• 3° Cie du 1er Bataillon du 41° RI dans la poche de Lorient ( par Maxime LE POULICHET )

    Le front des oubliés (la festung de Lorient)

     De 1942 a 1944, la Poche de Lorient a été fortifiée systématiquement. Le 14 décembre 1941, Hitler avait décidé de constituer le « Mur de l’Atlantique »

    Après l’entrée en guerre des États Unis. Le Mur devait éviter que se constitue un second front à l’Ouest, alors que l’Allemagne poursuivait l’invasion de l’URSS. 

    Pour les Allemands la défense des bases de sous-marins et des grands ports était prioritaires. Il s’agissait de maintenir intact le potentiel de destruction des forces alliées, mais aussi d’empêcher que les ports deviennent les têtes de pont d’un débarquement. 

    Le Pays de Lorient fut donc transformé en camp retranché allemand, ce qui impliquait des moyens matériels considérables. De la Laïta à la rivière d’Étel, est établie une ligne de défense allemande ponctuelle de dizaines d’ouvrages défensifs, notamment sur les collines. A l’intérieur de ce premier dispositif, sont emboîtées trois lignes de repli défensif, de plus en plus resserrées. C’est la forteresse proprement dite : « Festung » en allemand. 

    La Festung Lorient prenait appui sur les deux rives de la rade, avec des fortifications très importantes. Gâvres, Riantec, Kernours, le pont du Bonhomme, délimitaient le secteur protégé sur la rive gauche du Blavet. La festung passait ensuite entre Lanester et Caudan, sur des  terrains  marécageux aujourd’hui remblayés. Il traversait le Scorff en dessous du bourg de Quéven, descendait jusqu’au Ter et rejoignait la côte près du fort du Talud.

     

    3° Cie du 1er Bataillon de marche d’Ille-et-Vilaine du 41° RI

     

    Il faut y ajouter les ouvrages côtiers, depuis la cote 40 à Guidel jusqu’à la Falaise d’Etel. Puis, le contrôle de Belle-Ille et de Groix. Plus les deux batteries de gros calibre : l’une au fort de Grognon à Groix, l’autre au Bégo à Plouharnel. Plus l’impressionnant dispositif anti-aérien : 340 canons en tout, dont 90 d’au moins 75 m/m. Le Festung était conçu comme un château-fort du Moyen-âge, avec une nuance : il était complètement adapté aux armements de son époque. 

    (La batterie Seydlitz de Groix, orientable sur tout l’horizon, a une portée de 30km. La batterie de 340 de Plouharnel a 40 km de portée. Elle bombardera même Vannes, faisant six morts le 16 février 1945, dans la Ville libérée depuis le 4 août précédent)  

    "Une tentative de libération de la ville de Lorient par l'armée américaine ayant échoué, 50.000 F.F.I. prennent position sur un front de 60 km de "long, de la Laïta à Carnac, encerclant 26.000 soldats allemands dans ce que l'on a appelé la « Poche de Lorient ».
    "Une guerre de position de neuf mois commence alors. Elle se termine avec la reddition sans condition signée à Etel le 8 mai 1945."

    Noël 1944 A Saint-Cado

    En ce soir de Noël 1944, c’est sous les couleurs du 41ème R.I. que nous tenions position sur le bras de mer d’Étel, tout près d’un village breton qui s’appelle Saint-Cado dans le Morbihan.

    Ce soir là, j’étais de garde de 10 heures à minuit dans un trou d’homme, creusé sur la berge de la rivière d’Étel, en contrebas d’une prairie, au ras de l’eau. Le bras de mer nous séparait de l’ennemi. Mis à part les tirs ponctuels de l’ennemi, les incursions de patrouilles boches étaient peu probables mais non exclues, puisqu’elles s’étaient déjà produites. Il y avait donc un point de surveillance tous les 100 mètres au ras de l’eau et des postes de mitrailleuses réparties au mieux de la configuration du terrain, au niveau supérieur.

    La nuit était calme et claire. Aucun tir isolé ne se faisait entendre, un peu comme le calme avant la tempête. D’habitude, en effet, les boches devinaient, savaient ou voyaient les camarades rejoindre leur poste pour la relève de la garde. Peut-être avaient-ils déjà des visées infrarouges, ou peut-être voyaient-ils tout simplement avec des jumelles, nos silhouettes se découper sur les hauteurs qu’il fallait parfois franchir pour rejoindre les postes avancés.

    Alors les armes automatiques ennemies se déclenchaient annonçant par la même occasion à ceux qui venaient de passer deux heures de garde, transis au fond de leur trou, sous la pluie ou sous la neige, que la relève arrivait.

    Cette fois, rien de tout cela. Seuls, les pas de mon camarade dégringolant la pente sur le sol glacé pour me remplacer troubla le bruit naturel du clapotis de l’eau sur la berge. C’est vrai qu’il avait bien 10 minutes d’avance sur l’horaire strictement militaire habituel et que les boches ne pouvaient pas le savoir. La consigne avait été donnée d’avancer l’horaire de la relève à cause de Noël.

    Souhaitant un bon Noël à mon camarade au fond de son trou, je remontais prestement la pente pour rejoindre mes camarades revenant comme moi de leur tour de garde. Je pensais au bon "flip breton" qui nous attendait pour nous réchauffer. J’atteignais le petit sentier qui rejoignait à cette époque les premières maisons de pêcheur où se trouvait notre cantonnement et qui formait le première protection contre les balles perdues qui s’écrasaient contre les pignons, lorsque Noël sonna pour moi d’une façon étrangement forte sur le coup de minuit.

    Toutes les bouches à feu ennemies se mirent à cracher en même temps ; les canons (obus, fusants, mortiers ) mitrailleuses, armes individuelles... Je n’eus que le temps de me plaquer contre un rocher se trouvant là bien à propos. Pendant cinq longues minutes le ciel fût embrasé, sillonné de balles traçantes, et la nuit trouée d’éclatements assourdissants. Les balles miaulaient à mes oreilles, certaines martelant le rocher derrière lequel j’étais caché, ou criblant les pignons des maisons voisines. Ce fut pour moi cinq minutes terrifiantes de bruit, d’éclairs, de balles traçantes, déluge de fer et de feu, heureusement protégé derrière mon providentiel rocher de Noël. Puis le silence revenu après tant de bruit me paraissait si impressionnant, que je suis resté prostré un moment à l’écouter religieusement avant de me relever.

    Cela avait été leur façon de fêter Noël 1944, leur dernier Noël d’envahisseurs au Pays de mes ancêtres. Ils fêtaient aussi sans doute en même temps la dernière victoire de Von Rundstedt dans la percée des Ardennes.

