre; alors, ne vous occupez pas de » moi; tirez ». J'avais, en effet, pleine confiance en Holtz, que chacun à la 11°, savait nommérnent désigné par moi, pour prendre le commandement de la Compagnie, si je venais à être descendu. En avançant, je m'aperçois qu'il s'agit d'Allemands. Je me retourne en criant: «Ce sont les Boches! Feu l » et j'oblique vers la gauche. A ce moment, quelqu'un
    arrivait derrière moi. C'est Holtz qui me dit: Mon Capitaine; regardez votre Compagnie, comme ils se sont
    tassés!» Les Allemands se sont remis à tirer et manoeuvrer; le char portant leur chef tire à droite, où je suis. Mais tirez! » Feu! Mon Capitaine, vous allez faire massacrer votre Compagnie. S'il y en a qui veulent se rendre, je ne me rends pas. » Et je m'écarte vers le ravin de la voie ferrée,en roulant le fanion. Je me laisse tomber dans le ravin, au fond duquel une équipe de F. M. commence à me suivre de loin, puis renonce. Là-haut, aux cris en allemand, puis à la cessation du tir, je comprends que les survivants sont cernés et prisonniers. Je cache le fanion et fais le mort pendant un temps que le bris de ma montre m'empêche d'apprécier. Puis je rampe jusqu'à une cabane de la maison du garde barrière où j'étudie la carte et observe. Des side-cars et camions ennemis traversent le passage à niveau. Les survivants
    de la 11° ont disparu, emmenés en captivité. A un moment favorable, je gagne le ravin qui contourne Caix,
    pour tenter de rejoindre la 9° Compagnie et le Chef de Bataillon. Je retrouve et suis des foulées de colonne par un, que des musettes jetées par des hommes du 41° m'incitent à croire la bonne voie. A hauteur de Caix, je tombe dans une embuscade allemande, braquant sur moi une mitraillette
    et des mauser. Décidé à m'évader à la première occasion (comme je l'avais fait de Saint-Quentin le 7 avril 1918, en uniforme allemand), je dis en allemand: Je viens; je suis seul! et parle de ma compagnie. Le sous-officier qui commandait le groupe me déclare: Je sais. On nous a parlé de la Compagnie cernée. Les survivants sont prisonniers, et il se mit au garde-à-vous devant moi. J'étais prisonnier.
    L'officier commandant la compagnie allemande me dit : Schiksal  (C'est la destinée.) et me salua quand je le quittai; il me laissait mon étui à pistolet. J'avais deux grenades F. 1 dans les poches de ma capote. 

    Le 10 juin, je réussis à quitter la colonne de prisonniers avant Péronne, et me camouflai, pour attendre la nuit, dans un buisson d'orties; mais à Péronne, sous la menace de fusiller 5 officiers et 5 soldats si je n'étais pas ramené, les Allemands réussirent à trouver deux lâches (dont aucun n'était de mon unité, et dont l'un était étranger) qui guidèrent une camionnette boche jusqu'à ma cachette.

    A ce récit de Fauchon, je puis ajouter quelques détails qui m'ont été rapportés par le sergent Clément Angibault :

    Les hommes de la 11° connaissaient le lieu où se terrait leur Capitaine, mais ne le révélèrent pas.

    Fauchon éclata en fureur contre l'officier qui l'avait trahi et lui reprocha avec raison d'avoir manqué à son devoir. Quant aux Allemands, ils tournèrent en dérision la lâcheté des deux individus qui avaient aidé à reprendre le Capitaine de la 11°, car évidemment ils n'auraient pas fusillé des officiers.

    Une remarque pour terminer ce chapitre:

    Peut-on supposer que le retard de la 11° Compagnie obligea les colonnes ennemies lancées à la poursuite du 41° à attendre? et qu'ainsi un réel service fut rendu au 2° Bataillon et aux restes du 3°? C'est admissible.

    On doit, en tout cas, admirer le courage et l'ardeur du vaillant soldat qu'est le capitaine Fauchon . . .


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  • Très vite les préparatifs s'achevèrent pour la 9° Compagnie du capitaine Dunand, et 2 sections

    de la C.A.3.

    La 9° se mit en marche vers l'ouest. Elle rencontra, à Herleville le 2° Bataillon qui se mit à sa suite; puis venait la section de Commandement du 3° Bataillon, avec le commandant Jan et sa liaison.

    La 11° Compagnie, capitaine Fauchon, ne suivit pas tout de suite, bien que le commandant Jan eût renouvelé l'ordre de départ. On dira tout à l'heure le motif de ce retard.

    En cheminant vers Herleville, les hommes passèrent à côté de nombreux cadavres allemands et d'un nombreux matériel abandonné le 5 juin par nos assaillants. Ils apercevaient, au loin, au carrefour de la route de Chaulnes, deux automitrailleuses ennemies et des colonnes d'artillerie filant au trot en divers sens.

    La 9° Compagnie après Herleville, emprunta la route de Rosières. En arrivant dans ce grand village, chacun put contempler dans sa rudesse le spectacle des ruines produites par la guerre: des incendies, des maisons écroulées sous les bombes des avions, des entonnoirs; auprès de la barricade, à
    l'entrée, les carcasses de deux auto-mitrailleuses allemandes.

    Le commandant Jan laissa passer la colonne, et, deux fois, s'arrêta pour attendre la 11° Compagnie, une première fois à Vermandovillers, une seconde fois à Rosières, n'ayant gardé avec lui que son adjoint, le lieutenant Hervé, l'adjudant-chef Roger et sa liaison.

    Fauchon ne venait toujours pas; à Rosières, l'ennemi se réveillait. Le commandant Jan et sa petite troupe y sont mitraillés; un coup de mortier leur est envoyé. Déjà la colonne du 41° R.I. était à 2 kilomètres. Il fallait partir!

    Quand, un peu plus loin, Jan se retourna une dernière fois, ce fut pour constater que la 1° Compagnie essayait d'entrer dans Rosières, et était aux prises avec l'ennemi.

    C'est fini. Personne ne passera plus.

    Au Quesnel, tout à l'heure, les malheureux restes de la 1° Compagnie, après leur rude contact de Rosières, seront capturés.

    Tandis que s'éloigne la 9° Compagnie, la 11° Compagnie aborde trop tard Rosières. Le tir de l'artillerie allemande l'annonce de loin.

     A Hangest-en-Santerre, les hommes du 3° Bataillon se ravitaillent un peu; des escadrilles allemandes les survolent, sans les mitrailler. Enfin, vers 10 h 30, l'Avre est franchie à Davenescourt. Tout ce qui subsiste du 41° se rassemble dans le bois de Becquigny, avant de continuer sa route sur Montdidier . . .


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  • Le repli du 2° Bataillon

    Le deuxième Bataillon put quitter Herleville sans aucune difficulté. La nuit avait été fort calme, et l'on se souvient que les environs du point d'appui avaient été sérieusement nettoyés dans la journée du 5 juin.

    L'ordre de repli, apporté à 2 h 15, fut immédiatement communiqué aux Compagnies (5°, 6° et C. A. 2).

    Vers 3 h 15, on se mit en route dans l'ordre suivant : section de pionniers, section de Commandement du Bataillon, 6° Compagnie, 5° les sections de la C. A. 2 étaient réparties dans le Bataillon.

    Je dois tous ces détails précis au sous-lieutenant Geffray, de la 6°, et Cocault, de la C. A. 2, qui ont noté heure par heure les événements.

    La 5° fermait la marche pour faire, éventuellement, la liaison, avec le 1° Bataillon qui devait suivre. On vient d'en lire la douloureuse histoire.

    La 9° Compagnie (3° Bataillon) précédait, sur la route d'Herleville à Rosières, le 2° Bataillon.

    Entre 4 h 30 et 5 heures, se suivant à de longs intervalles, les sections traversèrent Rosières, sans rencontrer d'opposition, bien que de tout petits groupes déjà auparavant eussent été attaqués par l'ennemi installé dans le village. Peut-être un quart d'heure après eût-il été trop tard! Car un kilomètre à l'ouest de Rosières, le 2° Bataillon put entendre le combat de la 1° Compagnie, aux prises avec l'ennemi.

    Au delà de Rosières, le Bataillon passa par Caix, Le Quesnel, Hangest-en-Santerre, et il atteignit Davenescourt, où il retrouva le lieutenant-colonel Loichot, les Compagnies régimentaires et les restes du 3° Bataillon . . . 

    Le repli du 3° Bataillon

    L'histoire, du repli du 3° Bataillon est glorieuse à bien des égards, mais elle est aussi douloureuse.

    Là encore, il faudra un récit différent pour chacune des 3 Compagnies, car leur destin ne fut pas identique.

    A 2 h 15, l'adjudant Koupferschmitt apporta l'ordre de quitter Soyécourt au commandant Jan, et de se replier au sud-est de Montdidier. Il fallait se hâter, car il n'y avait plus qu'une heure et demie avant le lever du jour.

    La 10° Compagnie, encerclée dans Fay, ne put être avertie, mais la 9° et la 11° le furent immédiatement par écrit.

    L'itinéraire assigné, le plus direct, le seul aussi par où l'on eût quelque chance d'échapper à l'ennemi passait par Herleville, Vauvillers, Rosières, Caix, Le Quesnel, Hangest, Davenescourt, où le 3° Bataillon franchira l'Avre pour se regrouper dans le bois de Becquigny, autour du lieutenant colonel Loichot . . . 

     


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  • Ici, mieux vaut laisser la parole à Goësbriant, dont j'ai l'émouvant récit :

    Je demande à Morin ce qu'il fait : Je ne veux pas être prisonnier! On fout le camp ! Tout de suite nous partons. Nous filons le long d'une haie; par bonheur, il y en avait. Un troisième se joint à nous. Après une cinquantaine de mètres, nous nous camouflons dans une haie, au bord d'une route secondaire.

    Il était temps. Sans nul doute, le Bataillon était déjà prisonnier en entier. Cinq minutes ne s'étaient pas écoulées que des Allemands battaient les environs pour recueillir les derniers réfractaires. L'homme qui s'était joint à nous n'avait pas eu la précaution de se mettre comme nous deux dans la haie. Il s'était placé à 7 ou 8 mètres de nous, au bord de la haie, du côté de la route. Il fut ramassé. Nous ne fûmes pas
    vus. Nous ne respirions plus. Ils partent, mais c'est un défilé toute la soirée sur la route, d'autos, motos, soldats. Nous décidons à voix basse de demeurer jusqu'à la nuit. Nous partageons quelques biscuits et le chocolat restés dans nos musettes. Nous dînons d'un pot de confitures que par bonheur nous avions avec nous. Nous récitons notre chapelet, et nous nous confions ardemment au Bon Dieu et à la Sainte Vierge.

    A 11 heures du soir environ, le calme s'est fait; mais un poste est certainement tout près, car les autos font halte à quelque 30 mètres de nous, et nous entendons parler. Des hommes travaillent sur la route; nous entendons frapper. Enfin, nous sortons de notre haie, rampons pendant environ 3/4 d'heure à travers champs. Enfin, nous pouvons nous relever et marcher. Nous avions décidé de marcher en direction du
    sud-ouest, vers Montdidier. Nous nous appuyons l'un I'autre, car le chef Morin boîte un peu, et moi j'ai l'oreille dure. Il nous fut d'abord impossible de suivre la direction projetée. Des lumières, et toujours des coups que l'on aurait crus frappés sur des piquets nous mettaient en garde. Nous marchons donc vers le sud d'abord, et finalement traversons la route pour aller alors franchement au sud-ouest. Nous avions
    une boussole et la nuit était assez claire pour nous permettre de nous diriger à peu près.

    Vers 3 h 30 ou 4 heures du matin, le 8, la brume se lève légèrement et nous empêche de voir comme nous voudrions. Nous décidons d'arrêter d'ici peu. D'ailleurs, le jour ne va pas tarder. Mais pas un abri, la plaine partout. Pourtant nous sommes presque heureux. Crac! 4 ombres. Nous nous planquons et attendons en nous consultant quelques instants. Rien ne bouge. Est-ce des Français, qui tentent de rejoindre comme 
    nous? Est-ce des Allemands? Impossible de savoir. Pas un bruit. Nous nous relevons. C'étaient des Allemands. Ils nous font une sommation. Nous décampons comme des lapins. On nous tire dessus. Je suis blessé d'une balle dans la cuisse. Nous nous rendons.

    C'était le 8, au matin, à Maucourt.

    J'ai trouvé d'un bout à l'autre la conduite du chef Morin très digne, audacieuse et courageuse. J'étais heureux de le suivre.

    A l'hôpital, à Saint-Quentin (Hôpital Henri-Martin), où je fus envoyé, je trouvai les médecins lieutenant Dupuis, et sous-lieutenant Viaud, du 1er Bataillon. Je fus, en qualité de soldat du 41° confié aux soins du docteur Dupuis.

    Le docteur Dupuis a vu plusieurs blessés à Lihons. Il organisa le transport de ceux-ci, à défaut d'autres moyens, dans une charrette, qui dut être tirée, si je me souviens bien, par des camarades, sous la direction des Allemands.

    Je crois pouvoir affirmer que, c'est grâce à lui que le soldat Bertrand, de la 2° Compagnie, a été sauvé (il avait été blessé au genou).

    Du 41°, j'ai retrouvé à Saint-Quentin, le lieutenant Agnès de la 3° Cie, blessé au pied; Texier, de l'État-Major du 1° Bataillon, cycliste du Commandant; Quiviger et Le Bihan de la 10° Compagnie. D'autres encore se trouvaient là du 3° Bataillon. Le Bihan est amputé. Il a souffert énormément à l'hôpital et a été bien près de la mort à plusieurs reprises. Quiviger a été envers lui d'un très grand dévouement . . . 

     


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  • Le groupe de chef du Bataillon

    Avec 80 hommes environ, parmi lesquels Roger Cotto, qui fut toujours dans l'entourage du capitaine Giovanini, le Commandant du Bataillon passa au sud de l'église de Lihons s'engagea dans un chemin qui, à travers champs aboutissait à un bois situé sur la route de Chaulnes: un canon de 155 abandonné s'y trouvait encore. C'est là que, vers 15 heures, Ils furent capturés et conduits à Chaulnes où ils rencontrèrent
    les médecins et les gradés du Bataillon. Quand il fut en présence de ses officiers, le capitaine Giovanini écrit Roger Cotto, les embrassa en pleurant.

    Groupe du Sergent-chef Olivier

    Le soldat Pierre Texier, de la C. A.1  note que, vers 16 heures, I' ennemi entra dans Lihons, une mitrailleuse tira une dernière bande, et ce fut la fin de la résistance. Le sergent -chef Olivier avec une cinquantaine d'homme et le médecin-lieutenant Dupuis furent pris.

    Après sa capture, Pierre Texier fut grièvement blessé par une balle, qui à l'extraction, se révéla être française. Avec lui, furent également blessés un autre soldat, et Albert Bertrand, celui-ci très gravement.

    3° Compagnie

    Les restes de la 3° Compagnie se partagèrent en deux groupes:

    Le premier, sous les ordres du sous-lieutenant Coudineau

    Le second, sous le commandement du sergent-chef Morin. A lui se joignit l'équipe du canon de 25 de Goësbriant.

    Morin partit dans une direction opposée à l'église de Lihons, vers le sud, traversa une grande route, des maisons, des jardins, et arriva devant une mare, sur le bord d'une autre route goudronnée celle-là. Entre Rosières et Lihons, on entendait encore le bombardement; mais Hubert de Goësbriant ne peut dire qui en était l'objet.

    En face de cette mare, le groupe Morin s'arrêta. Les hommes de tête affirmèrent qu'il était impossible de franchir l'obstacle. On demeura là pendant 10 minutes environ. Plusieurs parlaient de se rendre. Effectivement, quelques minutes après, malgré les efforts du chef Morin, plusieurs commencèrent à s'en aller vers la captivité. Debout, à quelques mètres, Morin assistait, impuissant, à ce défilé, auquel s'ajoutaient à tour de rôle de nouveaux découragés. Ils étaient rompus de fatigue, d'énervement et ne réagissaient plus.

    C'est alors que Morin, Hubert de Goësbriant, et un troisième, dont je n'ai pas le nom, partirent, résolus à franchir le cercle des ennemis . . . 


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  • La 1° Compagnie s'était éloignée; les autres partirent à leur tour, dès qu'elles furent rassemblées, vers 4 heures.

    Déjà il faisait jour. Il m'a été impossible de savoir dans quel ordre les 2°, 3° Compagnies et la C. A. l s'acheminaient. Le capitaine Giovanini, commandant le 1° Bataillon, avec son État-Major, marchait devant la C. A. 1.

    Les deux canons de 25 de la C. A. étaient tractés par une chenillette, chargée de toutes les munitions; les deux canons de la C. R. E. par l'une des chenillettes venues en renfort.

    Tout de suite, la colonne quitta la grande route et s'engagea en direction du sud par un chemin de terre; elle passa à droite du Bois Étoilé; il y avait là des tas de douilles d'obus, et des obus prêts pour le tir.

    Après le Bois Étoilé, la colonne continua sa route, dans la plaine. Des avions ennemis la survolaient à basse altitude, sans la bombarder.

    Avant d'atteindre Lihons, les compagnies s'arrêtèrent dans la ferme isolée de Lihu, sans doute pour reconnaître l'itinéraire.

    Durant 10 minutes les hommes se mirent à l'abri pour échapper aux vues d'un avion de reconnaissance.

    Dans cette ferme située près de la route Vermandovillers - Lihons, le soldat Rouault découvrit un soldat allemand qui fut fait prisonnier. C'était, m'a dit le sergent Bitaud, chef de section à la 3° Compagnie, un jeune soldat; il parlait fort bien le français et semblait plutôt avoir été laissé là pour inciter nos hommes à ne pas poursuivre la lutte, car il leur déclara: Il est inutile de continuer; vous ne pourrez pas
    vous retirer; nous sommes à Rosières.

    La colonne, emmenant son prisonnier, entra dans Lihons, qu'elle traversa sans aucune difficulté, et, à la sortie de ce village, fit une pause de 5 minutes. Elle bifurqua vers l'ouest, vers Rosières. On aperçut alors, à gauche, des autos, des camions, des canons, des chevaux, roulant ou courant à toute vitesse sur la grande route; ils paraissaient venir de Chaulnes. Nos hommes pensaient que ce pouvait être des
    Français, qui, comme eux, se repliaient.

    Les Compagnies s'arrêtèrent, un Lieutenant fut envoyé en reconnaissance.
    Il ne revint pas; vraisemblablement, il avait été fait prisonnier.

    Tout ce qui venait était allemand.

    Presque au même moment, de Rosières on tira sur la colonne avec des mortiers probablement, peut-être avec des canons, Un obus fit chez les nôtres 8 tués et blessés.

    Parmi ces derniers, le sous-lieutenant Agnès et le sergent Armand Bitaud, de la 3° Compagnie.
    Jusqu'alors on avait marché en  ordre ,sur les deux cotés d'un chemin étroit, et l'on était arrivé a 1 endroit d'ou partait un autre petit chemin, dans la direction d'une usine à droite.

    Ce fut un affolement général; en un clin d'oeil, les hommes se dispersèrent sur le terrain, les uns vers la droite, les autres vers la gauche. La 3° Compagnie était alors toute proche de Rosières, sur le point d'y pénétrer. Le plus grand nombre essaya, par un mouvement instinctif, de se, mettre à l'abri derrière les murs de l'usine. Mais le lieu n'était pas sur, et sous le couvert d'un bois, on retourna à Lihons.

    Arrivé là, le capitaine Giovanini remit immédiatement tout son monde en ordre, autant qu'il était possible, et, fit prendre des dispositions de combat. Le sous-lieutenant Pean qui commandait la C. A. 1 le secondait. Ce détail semble indiquer que le Lieutenant fait prisonnier dans la reconnaissance
    dont j'ai parlé, était Bellanger, adjoint au Chef du Bataillon.

    Il était environ 9 heures du matin, quand ces dispositions furent prises. Les mitrailleuses se mirent en batterie autour de LIhons, 3 canons de 25 prirent position. l'un face à Rosières, servi par Hubert de Goesbriant, un autre, avec une mitrailleuse, prenait d'enfilade la route d'Amiens, un troisième battait le carrefour Vermandovillers - Chaulnes. Le canon de Goësbriant n'eut pas à intervenir.

    Le sous-lieutenant Goudineau, dont j'ai dit la brillante conduite à la tête de la sa compagnie, tardant à arriver, le sergent-chef Morin prit immédiatement le commandement de cette Compagnie; le sergent-chef Rio l'aida dans sa tâche d'organisation. Morin avait d'autant plus de mérite que, bousculé la veille par la déflagration d'un obus, il s'était fait une foulure dont il souffrait beaucoup. Mais Morin avait
    de l'énergie; il s'était fait remarquer au corps franc devant Sarrebrück.

    Vers midi, Goudineau à bout de forces rejoignit sa Compagnie, au moment où le 1° Bataillon dut repousser des troupes ennemies venant à l'attaque.

    Deux auto-mitrailleuses, d'abord, se présentèrent par la route d'Amiens, défendue par la 2° Compagnie; l'une de ces auto-mitrailleuses arborait un drapeau blanc, et transportait un Lieutenant français que les Allemands voulaient envoyer en parlementaire. Il s'y refusa énergiquement. Un de 25 et des mitrailleuses avec des balles perforantes ouvrirent le feu sur la voiture blindée qui n'avait que des ennemis à son bord; elle fut projetée dans le fossé, et, semble-t-il, détruite. Roger Cotto et le soldat Albert Bertrand l'ont vue à une très courte distance : 200 mètres environ, peut-être moins. Quant à l'autre, elle s'en alla.

    Il n'était pas encore question de se rendre. Le capitaine Giovanini ne le voulait à aucun prix.

    Mais l'infanterie allemande ne tarda pas à paraître; les ennemis avançaient (en criant comme des sauvages), dit Bertrand (2° Compagnie). Ils furent reçus de la même manière que les auto-mitrailleuses. Dans ce combat, qui se poursuivit jusqu'à 13 heures, nos mortiers envoyèrent leurs derniers obus.

