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La défense du pont de Chabris
Le mercredi 19 juin vers 7 heures, les derniers éléments de la Division qui devaient passer le Cher à Chabris, avaient franchi la rivière.
Malgré le mauvais vouloir de la municipalité, le passage devait être défendu. Cette mission fut confiée au lieutenant Ledouce et à l'aspirant Jullien; ils avaient avec eux une vingtaine de secrétaires de l'État-Major de la 19° D.I., armés de lebels; 2 F. M. 1924; une section de 75 du 321° R.A.; un autre canon de 47, avec fort peu de munitions. Deux chars devaient également coopérer à la défense du pont et des issues de Chabris, en direction de Selles-sur-Cher.
Un important barrage était constitué sur le pont par des charrettes et divers véhicules. Un passage permettait la circulation et le filtrage des réfugiés et des isolés.
Au cours de la journée du 19, aucun mouvement ennemi ne fut signalé de l'autre côté du pont, sur la rive droite; les colonnes motorisées allemandes descendaient directement par la route nationale 724, vers Selles-sur-Cher.
Le lieutenant Ledouce fit rechercher la liaison avec les deux ponts en aval et en amont.
Vers 14 heures, on lui enleva inopportunément les deux pièces de 75 du 321° R. A.
Les rapports avec la municipalité étaient fort tendus, et les Allemands qui voulaient à tout prix passer, mais en évitant, autant que possible, le combat, firent plusieurs fois demander qu'en raison de l'armistice proche, on ne s'opposât point à leur traversée, sinon ils useraient de la force; Le refus qu'ils essuyèrent fut catégorique.
La situation était certes 'critique' pour nos éléments.
A 20 heures, une pièce de 75 du 306° R. A., dotée de vingt coups (obus explosifs) arriva sur la demande faite au Corps d'Armée, en remplacement de la section du 321° R. A.
Cette pièce fut placée sur la berge, en aval du pont, de façon à en balayer l'accès et la berge opposée.
La nuit du 19 au 20 se passa très calme.
Le jeudi 20 juin:
Vers 7 heures, les premiers éléments d'infanterie ennemie qui devaient stationner depuis la veille au soir dans le bois, sur la rive droite, se déployèrent; leur manoeuvre fut genée par le tir des F. M.
A 7 h 30, arriva une colonne motorisée, comportant notamment une voiture sanitaire en tête, deux automitrailleuses, 3 camions de munitions, du personnel et des engins d'accompagnement d'infanterie.
L'équipe de 75, reprise en main, au moment ou les servants semblaient quelque peu affolés, réussit a démolir en quelques coups les auto-mitrailleuses, et continua par un tir sur le personnel descendu des voitures et, égaillé aussitôt sur les côtés de la route. Pendant ce temps débutent le tir des engins d'accompagnement sur le pont.
Un obus frappa en plein, l'un des camions; chargé de munitions, il explosa . . .
Les F.M., à ce moment, aidés pendant une demi-heure environ par l'un des chars qui se trouvait en arrière du pont, continuèrent le tir sur les éléments d'infanterie qui occupaient les rives opposées du Cher et se massaient dans les bois.
Des observateurs ayant signalé un essai d'infiltration par le pont du chemin de fer situé à 500 mètres en aval, un des chars fut envoyé pour surveiller ce passage. Ce char accomplit avec succès sa mission et fut pris à partie par l'artillerie ennemie, jusqu'au décrochage.
Vers 10 heures, toutes les voitures de la colonne restées sur la route, étaient détruites. Mais le tir des engins ennemis, aidés d'un 75, prenant le pont et la rue principale de Chabris en enfilade, et ensuite de canons de plus gros calibre, continuait et s'accentuait.
Quelques vols d'avions ennemis en reconnaissance au-dessus du pont; il n'y eut pas de bombardements auprès de ce pont.
Un des 75 ennemis détériora l'auto-canon de 47 et l'immobilisa. Néanmoins, l'équipe de pièce épuisa ses projectiles. Un nouvel obus le détruisit et l'incendia.
Il n'y avait plus de munitions pour notre 75. Ses servants reçurent l'ordre de se replier, après avoir averti les chars.
Aussi longtemps qu'ils eurent des obus et des balles, Ledouce et Jullien se battirent.
A midi 15, le barrage du pont, déjà en flammes, fut entièrement détruit. Les derniers éléments de défense du pont se replièrent.
A 12 h 30, le bombardement du pont et du pays s'accentua encore, et les deux chars se replièrent à leur tour.
Au dire des Allemands (rapporté par Mr le curé de Chabris. qui a très bien raconté cette affaire dans son bulletin paroissial quelques mois après) ils perdirent 227 hommes tués ou blessés. Deux chars, deux auto-mitrailleuses furent détruits, et l'on vit brûler plusieurs de leurs camions. Si partout, avouèrent-ils, les Français avaient agi ainsi, jamais ils n'auraient pu passer.
Ledouce et Jullien ramenèrent tous leurs hommes, dont plusieurs étaient blessés. Jullien, pris un instant par les Allemands, leur échappa, ne leur laissant que sa veste.
Ce beau fait d'armes acheva la carrière de la 19° Division . . .
Au début de juillet, Ledouce reçut la Légion d'Honneur et Jullien la Médaille militaire, en même temps que l'adjudant Tardiveau, des mains du général Weygand . . .
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