    Puis j’ai retrouvé mes camarades, aucun n’ayant été blessé, nous avons doublé la dose de flip breton pour fêter cela et nous nous sommes rendus tous ensemble dans la charmante petite église de Saint Cado, écouter la fin de la messe de minuit en breton.

    Tenir la presqu'île du Plec 

    Le P.C. de la nouvelle 3° Cie (notre ex-12°) se trouve désormais installé à "Listrec" en Locoal-Mandon face aux parcs à huîtres du père Landeau, vite dévasté par les FFI. On disait que l’armée indemniserait. Des reconnaissances de dette auraient été remises aux intéressés !

    La 12° Cie prend position le 20 décembre 1944 sur la presqu’île du Plec et la Pointe du Verdon Nous avions toujours à la section engins le futur célèbre champion cycliste Louison Bobet.

    Voici un rapport du Commandant Frémont qui en dit long sur la situation sur le front fin décembre 1944 :

    Copie document :

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    III° Région militaire

    19° DI

    41° Régiment d’Infanterie

    1er Bataillon

                                                                RAPPORT SUR LE MORAL

                                                   EN EXECUTION D’ UN MESSAGE TELEPHONE

                                                                  DU 21/12/1944

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                                                               1 – GENERALITES

     

                1° D’ordre Militaire .-

     

                Le bataillon est intégré depuis peu dans la nouvelle armée régulière française, dans le cadre du 41° R.I. et par voie de conséquence de la 19° D.I. prévue depuis août comme devant être motorisée dans un avenir plus ou moins éloigné.

     

    A l’époque de ce rattachement, les cinq compagnies F.F.I. d’Ille et Vilaine qui composèrent à elles seules le 1/41° ressuscité, se sentirent transportées de joie. Enfin on reconnaissait en haut lieu leurs mérites certains et tous les espoirs leur étaient permis. Parmi ceux-ci, le bataillon nourrissait celui de se voir rapidement habillé, équipé et armé d’une façon définitive afin d’être engagé, après une période d’instruction et d’adaptation la plus courte possible, dans la lutte décisive contre l’Allemand. Le moral de tous, à ce moment là, était le plus élevé qui se puisse concevoir. Il l’est encore mais à un degré moindre, car tous sentent plus ou moins confusément d’ailleurs, que la volonté d’arriver à ce résultat est insuffisante aux échelons supérieurs. Il n’est en tout cas maintenu à ce niveau que par l’action directe des cadres subalternes sur leurs subordonnés. Quoi qu’on en dise, les liens qui unissent les hommes du bataillon à leurs chefs directs, avec lesquels ils sont en contact permanent sont aussi puissants que divers et j’ai pu me rendre compte à plusieurs reprises que les cadres et la troupe forment un tout qu’il semble impossible de dissocier, sans exposer l’unité à des risques certains de désagrégation. Etre près de la troupe ne signifie pas seulement, à notre sens, faire près d’elle de la démagogie facile et à la portée de tout le monde, mais à partager complètement et avec la plus entière confiance ses joies, ses peines, ses fatigues et ses moments de détente. Le facteur primordial de cet esprit de corps est, sans aucun doute, la confiance absolue qui unit nos soldats aux chefs qu’ils se sont eux-mêmes donnés depuis de longs mois dans la Résistance et dans les Maquis.

     

    En définitive, on peut dire que le bataillon est encore ce qu’on peut appeler un beau bataillon auquel sont fiers d’appartenir les officiers, sous-officiers et soldats qui le composent. Ceux-ci sont désireux de voir encore se renforcer la tenue et l’organisation de l’unité dans le sens précité plus haut et ce, afin de mériter sans aucune équivoque l’estime, l’affection et le respect de la nation toute entière.

     

    D’ordre politique .-

     

    L’unanimité sur ce point est complète. Aucune conversation, et à plus forte raison, aucune discussion de caractère politique n’ont, à ma connaissance jamais été entamées, soit entre militaires appartenant à des compagnies différentes, soit au sein même des unités. Et pourtant les opinions sont extrêmement diverses, bien que la majorité des officiers, sous-officiers et hommes, soient consciemment ou non, de gauche et même d’extrême gauche ; mais ils respectent à cet égard le statut militaire et, bien qu’ils soient des hommes libres, volontaires pour aider à la reconquête de la France, de son Empire et aussi de leurs libertés, ils n’ont pour arriver à ce résultat qu’une idée « combattre » et ceci exclut cela. J’ajoute qu’il en est de même du point de vue confessionnel.

     

    D’ordre social .-

     

    Le milieu social est ce qu’il a toujours été dans l’armée, c’est-à-dire très divers, mais à l’encontre de ce qui existait autrefois, aucun désaccord dû à cet état de choses ne s’est produit. Ce fait n’est pas autrement surprenant si on veut bien considérer que les gradés aussi bien que les hommes du Bataillon ont justement pris les armes pour défendre et faire triompher leur idéal social. Il serait, à mon sens, désirable que les relations qui unissent les officiers, les sous-officiers et les soldats du Bataillon dans le service et en dehors du service soient susceptibles d’être généralisées ce qui permettrait d’augurer favorablement de la solution des problèmes sociaux qui se posent en France.

     

    D’ordre matériel .-

     

    Si le moral, comme je l’écrivais plus haut, est encore ce qu’il est, on ne peut pas dire que c’est grâce à l’amélioration des conditions de vie matérielle du soldat. Bien au contraire, hélas ! Il faut pourtant qu’on se persuade en haut lieu qu’il est indispensable d’assurer à la troupe un minimum de bien-être matériel et physique. Or actuellement, l’impéritie des services est telle que les plus graves préoccupations des commandants de compagnie ont trait à l’alimentation et à l’entretien physique de leurs troupes. Le chef de bataillon et son personnel chargés de l’approvisionnement sont constamment harcelés de réclamations de la part des compagnies, soit parce que le ravitaillement est insuffisant, soit parce qu’il n’est pas régulièrement distribué aux unités en ligne. Dans le 1er cas, l’intendance est seule en cause, dans le second, les difficultés quasi insurmontables que nous rencontrons sont dues uniquement au mauvais état de notre matériel roulant et à l’absence presque totale de pièces nécessaires aux réparations et à l’entretien des véhicules.

     

    Je me garderais bien de passer sous silence la question primordiale de l’uniformité d’armement et de munitions, le ravitaillement en ligne en moyens de combat, l’absence totale d’artifices, de signaux, de fil de fer barbelé, etc ... etc ...