    Il y eut alors un répit d'une demi-heure; puis de nouveau le canon de Rosières se fit entendre; les obus tombèrent sur Lihon. Des chars se dirigèrent vers le village, mais ils furent vus à une assez grande distance.

    Vers 14 heures, le sous-Iieutenant Goudineau et le sergent Morin cherchèrent à se mettre en liaison avec le Commandant du Bataillon. Après une assez longue absence, ils revinrent, disant avoir reçu l'ordre de s'échapper par sections, par petits groupes, s'il était possible. On voyait, en effet, déjà sur les routes des mitrailleurs allemands en marche. On abandonnerait les sacs, le matériel, les canons, pour n'emporter
    que les armes individuelles.

    On démonta la culasse des canons de 25 pour les rendre inutilisables; les 3 chenillettes ne furent pas incendiées, sans doute parce qu'elles contenaient encore quelques grenades F.1 qui eussent pu blesser nos hommes; mais les conducteurs Herpès et Martin, de la C. R. E., Roger Cotto, de la section
    de Commandement du Bataillon, les mirent hors de service.

    Choisir une direction était difficile, car les coups de feu venaient de tous les côtés.

    Pour essayer de mettre un peu d'ordre dans le récit de ces dernières heures du 1° Bataillon, il convient de distinguer différents groupes.

     


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  • Unités et Période pendant laquelle l'unité a combattu de Août 1944 à Octobre 1944

    E-M secteur FFMB:

    10-8-1944 14-10-1944 (E-M de la 19e DI)

    1er bataillon du Morbihan:

    10-8-1944 14-10-1944

    III/41e RI, 10e RAD, 19e compagnie de transmissions

    2e bataillon du Morbihan:

    10-8-1944 14-10-1944

    Personnel réparti entre 41e RI, 118e RI, 10e RAD, 19e dragons, marine et 7e bataillon FFMB. A formé, à compter du 15 décembre 1944, l'organe liquidateur FFI

    3e bataillon du Morbihan:

    20-8-1944 14-10-1944

    Personnel réparti entre 118e, 19e dragons, 10e RAD, 189e compagnie de transport

    4e bataillon du Morbihan:

    20-8-1944 14-10-1944

    Personnel affecté à : bataillon de sécurité, le 15 novembre 1944 ; 4e bataillon Rangers FFMB

    5e bataillon du Morbihan:

    10-8-1944 20-9-1944

    Mis à l'instruction à Coëtquidan du 20 septembre au 15 octobre. Personnel affecté à : bataillon de sécurité, le 15 novembre 1944 ; II/41e RI (une compagnie) ; 4e bataillon Rangers. engagé à nouveau le 14-10-1944

    6e bataillon du Morbihan:

    10-8-1944 14-10-1944

    Personnel affecté à : II/118e RI (deux sections), marine, 1re compagnie : 4e et 10e bataillons Rangers. 7e bataillon du Morbihan 10-8-1944 14-10-1944 Personnel affecté : III/118e RI, 7e bataillon FFBM, marine. 8e bataillon du Morbihan 10-8-1944 14-10-1944 Personnel affecté au II/41e RI (une compagnie à Sainte-Hélène du 20 au 25 octobre

    7e bataillon du Morbihan

    10-8-1944 14-10-194

    Personnel affecté : III/118e RI, 7e bataillon FFBM, marine. 8e bataillon du Morbihan 10-8-1944 14-10-1944 Personnel affecté au II/41e RI (une compagnie à Sainte-Hélène du 20 au 25 octobre).

    8e bataillon du Morbihan

    10-8-1944 14-10-1944

    Personnel affecté au II/41e RI (une compagnie à Sainte-Hélène du 20 au 25 octobre).

    9e bataillon du Morbihan

    10-8-1944 30-8-1944

    Réserve à l'instruction à Coëtquidan en septembre 1944. A engagé une compagnie du 20 au 25 octobre à Sainte-Hélène. Personnel affecté au bataillon de sécurité (une compagnie), le reste au 19e dragons.

    10e bataillon du Morbihan

    10-8-1944 14-10-1944

    Personnel affecté au 10e bataillon Rangers.

    11e bataillon du Morbihan

    15-8-1944 14-10-1944

    Personnel affecté au III/41e (une compagnie), le reste au 4e bataillon Rangers.

    12e bataillon du Morbihan

    15-8-1944 14-10-1944 Personnel affecté au II/41e RI.

    2e bataillon des Côtes-du-Nord ou bataillon Valmy.

    10-9-1944 18-10-1944 Personnel affecté au II/41e RI.

    Unités et Période pendant laquelle l'unité a combattu de Octobre 1944 à Mai 1945

    41e, 71e et 118e régiments d'infanterie. Du 15 octobre 1944 au 8 mai 1945.

    Période pendant laquelle l'unité a la qualité d'unité combattante.

     

    1er bataillon

    Du 15 octobre au 15 novembre 1944.

    2e bataillon

    Du 15 octobre 1944 au 8 mai 1945.

    3e bataillon

    Du 15 octobre au 25 novembre 1944.

    4e bataillon

    Du 15 octobre au 16 décembre 1944.

    5e bataillon

    Du 15 octobre au 25 novembre 1944.

    6e bataillon

    Du 15 octobre au 30 novembre 1944.

    7e bataillon

    Du 15 octobre 1944 au 8 mai 1945.

    8e bataillon

    Du 15 octobre au 15 novembre 1944.

    9e bataillon

    Du 15 octobre au 21 novembre 1944.

    10e bataillon

    Du 15 octobre au 16 décembre 1944.

    11e bataillon

    Du 15 octobre au 31 décembre 1944.

    12e bataillon

    Du 15 octobre au 15 novembre 1944.


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  • Rencontre historique au Musée de Saint-Marcel organisée par Emmanuel Thiebot
     



    *Emmanuel Thiébot historien, responsable des événements culturels au Mémorial de Caen.

    Emmanuel Thiebot
    Emmanuel Thiébot


    Thème : « La résistance une histoire de famille ! »

    Organisait le 21/11/2009 une rencontre des villageois de Saint Marcel (56) contemporains de la Résistance pendant l'occupation et jusqu'à la libération. Une centaine de personnes avaient fait le déplacement.
    Il déclara : " La Résistance n'est pas quelque chose de monolithique, mais plurielle de par les individus mais aussi de par la géographie des lieux où sont menées les actions. "

    Construit sur les lieux mêmes des combats, dans un parc boisé de 6 hectares, le musée de la Résistance bretonne de St Marcel perpétue le souvenir de l'ombre qui avait refusé le joug de l'occupant.

    Les mémoires, malgré l'âge " avancé " des protagonistes étaient bien réactives. Des mots se bousculaient, une anecdote en entraînait une autre. Ils revivaient tous ces acteurs leur jeunesse motivée par l'action et l'envie de libérer leur région, leur pays de cet occupant très, trop envahissant. La région était assiégée par 150 000 soldats provenant des régiments suivants : armée de terre, marine, aviation, organisation Todt, etc… Le PC est situé au Mans, la VIIème armée est aux ordres du général Dollmann. Parmi ces 150 000 hommes 10 000 citoyens soviétiques, servant sous l'uniforme allemand, renforceront les effectifs des différentes unités d'infanterie stationnées en Bretagne. Ces bataillons (un bataillon entre 500 et 1 000 hommes) de l'Est vont participer activement à la lutte contre les maquis (maquis de Saint Marcel). Leur sillage n'était fait que d'exécutions, de pillages, d'incendies et de viols.

    Des femmes, des hommes dés 1942, s'étaient organisés, structurés. Des fermiers, boulangers, bouchers abritaient, transportaient messages, armes, munitions, nourriture pour que le Réseau soit soutenu dans son action. Tout le monde, toute la structure familiale agissait. Du facteur dont la sacoche ne comportait pas que des lettres… à la receveuse qui dormait sur des sacs postaux pour laisser son lit à ces combattants de l'ombre. Tout le monde savait, tout le monde agissait, de l'instituteur aux élèves personne ne parlait. Ils ont agi pendant des années dans l'ombre, à la barbe de 150 000 soldats occupants. Le débarquement n'aurait jamais pu se dérouler si ces combattants de l'ombre appuyés par le parachutage de la 2ème compagnie (environ 450 hommes) n'avaient pas inlassablement harcelé l'ennemi pas une multitude de petites actions qui freinaient, voire paralysaient l'occupant dans son action. Les femmes qui participaient à cette rencontre étaient bien plus loquaces que les hommes, petites fourmis infatigables elles semblaient moins vulnérables que les hommes aux yeux de l'ennemi. Bien sûr il y a quelques incohérences à mettre sur le compte du temps, de l'âge ! Cela n'enlevait rien à la qualité des témoignages très dignes, très pudiques voire très réservés. Non nous n'avions pas à faire à des vantards à des mythomanes. Oui nous avons résisté à notre manière, avec nos moyens, mais quoi de plus naturel ! Ces personnes étaient venues spontanément raconter leur vécu dans un contexte bien particulier sans gloriole. Ils racontaient leur guerre de l'ombre comme on raconte des anecdotes de la vie de tous les jours. Ils se " titillaient " pour un détail, pour un vague souvenir, une broutille, mais dans le fond quelle complicité unit encore ces soldat de nulle part. Impressionnant ! Bien sûr comme dans tous les groupes de témoins rassemblés pour revivre ces événements il y avait celui qui : " savait mais ne pouvait pas parler " ! laissant planer sur l'assistance plein de points d'interrogation. Comment dans ces cas retenir le vrai de la vantardise ! Heureusement il était bien isolé et préférait chuchoter à l'oreille de sa voisine plutôt que de dire à voix haute ce qui aurait pu intéresser l'auditoire (…)

    L'assemblée attentive
    L'assemblée attentive 

    Le maquis de Saint Marcel situé dans les landes de Lanvaux, évoque le célèbre maquis où des milliers de résistants et de français libres se sont rassemblés entre le 6 juin et le 18 juin 1944, résistants et parachutistes SAS (Special Air Service) de la France Libre se sont battus courageusement, infligeant des pertes élevées à l'ennemi avant de décrocher à la faveur de la nuit. En représailles, l'armée allemande brûlera le bourg et les fermes environnants.

    Les missions de la Résistance bretonne, dans le cadre du débarquement allié se décomposent ainsi :
    Plan vert : sabotage des voies de communications (ferroviaires et routières, en un maximum de points, qui doit ralentir l'acheminement des renforts allemands vers le front de Normandie.
    Plan violet : coupure de lignes de télécommunications souterraines et aériennes.
    Plan bleu : sabotage de lignes électriques.
    Plan rouge : opération de guérilla.
     

    Le 4 juin 1944 la BBC lance un message à l'intention de la Résistance : "les dés sont sur le tapis " annonçant l'imminence du débarquement et l'exécution immédiate des plans vert, violet et bleu.

    Au nord de la ferme de la Nouette en Sérent, une prairie particulièrement située avait attiré l'attention d'Emile Guimard et d'Hunter Hue (futur agent du SOE) pour y organiser un terrain de parachutages. Après un contact avec Guy l'Enfant, agent de BCRA (Bureau central de renseignement et d'action) parachuté en Bretagne, ce terrain fut homologué en mai 1943, sous le nom de code " Baleine ". A part un parachutage effectué en mai 1943 pour le compte du BOA (bureau des opérations aériennes), le terrain sera gardé secret jusqu'au jour du débarquement pour y effectuer de gros parachutages d'armes et d'unités aéroportées afin de ralentir la progression des renforts allemands vers le front de Normandie. Jusqu'au jour J, Emile Guimard vient voir régulièrement le fermier de la Nouette, M. Pondard, pour s'assurer que l'ennemi ne se doute de rien.

    Le 5 juin 1944, le colonel Chenailler (Morice), chef des FFI du Morbihan, lance un ordre de mobilisation générale aux bataillons de Ploërmel -Josselin, Vannes, Auray et Guémené, ce qui représente 3 500 hommes.
    Le premier de ces bataillons doit rallier la Nouette, centre mobilisateur, pour en constituer la garnison permanente. Le reste des FFI du département doit rester en état d'alerte et exécuter les actions de sabotage ordonnées (plan vert)
    Le 6 juin à 0h45, le groupe de parachutistes du lieutenant Marienne est accroché par l'ennemi peu après avoir touché le sol. Le caporal Emile Bouëtard est tué (première victime de l'opération Overlord) et les radios sont faits prisonniers avec leurs matériels. Le 7 juin, les groupes des lieutenants Déplante et Marienne arrivent à la Nouette et retrouvent le sergent Raufast et le capitaine André (Hunter Hue, agent SOE) arrivés la veille. La Nouette devient le point de ralliement des parachutistes SAS et des FFI du Morbihan.

    La Résistance morbihannaise au jour J. La Résistance armée clandestine formée de civils, de professionnels du renseignement, de réseaux d'évasion, etc… étaient encadrés par le SOE, 480 agents de ce service secret furent parachutés en France occupée. Leurs missions étaient d'encadrer, d'armer, de ravitailler, de fournir les moyens de communications, de soigner, en un mot de permettre à ces hommes d'agir de survivre.

    Le maquis de Saint Marcel : les résistants de la région de Malestroit arrivent en grand nombre. Une véritable foule se presse vers la Nouette et dans les bois environnants. Les chefs de groupe commencent l'instruction des hommes. Il faut tuer des bêtes pour nourrir tout ce monde; on installe une boucherie, une cuisine et une boulangerie. Des groupes électrogènes sont mis en place pour charger les batteries des postes radio, ainsi qu'un atelier de réparation automobile. Le 10 juin le commandant Caro arrive avec son bataillon au complet. Au fur et à mesure, tous les chefs départementaux de la Résistance arrivent avec leurs radios au PC de la Nouette. Edouard Paysant, chef du BOA, s'installe, quant à lui, à la ferme du Parc avec Irène sa secrétaire et toute son équipe radio disposant d'un important matériel. Des groupes arrivent constamment au maquis, ils viennent de partout, de Redon, de Vannes, de Pontivy, voire de Lorient et de Rennes. Leurs souliers sont troués, beaucoup portent des sabots et vont et viennent, fébrilement, dans des tenues des plus étonnantes. Ces " va-nu-pieds superbes " brûlent du désir de se battre.
    Le commandant Bourgoin arrive dans la nuit de 9 au 10 juin, en même temps qu'une cinquantaine de parachutistes et cinquante containers d'armes. Il est surpris par l'atmosphère de kermesse qui règne sur les terrains de parachutages. Tous les civils du voisinage ont assisté au largage et se sont jetés sur son parachute afin d'en déchirer un morceau en souvenir. En effet, celui-ci était de couleur " bleu-blanc-rouge ", petite fantaisie du commandement SAS. Dans la nuit du 13 au 14 juin, le 2ème bataillon FFI du commandant Le Garrec, composé de 900 hommes de la région d'Auray, arrive au camp afin de recevoir des armes. Il s'est fait durement accrocher par l'ennemi dans les bois de Saint Bily (près de Trédion)
    Le ravitaillement d'une telle quantité d'hommes pose d'énormes problèmes. Il faut aller chercher quotidiennement vingt barriques d'eau potable dans les fermes alentour. Des paysans des environs se succèdent toute la journée, amenant au camp du bétail, des légumes, du cidre, etc…

    Trois principales organisations sont implantées dans le Morbihan :
    L'AS (armée secrète) regroupe tous les mouvements de la Résistance, des réfractaires STO, des résistants appartenant à des réseaux décimés. Elle compte début 44 quatre bataillons.
    Les FTPF (Francs-Tireurs et partisans français. Créés par le parti communiste prônent l'action immédiate par des sabotages et des attentats.
    L'ORA (Organisation de la Résistance armée). Installée en Bretagne depuis 1943 avec la majorité de ses cadres d'officiers d'active ou de réserve, elle compte 3 bataillons début 1944.
    L'ensemble de ces formations le 1er février 1944 sera regroupé par la CFLN (Comité français de la Libération nationale) au sein des FFI (Forces françaises de l'intérieur).
    La Résistance jouera un rôle important le 6 juin 1944 en ralentissant considérablement les mouvements des troupes allemandes vers la Normandie.

    Le 18 juin, à 4h30 deux tractions avant de la Feldgendarmerie de Plöermel, en patrouille, franchissent l'entrée du camp.
    La première voiture est stoppée par un tir d'armes automatiques au premier poste FFI. La seconde, s'apercevant de l'embuscade, accélère l'allure puis est arrêtée au second poste par un projectile d'arme antichar, tiré par le parachutiste Pams. Un bref combat s'engage au cours duquel quatre Feldgendarmes sont tués et trois faits prisonniers.
    Un seul s'échappe jusqu'à Malestroit et donne l'alerte. Du côté FFI, on compte un tué et deux blessés graves. Parachutistes et FFI établissent un dispositif défensif et se préparent à soutenir une vive réaction de l'armée allemande qui ne peut manquer de se produire dans les heures à venir.
    A 6h30, la garnison allemande de Malestroit est alertée.
    A 8h15, la troupe investit le bourg de Saint Marcel. Un jeune cultivateur prend ses jambes à son cou pour prévenir le commandant Le Garrec à son PC situé à la ferme des Grands-Hardys. Le camp est maintenant en alerte.
    A 9h00 l'ennemi qui sous-estime l'importance du maquis, déploie une compagnie de (200 hommes) sur un front de 500 mètres, en direction de la ferme du Bois-Joly.
    Un groupe d'infanterie équipé d'une mitrailleuse, longeant les fossés et les haies, progresse sans être vu jusqu'au poste FFI. Les allemands mettent leurs armes en batterie et tuent les quatre hommes de la position. Une balle perdue tue également une jeune fille qui garde les vaches. Les fusils mitrailleurs français ouvrent le feu dans toutes les directions. Les soldats allemands masquent leur retraite en lançant des grenades fumigènes.
    Durant cette première action qui a duré environ une demi-heure, les allemands ont subi des pertes importantes et doivent se replier en direction de Saint Marcel. Du côté français, le choc a été subi par une section SAS du capitaine Larralde, deux sections du bataillon Caro et une unité du commandant Le Garrec. Le parachutiste SAS Daniel Casa, servant un fusil mitrailleur Bren au sud du Bois-Joly, a été mortellement blessé (il venait d'avoir 20 ans)
    A 10h00 les allemands, une fois réorganisés, progressent en direction de Sainte Geneviève qu'ils pensent être le PC. Ils déploient, cette fois, deux compagnies (400 hommes) qui utilisent des mortiers et des grenades en direction de la lisière des bois d'où partent les rafales d'armes automatiques françaises. Les hommes du capitaine Larralde, soutenus par l'appui de feu des jeeps, maintiennent leurs positions mais réclament renforts et munitions. La section Morgant, composée de cheminots d'Auray, leur est envoyée en soutien. Entre-temps, des agriculteurs de la région font le va-et-vient entre le PC de la Nouette et Sainte Geneviève, croulant sous le poids des munitions. Le commandant Le Garrec leur envoie en renfort le " corps franc " Guilas composé de 40 jeunes volontaires et de 3 parachutistes.
    Un fusil mitrailleur, placé tous les 10 mètres, stoppe les allemands et l'attaque est de nouveau repoussée avec de lourdes pertes. Du côté français, il y a aussi des morts et des blessés. Les corps de deux parachutistes, le sous-lieutenant Brès et le soldat Malbert, sont évacués en jeep jusqu'à la Nouette.
    Au poste de commandement de la Nouette, le commandant Bourgoin demande des ordres et l'appui de l'aviation par radio en Angleterre. Les civils reçoivent l'ordre d'évacuer le camp le plus vite possible, manœuvre très périlleuse car l'ennemi, à l'affût, maintient sa pression et tire sur tout ce qui bouge.

