• L'agonie de la 19° DI - Derniers combats

    Un mouvement de repli particulièrement difficile. Ce que J'ai écrit à la fin du chapitre précédent l'a déjà
    suffisamment indiqué. Les détails qui vont suivre le montreront encore mieux.

    Le 7 Juin, vers 4 heures du matin, nous traversons Lihons en ruines, le bombardement a été effrayant. L'unique route de retraite pour la Division passe par Rosières. Nous nous dirigeons donc vers 
    l'ouest d'abord puis nous piquons vers le sud, vers Montdidier tandis que les blindés allemands suivent la route parallèle à la nôtre vers Roye et envahissent toute la zone entre la Somme et I'Avre. Déjà même ils sont à Rosières. Apres avoir traversé Caix, Hangest et Le Quesnel-en-Santerre.

    Nous franchissons l'Avre, un affluent de la Somme, vers 8h00 à Davenescourt. Dans cette jolie petite ville évacuée, nous ne trouvons rien pour refaire reprendre des forces, déjà le G.R.D et la 7° D.I.N.A est là, auprès du magnifique château, ou s'était installée une importante ambulance. Quelques blessés passent dans un camion ; parmi eu un soldat du 41°. A l'est, on entend le grondement sourd du canon. A trois reprises passent des escadrilles allemandes, d'une vingtaine d'appareils; elles bombardent
    Montdidier, à quelques kilomètres de là. 

    Après deux heures d'attente, le commandant Pigeon part reconnaître le point de rassemblement du 41° RI; que le lieutenant Lucas adjoint au Colonel, avait déterminé, d'accord avec le capitaine Soula, de l'Etat-Major de la 19° DI. à deux ou trois kilomètres plus loin à l'est, dans un bois, près de Becquigny, le long de l'Avre.

    Vers 8 heures, les unités du 41° commencent d'arriver dans l'ordre suivant

    C. D. T.; 2° Bataillon, 3° Bataillon. Des compagnies de la 7° D. 1. N. A. s'intercalent entre nos
    unités. Nous passons dans le bois deux ou trois heures; Ia chaleur est accablante. Bientôt, vers 13 heures, une arme automatique allemande, de la rive droite de l'Avre, envoie ses balles sur la route à la sortie est du bois.

    L'agonie de la 19° DI - Derniers combats

    Ce qui subsiste du régiment se groupe avant de repartir, car la mission de garder l'Avre, si c'est possible, est confiée à d'autres que nous, à la 7° D. I. N. A. beaucoup moins éprouvée.

    Cependant, le 41° n'avait pas l'ordre de continuer alors le mouvement de repli, mais de se rassembler derrière l'Avre, et d'attendre là des instructions nouvelles. Elles n'arrivaient pas. Aussi, le lieutenant-colonel Loichot se décide-t'il! à aller voir le général Lenclud, vers 10 h 30.

    Mais au retour, il se trouve en face d'une auto-mitrailIeuse ennemie d'avant-garde, près d'une ferme, à 1 kilomètre au sud de Davenescourt. Car déjà les Allemands sont là, sur le bord de l'Avre et dans la petite ville !

    Quelques balles sifflent autour de nous, et près de Davenescourt, les tirailleurs du 31° R. T. A. sont l'objet d'un tir plus nourri.

    Nous sommes inquiets, d'autant plus que l'heure de partir est passée depuis longtemps. Le lieutenant Loysel, puis le lieutenant Lucas, vont à la recherche du Colonel; ils ne le trouvent pas! Il est bloqué avec sa voiture dans la ferme. Le commandant Jan va prendre le commandement; la colonne se met en route pour se conformer aux ordres que le lieutenant Loysel est allé prendre à la Division. A ce moment, le Colonel arrive; il a pu se dégager.

    En attendant, nous avons vu passer des bataillons de tirailleurs de la 7° D. I. N. A. Ils sont fatigués, comme
    tous. Quelle tristesse!

