• Rapport de juin 1940 du Capitaine Fauchon Maximilien - Cdt la 11° Cie

    Le 1er Juin, à l'aube, activité d'artillerie. De mon observatoire du clocher, je vois, derrière les bois du Satyre et des fermes un incendie s'élevant de Fay. Calme à Foucaucourt. Pas de vue sur Herleville. Mise au point de l'organisation de mon P.A rendue plus difficile par l'envoi, par ordre supérieur, d'une de mes sections, en poste d'intervalle dans le bois du Satyre, à cheval sur la voie ferrée et limité au Nord par la route de Foucaucourt à Estrées, avec mission de tenir coûte que coûte comme le P.A Soyécourt et d'assurer la liberté des mouvements entre Soyécourt et Fay. Les mortiers de 81 de l'Adjudant Baot sont confiés au P.I du bois de Satyre pour tirer à la demande du Commandant de la Compagnie de Fay.( Ordre supérieur écrit ). Toute la journée, travaux d'organisation du P.A j'obtiens un groupe de mitrailleuses du Sergent Raulet de la section Saillard de la C.A.3 pour la sécurité de ma gauche, vu le terrain. L'après midi, je vais reconnaître le P.I de la section Véron et, au retour, détruis par l'incendie un bâtiment qu'aurai pu dangereusement utiliser l'ennemi. Le canon de 25 m'est enlevé par le Bataillon.

    Le 2 Juin, continuation de l'organisation défensive, utilisant le plus de bâtiments possible. Passant la Cie au Lieutenant Holtz, Je m'arme d'un mousqueton et vais, dans la matinée, reconnaître, après une visite à la section Véron, un itinéraire sous bois jusqu'à Fay, ou je prend langue avec le capitaine Dunant et le Lieutenant Loysel du P.C.R.I, la 11ème ayant une mission éventuelle de pousser jusqu'à Fay des éléments de contre-attaque en cas de danger pour la Cie de Fay. Ayant appris qu'on recherchait le Lieutenant du Génie pour faire sauter 2 caisses de munitions repérées par une patrouille en bordure de la route de Dompierre, à 300 mètres de Fay, avant la crête, j'y pousse un isolé et reconnais là 2 caisses vides laissées par la 11ème Cie. J'en rend compte à la 9ème.

    Chaque soir et matin, une patrouille de la 11ème visite le du Satyre et des Fermes.

    L'après midi, tirs de D.C.A contre des Dornier et des Messerschmidt. Le Bataillon prévient que Fay signale des bruits de moteur. Le Bataillon accepte mon offre de signal de 5 coups de cloches de mon observatoire du clocher en cas d'attaque brusquée par infanterie. La section de Commandement de la 11ème munie d'un F.M de rechange, s'occupe à l'organisation de la défense arrière du P.A. Achèvement de la mise au point des barrages incendiaires anti-chars. Des balles ennemies sifflent au milieu de mon dispositif, venant du Nord.

    Le 3 juin, la section du Lieutenant Le Breton relève la section Véron. Contrairement aux conclusions de mes rapports à ce sujet, les mortiers de 81 sont maintenus par ordres au P.I ou ils sont aveugles, au lieu d'être envoyés dans Fay. La 10ème Cie relève à Fay la 9ème qui la remplace à Soyécourt. Il n'est plus prévu de contre-attaque de la 11ème sur Fay; La mission est de résister sur place coûte que coûte. Le Commandant jan, venu inspecter mon dispositif, s'en déclare satisfait, il m'annonce qu'il a transmis toutes les propositions de citations que j'avais faites et qu'une proposition y a été ajoutée pour moi. A ce moment, la liste des citations proposées en sus de 4 pour la C.A.3, d'une pour le motocycliste du P.C.R et de 2 pour mes premiers morts à leur poste:

    Ramel et Le Bris

    Le Lieutenant Holtz Jean

    Sergent Gabe Maurice

    Soldats 2ème classe Salaune Henri et Bigots Joseph (tué)

    Soldats de 1ère classe Le Saignoux Jules et Bigot Jean

    Caporal-chef Troadec Maurice

    Soldat Nael Isidore

    Sergent Le Goff Jean

    Sous-lieutenant Véron Jean

    Caporal-chef Ben Ehoutyahmed

    Chef Samson Eugène

    Soldat Audrain Victor

    Sergent Roussel Louis

    Soldat Cantin François

    Caporal Naud Eloi

    Soldat Gautjier roger

    Sergent Haudereau Marc

    et je tenais du Commandant Pigeon (P.C.R.I.) et du Colonel Loichot lui-même, qu'elles pouvaient être considérées comme accordées.