     

    Pour conclure ce paragraphe, je citerai le mot d’un de mes meilleurs officiers, qui est en même temps un vieux compagnon d’armes de 39-40 et de la Résistance au cours de considérations que nous échangions récemment sur l’état du matériel du Bataillon «Il y aurait, me disait-il, des volumes à écrire à ce sujet, aussi bornons-nous seulement à dire que, dans ce domaine, tout manque, même la bonne volonté de pas mal de services »

     

            II – OFFICIERS

     

    La majorité des officiers constituant l’encadrement du bataillon est formé par d’anciens officiers et sous-officiers d’active ou de réserve ayant participé au début de la guerre (campagne 39/40). A une ou deux exceptions près, ils ont en outre, fait partie de la Résistance sous l’occupation. Pour eux, leur plus belle récompense est d’avoir à se battre à nouveau, en uniforme, cette fois contre l’Allemagne et achever ainsi de mériter leur grade obtenu dans la Résistance. Nos autres camarades proviennent uniquement des FFI et doivent leurs galons à leur jeune valeur et à l’énergie dont ils ont fait preuve dans la Résistance pour organiser sous l’occupation allemande des unités entièrement constituées et équipées par leurs propres moyens et à les mener au combat. Il est évident qu’ils manquent de technique militaire, mais leur désir d’apprendre est manifeste ; aussi demandent-ils comme le demande l’ensemble des officiers du Bataillon à être commandés et instruits dans l’art du combat moderne par des chefs et des instructeurs dignes d’eux, tant du point de vue militaire que du point de vue moral, que ces chefs possèdent surtout la même foi et le même idéal que ceux dont ils sont animés.

     

                                               III – SOUS-OFFICIERS

     

    Beaucoup sont à l’image de leurs supérieurs. Presque tous sont mariés et pères de famille. Ceux-ci ont abandonné leur travail et leur foyer pour combattre le boche et faire triompher leur idéal. Dire qu’ils font leur travail avec cœur et surtout avec compétence quand il s’agit de la vie de garnison ou de camp serait sinon complètement faux du moins exagéré, mais par contre, ils remplissent admirablement leur tâche depuis que nous sommes en secteur. Rien d’étonnant à cela, ce sont d’anciens maquisards. Pour certains d’entre eux, les meilleurs et en particulier ceux d’active, il faudrait envisager de les avantager, car ils constituent un personnel d’élite, en leur donnant un avancement mérité et en facilitant, par la suite le recrutement d’officiers de carrière dans le corps des sous-officiers auquel ils appartiennent. A tous le séjour en secteur fait beaucoup de bien, leur instruction y a déjà gagné et les stages de perfectionnement leur permettront encore de le parachever.

     

                                                IV - TROUPE

     

    En général, elle a un moral excellent, car elle est formée uniquement d’engagés volontaires ; mais il faut quand même y distinguer 3 catégories. La plus importante (70% de l’effectif) se composent de jeunes hommes ardents, animés d’un haut idéal patriotique et social. La seconde (20%) braves garçons qui se sont engagés pour faire leur service et qui l’accomplissent comme on le faisait avant 39, par devoir, mais sans conviction profonde. Ce sont quand même de bons soldats et ils s’améliorent grandement au contact des premiers. Quand au reste (10%) il est composé pour la plupart de désœuvrés, de camouflés par force, voire même de paresseux qui se sont engagés sans trop savoir pourquoi. Peut-être espéraient-ils un bien être matériel facile à obtenir puisqu’il ne dépendait pas d’eux-mêmes. Quoique cela, il ne faut pas désespérer de les amener à nos conceptions, j’ai déjà été témoin de conversions de ce genre et leur contact permanent avec les premiers cités ont déjà porté ou porteront leurs fruits.

     

    En tout état de cause et en considérant qu’ils sont tous et tout de même volontaires ils doivent être encouragés et aidés par tous les moyens. Ceux qui désirent rester pour un assez long temps dans l’armée ou y faire leur carrière doivent avoir des facilités pour suivre les cours d’élèves gradés. Et puis le fait est là que, pour la majorité d’entre eux, l’ardeur patriotique qui les anime tranche lumineusement avec l’apathie et la méfiance d’une trop grande partie de la population française. Rien que cela les rend conscients des devoirs militaires qu’ils sont prêts à assumer mais aussi des droits qu’ils se sont acquis et qu’ils continueront d’acquérir, droits que nous, leurs chefs, défendront avec eux par tous les moyens.

     

                                  I – CONSIDERATIONS D’ ORDRE MATERIEL

     

    Nous concevons parfaitement que la dotation matérielle des unités en formation est pénible en raison de la situation actuelle du pays, mais nous rendons moins parfaitement compte que les solutions qui auraient dû ou devraient être possible ont été ou sont rendues difficiles du fait de l’apathie, de l’indifférence voire même de l’hostilité dont font preuve à l’égard de la future armée française, les services de l’ancienne impuissance de ceux-ci à réaliser la situation et à y faire face avec des méthodes nouvelles et efficaces ou, ce qui serait plus grave, sabotage conscient à l’égard des formations nouvelles du fait d’individus ou par la jalousie ou la méfiance ? Or, il faut bien se dire que les bonnes volontés quelles qu’elles soient ne résistent pas à la force d’inertie, mais qu’on ne s’y trompe pas, nous sentons à certains indices que la patience s’émousse et qu’il est grand temps qu’on s’en rende compte en haut lieu. Nous avons jusqu’ici tenu nos hommes avec quelques réalisations et beaucoup de promesses. Ils savent que nous souffrons comme eux de l’état de chose existant. Nous voulons nous battre et nous demandons pour cela les outils qui nous sont nécessaires. Nous ne demandons que cela et, pour concrétiser nos besoins, nous dirons qu’il faudrait doter à bref délai nos unités du matériel, de l’armement, de l’équipement et de l’habillement prévus aux derniers tableaux parus, comme ont été d’ailleurs dotés les bataillons dits « de sécurité et d’instruction » constitués en même temps que le nôtre.

     

                                                 IV - INITIATIVES

     

    Du point de vue matériel, elles ont été, elles sont et elles devront être, nous le craignons, encore très nombreuses, trop nombreuses, car dépassées, présentes ou futures, ont tenu, tiennent ou tiendront toujours du trop fameux  système « D » que de ce qu’on peut appeler véritablement de l’initiative. Comment pourrait-il être autrement puisque trop souvent la réponse à nos demandes est négative ou incertaine.

     

    Heureusement que du point de vue moral, il en a été tout autrement. En effet, il convient de rappeler ici que c’est grâce à leur énergie et à leurs initiatives personnelles que les officiers et sous-officiers qui se sont trouvés placés à la tête de formations issues de la Résistance sont parvenus à organiser leurs unités et à les fournir au commandement mises sur pied avec leurs effectifs, leurs cadres, leur armement et leur matériel, ces deux derniers récupérés d’ailleurs sur l’ennemi.