    Troisième attaque :
    A 14h00, les Allemands, renforcés par 300 parachutistes, repartent à l'assaut sur son front de 2 kilomètres. A 15h30, un message tombe à l'état-major du 25ème corps d'armée de Pontivy : Un détachement du 2ème régiment de parachutistes est au combat près de Saint Marcel contre un groupe de terroristes et demande renforts et munitions. La 275e division d'infanterie (PC à Redon) envoie deux commandos de chasse et tient prête à intervenir une autre compagnie.
    La situation devient intenable pour les maquisards, ils ont affaire cette fois à l'élite de l'armée allemande ! La défense est démantelée à hauteur du château de Sainte Geneviève et des combats acharnés se déroulent au pistolet mitrailleur, à la grenade et au couteau…
    Vers 15h30 trois " squadrons " de chasseurs bombardiers, appartenant à l'USAAF (US Army Air Force), attaquent à la bombe à fragmentation les positions ennemies. Pendant plus d'une heure, ils mitraillent les colonnes et les rassemblements allemands autour de Saint Marcel.
    Les soldats ennemis, pris de panique, se dispersent dans tous les sens et les prisonniers en profitent pour s'échapper. Une fois les avions américains partis, les combats reprennent avec acharnement.
    A son retour de mission, un des pilotes, le Major Tice, notera dans son rapport que jamais de sa vie il n'a autant tiré sur un seul objectif !
    Vers 18h00, une compagnie de la 275e division d'infanterie, venue du camp de Coëtquidan, est débarquée au sud du maquis et attaque en direction du château des Hardys-Béhélec. L'attaque est d'une extrême brutalité. Malgré de lourdes pertes, elle progresse jusqu'à 500 mètres du château, les FFI décrochant pied à pied sous un feu d'enfer.
    Dans le même temps, un commando de chasse du 17e état-major de génie de la forteresse, basé au château de Villeneuve, lance une attaque à partir de la rivière de la Claie. Il réussit à progresser jusqu'à une crête située à 700 mètres du PC de la Nouette qu'il prend sous son feu. Une violente contre-attaque du corps franc Guilas délogera l'ennemi, déplorant un mort et un blessé.
    Vers 19h00, le capitaine SAS Larralde, à la tête de ses paras, soutenu par les FFI du bataillon Caro, contre-attaque et reprend les alentours du château de Sainte Geneviève mais ne peut déloger l'ennemi du Bois-Joly.
    A la tombée de la nuit, l'ennemi déploie maintenant plus de 1 000 hommes en arc de cercle, du château de Sainte Geneviève jusqu'à l'ouest du château des Hardys-Béhélec. En prévision de l'assaut final, la 275e division d'infanterie détache vers Saint Marcel une unité du 298e bataillon géorgien et deux bataillons du 3e régiment d'artillerie…
    Au PC de la Nouette, il apparaît évident que l'on ne pourra tenir plus longtemps sans épuiser complètement les munitions. On redoute, non sans raison, que le lendemain l'attaque reprenne avec des troupes fraîches appuyées par de l'artillerie. Le commandant Bourgoin et le colonel Morice décident la dispersion de la base tant qu'il est encore possible de décrocher dans de bonnes conditions, celle-ci n'ayant pas encore été encerclée.
    Le décrochage commence vers 22h00 et plus de 2 000 hommes, 20 camions surchargés d'armes et de munitions s'évanouissent dans la nuit, pendant qu'une compagnie d'Auray, encadrée par des parachutistes SAS, reste en protection.
    Durant la nuit, des colonnes de FFI se replient sans dommage en direction du château de Callac, lieu de rendez-vous, d'où ils devront regagner leur maquis d'origine. Il faut abandonner une grosse quantité de matériel reçue la nuit précédente.
    Le capitaine Puech-Samson, commandant la compagnie de protection, donne l'ordre à deux parachutistes de faire sauter le dépôt d'armes et de munitions, qui représente plusieurs dizaines de tonnes de matériel.
    Lorsque les allemands investiront la Nouette, une équipe de l'Abwehr (service de renseignement et de contre-espionnage) dépêchée de Rennes notera dans son rapport : " Un matériel d'une richesse et d'une importance extraordinaires a été découvert au PC du maquis dont le tri demandera plusieurs jours. Après trois jours de travail, on ne peut encore avoir une idée du butin récupéré. 30 camions ont déjà étaient enlevés du camp et sont en cours d'inventaire. "
    Au cours de la bataille 28 français ont été tués dont 6 parachutistes SAS. On compte également 60 blessés et 15 prisonniers…
    Du côté ennemi, les pertes sont beaucoup plus élevées. Les assaillants avaient sous-estimé l'importance du maquis et la capacité des " terroristes " à se battre. L'armée allemande notera dans le rapport de cette journée : " la résistance ennemie a toujours été tenace et opiniâtre. "
    Pour les résistants, des pertes beaucoup plus importantes seront à déplorer dans les jours à venir. Ils seront traqués par les troupes géorgiennes et la milice française lors d'une véritable chasse à l'homme.
    Le 19 juin, au lever du jour, les allemands reprennent l'attaque mais doivent constater que les forces qui les ont tenus en échec leur ont filé entre les doigts. Ils se vengent en exécutant les blessés qu'ils découvrent ainsi que les civils restés chez eux.
    La Wehrmacht organise une chasse sans merci contre " les terroristes " et lance, dans la campagne, des groupes très mobiles d'environ 80 hommes. Ces unités ukrainiennes et géorgiennes fouillent sans cesse les bois et les villages, massacrant les FFI isolés et terrorisant la population. Les prisonniers seront soit fusillés, soit dirigés vers les camps de déportation.
    Le 25 juin elle incendie les châteaux des Hardys-Béhélec et de Sainte Geneviève, puis le 27, les fermes et le bourg de Saint Marcel, n'épargnant que l'église, le presbytère et les écoles.

    Le combat du maquis de Saint Marcel eut un énorme retentissement dans toute la Bretagne occupée. C'était la première fois que l'armée allemande était tenue en échec par des jeunes combattants FFI, entraînés par le courage de leur chef, l'expérience et la fougue des parachutistes SAS.
    Les hommes du maquis savaient désormais que la puissante Wehrmacht n'était pas invincible.

    Contemporain de la Seconde Guerre Mondiale
    Contemporain de la Seconde GuerreMondiale.

    Vous qui passez à proximité car on ne passe pas à Saint Marcel, on y va ! Arrêtez-vous un instant pour commémorer le courage de cette population ordinaire qui a transcendé la terreur qui régnait pendant cette occupation. Comme quoi des villageois, toutes générations confondues, ont su, ont pu résister, se sont organisés pour mener, à leur niveau, avec dignité le combat de l'ombre. Nous ne pouvons que rendre hommage à ces résistants de l'ombre qui ont agi avec courage et désintéressement pour chasser l'ennemi. Ils ont fait la différence. Le courage modeste face à l'esbroufe de ces résistants de la dernière heure.

    Je remercie Emmanuel Thiébot de m'avoir donné l'occasion de découvrir ce haut lieu de la Résistance et de la Mémoire.
    Je remercie le musée.

    Jean-Jacques DELORME-HOFFMANN.


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  • Yves Le Garrec, fils d’un instituteur Ploemeurois dans les combats de
    Saint-Marcel
    Le Lieutenant-colonel Le Garrec est le fils d'un instituteur natif de  Ploemeur.
    Au début de la guerre, il refuse de voir la France sous le joug de l'occupant, et  rejoint en janvier 1944 les rangs de l'O.R.A commandé alors par le Commandant Muller. Il prend le commandement du 2ème bataillon FFI du Morbihan, sa fille Marine sera son principal agent de liaison.
    Son bataillon spécialisé dans les sabotages des liaisons et des lignes ferroviaires, réussira à retarder de plusieurs jours le départ de troupes fraîches vers les plages de débarquement en Normandie.
    C'est à partir de septembre 1943 que le Lieutenant-Colonel Le Garrec après avoir recruté une équipe d'action immédiate procède lui-même avec sa troupe au sabotage méthodique de la voie ferrée Quimper-Paris. Il a été constaté 14 déraillements réussis sur cette ligne qui est restée parfois plus de 24 heures inutilisable.
    D'autres part, le Lieutenant-colonel Le Garrec procède au recrutement d'un bataillon de volontaires, prend le maquis le 1er juin 1944. Cette unité devenue 2ème Bataillon des Forces Françaises du Morbihan, et participe aux combats le 13 juin 1944 à Saint-Billy, le 18 juin à Saint-Marcel et le 20 juillet à Treurous.
    A partir du 1er août 1944, le 2ème Bataillon sous les ordres du Lieutenant-colonel Le Garrec,  participe à tous les combats de la libération attaquant les convois ennemis sur tous leurs itinéraires, nettoyant les poches de résistance, notamment à Sainte-Anne d'Auray, à Auray et à Erdeven. Depuis le 10 août 1944 le siège de Lorient a été assuré par les Forces Françaises de l'Intérieur du Morbihan et le Lieutenant-colonel Le Garrec reçoit le commandement du secteur de Ploemel. Son commandement s'exerce sur le 2ème Bataillon du Morbihan, le 14ème Bataillon des Côtes-du-Nord et le Bataillon de l'Infanterie de l'Air du Loir et Cher..."
     
     

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  • A 4 h 30 du matin, ce 18 juin 1944, Joseph Jégo et ceux de sa section se reposent. dans une hutte tapissée de parachutes lorsque les premiers coups de feu retentissent. Chacun réagit vite et comprend qu’il s’agit d’un accrochage avec l’ennemi. Les fusillades durent quelques minutes à l’autre bout du camp et à l’opposé des positions de la 7ème compagnie. Tout le monde se remue et s’interroge sur ce qui se passe. Bientôt, il est l’heure pour ceux de la petite corvée, d’aller chercher le petit déjeuner à Beauséjour distant d’un kilomètre. C’est l’occasion d’avoir quelques informations sommaires. Ainsi, Joseph Jégo apprend que deux voitures de la feldgendarmerie ont été interceptées. Parmi les huit occupants, un avait réussi à s’échapper et aurait donné l’alerte…

    « Vers 8 h 30, les armes recommencèrent à se faire entendre. Une messe dominicale devait être célébrée à 9 h, dans une prairie située entre La Nouette et Beauséjour. La messe était à peine commencée que le prêtre célébrant fut appelé pour aller donner les secours religieux aux victimes. Chaque homme devait rejoindre immédiatement son poste. L’intensité des tirs indiquait que l’ennemi était arrivé en force.
    Nous, 7ème Compagnie, en état d’alerte sur nos positions à l’ ouest du camp, alors que des combats acharnés se déroulaient dans la partie est, sommes restés en place toute la journée. Vers midi, une équipe vint encore avec un camion chercher des containers parachutés la nuit précédente. L’heure de la soupe arrivée, je fus de corvée avec un copain pour aller la chercher. Au P.C. du bataillon, on poussait à l’ardeur au combat en servant généreusement du vin, ce qui ne me sembla pas très sérieux…

    Vers 19 h 40, alors que la bataille était encore vigoureuse au sud du camp, quelques gars de la section partirent en renfort. L’évacuation du camp étant déjà bien commencée, le chef de mon groupe, Jean Chaumery, reçut un ordre de repli. Nous le suivîmes à travers bois.
    Alors qu’il faisait nuit, au lieu-dit Rohéan, Chaumery dit : «Moi, je rentre chez moi, pas question de me suivre jusqu’au bout. Les ordres sont que chacun rejoigne son coin comme il l’entend et attende de nouveaux ordres !». Le groupe se divisa donc. Avec mon ami Gabriel Guimard, nous avons décidé de revenir directement à notre domicile, empruntant chemins et sentiers, traversant fermes et villages; partout les lumières restèrent éteintes malgré les aboiements des chiens. A la ferme du Najeo en Callac, je fus tenté d’ abattre un chien tellement il s’acharnait à nous poursuivre. Nous avons entendu la détonation du dépôt de matériel de guerre, entreposé à la Nouette; une énorme lueur s’éleva dans le ciel… »

    Au matin du lundi 19 juin, Joseph Jégo eut une discussion sérieuse avec son père : « Dans un tour d’horizon sur les événements, lui, l’ancien combattant de la grande guerre, n’admettait pas facilement le retrait aussi précipité des combattants du camp. Je m’employai alors à le rassurer. Non, nous n’abandonnions pas le combat, comme en juin 40. Coûte que coûte, nous allions combattre jusqu’à la libération et, moi, j’irais jusqu’au bout. L’un comme l’autre, nous nous inquiétions aussi du sort, réservés par l’ennemi à tous ces braves gens – ceux du voisinage du Pelhué notamment- qui soutenaient le maquis »

    Le grenier à foin de la ferme était alors encore plein de combattants. Dans les bois de pin du Pelhué, des camions plus ou moins chargés de matériel en provenance du camp de Saint-Marcel, étaient dissimulés. Une pluie fine commençait à tomber lorsque Joseph Jégo partit en compagnie de son ami Gabriel Guimard retrouver leurs chefs.

    Morizur l’informa que l’état-major, avec une partie des troupes et du matériel, s’était retranché au château de Callac et dans les bois environnants. Il reçut l’ordre de s’y rendre pour transmettre au reste de la compagnie les directives à suivre.

    « Le capitaine Guimard conversait à Callac avec le lieutenant Marienne et trois ou quatre officiers S.A.S. Il me présenta. Marienne, tête nue, le front bandé, très souriant, expliquait par des gestes des deux mains certains épisodes de la bataille de Saint-Marcel… »
    Puis, Guimard me demanda de me mettre au service de Marienne. « Je suis le seul, me dit-il, qui reste ici avec les parachutistes pour prendre des décisions. Tu dois accompagner le lieutenant Marienne. Voudrais- tu rechercher avec lui les solutions à adopter pour l’avenir du maquis ?… Il faut s’attendre à une réaction vive de la part des Allemands. Ils ont eu quatre cent cinquante hommes hors de combat alors que de notre côté, nous avons eu quarante-deux tués. Il faut que je rejoigne mes supérieurs, Morice et Bourgoin, sans moi ils sont perdus. Il est vrai qu’ils ne connaissent pas la région et ne sont pas connus de la population qui va se méfier !. Quant à toi, transmets à Morizur l’ordre de rejoindre le bataillon sur les landes de Meslan… ».

    Après un rapide aller-retour au Pelhué pour voir Morizur, Joseph Jégo était vite de retour au camp dans le bois près du château.. Les S.A.S étaient de guet avec quelques F.F.I.. A sa grande surprise, il constata que les S.A.S. étaient environ quatre-vingts, alors qu’ils les croyait une quarantaine. De petits dépôts d’armes étaient alors un peu partout sur le terrain…

    « Les officiers Marienne, Deschamps, Tisné, Skinner, les capitaines anglais André Hunter-Hué et Fay, le sous-lieutenant polonais Jasnienski sont groupés en conversation. Marienne ouvre une grande carte de la région qu’il pose à même le sol, elle est plastifiée, ce qui est heureux car la pluie tombe de plus en plus. Pour l’examiner, chacun prend position accroupi ou à genoux. Marienne me demande s’il serait possible d’organiser le ravitaillement en nourriture pour autant d’hommes, pendant quelques jours… Je m’interroge: comment va réagir la population qui peut, seule, nous soutenir… Je reste hésitant, sans réponse. Marienne conclut : «De toute façon, il faut que nous partions d’ici ! « Puis il me demande de le guider dans la nuit jusqu’au secteur du château de Kerfily. J’arrive à le convaincre que, compte-tenu des chargements des hommes en matériel, de l’état des chemins, du temps si mauvais, un tel parcours est impossible en une nuit. Je propose pour première étape la lisière des bois de pins attenant à la forêt de Lanvaux, un coin situé au sud du pont de Lézourdan. Marienne me demande d’aller prévenir le châtelain, François de Lignière, de notre départ immédiat. Celui-ci, qui avait à plusieurs reprises demandé que l’on quitte ses bois, se montra soulagé… »

    C’est dans une obscurité presque totale sous une pluie torrentielle, que la compagnie dirigée par Marienne, accroché à ma veste, s’engagea dans les bois de pins. A Talcoëtmeur d’en haut, Eugène Tastard et son épouse Thérèse étaient aussi sous la pluie, occupés à sortir du pain de leur four de campagne situé à une vingtaine de mètres de leur ferme. Au passage, chacun sentit l’odeur du pain chaud… «L’orage se mit à gronder et la pluie redoubla, l’eau monta vite à mi-jambe et avec la pente, dévala en emportant toutes sortes de détritus. Arrivés à la rivière, Marienne ordonna une halte. Nous nous rendions compte que nous avions perdu la moitié des hommes. Je proposais alors de retourner chercher les égarés mais Marienne ne voulut absolument pas. Tout le long du parcours, il m’avait tenu par la veste !… »

    Finalement, le groupe se divisa en se fixant rendez-vous près du pont de la Claie dans la nuit du 4 au 5 juillet. Marienne suivit Joseph Jégo jusque chez lui, à la ferme de Pelhué avec deux compagnons, le capitaine André et l’adjudant Chilou. Marienne était éveillé depuis quarante-cinq heures et venait de se battre quinze heures durant… Le grenier fit encore l’affaire… « Pour moi, affirma Joseph Jégo, je ne vis pas plus de danger à coucher dans mon lit. Mais dés le lendemain, mon inquiétude m’obligea à surveiller autour de la ferme. Très tôt, toute ma famille était debout pour préparer le petit déjeuner. En effet, il y avait encore beaucoup de monde chez nous. Marienne, Chilou et André demandèrent d’utiliser le fil à linge pour faire sécher leurs uniformes…

    A 8 heures, ils étaient encore au grenier lorsque Morizur, en uniforme anglais, et le lieutenant S.A.S. Martin pénétrèrent dans la cour. Ils venaient aux nouvelles et prendre le petit déjeuner. A ce moment même, deux Allemands (ou plus exactement des Russes, qui s’étaient engagés auprès d’eux par anticommunisme ), passèrent à cheval à proximité de la ferme. Heureusement, ils ont semblé ne rien voir… Pourtant, les hommes en tenue militaire dans la cour ainsi que les uniformes sur les fils à linge étaient à portée de vue. Un coup d’oeil par une fenêtre en direction des bois nous renseigna qu’une troupe d’hommes venait de s’établir à 300 mètres de notre ferme. Rapidement, Marienne, Chilou et André saisirent leurs uniformes et se réfugièrent dans un chemin creux à 90 mètres au sud de la maison. Marienne, l’uniforme sur le bras, s’habilla dans le chemin. Nous avions établi notre P.C dans un cabanon. Il n’était plus qu’à 300 mètres des Allemands et des Russes. Au Pelhué, il y avait bien des choses compromettantes pour ma famille et une perquisition ennemie était à redouter. Marienne avait souhaité connaître l’importance de cette troupe ennemie. Mon père avait aussitôt demandé à mon frère Lucien, qui n’avait que 14 ans d’aller voir. Il prit alors une hache et alla chercher un petit sapin qu’il coupa au milieu d’eux tout en les comptant : Trente-cinq chevaux étaient attachés aux sapins. Les soldats l’interrogèrent : «Ici, pas terroriste ?» D’un air innocent, il se contenta de dire que non. Puis, il revint à la ferme, le sapin sur l’épaule, et nous transmit ce qu’il avait appris. Le groupe que nous formions alors – une quinzaine d’hommes- décida de rejoindre la Claie et de passer le pont de Lézourdan, pour atteindre la forêt… »

    Au pont, un agent de Sérent, Alexis Babin rejoignit le groupe. « Il s’était renseigné au Pelhué. La cavalerie russe était partie en direction de Callac bien avant midi. Il était venu apporter des renseignements à Marienne au sujet de dépôts d’armes et munitions. Puis, Mme Morizur arriva accompagnée d’un agent de liaison, Annick Perrotin. Elles étaient venues du bourg avec bien des difficultés en empruntant d’étroits sentiers, traversant landes et champs pour arriver au P.C. qui avait déjà été évacué… Mme Morizur était très inquiète. Son mari lui recommandait de quitter son domicile. Quant à Annick, elle se vit confiée quelques missions avant de repartir pour le bourg.

    Un peu plus tard, Marienne ordonna à Chilou, à Guimard et à moi-même, de tenter de prendre contact avec des groupes de S.A.S. qui, la nuit précédente, devaient s’être «planqués» dans le secteur. C’est ainsi que nous avons retrouvé le lieutenant Tisné qui, avec son équipe, cinq hommes en tout, s’était réfugié dans un lieu particulièrement discret, la Roche du Pélican, site masqué par une étendue de broussailles. Puis, un autre groupe, dans une maison abandonnée dans les bois. Les fermiers voisins avaient pris le risque de les ravitailler…
    De retour en haute forêt où nous devions normalement retrouver nos chefs, ceux-ci avaient disparu!… Nous comprenions qu’ils s’étaient volontairement séparés de nous. Il faisait nuit et Guimard nous guida pour revenir au chemin de Lézourdan. A destination, il décida encore de passer la nuit chez lui. J’invitai Chilou à venir avec moi au Pelhué et après un bon dîner, nous passâmes la nuit au grenier avec nos armes… »

    Le lendemain, jeudi 22 juin, à midi trente, toute la famille Jégo ainsi que Chilou déjeunait lorsque quelqu’un frappa. Tout le monde se tut. Mathurin Jégo dit d’entrer. Une grande jeune femme blonde se présenta. Personne ne la reconnut. Anne Créquer se disait agent de liaison. Elle demandait Joseph Jégo, elle devait se rendre auprès de Marienne. Elle savait qu’il était, ainsi qu’André et Morizur, à la ferme de Kergoff près de la Claie, en direction de Cadoudal chez un certain Le Page.

    Joseph Jégo finit, après une longue marche, par retrouver le lieutenant Marienne. « Une petite bâtisse en pierre à la couverture de paille, un peu isolée des autres bâtiments était devenue sa nouvelle cache. Le fermier Le Calonnec est de guet. Immédiatement, sans guère nous parler, il nous conduit à la porte de la maisonnette qui se referme vite derrière nous. C’est une bergerie vide. Dans une sorte de grenier perdu : une construction en rondins recouverts d’une épaisse couche de paille et de foin. C’est là qu’étaient les officiers. Aprés s’être assurés de qui nous étions, Morizur découvre le trou d’accès et place une échelle. Anne Créquer monte la première, échange ses ordres de missions en quelques minutes, puis redescend et repart. A mon tour, je me place sur le cinquième barreau de l’échelle pour échanger des renseignements à voix basse… »

    Marienne lui demanda de contacter aussitôt le commandant Bourgoin. Celui-ci campait dans les environs du Creux en Saint-Aubin. Marienne le chargea de réclamer pour lui, au plus vite, une équipe radio. Cette tentative fut vaine.

    « Au Rémungol d’en haut, plusieurs personnes nous dirent de nous éloigner vite car les Allemands fouillaient partout et venaient de passer… Nous sommes restés camouflés dans le fossé à même le talus d’un coin de champ, le colt au poing. Après une demi-heure d’attente, une fusillade eut lieu de côté de Talcoëtmeur. « Ils sont sur nos petits gars, c’est certain » affirma Chilou. Pas très rassurés, nous sommes restés au moins deux heures sans bouger… Le soir même, nous décidions de nous rendre à Talcoëtmeur d’en bas. Au gîte des S.A.S,. il n’y avait plus personne, quelques pièces d’armes cassées éparpillées sous un pommier dont le tronc portait une large blessure ; des franges de pansements et de tissus militaires maculés de sang. A la maison Moisan, tout le monde restait sous le choc. Mme Moisan nous dit qu’un de ceux du groupe attaqué devait se tenir dans les environs. Nous sommes partis à sa recherche. Nous suivions les sentiers les uns après les autres. Chilou sifflait légèrement de temps en temps, et dans cette nuit opaque, cela me donnait des frissons. Enfin, un rescapé, le S.A.S André Gas, répondit à notre appel. Nerveux et tremblant, il nous dit que Guégan, son Caporal, avait été blessé et capturé et que ses compagnons avaient fui dans la mauvaise direction. »

    Joseph Jégo finit en définitive par apprendre que Marienne était à Quénélec et avait besoin de lui. Il le retrouva vers minuit…
    Marienne, mécontent de constater qu’il n’aurait pas d’équipe radio, renvoya Joseph Jégo au Creux pour retrouver le commandant Bourgoin mais, cette fois-ci, accompagné du capitaine anglais « André ». A La Foliette, petit village à deux kilomètres du Creux, Joseph Jégo rejoignit enfin le commandant Bourgoin… Pour ce dernier, les décisions à prendre n’étaient pas simples : il lui fallait maintenir les liaisons, continuer l’action tout en veillant à la sécurité de ses hommes et des populations locales.