    Nous traversons la grande plaine, en descendant vers le sud, par Becquigny, Faverolles, Piennes, Assainvillers, Rubescourt. Nos hommes sont épuisés. La chaleur est intense. Nous allons par les chemins, à travers les champs, entre les blés mûrissants. A Montdidier, à l'ouest, à Roye, au nord-est, nous voyons l'éclatement des bombes allemandes et les incendies. Des avions allemands passent au-dessus de nos colonnes.

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    A Etelfay, le sergent Avril, observateur du 2° Bataillon, est légèrement blessé par une balle de mitrailleuse, tirée d'un avion qui a piqué sur la colonne.

    Il faut marcher! marcher! sans avoir mangé. Les hommes n'en peuvent plus. Ils vont quand rnême. C'est à en pleurer!

    Vers 7 heures du soir, nous arrivons à Domfront de l'Oise; c'est un joli, mais petit village, dans un vallon charmant. On ne s'y attendait pas. C'est comme un trou de verdure dans la plaine morne.

    Nous nous y arrêtons. Tout à l'heure, le grand dépôt de vivres, à quelques kilomètres au Nord, près duquel nous sommes passés, sera incendié par nos soins, pour ne pas ravitailler l'ennemi. Pourtant, nous aurions eu grand besoin, dans notre dénuement, de ses richesses.

    La Maison-Mère des Religieuses de la Compassion de Domfront est là. J'en fais la visite; elle est abandonnée. Beaucoup de vitres sont brisées; une partie de la maison, fort grande, a été détruite par l'explosion des bombes d'un avion français dont les débris gisent dans le jardin. Je reste un instant dans la grande et belle chapelle. Spectacle désolant!

    Nous prenons un rapide repas fait de conserves, de pain et d'eau.

    A 20 heures nous repartons, et vers 1 heure du matin, nos hommes, après avoir passé Dompierre, Ferrières, arrivent, toujours à pied, à Sains, Gannes, Ansauvillers et Quincampoix, au nord de Saint-Just-en-Chaussée. Après des jours de combat, ils ont marché 24 heures!

    Nous voici donc au 8 juin. Le P. C. du Régiment s'installe à Quincampoix; le 3° Bataillon reste à Gannes (celui de Jan), à quelques kilomètres au nord de Quicampoix; le 2° Bataillon (sous les ordres du lieutenant Le Guiner) à Sains-Morainvilliers, en arrière-garde, par conséquent. La section de mitrailleuses de 20 mm. de la C. A. 1 est avec lui; Simoneaux, un séminariste de Rennes, sous-lieutenant, la commande. C'est 'un jeune et brillant officier, que le commandant Hermann, qui connaissait les hommes, estimait au plus haut degré. Il nous rendra ce soir un service éminent; peut-être même sauvera-t-il les restes de la Division. Car il protège le 41° sur la gauche, dans le village d'Ansauvillers.

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    Nous passons la journée à Quincampoix. La vieille église est fermée.

    Qu'allons-nous faire? Allons-nous enfin pouvoir dormir? Non; il y a beaucoup d'agitation; et à 19 heures, il faut encore partir. Les Allemands nous suivent avec leurs engins blindés. Dans l'après-midi, ils ont tourné, sans l'apercevoir, dans Plainval, autour du P. C. du Général de Division, et par moments, au moins, ils sont à Saint-Just-en-Chaussée, derrière nous! Quelle étrange et dramatique situation.

    Le 8 au soir, jusqu'à 6 heures, il était dans l'intention du Commandement que la 19° Division s'installât au sud et à l'est de Saint-Just-en-Chaussée : Angivilliers, Erquinvillers. Mais nous irons beaucoup plus loin! 15 heures de marche pour nos hommes harassés.