     

    Pour conclure ce chapitre nous nous bornerons encore une fois à citer textuellement l’un des officiers du bataillon : « Si c’est de notre initiative (et ceci est pris dans le sens le plus large, c’est-à-dire, troupe, sous-officiers et officiers) dont il s’agit, qu’on veuille bien se reporter à la fin d’août 44 et regarder le bataillon d’aujourd’hui pour juger ». Et encore on aura pas tout vu, car on ne lit pas dans les pensées.

     

                                                 VII – SUGGESTIONS ET PROPOSITIONS

     

    Elles ne seront pas précisées, les solutions à apporter aux problèmes posés par ce qui précède dépassant nos facultés de résolution, toutefois nous pensons qu’il serait bon d’envisager plusieurs réformes, à savoir :

     

    1° Réorganisation des services en général et de l’intendance en particulier sur des bases modernes avec un personnel rompu aux nouvelles méthodes adoptées par les établissements industriels et commerciaux de l’époque actuelle.

     

    2° Réorganisation du commandement en supprimant le formalisme archaïque et en confiant les leviers de commande à des hommes dont le but soit de faire la guerre avant tout et tout de suite.

     

    3° Application à tous les échelons du commandement de sanctions efficaces en fonction de leurs responsabilités respectives.

     

    4° Suppression totale aux divers échelons et dans tous les organismes des relations personnelles, des incapables, des fatigués jeunes ou vieux, des inactifs.

     

    5° Suggestion aux services de fonctionner correctement en les invitant à bien se persuader que, s’ils ont été ainsi baptisés, c’était pour servir les armées combattantes.

     

    Et nous terminerons cet aperçu d’ensemble en rappelant cette pensée de l’empereur Napoléon 1erqui n’a pas vieilli malgré les années ; « Les hommes de valeur ne manquent pas en France, mais il faut savoir les choisir et les mettre à leur place » Nous ajouterons quant à nous, qu’il faut également vouloir les choisir et vouloir les mettre à leur place »

     

                                                   Aux Armées le 31 Décembre 1944

                                                   LE CHEF DE BATAILLON FREMONT

                                            COMMANDANT le 1er BATAILLON du 41° R.I.

     

    Début janvier 1945, la section est affectée à la défense de la presqu’île du Plec. C’est Jean-Marie le passeur qui est réquisitionné par l’armée, pour sa connaissance des lieus, des courants et des marées pour assurer la liaison et le ravitaillement par mer, notamment avec la pointe du Verdon.

    Notre camarade Henri Chapon, chef cuisinier de la 12è l’accompagne toujours pour le ravitaillement. Par nuit claire, ou de jour, ils ont souvent été pris pour cible par l’ennemi, mais heureusement jamais atteints.

    Notre secteur postal était le 53.491. Notre sergent-major comptable était le Sergent Guihard. Notre infirmier, sergent fourrier, l’homme sachant tout faire était Arsène Delsaut.

    Le 12 janvier 1945, le Camarade Le Pelletier est blessé à la main par balle. Le 22 janvier 1945 c’est le camarade Lumière qui reçoit une balle dans le bras. Puis, le sergent Yves Sentier tombe gravement malade de la poitrine. Il ne veut pas quitter ses camarades. On l’emmènera de force à l’hôpital. Il sera réformé pour tuberculose le 9 février 1945.

    De janvier à avril, ce ne sont que des échanges de tirs incessants de part et d’autre, à l’arme automatique, au mortier, au canon de 27mm, aux fusants, de jour comme de nuit.

    Parfois, il y a des trêves pour laisser passer des civils de la Poche de Lorient Certains camarades culottés, en profitent pour aller visiter les postes ennemis et proposer aux "affamés" (comme on les appelait aussi) du chocolat américain contre des armes personnelles.

    Quand le front est calme, des musiciens allemands se font entendre, dans les postes d’en face. Évidemment nos mitrailleuses sont aussitôt pointées dans cette direction.

    Un beau jour c’est le lieutenant Louis Correy qui se met aussi à cracher le sang. Lui non plus ne veut pas quitter ses camarades. C’est le médecin qui vient le chercher.

    Plusieurs font des rages de dents, ce qui est mon cas. J’aurais une courte permission pour me rendre à Auray chez le dentiste qui, sans commentaire, m’arrache une dent.

    Nous avions droit quand même de temps à autre à une période de repos dans une ferme un peu à l’arrière, la ferme des Glain. Il y avait là trois belles filles que les militaires courtisaient. Là, nous pouvions dormir en paix relative dans la paille fraîche du grenier, nous laver, nous changer.

    Pourtant, des prémices annonçaient bien quelque chose. Notamment un tir de mortier et de fusants nourris mais heureusement trop courts de quelques mètres, et n’atteignant pas la ferme.

    La peur, le qui-vive, le froid, les désertions, les blessés, les prisonniers … ( Locoal-Mendon)

    La peur, le qui-vive, les nuits froides, la boue, les gardes solitaires dans les postes avancés sous la mitraille ennemie, les patrouilles, les mortiers, les fusants, la tension, mettaient les nerfs à bout. L’hiver avait été très dur. Il y avait des mois qu’on avait pas couché dans un lit. Le courrier ne passait que sur carte ouverte. Le moral en prenait un coup. Il y avait des défections chez nous comme chez l’ennemi ; des rages de dents, des bronchites et ...des abandons de postes devant l’ennemi.

    Parfois, c’était sans conséquence, et personne n’en parlait. Pourtant, un abandon de poste aux conséquences gravissimes fût officiellement démasqué à l’occasion d’un accident de la circulation survenu le 8 avril 1945 à Vannes,

    Ce jour là, un camion  P.38 Citroën en cours d’immatriculation se rendait en mission de Locoal-Mendon à Rennes sous la responsabilité de Jean Macé, sergent à la C.B.I. du 1er Bataillon du 41° R.I. avec à ses côtés le Caporal Daniel Robert.

    Vers 21 heures, à l’angle de la place du Maréchal Joffre et de la place Gambetta,le camion P.38 entra en collision avec une voiture particulière conduite par la femme du colonel Morice.

    Les dégâts n’étant que matériels le colonel Morice demanda dans son rapport que personne ne soit inquiété pour cet accident. Mais les noms des occupants figuraient sur le rapport. C’est ainsi qu’on eût la surprise de découvrir le nom de l’adjudant H. passager hors mission dans le camion, lequel avait quitté son poste sans permission.

    On savait que sa mère était malade, et qu’il souhaitait profiter du camion pour aller l’embrasser. Mais en tant de guerre, ça s’appelle abandon de poste. Et comme l’exemple vient d’en haut, l’un de ses hommes G. V. D. qui était de garde dans un poste avancé de 4 à 6 heures le 9 avril 1945, décida d’en faire autant et d’abandonner son poste de garde devant l’ennemi, pour s’en aller en barque voir une fille qu’il savait retrouver loin de la ligne de front, à Locoal-Mendon.