    Le 25 juin, l’observatoire allemand de la Grée fut bombardé, mais l’édifice fut malheureusement épargné.
    Le capitaine Guimard avait établi une permanence à la ferme de Jean Perrotin à Bréhélin. Joseph Jégo resta auprès du capitaine, intégré à son « équipe de garde du corps »…

    « Pendant mon temps libre, je parlais avec Perrotin, homme très aimable, ancien prisonnier de la guerre 1914-1918. J’ai vite compris qu’il est bien conscient d’avoir pris de gros risques en acceptant d’ héberger tout ce monde. La fille, Bernadette, était d’un dévouement admirable, le fils Gabriel surveillait en permanence les approches du village. »

    Au cours de cette période, Joseph Jégo fit vraiment beaucoup de marche et de vélo pour accomplir ses missions.
    « Avec le capitaine Marienne, je me souviens être allé rejoindre le commandant Bourgoin, alors que des patrouilles ennemies étaient nombreuses à parcourir la région. Marienne prit ses deux musettes, l’une était lourdement chargée de munitions, puis sa mitraillette et une carabine. Pour ce voyage de nuit, nous ne devions emprunter que des petits sentiers à travers la campagne. Aussi, lorsqu’il était indispensable de traverser une route, il nous fallait faire halte et observer avec soin les environs. Il ne fallait pas se laisser surprendre par l’ennemi ou par leurs complices français… Ne connaissant pas bien la région après le village de Kermorin, au nord de Plumelec, je me décidai à prendre le risque de demander notre chemin à Joseph Nicolic, une de mes connaissances. Joseph accepta de nous guider en nous invitant à redoubler de prudence. A l’approche de Kervigo, ne sachant plus comment poursuivre, il dut faire appel à un homme du village, Henri Perrotin. Pendant qu’il était parti le réveiller, je me revois attendre avec Marienne, postés et vigilants au pied d’un gros chêne. Notre guide se faisant longuement attendre, la peur commença à s’emparer de moi… L’ennemi pouvait patrouiller de nuit. Finalement, ce fut Casimir Dréano, un ancien combattant de 1914-1918, qui nous conduisit jusqu’à «La Croix des Epinettes». «Vous avez la route à cinquante mètres, nous dit-il, mais autant que je vous laisse, je ne connais rien après». Alors, j’ai bien dû me diriger à la visée car il était impossible de retrouver les sentiers empruntés de jour. Nous avons encore traversé des champs, des landes, des prairies et d’autres chemins creux, nous arrêtant plusieurs fois au moindre bruit… »

    Après la bataille de Saint- Marcel, les Allemands n’avaient trouvé à la Nouette qu’un lieu déserté. Ils brûlèrent tout et se vengèrent sur les blessés et les retardataires. Dans les jours qui suivirent, leur hargne à retrouver les terroristes ne fit que croître.
    « Quelques temps après cette équipée nocturne, j’appris qu’il devait se passer des choses graves à Plumelec. Inquiet, je décidai d’aller au Pelhué pour en parler à ma famille.. A Bréhé, chez mon oncle Joseph Jégo, à ma surprise, je retrouvai mes deux frères Lucien et Léon. Ils craignaient qu’une femme qui s’était présentait comme agent de liaison, au Pelhué ne soit qu’une complice des Allemands. Nous n’avons pas voulu prendre de risque. Toute la famille devait quitter le Pelhué. Je devais vite y aller. A la maison, Bernadette, ma soeur de 18 ans, finissait de préparer sa valise. Elle avait décidé d’aller chez sa marraine, fermiére à la Grée-Janvier, à Billio. Mon père était terriblement angoissé. Je lui ai recommandé de partir immédiatement, de ne plus s’occuper de la ferme. A Bréhé, beaucoup trop de monde était déjà hébergé, il devait aller du côté de Rémungol où le bon accueil de voisins et amis lui était assuré … »

    Revenu à la Foliette, afin d’accompagner le retour de Marienne à Quénelec, le commandant Bourgoin venait de prendre connaissance d’ arrestations qui avaient eu lieu à Plumelec. Il confia à M. Jégo cette phrase qui lui est restée gravée en mémoire : «Encore un peu de patience et nous allons saigner le boche…».

    Sur le chemin du retour, Joseph Jégo sert encore de guide mais les fermes amies auprès desquelles le petit groupe passe, sont souvent vides… L’ennemi est venu, des parachutistes ont été découverts et les fermiers arrêtés avec eux….
    Fin juin, à Quénélec, il y a de plus en plus de monde. Joseph Jégo est pris d’une inquiétude persistante et ne tient pas en place : « Je décide de faire encore un tour dans ma contrée. A l’annonce de mon départ, Marienne et Morizur tentent tout pour me retenir, mais mon intention est de rejoindre le commandant Guimard. Alors Marienne me donne deux billets de mille francs à remettre à l’adjudant Chilou. Je me rends à Lézourdan en évitant Le Pelhué, où personne ne m’attendait plus désormais. A Rémungol d’en Bas, Mme Mounier et sa fille Marie m’informent que l’un de mes frères et Chilou, ainsi que plusieurs autres, se sont retirés dans les bois à 200 mètres à l’est de leurs fermes. Je m’y rends et remets l’argent à l’adjudant, ce qui lui permettra d’acheter un veau ou cochon.

    Repartant à travers bois et champs, à Bréhélin je retrouve Guimard ; nous échangeons quelques renseignements puis il part aussitôt à bicyclette en mission du côté de Guéhenno et ne sait quand il reviendra. A la maison Perrotin, on m’offre à manger ; Gabriel veut faire un tour au bourg de Saint-Aubin. En cours de route, il rencontre une personne qui le prévient que les Allemands sont là. Ils ont cerné le bourg et rassemblent tous les hommes sur la place de l’église. Il revient aussitôt à la maison et se met à surveiller en direction de Saint-Aubin… Je termine ma toilette lorsque Gabriel entre dans la maison, tout effrayé. «Les Allemands arrivent au moulin à vent à 200 mètres !» s’exclame t-il… Sans hésitation, je cours pour prévenir à la Foliette où je rencontre le capitaine S.A.S. Leblond, habillé alors en civil, qui me dit que Bourgoin et Morice ont quitté le village… Vers où faut-il fuir à notre tour ? Je décide de marcher le premier et de nous enfoncer dans un champ de seigle. Au bout de quelques minutes, des coups de feu sont tirés à proximité, quelques balles sifflent au-dessus de nos têtes. Il nous semble alors plus prudent d’attendre la nuit pour repartir. Une pluie fine commence à tomber. Après quelques temps, le capitaine décide de retourner à la Foliette. Moi, au contraire, je choisis de m’éloigner pour avoir plus de renseignements. Perdu dans un lieu que je connais pas, je marche au hasard et j’arrive à un village inconnu. Là, une femme empressée à son travail, me fait comprendre de ne pas aller plus loin : « Par là, c’est la route et les boches passent à tout moment, même la nuit ! » Le chemin cahoteux et boueux que j’emprunte alors me paraît bien long par cette obscurité presque totale ».

    A la Foliette, le village est complètement déserté par les maquisards. «A la fenêtre d’une maison sans lumière, quelqu’un me dit qu’ils doivent être partis du côté du Creux. Je décide d’y aller et j’emprunte alors un interminable champ emblavé de seigle que la pluie alourdit… »
    Au Creux, sept ou huit hommes affalés sur un tas de paille, se reposent. Henri Tanguy est l’un d’eux. Il a été capturé à Saint-Aubin, mais grâce à une manoeuvre habile, il a échappé aux Allemands et ses menottes ont pu être coupées…
    « Dès que le jour commence à paraître, continua M. Jégo, l’un d’entre nous dit avoir la preuve que les Allemands détiennent la liste des F.F.I de Saint-Aubin, qu’ils vont revenir et qu’il faut décamper au plus vite… Alors, je pars à destination de Rémungol d’en Bas pour me renseigner sur ce qui s’est vraiment passé à Saint-Aubin. Mais je pris la précaution de contourner Saint-Aubin en passant par le village de Landrin. J’interroge les gens. Personne ne sait rien, n’a rien vu, rien entendu… Prudemment, je continue pour atteindre la ferme-manoir de La Saudraie. Mais, cette fois-ci, la fermière, Mme Morice, me dit que Rémungol d’en Bas est en feu et me déconseille d’aller plus loin. Je suis à jeun depuis la veille. Cette brave femme m’invite, malgré tout, à passer à table. Le fils de la maison, Jean, sort dans la cour, puis revient le visage décomposé. A sa mère, interloquée par son comportement, il dit à voix basse : «Ils arrivent !» . Nous fuyons aussitôt en courant aussi vite que nous le pouvons. Les murailles d’enceinte de la cour nous protègent des coups de feu avant que nous reprenions notre course folle à travers champs. Jean me quitte pour avertir du danger à Landrin.

    Quant à moi, je m’arrête pour souffler. Au moment où je me décide à repartir, des véhicules allemands passent sur la route. Profitant de fougères, je me mets à plat ventre. Malgré une pluie fine et ma position inconfortable, je reste ainsi jusqu’à la nuit. La nuit venue, je me porte à la Ville-au-Gal dans l’intention de rencontrer le sergent du secteur (F.F.I.), Henri Tastard, habitant au village même. A l’entrée du hameau, je rencontre sa mère. Elle est très inquiète et me dit : «Mon p’tit gars, ne reste pas au village, mais ne va pas plus loin, tu risques de te faire prendre… »

    Par une nuit noire, je repars dans un chemin creux. A peine ai-je fait 50 mètres que je tombe nez à nez avec Henri qui monte au village à pas de loup, mitraillette en mains. Nous sommes réciproquement soulagés de nous rencontrer. Henri m’invite à passer la nuit en sa compagnie. Dans le flanc du coteau à 200 mètres du nord du village, il s’était creusé un trou. Là, terrés comme des renards et armés de mitraillettes, de fusils-mitrailleurs, nous sommes bien décidés à nous défendre farouchement plutôt que de nous laisser prendre. »
    La peur… La peur, non de mourir, mais la peur de souffrir et la crainte de parler lors de tortures… Joseph Jégo vécut avec longtemps, au cours de cette bien singulière époque de sa vie …

    Le 30 juin, Joseph Jégo apprend qu’à Rémungol l’adjudant Chilou a été tué, Henri Mounier et Robert Pichot sont capturés. Cachés dans la nature, Joseph et Henri sont rejoints par plusieurs compagnons F.F.I.: François Carré, Jean Rougy et Lucien Carré. « Toute la journée, nous sommes aux aguets ; les Allemands circulent à tout moment sur les routes qui sont toutes proches de nous. A chaque alerte, nous devons nous embusquer afin de déclencher un feu sur les assaillants avant de nous enfuir. En fin de journée, Henri a pu faire un tour au village. Il me dit tristement que mon père a été arrêté. Accablé, je reste une deuxième nuit dans le trou du coteau.
    Au matin du samedi ler juillet, je décide de rejoindre Marienne pour l’informer de ce qui s’est passé à Plumelec et lui demander s’ il y a toujours une liaison établie avec l’état-major…

    Au campement du Quénelec : plus personne… Alexandre, le fermier, me dit : «Ils ne sont plus ici depuis hier, mais il reste un parachutiste dans le coin du champ, derrière un tas de fagots…». C’est de là, en effet, que je vis un soldat s’arracher doucement, le canon de la carabine en avant. C’était le lieutenant Jaslienski qui me reconnut. Marienne doit être au village du Collédo, me confia t-il, à un kilomètre de là… Parvenu à ce village, je ne le trouvai pas. C’est en définitive à Lilléran, sur la commune de Guéhenno, à la ferme d’Emile Boulvais, le beau-frère du commandant Guimard que je rencontrai à nouveau enfin Marienne

    A Lilléran, le camp était installé dans un champ près de la maison du fermier. J’y fus surpris par l’importance du rassemblement ainsi que l’ installation de tout un matériel de cuisine. Je sus rapidement que le commandant Guimard avait demandé à son beau-frère d’ installer le camp ici, chez lui! .L’inaction et la crainte d’être capturés devenant de plus en plus insupportables, beaucoup venaient recevoir des ordres…».
    Il fallut encore à M. Jégo beaucoup de marches, de pérégrinations avant de pouvoir finalement retrouver le commandant Guimard au village de Le Lehé, sur la commune de Saint Servant. C’est au cours de ces jours-là qu’il apprit que deux agents de liaison, Anna et Geneviève Pondard, étaient venues prévenir qu’un camion, rempli d’armes, viendrait de nuit de Callac à Lilléran. Des responsables furent désignés pour surveiller les bourgs avoisinants et certains carrefours où l’ennemi pourrait tendre une embuscade… Mais, le camion ne vint pas… Les jours qui suivirent en cette première semaine du mois de juillet 1944 furent rudes pour Joseph Jégo et ses camarades. Les Allemands intensifièrent leur quadrillage de la région. Au camp, le chien de la ferme, énervé par les allers et venues est finalement étranglé, pour ne pas éveiller les soupçons de l’ennemi. Les hommes restent sur le qui-vive et beaucoup d’entre eux dorment mal ou pas du tout. Bien des S.A.S sont encore isolés dans la nature, restés sans liaison depuis le 20 juin. Joseph Jégo et son ami G.Guimard restent en vain « en planque » près du pont de Lézourdan, point de rendez-vous donné à plusieurs S.A.S avant leur dispersion. Dormir en pleine nature, sur un tas de foin providentiel ou au flanc d’un coteau, semble une solution plus prudente pour Jean Jégo. Mais, les patrouilles ennemies se multiplient…

    « Croyant le 5 juillet être en définitive, plus en sécurité au P.C de Marienne, je me suis résolu à rejoindre Lilléran. Quelle ne fut pas ma surprise de constater que le camp n’existait plus !… Le chemin boueux qui menait à la ferme n’avait plus les traces habituelles. Une grande inquiétude s’empara de moi. Tout était silencieux. A la porte de la ferme, personne ne me répondit. La maison, elle-aussi semblait désertée. J’insistai et frappai durement à la fenêtre. De son lit, le fermier, Boulvais, me pria de déguerpir au plus vite mais, après m’avoir reconnu, il me dit d’aller au Moulin de Châteauneuf. A l’aube, je parvins à ce moulin à eau. Ses pales tournaient. M. Le Pallec, le meunier, semblait très affairé. Il me dit de repartir au plus vite, les Allemands pouvant arriver d’une minute à l’autre. Il me précisa cependant qu’un groupe de paras s’était réfugié à un kilomètres de là dans un grand champ envahi par les genêts… »

    Le P.C s’était reformé à Le Quénelec. Renseigné, Joseph Jégo y parvint et put constater un renforcement des hommes de garde. Que s’était-il passé ? Marienne, souriant, est assez fier de raconter la manoeuvre réussie qu’il a menée contre l’ennemi :
    «Le camion chargé de matériel a fini par arriver. Mais, il s’est trouvé face aux Allemands au bourg de Guéhenno et nos hommes ont tiré les premiers. Le camion a continué sa route sans être endommagé. A Lilléran, le guide a pris place à côté du chauffeur pour indiquer les changements de direction. Arrivé au bois du Collédo pour y dissimuler le chargement, il a fallu tirer le camion avec des chevaux. Les Allemands ont organisé poursuites et recherches, mais pendant qu’ils s’organisaient, le camp avait été déplacé de Lilléran à Quénelec. On a fait circuler du bétail pour camoufler les traces de toutes natures. Au matin, le fermier Boulvais s’est mis à charroyer du fumier. Les Allemands, déployés toute la journée dans le secteur, n’ont pas pu apercevoir de traces suspectes ».

    Les S.A.S., au nombre d’une quinzaine, campent à nouveau dans le champ situé en contrebas de la ferme, les radios se dissimulent avec tout leur matériel sous un abri de branchage. Ils émettent à répétition et se plaignent de leurs correspondants de Londres qui renvoient plusieurs fois le message pas compris. Jean Jégo put entendre un opérateur dire : « A force de nous faire répéter, ils vont bien finir par nous faire avoir ».
    Marienne venait d’être nommé capitaine à Londres et Guimard commandant. Le nouveau capitaine qui a recu de Bourgoin des directives pour la préparation d’un plan d’action sur une grande partie du département, travaille sur une grande carte, dans le coin du champ, accompagné de sa secrétaire, Anne Créquer, qui porte les données sur un simple cahier d’écolier. Anne en fait ensuite une copie, également manuscrite, pour la remettre au commandant. Marienne conserve celui de couleur jaune-orange et assure qu’il prévoit tout pour qu’en aucun cas il ne tombe entre les mains de l’ennemi.

    Le cahier de couleur bleu-vert est confié à Marie Thérèse Goyat, une des messagères du maquis, qui n’est pas très rassurée de faire la route avec un tel document, bien qu’elle ait déjà transporté de tels documents et qu’elle en transportera d’autres par la suite.
    Le destinataire se trouvait alors au village du Guernion en la commune de Saint-Servant-sur Oust…
    Au Quénelec, les agents de mission qui arrivent et repartent en toutes directions sont de plus en plus nombreux. En plus des liaisons à établir entre les différents groupes, il faut trouver de quoi alimenter la cuisine du camp… Les menus ne changent guère : au déjeuner, généralement porc et pommes-de-terre, pour le dîner, soupe au lait. Les cochons sont achetés sur pied dans les fermes, mais encore faut-il en trouver ! Le lait est également acheté dans les fermes des environs car la production de la ferme du Quénelec est totalement utilisée pour fabriquer du beurre. Louis Mahieux, le boucher de Guéhenno, abat les cochons et fournit parfois des viandes de son commerce.
    Au camp, la peur d’être dénoncé est présente dans les esprits de chacun. Joseph Jégo se souvient avoir ouvertement fait part de cette crainte à son chef Morizur : « Comment reconnaître l’ennemi s’il se déguise en F.F.L ?… lui ai-je demandé ». Non sans humour, il me répondit : « Le jour, je vois clair. C’est par contre la nuit que mes craintes sont les plus grandes car je n’entends pas très bien… Mais, tu sais, le boche se reconnaît à l’odeur! Il sent mauvais ! Alors… »

    Certains F.F.I, comme Henri Denoual, envisagent leur engagement dans les parachutistes. Cette éventualité traversa l’esprit de Joseph Jégo, mais les événements en décidèrent autrement.
    Le 9 juillet, un dimanche, les Allemands avaient cerné le bourg de Saint-Jean-Brévelay. Sur la place du village, tous les hommes de 18 à 60 ans avaient été rassemblés. Au camp, dès cette nouvelle connue, tout le monde se tint prêt. Marienne estime J. Jégo. Il lui enjoint de se poster avec ses hommes dans un coin du champ et s’il fallait partir, ce serait lui, Jégo, qui lui servirait de guide pour le mener à une nouvelle cache…
    « Mon camarade Denoual me dit qu’à l’instigation de Morizur, Marienne avait accepté l’idée d’aller s’attaquer aux Allemands à Saint-Jean-Brévelay, au cours de la nuit. Des prisonniers étaient enfermés à l’école Notre-Dame. On avait songé à les libérer et à évacuer discrètement les habitants les plus proches de l’école… Mais un habitant avait réagi vigoureusement en disant que les Allemands, furieux, mettraient le bourg à feu et à sang. En fait, dès l’après-midi, les prisonniers furent conduits par les Allemands à Locminé… »

    Le soir, la décision est prise de déplacer à nouveau le camp à Kérihuel en Plumelec. «A notre arrivée, avait annoncé Morizur, nous allons peut-être provoquer une réaction de désagréable surprise de la part des habitants du village, mais, il faut bien que nous nous réfugions quelque part !… « Joseph Jégo, pour sa part, décida de rejoindre l’état-major dans la région de Quily-Saint-Servant. « Au moment de nous séparer, Marienne m’exprima son regret de me voir partir, mais Morizur, au contraire, me fit signe de me hâter car d’autres camarades m’accompagnant étaient déjà en chemin… »

    Au village de Castillé en Lizio, ayant quitté le reste du groupe, Joseph Jégo fit halte à la maison Denoual. Reçu par Augustine Denoual, Joseph Jégo constata son inquiétude : son mari n’était pas rentré et toute sa famille était en danger…
    Parvenu au Lehé à Saint-Servant, Joseph Jégo alla chez les Boulvais. « La femme, que je connaissais pourtant, ne voulait plus me connaître… Elle ne savait rien, ne dirait rien. Sur mon insistance et après quelques explications, elle finit par me dire que les Allemands avaient visité le village et que maquisards et paras avaient du s’enfuir du côté du château de Castel en Quily. Reprenant ma route par Lizio, à la sortie du bourg, il y avait un barrage. Deux troncs d’arbres étaient disposés au travers de la chaussée, de manière à faire une chicane. Une sentinelle se tenait entre les deux. M’efforçant de faire bonne figure, avec un léger sourire, je ne me suis même pas arrêté et enfilais la chicane sans descendre de bicyclette…

    A Le Castel, Joseph Jégo put obtenir de certaines de ses connaissances quelques renseignements qui le menèrent au café du Pont de l’Herbinaie… « En arrivant au Pont, j’aperçus Guimard qui longeait le canal avec une fille brune. Faisant semblant de ne pas l’avoir vu, je me dirigea directement vers le café. Je rangea ma bicyclette en l’appuyant au mur, tout près d’un homme occupé à réparer la chambre à air de la sienne. J’entrais et demandais une consommation. A la jeune fille qui vint me servir, je demanda de prévenir Guimard qui, lui, était entré directement dans la cuisine. La fille me fixa du regard, puis quitta la salle sans rien dire. J’aperçus alors Guimard. Il leva les bras et me fit signe de le suivre aussitôt à la cuisine.

