• Combat d'arrière garde

    Tandis que le 41°, déjà épuisé par la longue marche de vingt-deux heures accomplie la veille, se remettait en route, le sous-lieutenant Simoneaux était accroché par l'ennemi à Ansauvillers; il avait avec lui le personnel d'une section de mitrailleuses de 20 mm, la section de la 9° Compagnie commandée par l'adjudant Le Moal, armée d'un fusil mitrailleur, quelques isolés d'un régiment de Tirailleurs. Il s'était installé défensivement dans la partie sud du village, où se trouvait encore une batterie lourde du 304° d'artillerie.

    A 17 heures, cette batterie, dangereusement exposée, se replie sur un ordre écrit. Simoneaux demeure sur place avec ses 83 hommes. Ses deux mitrailleuses de 20 et le F. M. étaient évidemment inefficaces contre les chars.

    Il avait demandé qu'on lui donnât un canon de 25. Le lieutenant-colonel Loichot lui envoya l'adjudant Tardiveau monté sur une chenillette. Celui-ci apportait au sous-lieutenant l'ordre écrit de se replier à 20 heures, à pied, par la route Meignelay-Ravenel. Il toucha Simoneaux à la lisière du village, lui remit l'ordre et repartit, non sans avoir essuyé des coups de feu d'une auto-mitrailleuse embossée au sud dans Un bois, à proximité de la route. Déjà à 17 heures, une reconnaissance de l'adjudant Planet et de ses motocyclistes avait révélé la présence en cet endroit de l'engin motorisé.

    Simoneaux rendait compte qu'il ne pouvait quitter sa position qu'à la nuit, vers 22 heures, car les auto-mitrailleuses ennemies eussent, de jour, empêché son mouvement. Depuis 18 heures d'ailleurs il répondait à l'attaque des blindés allemands. Plusieurs de ses hommes étaient gravement blessés, d'autres tués.

    Deux auto-mitrailleuses furent détruites par les pièces de 20 mm ; l'une d'entre elles, atteinte à 30 mètres par un petit obus de 20, se retourna complètement, roues en l'air, le moteur marchait toujours, L'équipage fut tué sur le coup, sauf un homme qui réussit à sortir et essaya de se frayer un chemin à coups de mitraillette. Une balle de Simoneaux l'abattit.

    Un gros char, pourtant invulnérable, s'éloigna devant cette résistance désespérée. Mais, à 22 heures les deux mitrailleuses de 20 étaient détruites par le feu ennemi et les munitions épuisées. C'était le moment d'exécuter l'ordre de repli. Ordre difficile, car la route était coupée par les blindés allemands.

    Simoneaux, se guidant à la boussole, prit à travers les champs, les hommes le suivant en colonne par un. Les morts et les blessés graves restaient sur le terrain, car les moyens de transport manquaient. Au cours de ce repli, malheureusement, une partie des hommes s'égara dans l'obscurité, au passage d'un chemin encaissé, et fut capturée par l'ennemi. Simoneaux enfin nous rejoignit à Pont-Sainte-Maxence, avec 19 hommes, bien qu'il ne pût connaître l'ordre arrivé au Colonel à 23 h 30, à Angivillers, de pousser jusqu'à
    l'Oise de Pont-Sainte-Maxence. Cet ordre prescrivait : « Toutes les unités qui n'auront pas franchi l'Oise demain avant 12 heures seront considérées comme sacrifiées. »

    L'opiniâtre résistance de Simoneaux avait protégé la retraite du 41°. Le général Lenclud se montra juste appréciateur du mérite de Simoneaux et de la valeur de cette résistance, car il fut heureusement l'objet d'une citation à l'ordre de l'armée.

    Pendant que se déroule cette action, les restes de la Division s'efforcent d'échapper à l'étreinte ennemie. Toujours les fusées allemandes montent de la plaine; l'aube paraît, propice à l'adversaire. Enfin le 41° peut passer. La longue colonne de nos hommes harassés s'étire sur la route. Il fait jour maintenant. Quelques sections marchent, plus péniblement encore, dans les champs, pour protéger notre flanc gauche, tandis que la 7° D. I. N. A. assure I'arrière-garde à Angivillers.

    L'ordre est d'aller jusqu'à l'Oise, en traversant Sacy-Ie-Grand. Le Lieutenant-Colonel et son État-Major ont devancé la colonne, et attendent à Sacy le passage des bataillons, bien réduits, du 41° R. I.

    Nous·sommes maintenant au 9 juin; il est 8 heures du matin quand arrive la troupe.

    Il y a encore des habitants dans ce village, et les convois de réfugiés, avec leurs lents attelages, rendent encore plus difficile le défilé de nos colonnes.

    Combat d'arrière garde

    Nous abordons Pont-Sainte-Maxence, encore habité, vers 10 h 30. Le pont sur l'Oise est intact, mais la gare et ses abords ont souffert des bombardements.

    Je me rappelle alors qu'en 1918, le366° R. I. dont j'étais a passé là une courte nuit, en montant à l'attaque de Tracy-le-Val, menée par la X° Armée Mangin. Souveuirs de ma jeunesse lointaine! Mais en ce temps là nous étions des vainqueurs. Tandis qu'aujourd'hui nous redescendions . . .