    Le 4 juin, journée d'attente. La section Le Breton signale que tout va bien. Continuation des travaux. J'ai fait emmener, par la voiture de la compagnie, dont ce sera le dernier voyage, des paires de brodequins et le fanion de la compagnie.

    Le 5 Juin, de 3 h 30 à 5 h 00, tirs d'artillerie très dense sur le bois du Satyre et les bois de Foucaucourt et Fay. Le Saignoux se dépense sans compter au poste d'observation du clocher. Des éléments d'infanterie ennemie, venant de Dompierre ( vu ordre d'attaque trouvé le jour même sur un gefreiter tué au bois de Satyre apparaissent, venant de la crête de la route de Foucaucourt à Estrées. Derrière nous, à plusieurs kilomètres et derrière le P.A de la 9ème et du P.C du Bataillon débouchent, sur la route d'Estrées à Soyécourt, des chars lourds allemands bientôt au nombre d'au moins une vingtaine. Le canon de 75 du P.A en fait flamber un, les autres chars poursuivent leur route vers nos arrières (vers Vermandovillers et Chaulnes, semble t-il) L'observation de notre mortier de 60 veille et l'équipe est prête à mettre en batterie suivant l'un ou l'autre des objectifs possible repérés les jours précédents. Les allemands attaquent par l'Est Foucaucourt qui tient énergiquement. A droite d'un boqueteau (non sur le plan directeur) sis au Nord de Soyécourt, et venant de la route de Foucaucourt à Estrées, des éléments d'infanterie allemande cherchent bientôt à s'infiltrer. Un tir de mortier de 60 décide ces éléments ennemis à ne pas insister. Entre temps, j'avais commandé la cessation du feu à mon groupe de droite de la S.M pour ne pas gaspiller les munitions en tirs lointains prolongés; mais plus au Nord-est, venant sur nous, apparaît de l'infanterie allemande de l'effectif d'au moins une compagnie. Je donne au groupe précité de mes mitrailleuses, l'autorisation de tirer sur l'assaillant (faute de mortier de 81 et mes demandes par le Bataillon à l'artillerie restant sans résultat). Entre temps, j'étais allé, avec 3 voltigeurs, faire une petite patrouille dans le vallonnement voisin invisible du clocher, les balles allemandes y sifflant, j'avais mis le feu à une ferme d'ou un point de mon P.A aurait pu être surpris d'assaut.

    Du clocher, l'on voit de part et d'autre de la route de Foucaucourt à Estrées, de nombreuses vagues d'assaut allemandes manoeuvrant contre le bois du satyre.

    Sans liaison avec Le Breton, je fais donner ordre à ma pièce de 75 de tirer à vue sur ces assaillants, dont nous voyons une partie battre alors en retraite vers la route de Foucaucourt. A ce moment avec le Sergent-chef Métivier, je vais chercher à 500 mètres un isolé en casque français venant sur nous sans arme apparente. C'est un artilleur fuyant d'Estrées qu'il me dit encerclé par l'ennemi; j'envoie ce fuyard se réhabiliter au canon de 75 du P.A. Chacun à leur section, les Lieutenants ne cessent de veiller, avec ordre de ne pas sortir de leurs barbelés. L'Adjudant Maignant donne tous ses soins à mes liaisons dans le P.A. Sans liaison avec mon P.I, je décide de m'y rendre en compagnie du groupe de combat du Sergent Boulanger et de trois volontaires (Soldat Morin, Sergent Augibaut et Sergent Rondel) et confie le commandement du P.A au Lieutenant Holtz. Je manoeuvre par un thalweg jusqu'au premières lisières du bois du Satyre et m'y infiltre par demi-groupe. Je parviens au P.I que je trouve entouré et semé d'une éloquente jonchée de cadavres allemands.