    Le drame, c’est que ce 9 avril 1945 vers 5 heures du matin, les boches avaient décidé une incursion dans nos lignes, juste à l’endroit du poste déserté, comme s’ils étaient au courant !

    Ces deux abandons de poste simultanés de la part de ces deux monstres d’égoïsme, se sont traduits par un désastre pour notre section. Pourtant ils s’en sont bien tirés. Allez comprendre ! L’adjudant H. n’a été que rétrogradé sergent-chef et le 2ème classe a bénéficié lui aussi de la clémence du Tribunal militaire. Ils n’auront été finalement moins punis que je ne le fus pour la vie par les séquelles de mes blessures. Ils peuvent remercier le Commandant Frémont.

    Après la honte des bavures de Monterfil, et la honte de ces désertions et de ses conséquences, il y avait quelque chose de brisé entre nous. La rancœur allait s'installer pour longtemps contre ceux qui avait trahi la confiance de leurs camarades.

    Enfin, à tout péché miséricorde ! Avec le temps, on pardonne. Mais le 9 avril 1945 est resté pour nous un souvenir de honte et d’humiliation .

    Le dernier coup de main allemand dans nos lignes.

     POTIUS MORI QUAM FEDARI (Plutôt la mort que la honte) devise des Bretons

    Le 9 avril 1945, vers 5 heures du matin,(4 heures 45 dit le rapport officiel) un commando allemand investit par surprise à la faveur des abandons de postes évoqués dans le chapitre précédent, la position occupée par une section de l’ex-12° Cie sur la presqu’île du Plec en Locoal-Mendon.(en langage militaire situé au 187,800 – 315,700 - S.P. 53491)

    Notre poste central c'est  la maison du pêcheur Boulard  qui narguait l’ennemi symboliquement et stratégiquement. Symboliquement par ce que nous avions peint au goudron sur le pignon de la maison, face aux allemands, un grand V de la victoire avec la croix de Lorraine au milieu. Stratégiquement, cette position coupait la route aux patrouilles ennemies tentées d’infiltrer nos lignes.

    Aussi, le pignon de la maison était-il souvent le point de mire des canons de 27 mm et des mitrailleuses d’en face. Et cette partie de la presqu’île était souvent arrosée d’une pluie d’obus et de fusants, suivies de tentatives d’infiltrations jusque là repoussées.

    Pourtant ce matin là, la désertion de nos camarades et surtout l’abandon du poste de garde par V. D., était une porte ouverte dans nos lignes, un peu comme si l’ennemi était au courant qu’il savait et ne risquait rien à cet endroit. Certains se sont posés la question. La copine de notre camarade aurait pu parler à quelqu’un d’autre, de ce rendez-vous. On savait qu’il y avait des militants ou sympathisants de la milice Perrot dans les parages. On avait déjà essuyé un coup de feu dans le dos, entre Locoal et Le Plec. .

    Bref, la brume très épaisse ce matin là, favorisait et protégeait cette incursion ennemie. L’alerte n’a donc pas été donnée. Les camarades qui n’étaient pas de garde dans un des trous d’homme disséminés autour du poste central dormaient donc profondément dans la maison Boulard, les uns dans la cave, les autres à l’étage, tout le monde dans la paille, à même le sol.

    A ce moment là, étaient présents dans le poste : le caporal Hamon, les soldats  Le Poulichet - Delaunay - Vallet - Chiron - Hue - Senant - Fevrier - Coignard – Travadon – Aillet - Pohin – Cavret.

    Les Allemands avantagés avantagés par l’effet de surprise, ont attaqué le poste à la grenade et à la mitraillette. Les Français ainsi réveillés mais encore allongés n’ont pas été touchés. Dans une mêlée indescriptible des camarades dormant à l’étage ont réussi à s’échapper en sautant d’une fenêtre et sont allés se cacher derrière les cages à lapin. Mais ils n’avaient pas eu le temps de se saisir de leurs armes. Le Caporal Georges Hamon a été gravement blessé dès le début de l’attaque.

    Dormant à la cave, contre le râtelier d’armes, l’auteur a pu saisir son fusil américain automatique et s’échapper en tirant sur la silhouette ennemie qui mitraillait l’intérieur depuis la porte.

    Dans la brume encore épaisse, on ne voyait pas d’où venaient les grenades, ni les rafales de mitraillettes. Les camarades cachés derrière les cages à lapins toutes proches ont témoigné et déclaré à l’enquête le lendemain que l’auteur avait d’abord été blessé aux jambes et qu’il a continué à tirer vidant son chargeur avant d’être blessé au bras. Son fusil taché de sang a été retrouvé le lendemain matin, marquant l 'emplacement où il était tombé.

    Comment ne pas être marqué à vie par cet instant où l’on voit son sang s’échapper, où on le sent sortir par la blessure où la terre s’imprègne de sa couleur, où l’on sent la faiblesse vous envahir et qu’un allemand s’approche, mitraillette pointée, donner un coup de botte pour éloigner le fusil et vous retourner le corps de la même manière

    Deux brutes ennemies traînent Le Poulichet (blessé) près de ses camarades : Delaunay - Vallet - Chiron - Hue - Senant - Février et Coignard couchés sur le ventre, les mains sur la nuque, deux mitraillettes pointées dans leur dos.

    Là, on dépouille chacun de ce qu’il possède de visible. On arracha la chaînette que portait l’auteur autour du cou avec une médaille de Jeanne d’Arc reçue dans son enfance au patronage du même nom à Rennes. D’un côté était la Sainte combattante et de l’autre une épée pointe en haut supportant une couronne matérialisée par un trait horizontal et trois points au-dessus figurant la couronne.

    On traîne tout ce monde jusqu’à un dinghy de caoutchouc qui attendait là pour nous emmener sur l’autre rive. Arrivé sur la berge d’en face, on se retrouve dans une petite ferme toute proche, où l’on découvre le même décor que chez nous, la même similitude de vie que la nôtre. C’est la même paille pour litière à soldats.

    Puis, l’on se retrouve dehors, appuyé contre le mur. On nous traite de terroristes pendant que des Allemands nous mettent en joue. On a cru notre fin arrivée. Mais non, un officier donne des ordres. Ils ont besoin de monnaie d’échange.

    Du coup, un soldat allemand me prend dans ses bras et me porte jusqu’à une ferme voisine servant d’infirmerie. Là, on me met nu, on me nettoie le sang qui a coulé sur mon corps. On m’allonge avec trois autres blessés allemands, dans une ambulance qui vient d’arriver.

    Sans attelle et sans plâtre, sur les chemins cahoteux empruntés par l’ambulance, jusqu’à Port-Louis, c’est le parcours de la douleur, Je ne me sens plus qu’à moitié vivant mais conscient. Des obus alliés éclatent de -ci, de-là, le long du parcours, quelques éclats atteignent même l’ambulance.