    D’emblée, je lui fournis tous les renseignements susceptibles de l’intéresser, en lui faisant part que le P.C de Marienne était réinstallé à Kérihuel en Plumelec. Guimard me confia alors que l’homme, réparant sa bicyclette, était l’ officier para Gray, déguisé en civil. La jeune fille brune devait l’accompagner le lendemain matin pour une mission avec Marienne. Elle ne connaissait qu’une partie du chemin et Guimard pensait qu’elle aurait peut-être des difficultés pour atteindre Kérihuel. Il me demanda d’accomplir la mission à sa place. Après un peu d’hésitation, je m’engageais encore à retourner sur Plumelec le lendemain matin. Le dîner servi au café fut simple, mais copieux. N’ayant rien pris depuis le petit déjeuner, je pus apprécier beaucoup. Après quoi, nous avons pu avoir un lit dans une maison voisine. Réveillés vers 5 heures, nous estimions, l’un et l’autre, avoir bien dormi, comme si nous étions en sécurité… Et pourtant ? La famille Lanoëc, avait l’habitude de prendre de tels risques, leur café étant depuis longtemps un lieu de rencontre entre résistants…

    Au cours de cette époque, surmonter sa peur a été un défi véritable pour Joseph Jégo qui s’est toujours efforcé d’être particulièrement prudent. En ce mardi 11 juillet 1944, Gray et lui envisageaient donc l’itinéraire le plus sûr pour rejoindre le nouveau P.C de Marienne. « Mon compagnon se sentait rassuré avec ses fausses pièces d’identité assez bien imitées. A bicyclette, nous sommes donc partis pour Kérihuel en Plumelec. Au bourg de Quily, personne dans les rues… J’étais partisan de prendre la route de Lizio et de Saint-Aubin alors que Gray préférait passer par Le Roc-Saint-André et Sérent. A mon grand étonnement, il sortit d’une poche une sorte de carte d’état-major de la région. Posséder alors un pareil document était vraiment imprudent. Mais, Gray était plus âgé que moi et, de plus, un officier. Je préférai ne pas lui faire part de ma stupeur. Les deux itinéraires envisagés ayant à peu près la même distance, je souhaitai passer par Lizio : la veille, les Allemands ne m’y avaient même pas fait descendre de bicyclette alors qu’ils surveillaient tout particulièrement le bourg de Serent. Gray, bien décidé à revenir par la nationale, trancha: l’itinéraire paraissant le moins dangereux fut retenu. Nous passerions par Lizio. Décision qui se révélera, ô combien, lourde de conséquences… »

    Arrivés à l’approche du village de Carouge en Lizio, une patrouille d’une dizaine d’hommes, retranchés dans un fossé hors de portée de vue, surgit sur la route à moins d’une soixantaine de mètres de Gray et de Joseph Jégo. Plusieurs fusils furent braqués. L’ennemi établissait un barrage… « Nous roulions côte à côte, mais étions déjà trop près d’eux pour pouvoir nous enfuir. Il fallait faire face… Je pris de l’avance sur mon compagnon pour arriver avec cinq à huit mètres d’avance. Je m’efforçais de faire bonne figure, de prendre un air rassuré. De toute la patrouille, un seul homme parlait correctement français, sans même un accent particulier. C’était un petit soldat bien en chair et très nerveux. Sur sa demande, je lui présentais ma carte d’identité qui était véritable. Il saisit mon portefeuille et contrôla son contenu. J’avais beaucoup d’argent (6 000 F). Je lui répondis que c’était là toutes mes économies. Il me répliqua sèchement qu’étant né en 1922, j’étais donc immanquablement un réfractaire au S. T. 0. Je lui avoua franchement que oui. Il manifesta sa désapprobation en hochant la tête mais me remit mon portefeuille et mes papiers. Alors que je montra ma volonté de poursuivre mon chemin, je fus retenu par mon guidon. Gray, derrière moi, était à son tour contrôlé. Il ne fallut alors pas plus de dix secondes pour que les Allemands s’aperçoivent qu’ils venaient de faire une prise importante. Ils se mirent d’un seul coup à hurler et à parler tous ensemble. Ma bicyclette me fut aussitôt retirée des mains. L’officier braqua le canon de sa mitraillette sur ma poitrine. Cet homme blond foncé, à la face rougeaude, de très grande taille m’impressionna.

    Je fus abreuver de questions : « D’où venez-vous ? Où le conduisiez vous ? De quoi avez-vous parlé ? Depuis combien de temps rouliez-vous ensembles ?» Je me contenta de dire que je venais de rencontrer cet homme… Pendant que Gray était déjà victime de brutalités, on m’ordonna de me mettre tout nu. On me fouilla minutieusement: en plus de mon paquet de cigarettes, ils ne trouvèrent seulement qu’une boîte de pâté de porc que m’avait donné le sergent-chef Tastard. L’un d’eux me dit : «Anglais ! Anglais !» A l’interprète, je répliquais que c’était mes parents qui m’avaient donné cette boite et que c’était un produit français car il y avait des indications en français dessus… Je fus ensuite questionné sur les raisons de mon voyage. Je développais un alibi: «En promenade à bicyclette avec un copain qui allait voir son amie, j’avais eu une crevaison. Comme nous n’avions pas ce qu’il fallait pour réparer; j’avais été obligé d’aller chez des gens pour réparer. Mon copain m’avait expliqué la route à suivre et était reparti sans moi. Reprenant la route, je devais m’être probablement trompé de direction et, par conséquent, je m’en retournai à Plumelec… «

    Je fus conduit le dos au mur d’une remise qui se trouvait à quelques mètres. Là, l’interprète me demanda de dire la vérité et me posa fermement la question ferme : «Où le conduisiez-vous, d’où veniez-vous ?» Restant sans réponse, l’officier qui avait toujours sa mitraillette braquée sur moi, prêt à m’abattre, me donna un coup-de-poing dans la figure qui m’emporta la peau du nez, déclenchant un important saignement. Après les questions réitérées de l’interprète : «Où le conduisiez vous, d’où veniez-vous ?… «, l’officier qui menaçait toujours de m’abattre, tenta de m’envoyer un deuxième coup-de-poing que j’esquivais et qui ainsi alla dans le mur. Alors, saisissant sa mitraillette, il me donna un brutal coup dans l’épaule. Je me plaignis : j’étais innocent! On m’enjoignit alors de me rhabiller sur la route. Les soldats m’aidèrent à cause de mon épaule. Pendant ce temps, Gray était encore questionné et brutalisé. Sans me laisser le temps de boucler mes souliers, on me commanda de prendre ma bicyclette et de reprendre la route vers Lizio. Conduit par l’un d’eux qui, avec la bicyclette de Gray (les Allemands n’en ayant pas, une voiture sera envoyée chercher Gray) roulait à côté de moi tenant le guidon d’une main et son pistolet, braqué sur moi, de l’autre. Le long de ce parcours de près de deux kilomètres, je fus tenté de jouer ma chance en me jetant sur lui, mais dès que je ralentissais pour être en meilleure position, il me faisait signe de rouler plus vite… »

    Au bourg, M. Jégo est jeté dans une voiture sans portière. « Je suis du côté gauche, dès que je bouge les mains, un soldat me les remet sur les genoux. Je devine que je suis conduit à Josselin, où bientôt la voiture passe le pont de Sainte-Croix, traverse la ville pour s’arrêter aux dernières maisons, route de Mohon. Là, accroché par la veste, je suis conduit dans un bureau. C’est une école, aménagée pour une utilisation bien différente. L’interprète qui était à notre arrestation, entre. Il est horriblement furieux. Le regard fixé sur moi, il me dit : «En civil ; en civil ! un comble pour nous ! « Je me comporte alors comme quelqu’un qui ne comprend pas très bien. A ce moment, deux soldats entrent avec Gray, tandis qu’on me fait sortir dans la cour à l’extrémité de laquelle il y a un préau où l’on m’ordonne de casser du bois à la hache le dos tourné à la cour. Après quelques minutes, j’entends des plaintes en provenance du bâtiment du fond de la cour et je comprends qu’il s’agit de tortures. Je me prépare à cette éventualité. Au bout d’un certain temps (environ une demi-heure), un soldat vient me chercher et me conduit à l’endroit d’où provenaient les cris. Dans la pièce, une salle d’école, mon compagnon Gray m’est présenté ; il a la figure ensanglantée, tuméfiée et déchirée, la lèvre inférieure coupée et à demi-pendante, les vêtements maculés de sang. Visiblement, il a eu la tête plongée dans un seau d’eau qui se trouve là ; cependant, il se tient encore bien debout. Profitant des quelques secondes pendant lesquelles nous sommes tournés l’un vers l’autre, il a le temps, sans être remarqué, de me faire un signe par un mouvement de la figure et un clignement des yeux, mais quelle en était la signification ?… Après quelques instants, ils font sortir Gray dans la cour. Ni moi, ni personne, ne le reverront…

    A mon tour, je me trouve face aux tortionnaires qui se préparent comme des ouvriers pour une dure corvée. Plusieurs d’entre eux, en tenue débraillée, parlent parfaitement le français. Ils commencent par m’affirmer que mon compagnon avait parlé, que c’était moi qui le conduisait… Alors, qui m’avait envoyé et d’où venions-nous?… Puis, ils ajoutent : «Nous le savons, c’est le commandant, le gros qui est à côté du canal, qui vous a envoyé. Alors où ?» Comme je recommence les mêmes explications arrangées, l’interlocuteur m’arrête et dit : «Vous avez vu votre camarade? Si vous ne voulez pas parler, eh bien, à votre tour, vous y passerez comme lui…».
    Coûte que coûte, Joseph Jégo devait tenir, il s’en était fait le serment… Quand Monsieur Jégo évoqua les moyens employés pour le torturer et le résultat du traitement qu’il dut subir, nous étions sincèrement horrifiés. Pour les Allemands, il fallait à n’importe quel prix obtenir des renseignements précis sur l’opération lancée dans la région de Saint-Marcel et obtenir de leurs prisonniers la localisation des parachutistes S.A.S et des F.F.I.

    « Sans plus attendre, précisa M. Jégo, on m’attacha les poignets avec une cordelette de parachute, et on me fit asseoir sur le plancher. Une barre de fer m’est alors passée entre le creux des genoux et le devant des avant-bras, de manière à être en boule. Dans cette position, deux bourreaux se mirent à me frapper avec des flexibles dont l’extrémité est prolongée par des fils métalliques découverts et recourbés. Je suis frappé sur les parties fessières et lombaires. J’ai par deux fois la tête plongée dans un seau d’eau. Pour cela, deux bourreaux me soulèvent par la barre et laissent la tête descendre au fond du seau. Conservant très bien mon esprit, je tiens bon le plus longtemps possible et ensuite, laisse un relâchement de tout mon corps. A ce signe, on me retire ; puis la séance des coups reprend. Les questions posées sont toujours les mêmes : «Où le conduisiez-vous ? Où sont les terroristes à Plumelec ?». Comme je ne dis rien, je reçois des coups de plus en plus durs. Finalement, je ne fais plus que me plaindre et implorer les esprits célestes ; ce qui provoque la colère de mes bourreaux, mais aussi leur découragement. Au bout de la séance, qui m’a semblé bien longue, mais qui n’a probablement pas duré plus d’une demi-heure, les tortionnaires, qui sont au nombre de quatre à six à se relayer, me laissent sans me retirer la barre d’entrave. Avant de quitter la pièce, l’un d’eux souhaite me donner un coup de pied dans la tête et profère deux ou trois mots de fureur, la chance fut pour moi qu’un autre intervienne aussi vite car le «godillot» était déjà levé. »

    Dans la minute qui suivit le départ de ses bourreaux, Joseph Jégo est surpris car d’autres soldats pénètrent dans la pièce. Ils retirèrent aussitôt son entrave ainsi que l’attache de ses poignets. Tous sont horrifiés. Joseph Jégo, à son grand étonnement, les entendit parler français entre eux. « Après m’avoir allongé sur une sorte de lit de camp, ils se chargèrent de me nettoyer et soigner vaguement mes plaies. L’un d’eux, déjà âgé, au visage maigre et cheveux grisonnants, s’affaira à laver le plancher du sang et des matières fécales qui tapissaient une grande partie du sol. « Ce vieux m’apporta bientôt une boisson et renouvela régulièrement son offre. Le soir, au moment de leur dîner, il vint m’offrir à manger ; il insista même mais je n’accepta que de boire. Au moment de se coucher dans cette salle, qui leur servait de dortoir, plusieurs me demandèrent si ça allait… Je répondais faiblement, disant que je craignais de passer une nuit difficile. Parmi eux, il y avait un Belge, étudiant en médecine, qui me dit : «Je dors très légèrement, si vous avez besoin vous m’appelez». La nuit me fut effectivement pénible. Je souffrais tant psychologiquement que physiquement.

    Au matin, le cuisinier (ce maigre aux cheveux gris) m’apporta un premier ersatz de café et me dit l’avoir sucré, bien qu’il n’avait pas de sucre pour la section. M’apportant un premier morceau de pain, il regretta de ne pas avoir mieux : ce pain complet était cuit selon lui depuis deux ou trois mois. Très vite, je compris que plusieurs désiraient parler avec moi… Pour me mettre en confiance, ils me donnèrent des informations sur un peu tout. Ils me dirent que leur section était entièrement formée de Lorrains, d’Alsaciens et de Belges. Cette unité, affectée depuis une longue période à la garde d’un état-major dans la région parisienne, avait été appelée depuis peu en Bretagne pour faire la chasse aux «terroristes». Moi, semblant tout ignorer, je me mis à les interroger à propos de ces «terroristes». Ils m’expliquèrent que pour eux c’était «terrible», qu’il y en avait partout, qu’ils pouvaient leur tirer dessus à tout moment, surtout la nuit ; qu’ils les recherchaient en vain le jour car ils étaient déguisés en civil. Ils ajoutèrent que l’on m’avait retrouvé avec «l’un» de ces terroristes et que je subissais, vraisemblablement par erreur, le même sort que tous ceux qui avaient été capturés. Savais-je ainsi que mon compagnon avait sur lui une carte d’état-major ? Ils m’apprirent que Gray avait aussi gardé sur lui son maillot d’évasion (maillot que portaient les parachutistes et qui pouvait être défait pour devenir une cordelette de vingt mètres de long, pouvant résister au poids d’un homme). Ils me précisèrent que cet homme avait dit être d’origine française, mais avait émigré en Angleterre et s’était fait naturaliser Anglais. L’un d’eux ajouta même avec ironie : «Et maintenant, il est revenu pour sauver la France!» De ce dialogue, je compris vite qu’ils croyaient encore à la victoire de la «Grande Allemagne nationale-socialiste» et l’espéraient aussi !

    L’un d’eux, un Alsacien, dit qu’il avait combattu dans l’armée française en 1940, mais que remobilisé en 1941 dans l’armée allemande, il resterai toujours combattant pour le national-socialisme. Ils me présentèrent bientôt des balles de mitraillettes, des jaunes et des blanches. Les blanches étaient anglaises et les jaunes allemandes. Les Anglais n’avaient donc même plus de cuivre !… J’écoutais leur exposé d’un air naïf. Pour eux, l’Allemagne était assurée de la victoire, ne serait-ce que par l’emploi de nouveaux engins de guerre terribles : ses VI, V2, V3 et jusqu’au VI0 !… Le front de Normandie ? Ce n’était pas inquiétant, d’ailleurs, l’ennemi piétinait et serait tôt ou tard refoulé à la mer… Par contre ce qui les préoccupait, c’était la montée du terrorisme… »
    Joseph Jégo clama son innocence auprès des soldats, qui de leur côté espéraient obtenir de ce paysan breton, à sa libération, un peu de beurre et quelques autres victuailles afin d’améliorer leur ordinaire… Leur chef de section leur affirma que le prisonnier serait probablement d’abord envoyé à l’hôpital, mais qu’il fallait attendre l’avis de la Gestapo de Saint-Jean-Brévelay qui avait autorité sur Plumelec. Etant toujours sous la surveillance de la Gestapo, Joseph Jégo en déduisit qu’il ne devait pas se faire d’illusion et profiter de la moindre occasion pour s’évader et tenter le tout pour le tout…

    « Au matin du quatrième jour, vendredi 14 juillet, me réveillant d’un profond sommeil, après avoir passé la majeure partie de la nuit sur les nerfs, je fus étonné de me retrouver seul et de ne rien entendre dans la pièce voisine. Deux soldats entrèrent dans le dortoir. Leur équipe était partie à « la chasse aux terroristes » dans la forêt de Lanouée, et eux étaient chargés de me garder. Ils m’offrirent le petit déjeuner. Je leur demandais de m’aider à m’asseoir sur le bord du lit pour être plus à l’aise. Une fenêtre était juste à ma portée. Profitant d’un moment libre entre leur va-et-vient, je pus voir par les carreaux qu’un grand mur entourait un coin de terre, cultivé en potager et que ce mur était écroulé à un endroit. Au milieu de ce potager, il y avait un puits. Un peu plus tard, un pied sur le coin du lit, je suis parvenu à tourner la poignée de crémone, puis à desserrer la fenêtre par le bas avec la lame de mon couteau. Mes gardiens ne me laissaient seul que de courts moments et je n’étais pas habillé. Je demandai alors à aller aux cabinets d’aisance qui se trouvaient dans la cour, les soldats m’aidèrent à m’habiller. Ils m’aidèrent à me déplacer en me soutenant par le bras, un de chaque côté, tandis que je me laissais largement supporter. Revenu au lit, ils me proposèrent de la lecture. Comme je faisais mine de refuser, ils me recommandèrent de me tenir dans un coin, de ne pas me faire voir aux fenêtres à cause des parachutistes qui, eux, étaient logés dans l’autre bâtiment, sortaient dans la cour et allaient à l’eau au puits du potager. Je n’avais à l’esprit qu’une chose : tenter ma chance au plus vite. Mes gardiens ne me laissaient sans surveillance que de courts moments. J’imaginais saisir l’occasion de la lecture. Je surveillais à la fenêtre, un parachutiste repartait du puits avec des seaux d’eau. J’informais mes gardiens que, finalement, un livre m’aiderait peut-être à passer le temps… Ils m’en apportèrent un, puis retournèrent à leurs occupations.
    Il était environ 9 heures, lorsque je posais le bouquin sur le lit. Un pied sur le coin du lit, j’ouvris la fenêtre et je montais sur l’appui. Un homme, qui bêchait dans l’autre potager au-delà du mur de séparation, me regarda. L’idée qu’il ne donne l’alarme me traversait l’esprit, mais tant pis, je me laissais glisser doucement contre le mur. Je traversais le potager et passais la brèche du mur écroulé.

    Ayant réussi à courir, malgré mon état, sur à peu près quatre centaines de mètres, je savais que seul, je n’irai pas très loin. Aussi, voyant deux jeunes garçons occupés à passer la houe dans leur champ de betteraves, je leur fis signe. Sans hésiter, l’un franchit les cinquante mètres pour venir jusqu’à moi. «Je viens de m’évader. Si tu veux m’aider, je serai sauvé. Si tu me laisses, je suis perdu». Le jeune homme me répondit sans hésitation : «Les Allemands ont tué mon père dernièrement, je t’emmène». Rapidement, il avisa son frère de rester au champ avec leur cheval, puis m’aida à me glisser dans le chemin creux proche.

    Le sentier était en pente et j’accrochais mon sauveteur par la veste. Nous marchions péniblement mais assez vite, le plus vite possible. Une fois suffisamment éloignés, il m’allongea dans un champ de pommes-de-terre et alla chercher sa mère. En quelques minutes, il revint accompagné de sa maman qui, en arrivant, me prit dans ses bras en pleurant à grosses larmes. Nous pleurions tous les trois… Elle décida de remplacer mes vêtements, déchirés et maculés de sang en me donnant ceux de son époux défunt. Il fallait faire vite car j’avais la hantise d’être recherché à l’aide d’un chien. En trois à quatre minutes, elle revint, apportant un costume que j’enfilais à la place du mien qu’elle irait enterrer. Elle recommanda à son fils de repartir aussitôt avec moi, tout en nous prodiguant des conseils de prudence. Mon jeune guide avait des relations avec la résistance depuis l’assassinat de son père et connaissait un compagnon F.F.I, Denis Guéhenneux, qui habitait au bourg de Guégon. Il me proposa de m’y conduire. C’était assez loin et il fallait franchir le canal… René, le jeune garçon me dit : «Le meunier de Saint-Jouan est mon oncle, il a une barque, il ne refusera pas de prendre le risque de nous passer». Nous devions faire un long détour pour atteindre le moulin car selon ce que nous avait répété sa maman, les Allemands étaient en ébullition ce matin-là et circulaient de tous côtés». Nous avons fait de longs détours mais nous n’avons pas vu d’Allemands.

    Au moulin, le meunier, Jules Surel, était absent. La fille de la maison prévint un réfugié hébergé chez eux qui s’occupait dans le moulin, Pierre Le Dévéat, un F.F.I. Le jeune homme s’empressa de prendre la barque et nous fit traverser sans problème… »
    C’est un homme rompu de fatigue qui arriva chez Denis Guéhenneux. Ce dernier avait rejoint le Pelhué le 8 juin, y avait couché et séjourné aux lendemains de la dislocation de Saint-Marcel. Sans hésiter, il prit M. Jégo en charge, ce qui n’était pas sans risque pour lui et les siens. Denis Guéhenneux confirma une bien triste nouvelle : le capitaine S.A. S. Marienne, le lieutenant Martin, le sous-lieutenant Morizur et on ne savait combien d’autres, ainsi que les gens du village de Kérihuel, avaient été surpris de bon matin et abattus…
    Couché dans une remise, Joseph Jégo passa une longue nuit d’insomnie. La douleur des coups reçus et la hantise de se faire surprendre et à nouveau capturé l’assaillaient…

    « Vers 8 heures, après l’accord de ses parents, Denis m’invita à aller chez lui, estimant que le risque n’était pas plus grand. Ensuite, il décida d’aller à la boucherie et de confier au boucher Danet l’existence de ma présence pour avoir un peu de viande sans tickets. Denis en revint avec des côtes de veau. Pour ma part, je pensais à ma famille et ma crainte était que les Allemands ne tombent sur l’un d’eux. ».
    A la maison Guéhenneux, l’inquiétude grandit d’un coup lorsque l’on apprit que les Allemands arrivaient en nombre au bourg de Guégon et interdisaient toute circulation. Une fouille systématique des maisons était à craindre…

    « Par un carreau de fenêtre qui surplombait le bord de la route, nous confia M. Jégo, je voyais leurs casques, certains à moins de trois mètres de moi. Denis et moi-même étions bien conscients du danger. L’étable de la ferme communiquait avec l’habitation. Il y avait environ quarante centimètres de fumier, couche suffisante pour m’y enfouir. Denis me recouvrit de paille et de fumier. Je restais là jusqu’à ce que l’ennemi ait quitté les lieux, soit pendant environ deux heures. Aucune perquisition n’eut lieu !… »

    Le danger couru par les Guéhenneux était trop grand et Joseph Jégo décida de partir pour le village de la Grée Janvier à Billio. Sa soeur, Bernadette, s’y est réfugiée chez les époux Thomas. Comme il souffrait encore beaucoup Denis Guéhenneux l’accompagna. « Il me prépara deux bâtons. En terrain plat et descente, j’arrivais à marcher seul, mais dès que nous rencontrions une côte ou un talus, Denis devait me tirer au moyen des bâtons. ». La marche est exténuante et il faut sans arrêt fuir, passer loin des maisons, éviter les chiens et les dénonciateurs. Après une nuit fraîche passée à la belle étoile, Joseph Jégo a bien du mal à repartir.