    Nous obliquons à droite, par Beaurepaire. Car c'est seulement dans le bois de Fleurines que nous nous arrêterons : nos hommes ont marché pendant 16 Ou 17 heures!

    Nous arrivons enfin au bois de Fleurines, où se trouvent l'État Major du 41° R. I. et les deux bataillons.

    L'E. M. de la 19° D. I. est à quelques centaines de mètres, dans la nature également.

    Il reste si peu de monde à la Division qu'elle tient facilement tout entière dans ce bois. Dans la soirée, nous y serons rejoints par le groupe de 155 qui n'avait pu passer, le pont ayant été détruit par une bombe d'avion, peu après notre arrivée.

    Nous n'avons à peu près rien à manger, et même il n'y a pas d'eau sur cette côte boisée.

    Ma fatigue est extrême; néanmoins, je ne dors pas; je vais revoir mes amis à l'État-Major du Général. Le colonel Membrey, le commandant de Kérautem, le capitaine Soula, d'autres encore sont là. C'est une joie de nous rencontrer après ces journées si dures. La nuit vient. Demain matin, on nous enlèvera en camions, car il faut aller vite sur l'Oise, au sud, et d'ailleurs les hommes n'en peuvent plus.

    Sur la terre nue, à côté du médecin-commandant Le Cars, j'essaie de sommeiller un peu. Je n'y arrive, guère.

    Le 10 juin; de bonne heure, mais pourtant avec un grand retard, le train automobile est là, enfin. Nous voyagerons en plein jour; à Fleurines, nous sortons du bois, et nous nous engageons à 7 heures sur la grande route de Paris, par Senlis. Dans cette ville, l'église a été atteinte par des bombes, et des maisons sont détruites. Nous avons la tristesse d'y assister au passage désordonné d'une unité coloniale, au
    pillage des magasins. On voit des hommes sans armes chargés d'appareils de T. S. F. ou de caisses contenant on ne sait quoi! C'est une affreuse débandade, et l'on a l'impression que les officiers n'ont pas leur troupe en main, ou ne font pas leur devoir. Des groupes, habillés en soldats, s'en vont désarmés. D'où viennent-ils?

    Nos soldats du 41° sont furieux de ce spectacle et les insultent. Eux sont fiers de leur cohésion et de retourner au combat; volontiers ils utiliseraient leurs mitrailleuses pour remettre de l'ordre parmi ces fuyards. Mais les camions vont vite. Nous quittons la route de Paris, et par Chantilly, Lamorlaye, Luzarches, nous remontons par Viarmes, Royaumont, Gouvieux, pour nous installer sur le bord de l'Oise.

    Le château de Chantilly, tout chargé d'histoire, nous présente la noblesse et la majesté de ses lignes; le parc, la forêt gardent tout leur charme. Le grand Condé s'est reposé à son ombre, et Bossuet, et La Bruyère.

    Au lieu de tranquilles promeneurs, ce sont des hommes qui viennent au combat qu'accueille aujourd'hui la forêt.

    Avant d'arriver à 9 heures, nous recevons quelques balles d'un avion allemand.

    Le P. C. du 41° s'installe d'abord dans le bois, à l'ouest de la route Le Lys-Gouvieux, dans un minuscule pavillon de chasse.

    Le G. R. D. 21 prend position devant le pont de Saint-Leu-d'Esserent, dominé par la belle église du XIIe siècle, oeuvre de l'architecte qui édifia la basilique de Saint-Denis, en gothique de transition.

    Le 3° Bataillon du 41°, 180 hommes environ, avec le commandant Jan, prend position devant Précy-sur-Oise.

    Le 2° Bataillon, 400 hommes environ, avec le commandant Pigeon, au pont de Boran, encore intact, comme celui de Précy.

    Un petit groupe d'hommes et de gradés du 38° R. I. conduits par le capitaine Fau, arrivent en renfort et sont immédiatement versés dans les Compagnies du 41° R.I.

    Une batterie du 10° R. A. D. est là dans le bois.

    Je pousse jusqu'au pont de Précy, Je voudrais aller au village. La sentinelle refuse de me laisser passer. C'est un soldat d'une compagnie de Génie, étrangère à notre Division. Je suis peut-être un parachutiste, on en voit partout. Je m'adresse à l'officier du Génie, qui me reconnaît; le commandant Pigeon, venu de Boran par la rive droite de la rivière, est là aussi. Quelques cavaliers, en effet, y patrouillent encore, surveillant les environs. Enfin, on me laisse passer. L'église est fermée. Quelques réfugiés traversent Précy, emportant sur des voitures d'enfants de pauvres hardes! Quelques soldats, d'une unité qui m'est inconnue, dorment sur la berne de la route, écroulés de fatigue sans doute. Qui peut le savoir? Et que peut-il leur advenir?

    Le capitaine Levreux fait d'amples provisions pour le ravitaillement du 3° Bataillon, dans un train chargé de
    victuailles de toutes sortes, arrêté en gare de Précy! Il sera pour les Allemands, hélas!

    Je reviens par le bois au petit pavillon de chasse que nous abandonnons à 20 heures, pour nous installer au Lys, dans un hôtel évacué, au carrefour; le désordre qui y règne témoigne d'un départ précipité . . .

     

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