    Il eût été désirable que nos convois et nos colonnes pussent passer par Saint-Just. La ville brûle en certains endroits, et les Allemands y sont déjà avec des mitrailleuses. Le capitaine Dunand, de la 9°, qui essaie d'aborder cette ville pour reconnaître le passage, est reçu par une mitraillette. A 19 heures, il nous est prescrit de prendre la route Meignelay-Ravenel, par des chemins difficiles dans la nuit. D'abord, il avait été dit qu'à Lieuvillers, au sud d'Angivilliers, des camions embarqueraient les hommes. Mais les hommes devront aller à pied, comme toujours. En effet, le lieutenant de Lestrange vient dire, par ordre de la D. I., que la consigne est :« marcher ou crever ». Car on ne peut faire autrement. Austruy, de la C. H. R., assistait à cet entretien entre le lieutenant-colonel Loichot et Lestrange. C'est lui qui me l'a rapporté.

    Le Colonel envoie Austruy reconnaître Lieuvillers. Austruy part avec un homme armé d'un fusil-mitrailleur, dans la voiture de Delourmel, lieutenant de la C. H. R. Il y est accueilli aussitôt par une fusée et des balles traceuses; il revient tout de suite rendre compte de sa mission. A peu près au même moment, le lieutenant Magnan, un excellent camarade, qui commandait la C. R. E. (Compagnie Régimentaire d Engins),est envoyé pour préparer le cantonnement près de Clermont, au sud de Saint-Just-en-Chaussée. II part, à bicyclette, accompagné du sergent-chef infirmier Letournel, du sergent-chef Delille, et de deux
    soldats, l'ordonnance du lieutenant Magnan et Gougeon.

    Le petit groupe arrive aux abords de Saint-Just, bombardé par les chars et auto-mitrailleuses allemands. Magnan donne l'ordre de contourner la ville; un des soldats l'ordonnance du lieutenant, blessé par le feu de l'ennemi rejoint pour s'y faire panser, un poste de secours établi à l'entrée de Saint-Just.

    Le Lieutenant arrête ses hommes de l'autre côté, en direction de Clermont, et s'en va faire seul une reconnaissance dans la ville. Il revient deux heures plus tard. A ce moment, Magnan et ses hommes se voyant cernés; se dissimulent dans un champ de blé.

    A la faveur de l'obscurité, ils repartent en essayant d'éviter les mitrailleuses allemandes disséminées un peu partout. Ils atteignent un petit bois où ils se font mitrailler. Obligés de se disperser, ils se séparent et ne se retrouvent plus. Delille est fait· prisonnier; Letournel et Gougeon échappent à l'ennemi.

    Magnan est blessé sérieusement. Néanmoins il s'éloigne.

    Qu'advint-il pour lui? Le témoignage du sergent-chef Delille nous a permis de le suivre, jusqu'alors. Il faut compléter par les déclarations d'un habitant.

    Le matin du 9, Magnan se présente dans une ferme, à Agnetz (2 kilomètres N. O. de Clermont).

    L'enemi est tout près. Le fermier n'avait pas quitté sa maison, estimant qu'il eût été vain de chercher ailleurs un refuge. Magnan était porteur de deux pistolets, l'un français, l'allemand. Pour ne pas compromettre le fermier, Magnan rejette l'offre qu'on lui fait de le cacher dans la ferme; les engins motorisés de l'ennemi commençaient d'entourer les bâtiments. Il fallait que Magnan se retirât pour
    n'être pas pris, le temps pressait; le fermier insistait. Magnan sort, se réfugie dans une petite tranchée-abri creusée à proximité et s'y établit en position de défense avec ses deux pistolets.

    L'ennemi pénètre dans la ferme, et, du premier étage, observant les alentours, découvre Magnan. Un officier allemand fait abattre un mur, et installe un char. Il commande: « feu à 150 mètres! »  Magnan, atteint à la tête, est tué.

    Pendant ce temps, un petit groupe de Français se battaient encore du côté de Clermont; une vingtaine des nôtres vinrent même jusqu'à la ferme, au contact de l'ennemi, qui subit des pertes.

    Après cette escarmouche, le Commandant du détachement allemand donna l'ordre au fermier d'ensevelir ses morts. Le premier corps que l'on releva fut celui de Magnan; on l'ensevelit sur place. La tranchée-abri devint son tombeau . . .

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