    Finalement, le 16 juillet, les deux camarades arrivèrent à la Grée-Janvier à 8 heures. « Ma soeur me regarda et ne me reconnut qu’après avoir un peu hésité. Une immense joie nous saisit alors. Bernadette pleurait de me voir ainsi. Les nombreuses arrestations, celle de notre père, la tragédie épouvantable de Kérihuel, les recherches de plus en plus intenses dans les villages qui terrorisaient la population, l’avance des Alliés en Normandie arrêtée et vigoureusement contre-attaquée depuis quelques jours, tels furent les sujets qu’évoqua Bernadette Jégo à son frère. L’heure n’était pas à l’enthousiasme…

    ules Thomas, bien qu’ayant plusieurs jeunes enfants, prit le risque d’héberger provisoirement Joseph Jégo dans une loge couverte de paille. Celui-ci était trop exténué pour continuer son chemin. « Paulette Grandin, une femme du village qui avait des notions d’infirmière, vint pour soigner mes blessures qu’elle trouva inquiétantes. Le médecin de Plumelec avait été arrêté et on ne pouvait prendre le risque de faire appel à un autre docteur. »
    Mais comme la poursuite des Allemands s’intensifiait dans les environs de Billio, M. Jégo dut se réfugier à quelques distances de la ferme, dans le fossé d’un champ bien dissimulé par un haut talus. Là, les Thomas le ravitaillent et Paulette le soigne comme elle le peut… La nuit, il revenait à la loge qu’il quittait au petit jour… Cela dura douze jours, douze jours où la tension était à son comble car les Allemands poursuivaient leurs recherches…
    « Au soir du jeudi 27, des bruits se répandent sur Billio. Les Allemands cernent des villages, recherchent même dans la nature ; il est encore à craindre qu’ils emploient des chiens. Je suis conscient que ma présence au village met en péril les Thomas. Ainsi, je décide de m’installer pour la nuit au milieu d’un champ de blé noir. Là, bien qu’enroulé dans ma couverture, je n’ai jamais eu aussi froid de ma vie, il m’a été impossible de dormir cinq minutes. Par deux fois, des avions passent à basse altitude, je les crois «alliés» à entendre le ronronnement de leurs moteurs, j’ai comme une sensation absurde de protection… «

    Le 28 juillet 1944, se sentant un peu mieux, Jean Jégo repartit vers Plumelec contacter ses camarades du maquis. Renseigné sur son chemin par quelques unes de ses connaissances qu’il n’y avait pas d’ennemi dans le secteur, M. Jégo arriva au village de Bréhé; où une partie des siens a trouvé refuge. Autre moment d’émotion : « Le parrain Joseph et tante Louise, qui depuis des semaines prennent le risque d’héberger et d’entretenir beaucoup de monde, me demandent de rester avec eux. «Arrivera ce qui arrivera ! « me rassure le parrain, tandis que la tante me confie qu’elle m’a sauvé par ses prières à mon intention… »

    La venue de Joseph Jégo ne passe pas inaperçue à Bréhé puisque dés l’après-midi, le sergent S.A.S. Pacifici, déjà au courant, vient le solliciter. Il a eu à sa disposition un dépôt d’armes et munitions qu’avaient constitué des F.F.I. du secteur. Il doit en expédier discrètement la majeure partie quelque part en la commune de Bignan, où l’attendent des S.A.S. et des F.F.I. Le 31 juillet, à 4 heures du matin, le chargement recouvert d’un peu de trèfle passe le village de Bréhé. Deux S.A.S. en armes et vêtements civils, André Bernard et le sergent Judet, accompagnés de Henri Le Goff, F.F.I., suivent la charrette…

    Vers 9 heures, une habitante de Bréhé, Mme Guyot qui revient de Lautréan (village situé à 2,5 km de Plumelec, route de Trédion), dit qu’aux environs de 4 heures, Lautréan a été cerné par un important nombre d’Allemands qui ont perquisitionné dans toutes les maisons et locaux, vidant même le foin des greniers. Vont- ils encore cerner les villages les uns après les autres ? Pour Joseph Jégo, il faut partir au plus vite encore. Pacifini doit rejoindre le P.C. du capitaine Puech-Samson au moulin de Cornay à Guillac et convainc Joseph Jégo de l’y suivre. Une halte est prévue à Bohurel en Sérent. Arrivé au soleil couchant, c’est l’inquiétude à la maison Louis Duval ; une importante troupe ennemie est en effet arrivée à Sérent. Elle donne à craindre que l’ennemi prépare une opération d’envergure pour le lendemain. « Pacifici trouve une bicyclette et décide de partir par la route, ce qui n’est pas question pour moi. Il me promet de venir me rechercher le lendemain… Au soir du 31 juillet, les époux Duval me conseillent d’aller rejoindre un groupe de F.F.I. dans les taillis à 200 mètres de leur maison. Je les trouve sans difficulté. Ils sont une quinzaine et m’entourent pour me poser des questions sur mes péripéties. Bien que mon récit les intéresse, il faut couper court et préparer la journée du lendemain, chacun prévoyant une attaque ennemie. Le groupe décida de se scinder en deux. Je choisis de suivre l’un d’eux qui cherchait à atteindre une maison abandonnée, située en un lieu isolé au milieu d’un bois et près d’une ancienne carrière entre Quily et Saint-Servant-sur-Oust. Sur l’itinéraire, nous traversons le village de la Grée-aux-Moines où nous nous arrêtons. Cette halte est pour décider du passage du secteur de Sainte-Catherine, où les «boches» fréquentent le café près du carrefour. Le plus facile est d’atteindre la route du Roc à Josselin et passer franchement par le croisement, mais c’est aussi le plus dangereux. Malgré mon insistance pour éviter le carrefour, aucun ne connaissant le secteur, tous s’accordent pour emprunter la route et braver le risque. Alors, je me rends à leur décision. A l’approche du croisement, nous nous séparons pour marcher en file indienne silencieusement de chaque côté de la route. Emile Grignon de Sérent est tête de file ; sur le côté gauche, Jean Lorent de Saint-Brieuc ; côté droit, moi, dernier de ce côté et sans arme. Environ cinquante à quatre-vingt mètres avant le carrefour, dans le fossé côté gauche et alors que nous arrivons à sa hauteur, un soldat, caché par des branchages de chêne, se lève en disant : «Halte là !» Au même instant, nos deux hommes de tête tirent une longue rafale de mitraillette dans la direction, où un deuxième soldat est aussi aperçu. Les deux soldats, probablement très atteints, poussent des cris d’alarmes. Très rapidement, alors que mes compagnons se replient ensemble, je passe le buisson qui longe le fossé de la route. Une couverture que la tante m’avait donnée à Bréhé et que je porte à l’épaule s’accroche aux ronces, je la laisse. J’ai à peine fait vingt mètres que les tirs à la mitrailleuse et aux fusils commencent. Je cours tête baissée, traversant plusieurs haies sans me redresser. Après une certaine distance, alors que je me suis arrêté pour reprendre mon souffle, j’aperçois mes compagnons derrière un talus, les armes braquées. »

    Pas un blessé ne fut à déplorer, le tir de la mitrailleuse était probablement réglé trop haut mais il manque un homme… « Nous marchons pour nous éloigner d’environ un kilomètre jusqu’à une parcelle de terre envahie de hauts genêts. Nous nous enfonçons jusqu’au milieu pour y passer le reste de la nuit. Pendant environ deux heures, nous entendons des tirs de mitraillettes, ainsi que des éclatements de grenades. J’attire l’attention des copains sur le risque d’être encerclés et trahis par le flair d’un chien. »
    Parti en éclaireur le lendemain, Joseph Jégo retrouva le camarade qui était resté isolé. Il avait échappé miraculeusement aux Allemands en s’adossant à un gros arbre. A plusieurs reprises, il dut tourner autour de l’arbre. Il avait pu constater que les soldats lançaient des grenades et tiraient des rafales dans les coins obscurs avant d’avancer…
    Isolé parmi la lande et les bois, le ravitaillement n’est pas simple et Joseph Jégo fit l’expérience d’une population locale parfois hostile à toute aide. Mais, bientôt une nouvelle modifia leur existence : les « Boches » avaient quitté Serent sans se battre. Un retour à Bohurel, chez les Duval eut lieu. Mais, la prudence reste de règle car leur maison n’est qu’à cinquante mètres de la route nationale et le 4 août, l’ennemi est à nouveau à Sérent… Il a rassemblé des hommes sur la place et les terrorise.

    Au cours de l’après-midi, M. Jégo apprend qu’un parachutage doit avoir lieu sur le terrain Baleine à Saint-Marcel et qu’il devait donc s’y rendre avec son groupe. En soirée, ils décident de partir mais à peine la nationale franchie, Alexandre Garel, qui est parti avec un peu d’avance, se mit à tirer avec son fusil mitrailleur. Il faisait face à un convoi allemand !… Les Allemands descendirent de camions, tirant à outrance. Garel, bien pourvu en munitions, les contint. « Moi, je vis des balles tirées par les Allemands frapper les toits de la ferme des Duval. Masqué par les bâtiments, j’atteins le taillis, le traversai et continuai à m’éloigner. Etant à 400 ou 500 mètres, je vis une épaisse fumée noire s’élever au dessus de la ferme. Elle était en feu. Je regrettai d’avoir laissé Madame Duval et ses enfants derrière moi. Mais c’était trop tard, les Allemands devaient être sûrement à la ferme. Au village du Pério, trois maquisards m’invitèrent à rester avec eux. Ils étaient grisés à la perspective de pouvoir bientôt tirer au derrière de l’occupant qui battait en retraite… Toute la nuit, nous sommes restés sur le qui-vive… »
    Le convoi allemand attaqué avait en fait repris sa route, Sérent était vraiment libre. La ferme des Duval, atteinte par des balles incendiaires n’avait qu’en partie été dévastée par le feu et les Duval avait pu se sauver. Les Allemands, se sentant traqués, n’étaient pas venus à la ferme !
    « J’apportai mon aide pour déblayer l’étable des détritus qui fument encore lorsqu’une voiture militaire arriva et s’arrêta devant la maison. J’eus encore le réflexe de me cacher… En fait, quatre Américains étaient à bord. Un officier est sorti pour annoncer à Madame Duval la libération, puis la voiture est repartie…

    Le lendemain, 6 août, à partir de 8 heures, un roulement commence à se faire entendre qui semble provenir de la route de Malestroit-Sérent. Bruit discordant des véhicules qui bientôt passent Sérent et direction Plumelec. Pas la moindre circulation sur la nationale, où nous attendons la venue de la colonne des blindés américains. Les Allemands revenaient-ils sur leurs pas ?… Duval, n’y tenant plus, prit sa bicyclette pour faire un tour au bourg pour voir. Il en revint tout enthousiasmé s’écriant : «C’est les Américains ! La colonne a dû passer par Malestroit : les Allemands ont fait sauter le pont du Roc ! » . Il m’invita à trinquer avec un bon verre. Je décidais de partir aussitôt pour Plumelec. Sur la route, toutes sortes de véhicules de la colonne américaine passaient sans interruption. A Plumelec, la 7e compagnie avait placée des hommes à tous les carrefours. On se préparait à la chasse aux «boches» à partir de demain, me dit-on. Selon certains renseignements, les Allemands infestaient encore un peu partout la campagne…

    Louis Simon, devenu capitaine et commandant de la place de Plumelec dont dépendait aussi toutes les communes du canton,. me recommanda de rester chez moi jusqu’au retour de mon père… » .
    Les soldats américains sont acclamés par une Bretagne enthousiaste qui, après des mois de terreur, apprécie le soleil de sa libération. Les soldats répondent inlassablement les bras levés, les doigts disposés en V. Des jeunes et des moins jeunes jettent des fleurs sur la route lorsqu’ils ne peuvent les offrir. Scène de liesse authentique mais que d’amertume pour tout ceux que la guerre avait touché dans leur chair. Joseph Jégo est de ceux-là. Mathurin Jégo, son père, n’est pas revenu reprendre sa place à la tête de la ferme familiale du Pelhué… Mathurin Jégo fut l’un des cinquante et un patriotes exécutés au fort de Penthiévre le 13 juillet 1944. Entassés les uns sur les autres, leurs corps furent découverts le 16 mai 1945, les poignets liés dans le dos. Tous portaient encore des traces de tortures…
    Joseph Jégo réussit à survivre à ce sombre épisode de sa vie dont le souvenir pèse aujourd’hui lourd dans son esprit. Les images de la guerre en Bosnie, en Tchetchénie, l’interpellent et ravivent sa mémoire. « Il est plus facile d’éteindre un feu quand il commence. Plus il grossit, plus il devient incontrôlable et dangereux… ». Il faut être vigilants face à l’essor des minorités. Certaines sont animées par des principes néo-fascistes, voire même néo-nazis et cela, cinquante ans après la victoire sur la barbarie hitlérienne, ce n’est vraiment pas supportable. . . 

     


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  • 18 mars 1994 - Témoignage de Mr Joseph Jégo (la cavale d'un homme courageux)

    Lorsque la guerre éclata, le 3 septembre 1939, Joseph Jégo était un jeune homme. En 1940, travaillant dans la ferme bretonne de ses parents, il apprend par la T.S.F – la radio d’alors – l’invasion allemande. La signature de l’armistice représente pour lui et ses compagnons une humiliation inacceptable que le maréchal Pétain avait accepté d’assumer.

    « Pour nous, nous a t-il confié, le maréchal avait reçu un mandat par les politiciens d’alors – les vrais responsables de notre malheur -. Sa grosse faute apparut en fait plus tard, celle de laisser faire un gouvernement et toute une équipe de criminels… Les conditions de l’Armistice étaient vraiment dures. L’une d’elle prévoyait l’occupation des deux tiers de la France et la Bretagne en faisait partie. Quelle honte et quelle rage en furent ressenties, surtout pour les anciens de la guerre de 14 ! Pour beaucoup de jeunes aussi. L’attitude à adopter était claire « subir l’Armistice mais refuser de l’accepter… »

    En 1943, Joseph Jégo a 21 ans. Il est, comme beaucoup de jeunes garçons de son âge, réquisitionné pour partir au S.T.O en Allemagne. C’en est trop et Joseph Jégo manifeste son désir d’entrer vraiment dans la lutte contre l’occupant. Non, il ne partira pas en Allemagne. « J’ai refusé immédiatement, et comme bien d’autres, j’ai pris le maquis ». Là commença vraiment son aventure dont j’ai souhaité relater certains épisodes marquants…

    Joseph Jégo se souvenait encore très bien de l’invasion des Allemands dans la région de Ploërmel. Dès leur arrivée, ils s’emparèrent d’un moulin implanté au sommet d’une colline qui dominait les landes de Lanvaux. De là, on pouvait observer nettement tous les environs.
    M. Jégo choisit de ne pas rester à la ferme familiale de Plumelec : s’il prenait encore le risque de travailler aux champs durant le jour, il passait la nuit caché car il avait peur d’être capturé et envoyé en Allemagne. Par l’intermédiaire d’un ami de la Résistance, il parvint à obtenir de faux papiers qui lui faisaient changer d’identité. « Certains d’entre nous avaient en 1943 fabriqué des faux papiers en relation avec un fonctionnaire de la Préfecture de Vannes. » Joseph Jégo prit ainsi le pseudonyme de Monsieur Juelle et devint membre de la Résistance intérieure.
    Joseph Jégo décida de rejoindre le maquis de Saint-Marcel. Ce maquis compta plus de 1500 hommes. Ils survivaient grâce à l’entraide des paysans alentours qui les aidaient et les ravitaillaient. Il fallait les convaincre que, seule, la cause de la Résistance était la bonne et que par conséquent, il fallait la soutenir activement. Il fallait aussi être très prudent car parmi la population locale se glissait un petit nombre de collaborateurs particulièrement actifs. « Nous devions vraiment filtrer les engagements dans nos rangs. Malgré ce filtrage, les effectifs du camp augmentèrent dès les jours qui précédèrent le Débarquement. Les arrivées par équipes déjà organisées s’intensifièrent vraiment deux et trois jours après le Débarquement en Normandie. »

    Sans l’aide d’une grande partie de la population locale, se nourrir eût été très difficile pour les maquisards et les parachutistes S.A.S. L’armée d’occupation dévalisait les magasins et les fermes par des achats massifs mais aussi par des réquisitions et du pillage.
    A cette époque, les rumeurs se répandaient vite, certaines prenaient naissance lors de l’écoute de la B.B.C qui adressait régulièrement des messages codés. « Beaucoup nous parvenaient, mais leur signification nous était souvent inconnue. Certains d’entre eux étaient vraiment hermétiques tels que « la panthère a rapporté le panier de cerises ». Emettre des messages, en recevoir, exigeait une grande prudence car les Allemands, parfois à l’aide de traîtres infiltrés dans les réseaux de Résistance réussissaient à les décrypter…

    Jusqu’au printemps 1944, Joseph Jégo réussit à cacher dans la ferme familiale du hameau de Pelhué à Plumelec des réfractaires au S.T.O et des résistants… Nous savons tous que les maquis menaient diverses actions de commandos. Notre interlocuteur effectua avec quelques compagnons plusieurs opérations de ce type. « On devait faire sauter des rails de chemin de fer et je vous prie de croire que cela faisait alors un sacré boom dans le pays… » Ces actions effectuées avec des explosifs fabriqués dans la pharmacie de Plumelec furent toutes conduites à bien… Les actes de sabotages se multiplièrent. En 1944, dans les semaines qui précédèrent le Débarquement, Joseph Jégo comme de nombreux autres maquisards dut mettre à terre des poteaux téléphoniques et sectionner tous les fils. Mais, si le Débarquement approchait, la libération de la France semblait alors encore lointaine.

    Le dimanche 4 juin 1944, il fut décidé d’établir dans la ferme de son père le poste de commandement du maquis de Plumelec et alentours.
    Le 5 juin, lors d’une garde nocturne, il aperçoit dans le ciel un avion militaire qui parachute des hommes. Il y avait un peu de lune. La relève était prévue pour le milieu de la nuit. Debout au pied d’un arbre, M. Jégo et ses camarades devaient rester en faction pour surveiller une route. « Je n’avais pas de montre et le temps me paraissait bien long. Mais bientôt, j’entendis un avion dans la direction de Trédion. Il passa au-dessus de Plumelec et je l’aperçus qui lâchait quelque chose. Je pense qu’il s’agissait de tracts ou de matériels destinés à se protéger des appareils détecteurs de communication radio. Trente à quarante minutes plus tard, des coups de feu se firent entendre au nord de Plumelec. Ces tirs furent continus pendant environ une quinzaine de minutes, puis vint une accalmie. A ce moment, Henri Denoual, un de mes camarades arriva. Il me demanda d’être très vigilant. Joyeux, il m’assura que le Débarquement avait bien lieu à partir de cette nuit. Devant ma perplexité, il insista en m’assurant avoir entendu le message et comprit que c’était bien le jour J ! A peine m’avait-il quitté que des véhicules se firent entendre en direction du bourg de Plumelec. Puis les tirs reprirent également dans la même direction avec grande intensité. Il était environ 23 h 30, ce 5 juin 1944. Je fus bientôt relevé de mon poste et je rejoignis mes compagnons au repos à l’est du petit bourg de Saint-Aubin… »
    La ferme familiale est alors devenue un haut-lieu de la Résistance locale. La famille Jégo est entièrement mobilisée. Fournitures et matériels les plus divers y sont rangés soigneusement. Une voiture est camouflée dans une remise depuis plusieurs jours et elle est prête à partir en cas de besoin.

    La journée du 6 juin 1944, le jour J, est remarquablement calme. Rien ne se déroule dans la région de Plumelec si ce n’est les mouvements continuels des patrouilles allemandes de plus en plus nerveuses. Le Débarquement est engagé en Normandie, mais les bombardements qui s’y déroulent se font entendre à Plumelec !.