    Arrivés à Port-Louis, on me descend à bras d’homme maladroits sur le bateau par un escalier de bois aux marches glissantes. Des obus tombent dans l’eau tout près du bateau, soulevant des gerbes d’eau. Apparemment, la peur règne sur le bateau. Des infirmiers s’affairent à ranger fébrilement les blessés et moi avec sur des civières. J’ai une couverture allemande sur moi et voilà qu’on semble me prendre pour un allemand, car on me parle en allemand. Alors, je fais le mort, je ne réponds pas.

    Nous arrivons finalement sans casse à la cale de Lorient où je suis installé avec trois autres Allemands dans une ambulance. J’essaie de me repérer, étant venu à Lorient enfant, voir une tante avant guerre, mais il n’y a plus que des ruines... L’ambulance s’arrête à l’hôpital maritime allemand, devant un bunker avec une croix rouge où se trouve la salle d’opération.

    Blessé, prisonnier, hospitalisé chez l'ennemi.

    Depuis que je suis entré dans ce bunker sur ma civière, après une attente assez courte dans l’entrée, à côté de celle d’un autre allemand, j’ai comme l’impression qu’on me prend toujours pour un allemand, puisqu’on me parle en allemand.

    Ma civière se soulève enfin et sans trop m’en rendre compte, je me retrouve rapidement allongé sur la table d’opération. Je sens confusément que je n’ai plus d’effort de survie à faire dès que je vois le visage du Chef Hartz (médecin chef) se pencher sur moi. Mes nerfs tombent. On me met un masque d’éther sur le visage et je ne sais plus ce qui se passe. Je suis endormi.

    C’est pourtant comme P.G. que je me suis réveillé le lendemain matin par un bruit de clé dans la serrure, en même temps que par une impérieuse envie de rendre. J’étais bel et bien enfermé à clé dans une chambre à deux lits, semble t-il au 2è étage du côté des cuisines, d’après les bruits qui me parviendront.

    Une infirmière rentre avec une cuvette. Je ne puis me soulever seul, mais l’infirmière m’y aidera. J’ai sans doute pris froid aussi pendant ces événements, car je tousse aussi beaucoup, ce qui me provoque des douleurs notamment au niveau de ma blessure au bras. Après m’avoir nettoyé, l’infirmière m’explique que le matériel médical fait défaut, que je n’ai donc pas été plâtré, qu’on m’a seulement posé une attelle, sorte de gouttière métallique, lavé la blessure au Dakin, mis un drain de caoutchouc qui me traverse le bras, et un bandage par dessus.

    On m’a accroché un carton autour du cou avec une ficelle. C’est écrit en allemand... Le seul mot que je retiendrais c'est "Kriegefangenen" (P.G.). L’infirmière se présente : elle s’appelle Simone Joyet. Elle est française et dit avoir été réquisitionnée là lors du blocage de la poche de Lorient. Elle remplit la fonction d’interprète médicale auprès du chef Hartz, parlant couramment l’allemand. Elle est blonde et gentille.

    Sa conversation a dû réveiller mon voisin de lit qui gémit. C’est un sergent chef du 71° R.I. blessé d’une balle au ventre à Landévant. Il sait et dit qu’il va mourir. Il dit aussi qu’on ne l’a pas soigné. L’infirmière dit que l’hôpital n’a plus de médicaments ni les moyens de sauver tous les blessés qui arrivent et que la Croix Rouge n’en fournit pas. Elle ne peut rien dire de plus, car on ne lui fait pas de confidences.

    Quelques jours encore et mon camarade me dira "adieu" dans des souffrances atroces. Ses cris, je les entends encore parfois, ils me réveillent la nuit. Je ne pouvais lui fermer les yeux, incapable que j’étais de me lever. Dans l’état de faiblesse ou je me trouvais ce fût une pénible épreuve pour moi.

    Dans ce contexte ou les obus sifflent, s’abattent et explosent dans un bruit assourdissant, jour et nuit, parfois tout près de l’hôpital (3.000 obus par semaine sur la poche dit le livre "Les poches de l’Atlantique" de Jacques Mordal) je vis la mort de mon camarade conscient juqu’au bout, sans aucun réconfort extérieur. Je ne supporte pas. Mes nerfs craquent. Je veux m’évader. Je tombe au pied de mon lit. Je crie et pour première réponse des blessés (S.S. dit-on !) viennent cogner dans notre porte en criant des menaces en allemand, avant que l’infirmière n’arrive.

    Ce camarade me laissera son nom et son adresse, que je ne pouvais noter. Je n’ai retenu de mémoire que son nom et son origine normande, juste pour lancer un message sur les ondes après la guerre, afin de transmettre ses dernières pensées à sa famille, grâce au journaliste Michel Leroux venu m’ interviewer bien à propos. Mais sa famille m’a t-elle entendu ?

    Sur intervention de l’infirmière, le médecin chef accepte de me transférer dans une salle commune avec des civils blessés. Je passais ainsi sous la protection des civils si l’on peut dire. Nous sommes tous installés dans des châlits militaires superposés. Il y a là des agriculteurs blessés dans leurs champs par des éclats d’obus, un cafetier de Larmor Plage et un tout jeune garçon

    La nourriture ne varie pas. C’est une tranche de pain noir d’environ 7 cm de diamètre par repas, une petite assiette de trognon de choux. Un paysan blessé raconte que les allemands, après avoir pris les choux, ramassent aussi les trognons; les coupent en tranches fines, les stockent en quinconce dans des barils et les maintiennent en état de conservation dans l’eau de mer salée du port de Lorient. Va donc savoir !

    Par contre, le vin rentre à flot ici, grâce au cafetier. C’est interdit. Mais comme on n’est pas sur d’être encore vivant le lendemain,; les infirmières ne sont pas trop regardantes. Certains sont facilement saouls tous les soirs. Évidemment les Allemands (les boches comme on disait) ne sont pas au courant. Ils ont autre chose à faire…

    Ici, avec les civils, je vois du monde ; je fais connaissance avec les autres infirmières de l’étage ; Annie Kerlau de Moëlan-sur-Mer, qui décédera peu après la guerre dans un hôpital Parisien de tuberculose. Et puis aussi Christiane Masson, qui m’invitera à déjeuner chez elle à Paris après la Libération. Et Simone Joyet qui me soigne personnellement et avec qui je resterai en contact jusqu’à son mariage

    Le lendemain de mon installation dans ce nouveau service, j’eus la visite impromptue de l’officier allemand parlant français responsable du commando qui nous avait attaqué. D’emblée, il me braque son revolver sous le nez et se met à m’interroger : "Où sont les Américains ?" "Combien de terroristes êtes-vous de l’autre côté ?" etc.. Il menace de me frapper sur mon bras blessé, il me gifle et part en maugréant en allemand.