    La section Le Breton, attaquée depuis 3 h 00 du matin, sans liaison possible avec Fay, avait été cernée de tous côtés et avait résisté à fond faisant 5 prisonniers à l'ennemi, le contraignant à reculer et à se terrer au Nord de la route de Foucaucourt à Estrées. Le Sergent Le Goff et son groupe, du coté Foucaucourt du dispositif, étaient tués et blessés, séparées du reste par des tirs de mitrailleuses allemandes, l'Adjudant Bao tué, les chevaux des mortiers tués, le Soldat Corre Henri très grièvement blessé. L'ennemi avait abandonné une mitrailleuse anti char, une mitrailleuse lourde, des mitraillettes, des pistolets, des mauser, des caisses de munitions, des grenades et de nombreux cadavres. Après le tour du poste et les félicitations aux vainqueurs, je fais relever par le groupe Boulanger, le groupe Guitton que Rondel conduit à Soyécourt ainsi que les mortiers et le corps de Baot. L'interrogatoire sur place des prisonniers m'apprendra que l'officier assaillant comprenait trois compagnies. Je trouve un ordre d'attaque, m'arme d'un mauser et aidé de Morin rapporte à Soyécourt un prisonnier valide portant la mitrailleuse anti char dont le P.I n'aurait pu se servir. Je vais au P.C du bataillon et demande au P.S de préparer une équipe de brancardiers. Ayant trouvé des munitions V - B, je retourne, vers 14 h 30 au bois avec morin, Gauvain, 3 brancardiers et des infirmiers pour tâcher de ramener des blessés et ravitailler Le Breton qui avait armé ses survivants d'armes et de munitions allemandes. Je ne pu que ramener Corre et les blessés allemands; le groupe Le Goff retrouvé dans un combat au F.M, au fusils et à la grenade, gisait à son emplacement de résistance, tous ses combattants morts ou grièvement blessés, coupés de nous par des feux infranchissables de mitrailleuses allemandes. Le Caporal-chef Lechevestrier, les soldats Ramonet et Malejacq tombent tués. Le Breton rentre, sur mon ordre, au coucher du soleil, malgré les feux de renforts allemands venus d'Estrées, ramenant avec lui une mitraillette et son glorieux butin.

    Les soldats Zochetto, Fernaud, Caillard, Gastel et Henri étaient tués.

    A Soyécourt, la mitrailleuse allemande remplaça la mitrailleuse française hors de combat.

    Des colonnes allemandes motorisées, venant d'Estrées, en roulement continu, défilaient à 2 km derrière nous, allant vers nos arrières.

    Le 6 juin, Foucaucourt tenait toujours sous les attaques d'infanterie. Je m'installe en P.C d'observation à l'horloge du clocher jusqu'à ce qu'il s'écroule sous le tir rapproché d'une pièce allemande, blessant à mort Le Saignoux. Le Commandant Jan me cède ses mortiers de 81. Des tirs ajustés de voltigeurs arrêtent les éclaireurs allemands. A la section Philippe, l'artillerie ennemie tue Garry, blesse le Sergent-chef Métivier, le sergent Lorit, Le caporal Chef Chabot, les Soldats Letot et Khoas.