    Le 7 juin, Joseph Jégo reçut l’ordre de porter secours aux parachutistes attaqués par l’occupant. Il apprit ainsi la raison de la mitraillade de la nuit du 5 au 6 : un groupe de parachutistes, qui avaient été lâchés à mille mètres seulement de l’observatoire allemand de la Grée de Plumelec, avait été attaqué et avait subi des pertes. Bien que les événements aient totalement perturbé le commerce, ce 7 juin était un jour de foire à Plumelec. Morizur et Denoual, compagnons de Joseph Jégo, en profitèrent pour faire une sortie dans le bourg. Vers 15 heures, Denoual revint au Pelhué et transmit la nouvelle mission à accomplir : un contact était établi avec des parachutistes français réfugiés dans une ferme à l’ouest du grand bois de Donnan et à Saint-Jean-Brévelay. Il fallait leur venir en aide et les accompagner jusqu’au Pelhué…

    « Avec mes deux plus proches compagnons, Gabriel Guimard et Jean Lorent, hébergés au Pelhué et Denoual, nous avons emprunté chemins creux et sentiers pour longer la vallée de la Claie en évitant de nous exposer à la vue du guetteur de l’observatoire allemand. La distance à parcourir est d’environ sept kilomètres. Après avoir traversé la route de Plumelec-Plaudren à une vingtaine de mètres du pont de Kergonan, nous suivions un chemin d’exploitation qui, sur la gauche, longeait des prairies et de l’autre côté, le grand bois de Donnan. Nous marchions en file indienne et j’étais le dernier. Après un peu plus d’une centaine de mètres, j’aperçus à deux pas de notre passage un homme en uniforme militaire, un peu camouflé par une touffe de genêts et de fougères. Craignant qu’il puisse s’agir d’un Allemand, je fis semblant de ne pas l’apercevoir. Après une cinquantaine de mètres, je finis par en parler à mes compagnons tout en continuant à marcher. Denoual qui était en tête, arrêta la marche pour me demander des explications. A ma surprise, j’étais le seul à avoir vu cet homme. Denoual prit l’initiative de s’informer de qui il s’agissait, il était le seul parmi nous à avoir un pistolet. Il le tint à la main sans le sortir de sa poche, puis se présenta à cet individu avec un air inspirant confiance tout en lui demandant ce qu’il faisait là ! Après une certaine suspicion mutuelle, la confiance fut vite établie. Se déclarant parachutiste français de la France libre, il le prouva en montrant son uniforme anglais, sa carabine américaine et son gros colt [quoique sans que nous le sachions encore, l'ennemi ait eu cet équipement depuis le jour précédent pour nous piéger... ]. Il nous déclara s’appeler Philippe et appartenir au stick de neuf hommes resté à environ trois cents mètres sur la hauteur, dans les bois. Il faisait le guet car il attendait le passage d’un compagnon d’un autre stick qui devait longer la rivière, dans le but de réunir les deux sticks… «Mon lieutenant commence à s’inquiéter pour la mission, affirma t-il ». Denoual lui répondit : «Nous sommes justement venus pour nous en occuper… »
    A la ferme du lieu-dit la Petite-Métairie, Morizur, chef F.F.I, était en compagnie d’un lieutenant- parachutiste et des fermiers ; il nous attendait. Le contact avait été réussi avec les deux groupes de parachutistes. Des appareils-radio étaient restés à l’orée du bois. Morizur nous commanda d’aller les rechercher et de nous joindre à un parachutiste qui faisait le guet. Il nous informa que les deux groupes étaient chargés de la même mission, que son lieutenant s’appelait Marienne et l’autre, Déplante… Les radios installèrent leur matériel. Quelqu’un demanda à Guimard d’aller tourner la manivelle de l’électrogène. Un premier message dicté par le lieutenant Marienne fut aussitôt envoyé à Londres… Les deux officiers, Marienne, un homme de 36 ans et Déplante, 32 ans, me parurent avoir une parfaite maîtrise de leur mission et ceci malgré les revers subis. Leurs hommes avaient une grande confiance en eux et se comportaient de façon parfaitement décontractée.
    Joseph Jégo nous relata son étonnement en découvrant la quantité de matériels et de bagages des parachutistes S.A.S qu’il fallut transporter régulièrement et discrètement de cache en cache…

    « Ce premier soir, les préparatifs pour ce transport à la ferme de Pelhué prirent beaucoup de temps. A la ferme des époux Le Callonnec, Morizur et Denoual s’étaient présentés en disant qu’ils étaient de la Résistance et qu’ils avaient besoin d’aide, demandant s’ils pouvaient avoir deux charrettes avec conducteur pour convoyer du matériel militaire. Le Callonnec, qui n’avait qu’une charrette, dit qu’il ne pouvait pas faire plus. Alors, Morizur, son chef F.F.I., lui demanda d’aller à la ferme de Kersigalais, qui était toute proche, pour convaincre le fermier François Mainguy de venir avec son cheval et sa charrette pour le deuxième convoi. Eugène Le Callonnec dit à son fils Joseph, 18 ans, de préparer cheval et charrette ainsi que du trèfle pour recouvrir le chargement…

    Morizur avait, par ailleurs, demandé à Mme Le Callonnec s’il pouvait faire entrer des parachutistes et si elle voulait bien leur préparer une simple collation. Germaine Le Calonnec le fit de bon coeur : beurre et omelettes, tout ce qu’elle avait de pain et du cidre furent offerts.
    Le jeune Joseph Le Calonnec partit le premier, Denoual et Lorent suivirent. Ils empruntèrent le chemin le moins fréquenté mais le plus tortueux, en longeant et en traversant la lande du bas de la Grée de Plumelec par le bas de la colline à quelques centaines de mètres de l’observatoire allemand. « Quant à moi, qui ai à conduire une équipe de dix hommes qui ne portent plus que leurs armes légères et un minimum de munitions, j’étudie mon itinéraire pour franchir la zone exposée avec le plus de précautions possibles. Je connais très bien les chemins de cette vallée et j’évite que l’équipe soit aperçue par le guetteur de l’observatoire. En tête, je progresse dans les chemins creux de village en village surveillant continuellement en direction de l’observatoire. Arrivé chez moi, à la ferme de Pelhué, nous avons retrouvé des F.F.I ainsi que les officiers Marienne et Déplante. »

    Mathurin Jégo, le père de Joseph, accueillit les parachutistes dans sa ferme. Marienne et Déplante entrèrent les premiers. « Dans la salle-cuisine éclairée par une simple lampe à pétrole, Mme Morizur, préparant le dîner avec ma soeur Bernadette les embrassa en pleurant d’émotion. » Tout le monde fut invité au repas qui fut servi sur la grande table de la maison Jégo. Parachutistes et F.F.I. s’installèrent pour la nuit dans le grenier. Un poste de garde fut mis à sa place et assuré par les paras sur la route d’accès à la ferme.
    Dans la nuit, à vive allure, les officiers partirent en traction-avant Citroën pour le quartier général de la résistance locale, à la ferme de la Nouette.

    Dans les jours qui suivirent, Joseph Jégo, ses camarades F.F.I. et les paras S.A.S., durent rejoindre cette ferme. Il nous raconta sa première vision du camp : « Le vendredi 9 juin, nous sommes arrivés à la Nouette vers 6 heures. Nous avons constaté que beaucoup nous avaient devancés. La plupart étaient occupés à des installations comme s’il s’agissait de préparer une kermesse… Deux ou trois petits groupes étaient campés dans de petits taillis au nord de la ferme. Quelques-uns, sur les chemins et sentiers d’accès, surveillaient les environs et demandaient le mot de passe à toutes les personnes qui se présentaient. Si elles ne les connaissaient pas, elles étaient accompagnées jusqu’au P.C du camp. Une quinzaine de parachutistes S.A.S étaient groupés entre deux maisons et semblaient être occupés à revoir le contenu de leur sac.
    Nos chefs nous firent ranger de manière à être corrects comme pour une revue. Devant le colonel Morice, les lieutenants paras Marienne et Déplante, le capitaine Guimard prit la parole : « A partir de ce moment, vous êtes militaires, vous devez vous soumettre aux ordres de vos supérieurs, vous allez très vite être armés… » Ce discours « musclé » surprit beaucoup de mes camarades…

    Puis, des jeunes filles nous distribuèrent des brassards blancs, portant les lettres F.F.I. Ensuite Guimard nous conduisit lui-même à une centaine de mètres au nord de la ferme. Nous devions assurer la surveillance d’une zone au nord-ouest et à l’est.»
    Entre ses heures de garde, Joseph Jégo put circuler librement dans le camp, rendant visite à ceux qui s’employaient aux travaux d’installations et de fonctionnement du camp. Il participa aussi aux corvées : aller à l’eau avec deux barriques dans une charrette, placer des fourneaux pour la cuisine, casser du bois, tirer du cidre… Le camp devait faire vivre un nombre croissant d’individus.

    « Au soir du premier jour, on nous annonça qu’il devait y avoir un parachutage en soirée et que nous devions nous porter à l’aide des parachutés. Si une clairière de quatre centaines de mètres de long et une centaine de large était assez bien dégagée le long des bois, l’autre partie des terres étaient jalonnée de lignées de grands arbres
    A l’heure prévue, l’équipe qui devait assurer le balisage, était sur le terrain, munie de lampes. Toutes les secrétaires et femmes-agents de liaisons, étaient également présentes ainsi que les gens des environs.

    Bientôt, un ronronnement d’avion se fit entendre. Les lampes s’allumèrent. Les avions apparurent et commencèrent à tourner. Le premier qui prit l’alignement de la zone balisée effectua la première partie de son largage. Une dizaine de parachutes apparurent alors dans le ciel et le premier d’entre eux était bleu, blanche, rouge. A l’instant où les paras touchèrent le sol, tout le monde se porta à leur aide. Dans la nuit, les filles répétèrent sans arrêt le mot de passe: Dingson ! Dingson !… Pour nous, il fallait agir au plus vite, libérer le terrain pour le largage suivant. Les avions passèrent tour à tour et, après les hommes, ce furent les containers qui tombèrent. En bordure d’un talus, un sac prit feu et son contenu se dispersa dans une série de crépitements et d’explosions. Chaque homme parachuté était accompagné jusqu’au quartier général de la Nouette avec son parachute et ses bagages. Les équipes de ramassage des containers travaillérent une bonne partie de la nuit, en principe sans lumière et en faisant le moins de bruit possible. »

    Le 10 juin au matin, Joseph Jégo apprit que le chef du régiment de S.A.S., le commandant Bourgoin, faisait bien partie des parachutés de la nuit. Il était manchot et c’est pourquoi les Britanniques lui avaient attribué un triple parachute qui, par une délicate attention de leur part, avait été réalisé en bleu, blanc, rouge…

    La 7ème compagnie, compagnie de Joseph Jégo, reçut la responsabilité de la surveillance d’un secteur plus vaste, le long de la zone de parachutage ( le camp atteignait alors plus d’une centaine d’hectares.)

    Le lundi 12, la compagnie reçut l’ordre de se rendre à la Nouette, section par section, pour se faire armer : mitraillettes ou fusils et deux grenades par homme. « En principe, chacun devait accepter l’arme qui lui était remise. Il me sembla comprendre que l’on attribuait un fusil aux plus grands et une mitraillette aux plus petits. Pour moi, ce fut une mitraillette «Sten» avec trois chargeurs et cinq ou six paquets de cartouches. Revenus à nos positions, un S.A.S. nous donna des instructions sommaires pour le dégraissage, le montage, l’entretien ainsi que la manière de s’en servir, bien que la compagnie comprenne des anciens qui avaient l’expérience des armes. Pour ma part, je connaissais la Sten depuis plus d’un an déjà…

    Au soir, on désigna des hommes pour prendre un tour de garde durant la nuit entière sur la colline boisée au sud de la Nouette. Je fus du nombre. Il faisait vraiment noir et le temps était un peu pluvieux : aucun parachutage n’était donc possible. »
    Le lendemain, en compagnie d’un parachutiste S.A.S, Joseph Jégo était encore de garde. « A côté d’un sentier, un container tombé la nuit précédente n’avait pas encore été enlevé, il faisait partie de ma responsabilité que personne n’y touchât. Le S.A.S. l’ouvrit. Il y avait un assortiment de boîtes de fruits ! Le S.A.S. en ouvrit une d’un kilo. Je croyais qu’il m’aurait offert de partager, mais il attaqua seul. Je le regardais et pas question pour moi d’y toucher. Rendu à la moitié de sa restauration, il finit par me dire : «Si t’en veux, tu peux en faire autant !» Alors, à mon tour, j’ouvris une boîte d’un kilo : un délicieux mélange de fruits au sirop. Si, en de rares occasions, j’avais apprécié un entremet de cette sorte, jamais d’une composition aussi variée !…

    En cours d’après-midi, nous avons été informés que des F.F.I. et des S.A.S. s’étaient attaqués aux Allemands au bourg de Plumelec ; l’accrochage avait mal tourné pour les Français et un lieutenant S.A.S. avait été tué par le mitrailleur posté en haut de l’observatoire. »
    En fin d’après-midi, la compagnie reçut l’ordre de porter ses positions à l’ouest du camp. Ce fut en plein bois que Joseph Jégo et ses camarades durent se faire un nouvel abri. La nuit du 13 au 14 juin fut très froide. De plus, le ronronnement des avions était permanent. Impossible de dormir. A l’aube, il neigeait… Il y eut une couche de deux centimètres !.

    Le mercredi 14, chacun put constater qu’une importante quantité de containers restait sur le terrain et dans les bois. Il fallut employer trois camions et de nombreux d’hommes pour évacuer le tout au dépôt. Le camp avait considérablement augmenté. A l’est, les postes avancés avaient été portés tout près du bourg de Saint-Marcel. Quant à la nourriture, il fallait aller la chercher à la ferme de Beauséjour. Joseph Jégo se souvient encore : «Pour la cuisine, quatre fourneaux étaient alignés dans une remise de cette maison, cinq ou six hommes s’activaient autour. Du boeuf en sauce mijotait dans deux fourneaux et des pommes de terre dans les autres. Deux femmes balançaient de la salade dans une lessiveuse de 70 litres et deux hommes tiraient du cidre de deux barriques placées dehors. Après un moment d’attente, nous recevûmes notre ordinaire et on nous faisait comprendre qu’il fallait partager, car cette cuisine était pour neuf cents hommes ! A notre arrivée, les copains ne manquaient pas de faire la grimace en découvrant le contenu des plats. Cependant, la compréhension suivait le mécontentement car chacun savait que le problème du ravitaillement n’était pas facile pour un maquis de cette importance.

    Le jeudi 15, nous avons eu la visite d’un agent de liaison qui nous donna des nouvelles de Plumelec. Il m’informa, que tous les soirs, il se rendait au Pelhué. Notre ferme était désormais connue comme un lieu de rendez-vous où chaque soir, dix, vingt ou trente gars attendaient pour être guidés de nuit jusqu’au camp. Je réalisai alors que le centre de ralliement du Pelhué était connu bien au delà du recrutement de la 7ème compagnie. Cela m’inquiétait car les risques pris par ma famille augmentaient…

    Par ailleurs, avec tous les acheminements en direction et au-dessus du camp, comment les Allemands, si nombreux et si organisés dans la région, pouvaient-ils ne pas s’être aperçus de quelques chose ?… Pourquoi aucune patrouille allemande dans ce secteur ?… »
    Peut-être l’occupant, présume aujourd’hui Joseph Jégo, était-il trop occupé par l’envoi de renforts sur le front de Normandie. Cependant, le vendredi 16, tout se précipita : l’ ennemi approchait. Les Allemands étaient signalés au bourg de Sérent. Alors que les parachutages d’armes continuaient, l’inquiétude grandit d’un coup.

    « On nous informa que nous étions alors près de 2 500 hommes armés au camp ( bien qu’en réalité, nous ne soyons que 1 500 probablement ). Des fusils-mitrailleurs et des engins antichars furent attribués à la plupart des sections ; ils furent remis aux vétérans qui avaient une instruction militaire et une expérience au combat. Dans la nuit du 16 au 17 et surtout du 17 au 18, il y eut encore de nombreux avions qui lâchèrent leur chargement. Cette dernière nuit, des containers tombèrent à moins d’une vingtaine de mètres de notre abri.
    De bon matin, le dimanche 18, nous avons été informés qu’il était encore arrivé des hommes et des jeeps… » . . . 

     


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  • Alors que la Garde républicaine mobile est dissoute, l'armée allemande d'occupation consent à maintenir en fonction les unités de la gendarmerie départementale. Les gendarmes conservent ainsi leur organisation, leurs casernements, leur armement individuel et leurs moyens de liaison. C'est donc une force militaire et policière structurée, bien équipée et très imbriquée à la population. Connaissant tout le territoire en zone urbanisée comme en zone rurale, les gendarmes sont rompus à l'acquisition du renseignement.

    Bénéficiant presque d'une entière liberté de mouvement, ils sont en mesure d'observer à loisir le dispositif ennemi et ses installations de défense, puis d'en rendre compte. Grâce à leurs moyens de communication (téléphone), ils prennent des contacts, transmettent des renseignements et alertent les personnes en danger. Dans leurs casernements, ils cachent des armes, des personnes recherchées et accueillent des résistants pour des réunions d'état-major ou des séances d'instruction militaire. Au regard de leur formation militaire, ils sont à même d'instruire puis d'encadrer les maquisards et les mener aux combats de la Libération.

    Durant la première année de l'occupation, de nombreux gendarmes du Morbihan utilisent ces possibilités pour résister aux entreprises de l'ennemi.

    Les débuts de la résistance dans le Morbihan

    À ce moment, la résistance n'est pas encore organisée et les actions conduites relèvent plutôt de l'initiative individuelle. Elles sont essentiellement orientées vers la protection des personnes.

    • éliminer, dans les archives des unités, les informations pouvant être utilisées par l'ennemi,
    • alerter et assister les personnes recherchées par l'ennemi.

    D'autres actions visent à préparer les hommes à la résistance active :

    • récupérer les armes abandonnées pendant la débâcle,
    • constituer des dépôts clandestins,
    • rechercher des appuis parmi la population pour mettre sur pied les réseaux.

    La naissance d'un réseau propre au Morbihan

    Le 20 juin 1941, le chef d'escadron Maurice GUILLAUDOT prend le commandement de la compagnie du Morbihan. Déterminé à lutter contre l'ennemi, il communique rapidement à ses subordonnés son enthousiasme à participer à la libération du sol national.

    Ses premières instructions données aux gendarmes sont de :

    • détruire, dans toutes les brigades, les documents compromettants pour certaines personnes,
    • protéger la population, même à son insu,
    • rechercher en permanence les renseignements sur l'implantation militaire ennemie dans le département,
    • préparer à la reprise du combat le moment venu.

    En 1942, le commandant GUILLAUDOT, alias « Yodi », se trouve à la tête d'un réseau remarquablement organisé, le réseau « Action » , dont les membres sont extrêmement bien placés et formés pour agir avec efficacité : beaucoup de gendarmes étant titulaires du brevet de chef de section.

    La mission « Cockle » .

    Dans la nuit du 21 au 22 décembre 1942, un avion britannique parachute, au-dessus de l'étang au Duc à Ploërmel, deux agents de la France Libre : Guy LENFANT, alias « Lebreton », et André RAPIN, radiotélégraphiste. La mission « Cockle » ("coquillage") est lancée : elle consiste à organiser la réception de parachutages d'armes en vue d'équiper les futurs maquisards. Un réseau se développe autour de quatre personnages :

    • Honoré CHAMAILLARD, alias « Galimard », de Ploërmel,
    • Julien LE PORT, alias « le coureur », de Melrand,
    • le lieutenant Théophile GUILLO , alias « Chuais », commandant la section de gendarmerie de Ploërmel,
    • Henri CALINDRE, alias « Mistringue », secrétaire de la mairie de Ploërmel.

    Des terrains de parachutage sont repérés et signalés à Londres. De nombreux parachutages d'armes ont lieu durant le premier semestre de l'année 1943, dans les régions de Ploërmel et Pontivy. Ces armes équipent bientôt le réseau « Action » et l'Armée secrète du Morbihan.

    Début 1943, la recherche du renseignement militaire s'intensifie et, en juin, « Yodi » adresse à Londres le fameux « panier de cerises », resté célèbre dans les annales des services de renseignement français.

    Fin 1943, « Action » dispose d'un effectif de 3.000 hommes encadrés et armés, répartis en quatre bataillons prêts à l'action militaire.

    Le réseau « Action »

     

    Le lieutenant GUILLO fait entrer son chef, le commandant GUILLAUDOT, dans le réseau « Cockle ». Ce réseau s'enrichit alors d'une organisation militaire qui s'étoffe de cadres et d'instructeurs. La quasi-unanimité des gendarmes entre progressivement dans la Résistance.

    En juillet 1943, Valentin ABEILLE, alias « Fantassin », délégué militaire régional de la France Libre, entreprend d'unifier les formations combattantes de la Résistance. Avec le commandant GUILLAUDOT, il crée le réseau « Action », dont la gendarmerie constitue l'ossature. « Action » est le réseau morbihannais du mouvement « France combattante ». « Yodi » en est le chef départemental et prend le capitaine de frégate de réserve Paul CHENAILLER , comme directeur adjoint du service du ravitaillement à Vannes.

    Courant 1943, le réseau « Action » est rallié par d'autres réseaux et intensifie son recrutement. Des sections puis des compagnies se créent dans tout le département. Au fur et à mesure, des armes et des explosifs leur sont distribués. Simultanément, l'instruction militaire sur les armes nouvelles et les explosifs est dispensée par des instructeurs envoyés par la France Libre. Lorsque le commandant GUILLAUDOT est arrêté par la Gestapo, le 10 décembre 1943, son adjoint Paul CHENAILLER lui succède à la tête du réseau. Il prend le pseudonyme de « colonel Morice » en l'honneur de son chef.

    L'armée secrète du Morbihan

     

    Le 15 décembre 1943, le général AUDIBERT, délégué militaire de la France Libre pour la Bretagne et les Pays-de-la-Loire, décide la fusion des unités combattantes de la Résistance dans le Morbihan. Il désigne « Morice », à la tête du mouvement le plus important et le mieux organisé, comme chef de l'ASM.

    En janvier 1944, Paul CHENAILLER forme son état-major et crée un corps-franc, spécialisé dans le sabotage et les coups-de-main, dans chaque compagnie de l'ASM. Parallèlement, il poursuit son action pour unifier la résistance armée.

    En février 1944, un accord de fusion est passé entre l'Armée secrète et les Francs tireurs partisans (FTP). De cette accord, naissent le 10 avril 1944 les Forces françaises de l'intérieur (FFI) dans le Morbihan. Le « colonel Morice » est confirmé en qualité de commandant départemental des FFI et étend son autorité à la région de Redon (Ille-et-Vilaine).

    Les Forces françaises libres (FFI)

     

    En décembre 1943 et en mars 1944, des séries d'arrestations visent les FFI. Le général AUDIBERT, le capitaine GUILLO, chef de l'état-major de « Morice », et plusieurs autres responsables sont arrêtés par la Gestapo. L'organisation, bien structurée, se relève rapidement de ces coups sévères. Les cadres militaires les plus importants prennent aussitôt le maquis.