    Je fais aussi fait la connaissance d’un autre allemand , parlant couramment le français et l’anglais. Il travaillait avant guerre dans l’hôtellerie en Amérique et s’était trouvé mobilisé pendant un séjour dans sa famille en Allemagne en 1939. Il jouait à la perfection Mozart au piano dans la salle des fêtes de l’hôpital, à l’étage supérieur. C’était grandiose sous le sifflement des obus. Les infirmières me faisaient de leurs mains une chaise à porteur pour me transporter jusque là.

    Évidemment, j’étais le seul blessé F.F.I. survivant de cet hôpital et tout le personnel français était aux petits soins pour moi, conscient que je pourrais leur apporter éventuellement un témoignage favorable, car on sentait bien qu’au fil des jours, la peur changeait de camp.

    La reddition allemande du 8 mai 1945

    On sentait la fin approcher. Un jour, le 7 mai 1945, je crois, l’ordre fut donné de descendre en catastrophe tous les blessés civils et militaires et moi-même, dans les bunkers. L’infirmière Simone Joyet m’expliqua que le bruit circulait que "mille" avions alliés viendraient pilonner Lorient comme ils avaient pilonner Royan peu avant, si les boches ne se rendaient pas.

    "Mille avions" ça me paraissait beaucoup, mais en temps de guerre les bruits les plus fantaisistes circulaient. Ce qui est sûr, c’est que le personnel de l’hôpital avait appris par le chef Hartz que les alliés avaient demandé aux Allemands de proposer une zone de protection pour y regrouper la population civile afin de la protéger des bombardements massifs prévus.

    Bref, me voilà arrivé dans le bunker. Ca sentait l’humidité. Les lits superposés par trois étaient accrochés par des chaînes à des anneaux ancrés dans le béton du plafond. L’infirmière Simone Joyet jugea bon de me placer en haut. Elle fit bien car la panique prit vite le dessus dans mon coin et un blessé renversa son vase sur le lit du dessous... D’autres vases restaient à terre entre les lits et se trouvaient bousculés, ça sentait mauvais. Pour ma part, ma toux me reprend de plus belle. On entendait des gens prier tout haut ou raconter leurs dernières volontés aux infirmières. La peur était contagieuse et collective.

    Comment ne pas penser à la mort dans des moments pareils :! A ce propos, un livre avait été déposé la veille sur mon lit alors que j’étais assoupi. Je l’avais seulement regardé, incapable que j’étais de m’appesantir sur la lecture. Je n’en ai vraiment pris connaissance. que plus tard Mais je pense qu’il convient de le rappeler ici, puisqu’il était resté sur ma couverture quand on m’a descendu dans le bunker.. Il s’agit de " l’Évangile offert aux captifs par les catholiques de France"

    Heureusement, les infirmières conservaient leur sang-froid, allant de l’un à l’autre, distribuant sourire et réconfort... Et le 8 mai 1945, (jour de la fête de Jeanne d’Arc) la capitulation allemande sans condition, conclue la veille à ETEL est signée. Les avions alliés ne viendraient donc pas nous anéantir. Nous fûmes tous ramenés dans nos chambres très rapidement. Pour la première fois les obus cessent de siffler et d’éclater. Il y a longtemps que je n’avais pas aussi bien dormi.

    Tandis qu'à Berlin, le 9 mai 45, le général de Lattre de Tassigny adressait "l'ordre du jour n° 9" à ses troupes, à l'hôpital maritime de Lorient, dans la matinée du même jour, deux FFI blessés arrivent dans une chambre voisine. Les deux avaient reçu une balle à hauteur du cœur. L'un a reçu une balle en plein cœur, l’autre était sauvé, la balle étant passée au-dessus du cœur. Des Allemands avaient voulu faire un dernier carton après la reddition et avant de jeter leurs armes à terre.

    Le 10 mai 1945, j’étais encore virtuellement prisonnier, sous la responsabilité médicale du chef Hartz. Mais, c’est sa dernière tournée ou plutôt sa tournée d’adieu ce matin. Il s’approche de chaque lit, s’inquiète de l’état de santé de chacun. L’infirmière Simone Joyet traduit.

    Arrivé à ma hauteur, il me regarde bien droit dans les yeux de son regard bleu pénétrant me fait traduire la situation et m’annonce que je vais être remis aux autorités médicales militaires françaises le jour même. Il ajoute combien il regrette de n’avoir plus depuis longtemps les moyens de sauver les vies humaines.

    Il me dit que mon bras (qui suppure, est tout bleu, les doigts enflés ne bougeant plus) sera sans doute soigné à temps, que j’aurais peut-être une réduction de fracture dans un hôpital, mais qu’il resterait difforme et diminué, que pour le reste, c’était des blessures superficielles sans conséquences.

    Alors seulement, il me tend la main en me disant au revoir. J’hésite en pensant à mes deux camarades morts ici, mais je sens le regard inquiet de l’infirmière et finalement je lui tend la main gauche en lui disant "Danke" Après tout, je n’ai pas été maltraité, à quelques détails près, et puis, c’est vrai qu’ils n’avaient plus de médicaments pour eux-mêmes, puisque j’ai vu un amputé soigné uniquement à l’eau de Dakin.

    Je suis donc officiellement libéré ce 10 mai 1945, alors qu’on me soutiendra mordicus plus tard officiellement et officieusement que la guerre était finie et que tout le monde était libéré à Lorient le 8 mai 1945 comme si je n’avais pas vu aussi ces camarades blessés par l’ennemi ce jour-la.

    Bref, on me change alors de chambre aussitôt après le dernier passage du chef Hartz. On m’installe dans la belle chambre à quatre lits avec les deux FFI blessés arrivés hier. J’arrive juste pour assister à la mort de celui qui avait reçu la balle en plein cœur je n'avais pas besoin de cela.

    Le survivant me raconta qu'après l'ordre du cessez-le-feu, et qu’ils étaient en train de récupérer les armes ennemies, un boche avait voulu faire un dernier carton sur eux, avant de rendre leurs armes. Deux infirmières militaires françaises rentrent sans frapper nous coupant la conversation. Mais nous sommes heureux de les voir. Elles enquêtent sur la situation de chacun l’état des soins et font l’inventaire de tout. Elles me proposent après examen médical, trois mois de rééducation et six mois de convalescence en établissement militaire spécialisé.