    Le 7 juin, vers 2 h 30, les éclaireurs allemands incendient un bâtiment à 50 m. A 3 h 30, comme nous lançons des V.B au jugé, je suis appelé au P.C du Bataillon. C'est l'ordre de retraite, la 11ème Cie d'arrière-garde. Je demande un ordre écrit. Je passe mes ordres pour un décrochage méthodique et l'itinéraire et formation de retraite. La compagnie bluffe l'ennemi par des tirs de mortiers et mitrailleuses. Le départ se fait sans pertes, sans rien abandonner et en faisant en cours de route, les destructions nécessaires. Nos cyclistes sont bientôt sans liaison avec la 9ème qu'accompagne le chef de bataillon et je suis sans canon de 25. Après la traversée de Vauvillers, un avion allemand nous repère. Vers Rosières en Santerre ou s'étaient dirigés des éléments du 1er Bataillon, on entend des mitrailleuses, Harbonnières est bombardé. A 200 m du pont de la voie ferrée, la compagnie, en colonne double, reçoit un tir de mitrailleuse de flanc à gauche et dans le dos. Plusieurs tombent. Par bons successifs, j'entraine la section de tête de gauche que suivent les mortiers de 81, jusqu'au pont. Ici, rafales ajustées de mitrailleuses. Comme la compagnie était en train d'exécuter mon ordre de passer à l'abri de la route en remblai du pont, une attaque de chars et d'engins motorisés allemands débouche dans ce compartiment de terrain. Le Caporal-chef Benkouty et d'autres tombent tués sous leur tir. La Compagnie se trouve sur deux billards balayés par les mitrailleuses allemandes. L'unité motorisée fonce en avant, s'arrête en continuant de tirer, puis subitement interrompt son tir et je vois avec stupéfaction surgir d'une tourelle de char un homme dont je ne saurais dire qu'il a un casque allemand, qui lève les deux bras et reste ainsi comme si il faisait Kamarade. C'est alors que, pensant à la soirée stupide de 29 mai à Fay, ou la 11ème Cie avait subi par erreur le feu de chars français dont les mitrailleuses tiraient en faisant le même bruit que les mitrailleuses allemandes, j'en viens d'autant plus facilement que depuis le 20 mai je n'avais guère dormi, ayant été constamment au travail ou dérangé à me demander: Est-ce encore une méprise ? serait-ce un début d'entrée en scène de ces chars français dont on nous annoncé l'arrivée à la rescousse ? et sans doute ne suis-je pas le seul à avoir ce réflexe, car mes voltigeurs ne tirent plus. L'on n'entend plus que les rafales de mitrailleuses de l'autre coté du remblai, par derrière. Je brandis alors le fanion de la Compagnie et bondis aussi vite que me le permet la jambe gauche blessée par choc depuis le 28 mai, vers le char immobile, toujours surmonté du buste du type faisant Kamarade, qui se trouvait être l'élément du dispositif allemand le plus rapproché de la tranchée de la voie ferrée. En partant, je dis à mes voisins: des gradés et hommes de la section Véron et les mortiers de 81: Si ce ne sont pas des français, ne vous occupez pas de moi, tirez. J'avais en effet pleinement confiance en Holtz, que chacun à la 11ème savait nommément désigné par moi, pour prendre le commandement de la Compagnie, si je venais à être descendu. En avançant, je m'aperçois qu'il s'agit d'allemands. Je me me retourne en criant: se sont des allemands. et j'oblique vers la gauche. Les allemands se sont remis à tirer et à manoeuvrer. Le char portant leur chef tire à droite d'ou je suis. la riposte française ne se produit pas. Mais tirez; feu. Je me laisse tomber dans le ravin et suis la ferrée en direction de passage à niveau utilisé par une route joignant Harbonnières à Caix, tandis qu'une équipe de F.M essaie vainement de me suivre. La-haut, aux cris allemands, puis à la cessation du tir, je comprend que les survivants sont cernés et prisonniers. Je cache le fanion et fait le mort, pendant un temps que le bris de ma montre au bois du satyre le 5 dans une chute qui avait rouvert la plaie de ma jambe m'empêche d'apprécier. Puis, je rampe jusqu'à la cabane de Wc de la maison du garde barrière ou j'étudie la carte et observe. des side cars et camions ennemis passent par la route du passage à niveau; les survivants de la 11ème ont disparu, emmenés en captivité. A un moment favorable, je gagne le ravin qui contourne Caix, pour tenter de rejoindre la 9ème et le chef de Bataillon. Je retourne et suis les foulées de colonne par un que des musettes jetées par des hommes du 41ème m'incitent à croire à la vie bonne. A hauteur de Caix, je tombe dans une embuscade allemande, braquant sur moi mitraillettes et mausers. Décidé à m'évader à la première occasion (comme je l'avais fait de St Quentin le avril 1918, après avoir été capturé le 27 mars 1918 à Thilloloy), je dis en allemand (je viens, je suis seul) et parle de ma Compagnie. Le Sous-officier qui commandait le groupe me déclare (je sais). On nous a parlé de la compagnie cernée. Les survivants sont prisonniers, et il se met au garde à vous devant moi; Schiksal (destinée) et me salua, quand je le quittai, me laissant mon étui à pistolet.

    Le 10 juin, je réussis à quitter la colonne de prisonniers avant Péronne, au centre de rassemblement de prisonniers, les allemands, sous la menace de fusiller, 5 Officiers et 5 Soldats, si je n'étais pas ramené, réussirent à trouver deux lâches qui guidèrent une camionnette allemande jusqu'à ma cachette. Je ne devais plus avoir d'occasion de tenter une évasion jusqu'à ce que l'armistice survienne . . . 

    HOYESSWUDA, Oflag IV,D le 24 Octobre 1940.

    Le Capitaine fauchon - Signé FAUCHON

    Source: SHD - document relevé le 30 Octobre 2015

     

     

     

     

     

     

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