    Dès mai 1944, les FFI se préparent à l'action armée en réalisant des missions de sabotage des voies de communication. À la fin du mois, le « colonel Morice » reçoit l'ordre d'armer les unités combattantes des FFI ainsi que les plans d'action à mettre en oeuvre lors du débarquement. L'heure du combat final sonne pour les FFI du Morbihan, fortes de 12.000 hommes articulés en douze bataillons.

    Le 5 juin 1944, « Morice » ordonne la mobilisation des FFI. Celles-ci se rassemblent dans des centres de mobilisation, où elles se constituent en unités et reçoivent armes automatiques, équipements parachutés et renforts des parachutistes du SAS (Special Air Service, unité spéciale des forces armées britanniques, constituée en 1941 avec des volontaires britanniques pour mener des raids derrière les lignes allemandes).

    De nombreux gendarmes participent aux combats : 250 militaires ont pu rejoindre les maquis. Ils y combattent non plus en unité constituée mais répartis dans les divers bataillons avec des fonctions d'encadrement ; certains exercent des commandements importants (commandant de compagnie, chef de section).

    Dès le 6 juin, jour du Débarquement, les corps francs des FFI passent à l'action pour l'application du « plan vert » (destruction des voies ferrées) et du « plan violet » (coupure des lignes téléphoniques). Les sabotages paralysent sérieusement l'ennemi et ralentissent le transport de ses forces sur le front de Normandie. Le premier grand combat de la libération de la Bretagne se déroule à Saint-Marcel, près de Malestroit, où les parachutistes allemands se heurtent à quatre bataillons FFI et un bataillon SAS des Forces françaises libres (FFL). Surpris, les Allemands subissent de lourdes pertes. De nombreux autres combats ont lieu jusqu'à la libération complète du département le 10 mai 1945 avec la reddition de la poche de Lorient. Les unités FFI y jouent un rôle décisif.

    Portraits

    Bedoni Caradec

    Bedoni Caradec

    Né le 18 juillet 1905 à Carnac (56), il est admis en Gendarmerie le 31 juillet 1928.
    Successivement affecté à la 9ème Légion, il sert à la brigade de Lorient au moment des hostilités.
    Engagé dès l'origine dans le réseau « Action », il rejoint le maquis le 12 juin 1944, dans un premier temps à caudan, puis à Saint-Marcel, où il participe à la défense du camp. Ayant rejoint la 1ère compagnie du 7ème bataillon de FFI, il commande une équipe de fusil-mitrailleurs lors de l'attaque de la poche de Lorient. Il est tué à son poste de combat au château de Kergras près d'Hennebont le 11 août 1944.
    Cité à l'ordre de la Division avec attribution de la Croix de guerre avec étoile d'argent.

    Paul Chenailler

    Paul Chenailler

    Capitaine de frégate de réserve, il entre dans le réseau « Action » en 1943.
    A cette époque, il est sous-directeur du ravitaillement général. Si cette fonction lui permet d'avoir de nombreuses relations, il dispose en outre de moyens matériels intéressants (automobile, laissez-passer), qu'il utilise pour les besoins de la Résistance.
    Il devient l'adjoint du chef d'escadron Guillaudot, alias « Yodi », dans le réseau « Action » (appartenant au mouvement « la France combattante »).
    Après l'arrestation du chef d'escadron Guillaudot le 10 décembre 1943, il est désigné par le délégué militaire régional de la France Libre pour assumer la direction du réseau et prend le pseudonyme de « Morice » : son adjoint est le lieutenant André Guillo, alias « Chuais ».
    Plus tard, il est chargé par le général Audibert de procéder à la fusion des différentes organisations militaires résistantes du Morbihan et d'en prendre le commandement.
    Au moment du Débarquement, il est à la tête de 12 bataillons de FFI avec un effectif d'environ 12.000 hommes.
    Cette grande unité a joué un rôle déterminant dans tous les combats de la libération de la Bretagne.

    Louis Cosqueric

    inconnu

    Commandant la brigade de Pluvigner depuis le 10 septembre 1942, il est recherché par les autorités allemandes pour divers coups de main et sabotages. Il quitte la brigade pour rejoindre le maquis en mai 1944. Tous ses gendarmes le suivent et la brigade est dissoute.
    Il constitue une compagnie des FFI dans le secteur de Pluvigner et en prend le commandement.
    Il participe à de nombreuses actions de combat notamment à Saint-Marcel.

    Antoine Dagorne

    Antoine Dagorne

    Né le 1er décembre 1912 à Persquen (56), il est entré en Gendarmerie le 7 juillet 1939.
    Il sert successivement à Saint-Nazaire, Thouari et Saint-Jean-Brévelay à partir du 11 juin 1942.
    Il rejoint le maquis de Saint-Marcel en juin 1944 après avoir accompli de nombreuses missions de renseignement au profit du réseau « Action ».
    Il participe aux combats de Saint-Marcel et rejoint le maquis de Saint-Jean-Brévelay. Il est arrêté à Saint-Jean-Brévelay le 9 juillet 1944 au cours d'une rafle. Identifié et sauvagement torturé, il est jeté dans la ferme incendiée de "La Petite Métairie" où les Allemands avaient découvert un dépôt d'armes.
    Il est décoré de la Croix de guerre 1939/1945 avec étoile d'argent et de la Médaille militaire à titre posthume.

    Jean Dessus

    Jean Dessus

    Né le 8 février 1913 à Paris (75).
    Pendant l'Occupation, il est affecté à la brigade de Malestroit.
    Très tôt, il s'engage dans « Action » et participe à toutes les activités du réseau. Il s'emploie en particulier à recruter une compagnie de FFI, dont il prend le commandement.
    Capitaine commandant la 3è compagnie du 8è bataillon des FFi du Morbihan, il rejoint définitivement le maquis le 6 avril 1944 et prend part à de nombreuses missions à la tête de sa compagnie. Le 18 juin 1944, il conduit son unité au combat de Saint-Marcel.
    Après la Libération, il est homologué dans le lieutenant et poursuit sa carrière dans l'infanterie de Marine. Le 30 novembre 1949, il est tué au combat en Indochine.
    Il est par ailleurs Chevalier de la Légion d'honneur.

    Adolphe Gabellec

    Adolphe Gabellec

    Né le 17 juillet 1902 à Locmiquelic (56), il est admis en Gendarmerie le 16 juillet 1928.
    Il est affecté dans la Garde républicaine mobile, puis à la brigade de Josselin.
    Dès son arrivée, il s'engage le 1er octobre 1943 avec enthousiasme dans le réseau « Action ». Nommé adjudant à la 3ème compagnie des FFI, il participe au combat du 18 juin 1944 à Saint-Marcel. Alors qu'il accompagne son officier vers le poste de commandement, il est mortellement blessé lors d'une embuscade et après un bref engagement pendant la nuit du 18 au 19 juin 1944.
    Il est décoré à titre posthume de la Médaille militaire, cité à l'ordre du Corps d'armée avec attribution de la Croix de guerre 1939/1945 avec étoile de Vermeil et promu chevalier de la Légion d'honneur.

    Raymond Gloux

    Raymond Gloux

    Né le 21 décembre 1912 à Saint-Maudan (22), il est admis en Gendarmerie le 14 mai 1939.
    Après avoir servi dans les Côtes-du-Nord, il est affecté à la brigade de Malestroit le 31 octobre 1940.
    Dès son arrivée, il s'engage dans le réseau « Action » et se montre très actif dans le recrutement des maquisards et la réception puis l'exfiltration des aviateurs alliés tombés dans les lignes allemandes. Il en héberge à son domicile avant de les confier à des résistants spécialisés dans l'exfiltration.
    Le 6 avril 1944, il passe au maquis et prend le commandement d'une compagnie de FFI. Il est arrêté le 26 juillet 1944 par les Allemands, au hameau "la Ville aux maçons" dans le Morbihan. Sauvagement torturé, il est ensuite fusillé à Josselin le 3 août 1944.
    A titre posthume, il est promu chevalier de la Légion d'honneur le 30 mars 1949 et reçoit la Médaille de la Résistance. Il est en outre élevé au grade de lieutenant le 12 septembre 1949.

    Maurice Guillaudot

    Maurice Guillaudot

    Fils d'un garde républicain, il est né le 28 juin 1893 à Paris.
    En 1911, il s'engage dans l'artillerie, au sein de laquelle il participe aux premières batailles de la Grande Guerre. En juillet 1915, il est promu sous-lieutenant dans l'infanterie. Il se distingue par son héroïsme et termine la guerre avec le grade de lieutenant. Quatre fois blessé et six fois cité, il est nommé chevalier dans l'Ordre de la Légion d'Honneur le 17 août 1918, à l'âge de 25 ans.
    Il entre dans la Gendarmerie en 1920. En 1936, il est promu chef d'escadron. Lorsque la Seconde Guerre mondiale éclate, il commande le groupe de la Garde républicaine mobile à Vitré. Il assiste impuissant à la débâcle et essaie en vain de participer à la défense du « réduit breton » en incorporant à son groupe de gardes mobiles des unités en retraite. Dès la signature de l'Armistice, la Garde républicaine mobile est dissoute par les Allemands. Le chef d'escadron Guillaudot devient commandant de la compagnie de l'Ille-et-Vilaine à Rennes.
    En juin 1941, il refuse de disperser par la force les familles des victimes qui se sont rendues au cimetière de Rennes pour fleurir les tombes de leurs parents tués au cours du bombardement aérien de la gare de Rennes par la Luftwaffe en juin 1940. Il est alors muté au commandement de la compagnie du Morbihan à Vannes.
    Dès son arrivée, il propose à ses officiers, gradés et gendarmes d'entrer dans la lutte clandestine contre l'Occupant. Ses subordonnés le suivront avec enthousiasme dans un élan quasi-unanime. Avec 3.000 hommes recrutés, instruits, armés et encadrés par les gradés et gendarmes des brigades, il constituera le réseau « Action » (appartenant au mouvement « la France combattante ») et qui se révèle un modèle d'organisation et d'efficacité.

    Dénoncé et arrêté le 10 décembre 1943 à son domicile, le chef d'escadron Guillaudot, alias « Yodi », devenu chef de « la France combattante » dans le Morbihan, résiste à la torture et ne parle pas.
    Il laisse alors à son adjoint et successeur désigné, Paul Chenailler, alias « Morice », un outil exceptionnel autour duquel celui-ci parvient à fédérer d'autres mouvements de résistance pour former l'ASM, dont il deviendra le commandant départemental, avant de devenir le chef des FFI du Morbihan.
    Dès le Débarquement, les FFI passent à l'attaque avec 12.000 hommes organisés en 12 bataillons qui participent à tous les combats de la libération de la Bretagne et immobilisent 3 divisions ennemies qui sont incapables de rejoindre le front de Normandie.
    Nommé colonel par la France Libre, puis général de brigade à son retour de déportation, Maurice Guillaudot prend le commandement de la XIème Région de gendarmerie à Rennes le 15 août 1945. Le 19 octobre 1945, il est fait Compagnon de la Libération. Il décède à Hédé (35) le 25 mai 1979.
    La caserne de gendarmerie de Vannes porte le nom du Général Guillaudot.

    Théophile Guillo

    Théophile Guillo

    Né le 21 janvier 1896 à Ploërmel (56), il s'engage dans l'armée à 18 ans.
    Au cours de la Première Guerre mondiale, il s'illustre particulièrement et est blessé à deux reprises. Il entre dans la Gendarmerie le 24 mars 1920. Commandant de brigade le 10 mars 1925, il est promu maréchal des logis-chef le 1er février 1927, puis adjudant le 10 octobre 1933. Il est nommé sous-lieutenant le 25 juin 1937 et prend le commandement de la section de Ploërmel avec le grade de lieutenant.
    Réfractaire à toute collaboration avec l'ennemi, il s'engage dans la lutte contre l'Occupant dès la signature de l'Armistice. Son action vise à assurer la protection de la population livrée aux excès des soldats allemands, aider les réfractaires au STO et secourir les aviateurs alliés dont les appareils ont été abattus. Il est également chargé de recueillir et d'exploiter le renseignement, de veiller au recrutement, à l'équipement et à l'instruction des maquis.
    À la fin de 1942, il participe à la mission « Cockle » qui a pour objet d'organiser la réception des parachutages d'armes destinées à équiper les maquis.
    Il fait entrer son commandant, le chef d'escadron Guillaudot dans le réseau. Lorsque celui-ci fonde le réseau « Action », il entre dans son état-major et est chargé chargé d'organiser les liaisons radio avec Londres pour le réseau. Après l'arrestation de Maurice Guillaudot, il devient le chef d'état-major de l'ASM, commandée par Paul Chenailler. Promu capitaine par la France Libre, Théophile Guillo alias « Chuais », organise activement la résistance armée.
    Il est arrêté le 28 mars 1944 à Ploërmel par la Gestapo. Torturé, il ne livre aucun secret et est déporté au camp de Neuengamme (Allemagne). Rentré de déportation le 22 mai 1945, il reçoit à Vannes le 22 juillet 1945 la croix de chevalier de la Légion d'honneur des mains du général de Gaulle. Il est promu capitaine en 1952.
    Chevalier de la Légion d'honneur, Théophile Guillo est aussi titulaire de la Croix de guerre 1914/1918 avec palme, de la Croix de guerre 1939/1945 avec palme ainsi que de la Médaille de la Résistance.
    La caserne de gendarmerie de Ploërmel ainsi que celle de l'escadron de gendarmerie mobile de Vannes portent le nom du Capitaine Guillo. La salle de traditions de la caserne de gendarmerie de Vannes porte les noms des capitaines Guillo et Louarn.

    Louis Le Bouëdec

    Louis Le Bouëdec

    Né le 10 décembre 1910 à Ploërdut (56), il est admis dans la Garde républicaine mobile le 1er septembre 1934.
    Il sert à la brigade de La Trinité-Porhoët à compter du 1er octobre 1943.
    Dès son affectation, il entre dans le réseau « Action » et participe activement à la lutte clandestine. Il prend le commandement de la section FFI de La Trinité-Porhoët.
    Au moment du Débarquement, il conduit sa section à Saint-Marcel et prend part à la défense du camp lors de l'attaque du 18 juin 1944. Combattant aux premiers postes, il est abattu par le feu ennemi.
    Cité à l'ordre du Corps d'armée, il est décoré de la Croix de guerre avec étoile de vermeil et promu chevalier dans l'ordre de la Légion d'honneur à titre posthume. Le 27 juin 1946, il est élevé au grade de sous-lieutenant.

    Joseph Le Bourgès

    Joseph Le Bourgès

    Né le 12 août 1901 à Saint-Pierre-Quiberon (56), il est nommé élève-garde à pied et affecté à la 2ème Légion de Garde républicaine mobile à Saint-Nazaire.
    Il est successivement affecté à la 5ème légion de la Garde républicaine, puis à la 11ème Légion de gendarmerie de Bretagne : il est nommé gendarme à la brigade de Pluvigner.
    Appartenant aux FFI, il rejoint le maquis le 1er juin 1944 et participe au combat de Saint-Marcel le 18 juin 1944. Il est fait prisonnier à Sérent et transféré à Le Faouët où siège la Cour martiale. Le 6 juillet 1944 après avoir été torturé, il est fusillé au lieu-dit Lan Dordu à Berné.
    À titre posthume, il est décoré de la Médaille militaire et de la Croix de guerre 1939/1945 avec palme.

    Méen Le Merdy

    Méen Le Merdy

    Né le 1er janvier 1907 à Cléguérec (56), il est admis en Gendarmerie le 3 février 1923 et nommé gendarme le 12 mars 1924.
    Après plusieurs affectations, il prend le commandement de la brigade de Lorient le 26 septembre 1942 avec le grade d'adjudant. Il est promu adjudant-chef le 10 mars 1943.
    Personnage clé du réseau « Action », il travaille quotidiennement pour le renseignement et la protection des personnes. En avril 1943, sur ordre du chef d'escadron Guillaudot, il dirige une opération permettant de subtiliser 2.000 litres d'essence dans un dépôt de la Wehrmacht à Caudan.
    Capitaine des FFI, il commande la 2ème compagnie du 2ème bataillon, qu'il a recrutée et opère à de nombreuses missions de sabotage. Blessé grièvement à Saint-Marcel et bien que soigné dans des infirmeries de fortune, il reprend le combat à la tête de sa compagnie et reste dans le maquis jusqu'à la fin des hostilités.
    Rayé des contrôles en septembre 1945, il est fait chevalier de la Légion d'honneur et décoré en outre de la Croix de guerre 1939/1945 avec palme. A titre honoraire, il est nommé lieutenant de gendarmerie.

    Jean Louarn

    Jean Louarn

    Né le 22 mai 1902 à Lampaul-Guimiliau (29), il entre dans la Gendarmerie en 1925. Après plusieurs affectations successives, il prend le commandement de la brigade de Guer en 1932.
    Dès la débâcle, il entre dans la Résistance en récupérant les armes abandonnées, pour constituer des dépôts. Nommé adjudant en 1942, il commande la brigade de Josselin. Il recrute des volontaires qu'il instruit et équipe, formant une section de combat dont il assure le commandement. Entrant dans le réseau « Action », il facilite l'évasion de personnes recherchées. Essayant d'éviter les représailles sur la population civile. Il dissimule chez lui le « Panier de cerises » avant son expédition à Londres. En mars 1944, il cache Paul Chenailler, alias « Colonel Morice », chef de l'ASM, et prend le maquis avec sa section. Le 18 juin, à la tête de ses hommes il se bat pour la défense du camp de Saint-Marcel. Le 5 juillet, il entre en vainqueur dans Josselin avec son unité.
    Lieutenant dès la Libération, il est nommé capitaine en 1952, commandant la compagnie de Ploërmel où il termine sa carrière militaire.
    Il est chevalier de la Légion d'Honneur, officier dans l'Ordre national du Mérite, médaillé de la Résistance et titulaire de la Croix de guerre 1939/1945 avec étoile d'argent.
    La salle de traditions de la caserne de gendarmerie de Vannes porte les noms des capitaines Guillo et Louarn.

    Gendarme Scordia

    Gendarme Scordia

    Affecté à la brigade de Malestroit, il rejoint le maquis début avril 1944 avec les gendarmes DESSUS et GLOUX.
    Il se consacre entièrement à l'organisation des FFI et à des actions de sabotage.
    Au sein des FFI, il est promu lieutenant, puis capitaine et prend le commandement de la 7è compagnie du 8è bataillon.
    Il s'illustre dans la recherche du renseignement et dans diverses actions de combat.

     

     


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  • La 13° Compagnie FFI de Janzé était commandée par le Capitaine Tardiveau . . . (souvenez vous du Bois Etoilé )

    13° Cie de Janzé

    11 novembre 1944 Place du Champ de Mars à Rennes.

    13° Cie de Janzé

    8 mai 1945 à Limerzel

    13° Cie de Janzé

    13° Cie de Janzé

    13° Cie de Janzé


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  • Madeleine Fablet avait 32 ans lors des événements de juin 1944. Ses souvenirs sont restés presque intacts en ce qui concerne la bataille de Saint-Marcel et surtout celle du Bois-Joly, la ferme où elle se trouvait alors avec son mari, Hyacinthe, et ses enfants, Marcel, Michel, Madeleine et Annick, la petite dernière, qui avait 2 ans.

    Les armes et munitions ramassées après les parachutages étaient entreposés dans les hangars. Mon mari les convoyait le jour avec ses chevaux et sa charrette vers la ferme de la Nouette, qui se trouvait à environ 1 km à vol d'oiseau.

    Là se trouvaient les chefs du maquis : le commandant Bourgoin, chef des parachutistes, et le colonel Morice. Au matin du dimanche 18 juin, une patrouille allemande en repérage sur les routes des Noës a essuyé des tirs. Un rescapé a pu prévenir le bataillon allemand de Ploërmel, qui a cerné Saint-Marcel.

    Les premiers tirs au Bois-Joly

    Aux environs de 9 h 30, nous vaquions à nos occupations habituelles, avec certains parachutistes et résistants présents, quand nous avons aperçu les casques de soldats allemands qui se faufilaient le long des talus.

    Très vite, les premières rafales de mitraillette se sont fait entendre. Cinq résistants originaires d'Auray, et Suzanne Berthelot, 15 ans, qui surveillait les vaches dans le champ Monfort, discutaient ensemble. Ils ont été abattus tous les six.

    Les enfants, qui avaient été préparés pour aller à la messe, n'ont pas eu le temps de descendre au bourg. Heureusement, car à partir de ce moment le fusil-mitrailleur placé au bas de notre propriété, face à la maison, a tiré sans discontinuer. La porte, les volets ont volé en éclats, une balle est venue frapper une casserole et une autre s'est logée dans l'horloge, qui porte encore la marque.

    Tout le monde s'est retranché à l'arrière de la maison, dans la cave. Nous y sommes restés jusqu'à 17 h. Nous avons alors décidé de partir à travers champs vers Sérent, chez ma belle-soeur qui habitait au Coudray. Entre-temps, mon mari, « le grand terroriste », était recherché par les Allemands. Il s'était enfui à Ruffiac avec de faux papiers, car sa tête était mise à prix.

    Toutes les fermes environnantes ont été brûlées, mais la nôtre a été épargnée. Pourtant, des mèches avaient été installées dans les murs, des fagots empilés et une bombe dissimulée dans la baratte. Mais avant d'y mettre le feu, les Allemands voulaient retrouver le fermier, mon mari.

    Nous ne sommes revenus au Bois-Joly que le 15 août. Pendant tout ce temps, les animaux de la ferme ont été livrés à eux-mêmes. J'ai même retrouvé deux poules à Pinieux... »


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  • Photos prises en septembre 1944 à la caserne Le Colombier à Rennes

    Caserne Le Colombier à Rennes

    Caserne Le Colombier à Rennes


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  • Saint Marcel dans la tourmente.

    Jusqu'à présent, on ne trouvait aucun livre relatant la mise en place du maquis de la Nouette,
     le combat proprement dit et les représailles qui ont suivi ce tragique 18 juin 1944

    L'ouvrage illustré de 264 pages évoque la naissance du maquis dès 1943,
     avec l'arrivée de la 2e compagnie des parachutistes du SAS,
    les événements du début du mois de juin de la même année,
     le combat ou encore les incendies des fermes et châteaux du bourg.


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