• Chapitre 10: Le repli de la Marne à la Seine - 13 Juin 1940

    13 Juin 1940

     La division nous fait prévenir que des camions seront à la disposition du régiment entre Ecouen et Gonesse, mais ce n'est pas sans peine qu'après de longues recherches on les découvre alignés dans une petite rue d'Arnouville, tous les conducteurs endormis: eux aussi manquent de sommeil. Le régiment sera chargé en trois échelons à Gonesse: compagnie de Commandement, 2ème bataillon, 3ème bataillon. Embarquement rapide: les voitures hippomobiles, les mitrailleuses, les mortiers, les canons de 25 et de 47 continuent directement sur Neuilly-sur-Marne. Nous traversons le Bourget, Les grands bâtiments de l'aérogare ne sont plus que des carcasses noircies. Nous laissons à droite la porte Saint-Denis et Paris que nous ne comptions pas revoir dans de pareilles conditions.

    Nous traversons Bobigny, où les habitants distribuent boissons, nourriture et cigarettes aux tirailleurs de la 7ème D. I. N. A. Voici Bondy, Noisy-le-Sec, Rosny, Neuilly, Plaisance. Quelle foule dans les rues!
    Quelle agitation I Nous sommes abasourdis par ce mouvement de civils, de femmes et d'enfants habillés d'une façon qui nous étonne, tant nous en avons perdu I'habitude.

    Au P. C. D. I. l'ordre suivant est donné : Le 41ème occupera Noisy-le-Grand et le plateau de la Grenouillière, le G. R. D. occupant Gournay, le bataillon du 107ème R. I. et la compagnie du 257ème R. I. s'établissant sur les bords de la Marne, de Gournay à Neuilly-sur-Marne. Le pont sur la Marne entre Noisy-le-Grand et Neuilly est tenu par une compagnie d'un régiment régional. Les habitants du lotissement de la Grenouillère, voyant les officiers rechercher des zones de stationnement pour les diverses unités, offrent, qui un lit, qui une chambre, pour loger les soldats. Ils se figurent que le régiment vient au repos et le soir même les Allemands seront peut-être sur la Marne, Que d'illusions !

    Mensonges des journaux, fausses nouvelles de la T. S. F.

    A quoi bon leur exposer la terrible réalité ?

    Le 2ème bataillon débarque à 10 heures à Neuilly-sur-Marne. A 15 heures il rejoindra Noisy-le-Grand où il s'établira en cantonnement d'alerte. Le 3ème bataillon débarque à Noisy-le-Grand à midi et s'installe à 13 heures à la Grenouillère. Il fait une chaleur torride. Tout le monde est à bout.

    Abrutissement total. Bientôt ceux que l'excès de fatigue n'empêche pas de dormir tombent dans un sommeil de mort. Et cependant, dans Noisy, les civils s'agitent, en proie au plus grand affolement, chargeant leurs véhicules: autos, voitures d'enfants, chariots de tous gabarits au milieu de la confusion générale.

    Ce qui reste d'artillerie s'est mis en batterie sur le plateau de la Grenouillère. La mission du régiment est bien confuse et les liaisons font complètement défaut, tant avec les artilleurs qu'avec le P. C. D. I.

    Bientôt le bruit court que Paris a été déclaré ville ouverte et qu'on n'aura pas à défendre le passage de la Marne. Il paraîtrait que les Allemands sont à Rouen. Il parraît même qu'ils auraient franchi la
    basse Seine, ce qui nous semble invraisemblable. Nos unités sont bien réduites. Dans cette marche de l'Oise à la Marne de petits groupes de traînards se sont égarés dans la banlieue et sont rentrés dans Paris.

    On saura plus tard que les gardes mobiles les ont désarmés et rassemblés avec beaucoup d'autres dans des camps qu'ils se sont empressés de quitter. C'est ce qu'on appelle défendre la France I

    19 heures. On tâche d'avoir des ordres au milieu de toute cette confusion, mais l'état-major de la division est déjà parti sur Corbeil. Il nous a laissé heureusement des instructions : le régiment se repliera derrière la Seine, près de Corbeil. Des camions seront à sa disposition entre 20 et 21 heures.

    P. C. D. I. à Mennecy, à 6 kilomètres Sud-Ouest de Corbeil.

    21h30. Pas de camions. La nuit tombe. L'ennemi serait proche, parait-il, et la compagnie du régiment régional chargée de garder le pont de la Marne s'inquiète en apprenant notre départ. Le train hippomobile est parti à 21 heures, mais les mitrailleuses sont restées avec les hommes; il est imprudent de s'en séparer. On pense les charger sur les camions.

    23 heures. Toujours pas de camions. Les recherches effectuées de toutes parts pour les trouver sont restées infructueuses. Il faut, une fois de plus, envisager le repli à pied. Le colonel envoie des officiers
    voir ce qui se passe le long de la Marne et reconnaître l'itinéraire.

    23h15. Des fusées blanches s'élèvent à plusieurs reprises sur la rive Nord de la Marne, devant Gournay. Nous les connaissons, ces fusées qui jalonnent notre marche depuis la Somme, marquant l'avance extrême des éléments ennemis. On apprend que la D. I. chargée de l'arrière-garde est en train de franchir la Marne, L'ennemi la suit. On dit que les Allemands sont entrés à Paris. On assure aussi qu'ils sont à Meaux. Notre situation, sans liaisons, sans moyens de transports, devient inquiétante.

    Nous risquons d'être coupés par les colonnes ennemies ayant traversé Paris, et cela sans pouvoir nous défendre efficacement. Il nous faut aller occuper sans retard la place qui nous est assignée dans le dispositif prévu derrière la Seine. Un conseil de guerre a lieu au P. C. R. I. dans une salle, à la lueur de bougies, l'électricité était coupée. Les hommes seront-ils capables de faire en 24 heures les 60 kilomètres qu'il faudrait parcourir ? On en doute quand on voit leur état de fatigue. Cela fera trois nuits de suite de marche sans sommeil, Mais il faut tout tenter, même l'impossible, pour ne pas se laisser encercler, et rapidement la décision est prise: départ immédiat. Première étape jusgu'à Rouvres, dans la commune de Draveil, 40 kilomètres à l'abri de la Seine et de l'Yerres, avec la forêt de Senart comme couverts. De là on cherchera des moyens de transport pour atteindre Corbeil. Le 2ème bataillon transportera ses mitrailleuses à l'aide d'une voiture hippomobile « récupérée » avec son cheval dans Noisy. Le 3ème bataillon camouflera les siennes: elles seront récupérées par une camionnette du bataillon avant la fin de la journée. L'ordre de départ est aussitôt donné. Itinéraire : Chennevières, Ormesson, Boissy-Saint-Léger, Brunoy, Rouvres. Il est minuit 30. Nous apprenons que l'ennemi est depuis 20 heures à Lagny et depuis 23 heures à Gagny, sur l'autre rive de la Marne.

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