    J’ai tout refusé en bloc ce qui n’est pas obligatoire. Je demande à rejoindre mon unité dès que possible. Je tiens aussi à aller en occupation pour rendre aux boches la monnaie de leur pièce. J’interviens aussi en faveur des infirmières françaises et particulièrement de Simone Joyet qui s’est dévouée pour moi, mais mon intervention est mal perçue. Tous ceux qui ont contribué au moral de l’ennemi doivent payer me dit-on. C’est la guerre et elles seront internées au camp d’internement de Sarzeau. J’irais faire une intervention en leur faveur à la Préfecture de Vannes.

    J’ai bien compris plus tard que j’aurais dû accepter l’offre de la nouvelle infirmière militaire , car des camarades qui sont passés par là, ont été informés et aidés pour leur mise en pension militaire d’ invalidité dirigé dans une école de rééducation, puis reclassé dans un emploi réservé. Alors que j’allais me retrouver seul et démuni devant tous ces problèmes après ma réforme, pour avoir fait ma mauvaise tête.

    Mais, nous sommes le 11 mai 1945 au matin, on entend dire que les troupes françaises arrivent et défilent dans Lorient mais mes ex-infirmières désormais internées ne sont plus là pour me transporter jusque là et je ne manquerais pas de reprocher à ma nouvelle infirmière militaire française de m’avoir privé de cette joie.

    En début d’après-midi, une ambulance vient me chercher pour m’emmener à Kerpape. Je fais donc mes adieux à mon nouveau camarade intransportable pour le moment. Le cauchemar est terminé, ou presque.

    Lorient, l’enfer, les boches

    Spi da Viken, Espère à vie

    La victoire est dans la poche

    Notre Capitaine l’avait dit

    Après cinq ans de guerre, c’est au tour des Allemands de connaître les longs chemins vers les barbelés...Sauf ceux qui pénètrent en prisonniers dans la citadelle de Port-Louis après y avoir tenu cinq ans le rôle de geôliers et de tortionnaires. (Découverte d’un charnier de résistants à la citadelle) .Le général allemand Fahrmbacher estime ses propres pertes à 1.000 morts, des centaines de malades, 68 suicidés et fusillés, dans la poche.

    Les volontaires allemands participeront au déminage des côtes et du port. De l’hôpital de Kerpape, on entend les mines sauter. Le bruit d’une mine antipersonnel qui saute, c’est un Allemand blessé ou tué. Le bruit d’un ensemble de mines qui saute, c’est un carré déminé réussi.

    Les habitants évacués regagneront petit à petit la ville et s’installeront pour longtemps dans des baraques. Il faudra de très nombreuses années pour que Lorient soit relevée de ses ruines.

    Quand à moi, me voilà installé dans un grand dortoir à Kerpape. La première visite médicale est pour me dire que ma blessure au bras n’est pas belle et infectée et qu’on écarte pas l’éventualité d’une amputation le lendemain. Puis un nouveau médecin le Dr Azoulay m’annonce un traitement américain à la pénicilline et mon bras va s’améliorant. J’ai encore une douleur au genou droit qui me gêne pour marcher mais c’est cicatrisé.

    Je commence à écrire de la main gauche à ma grand-mère et je lui confie notamment les adresses de mes infirmières de Lorient, car nous étions convenus de rester en contact après la guerre pour nous raconter mutuellement la fin de ce cauchemar. J’apprendrais même à taper à la machine de la main gauche en attendant de pouvoir me servir tout de même un peu de la droite.

    Le 10 juin 1945, le médecin-chef Azoulay résume sur un certificat médical les soins en cours, pour l’hôpital militaire installé à l’ EPS rue Jean Macé à Rennes plus proche de mon domicile.

    Ce voyage de retour se fera par Pluvigner pour voir défiler la 12° compagnie qui doit rejoindre Niherne près de Châteauroux avant son départ pour l’occupation en Allemagne. Après une nouvelle hospitalisation à l’ EPS de Rennes du 7 juillet au au 24 septembre, je suis à nouveau en convalescence du 25 septembre au 23 octobre où j’obtiens grâce à l’aide du Dr Seignard voisin d’enfance, ma réaffectation le 25 octobre, à l’ex-12° Cie de la 19° D.I. à Niherne en vue de l’occupation en Allemagne.

    C’est là au contact de mes camarades retrouvés que j’apprends ce qui s’est passé pendant mon absence. Le Capitaine raconte plus loin cette période charnière entre la reddition et l'occupation.

    La reddition allemande à ETEL

    La signature officielle de le reddition allemande a eu lieu le 7 mai 1945 à 20 heures au Café Breton à ETEL après différents contacts entre belligérants. Les trois signataires étaient :

    • le colonel allemand BORST, représentant le général allemand FAHRMBACHER ;
    • le colonel KEATING, représentant le général américain CRAMER
    • le colonel JOPPÉ, représentant le général BORGNIS-DESBORDES, commandant la 19ème  D.I

     

    ORDRE DU JOUR N° 11 DU GÉNÉRAL BORGNIS DESBORDES
    en date du 8 MAI 1945



    Hier, 7 Mai, à 20 heures, à ETEL, en présence du colonel KEATING, clef d’État-Major du général commandant la 66ème D.I.U.S et du colonel JOPPÉ, commandant L’I.D 19, représentant le général commandant la 19ème D.I, le colonel allemand BORST a signé la capitulation sans condition des forces allemandes occupant la POCHE DE LORIENT, la presqu'île de QUIBERON et les îles de GROIX et de BELLE ILE .

    Aujourd'hui, 8 mai, jour de fête de Jeanne d'Arc, coïncidence magnifique, les hostilités ont cessé sur le front de LORIENT à 0 heure I minute.
    C’est la marque tangible de votre part dans la Victoire de la France, dans la grande Victoire de tous les Alliés.
    Après vos luttes terribles du maquis qui ont permis de chasser l'ennemi de la presque totalité de la Bretagne;

    Après la dure période de l'automne et de l'hiver où, par un climat rigoureux, avec un habillement insuffisant, un armement disparate et mal approvisionnés en munitions, vous avez
    fait face avec vigueur aux moyens supérieurs de l'ennemi ;

    Après la période meilleure où, mieux équipés et mieux armés, vous avez pris l'ascendant sur l'ennemi, le dominant par vos patrouilles incessantes dans le no man's land, avançant par endroits vos positions, lui faisant presque chaque jour des prisonniers de plus en plus nombreux , vous avez aujourd'hui la considération de toutes vos peines et de tous vos efforts



    VOUS ETES VAINQUEURS

    Vous adresserez une pensée à ceux de vos camarades qui sont morts en combattant à vos côtés
    Et puis vous vous tournerez vers l'avenir.
    Vous serez dignes de votre Victoire.
    Vous serez assez fiers pour écarter de vous toutes vengeances mesquines. Vous resterez
    disciplinés et vous ferez honneur à la France.


    Le général Borgnis-Desbordes
    commandant les F.F.M.B. et la 19ème D.I

     

     

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